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PUBLIERA DANS SES PROCHAIN^ —
La Fille de Lady Rose, par Mrs HUMPHRY Yta^ d'Erminges, par M. MARCEL PRÉVOST. — Un di- BOURGET, de rAcadémie française. — Au-dessi'» Th. BENTZON.
Toute traduction ou reproduction des travaux de li
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est interdite dans les publications périodiques de la Franc.^yh^a? ^ y compris la Suède, la Norvège et la Hollande
REVUE
DES
DEUX MONDES
LXXIII* ANNÉE. — CINQUIÈME PÉRIODE
rOME ITll. — !•' SEPTEMBRE j903.
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REVUE
DES
>EUX MONDES
I
LXXIII» ANNÉE. — CINQUIÈME PÉRIODE
TOME DIX-SEPTIÈME
PARIS
BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES
RUE DE l'université, 15
1903
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PRESERVATION •\^-=,^
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DE BOULOGNE A AUSTERLITZ
11(1)
LA LEVÉE DU CAMP
Napoléon ne se vantait pas quand il faisait dire par un de ses Bgens : « L'Empereur pénètre toutes les vues de ses ennemis et il embrasse d'un coup d'œil rapide les conséquences les plus éloignées. » Le voilà dans ces derniers jours de juillet, qu'il a assignés à la jonction de Villeneuve revenant des Antilles et de Ganteaume sortant de Brest. Avant quatre semaines, il passera en Angleterre ou il se portera sur le Danube. S'il passe en Angle- terre, il faut retenir l'Autriche; s'il fait la guerre à l'Autriche, il faut la prévenir. Dans l'un et l'autre cas, terrifier, gagixcr, neutraliser au moins la Prusse, le temps d'aller à Londres ou d'aller à Vienne, sauf à l'anéantir ensuite d'un coup de revers. Ces trois affaires s'ordonnent dans son esprit, sans se confondre. D'abord, la descente prime les deux autres ; puis, peu à peu, à mesure qu'il approche du terme fixé et que nul guetteur ne si- gnale les voiles de Villeneuve, sa préoccupation se tourne vers l'Allemagne; le reflux de la grande armée se prépare sourde- ment, et, degré par degré, précautions d'abord , puis ordre de marche se succèdent, se précipitent, et cette combinaison, acces- soire encore dans les dernières semaines de juillet, devient priii- cipale dans les ti'ois premières semaines d'août. Les mouvemeus ne s'accomplissent avec cette sûreté de méthode, ne ;:;e décou-
(1) Voyez la Revue du 15 août.
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vrent avec cette rapidité de coup de foudre, que parce qu'ils ont été médités, concertés de longue main. Il n'y eut en cette évo- lution ni jeu de scène, ni coup de théâtre, ni prestidigitation de génie: il y eut clairvoyance, prévoyance,. conseil et enchaî- nement. « Je ne me butais pas à plier les circonstances à mes idées, disait-il, je me laissais en général conduire par elles. Qui peut, à l'avance, répondre des circonstances fortuites, des acci- dens inopinés ? Que de fois j'ai donc dû changer essentiellement ! Ainsi ai- je vécu de vues générales, bien plus que de plans ar- rêtés (1). »
I
Le 20 juillet 1805, Napoléon appelle devant Boulogne Gan- teaume resté à Brest. Tout est préparé, « tout sera embarqué, em- bossé hors de rade, de sorte que, maîtres trois jours de la mer, nous n'avons aucun doute sur la réussite... Vous nous mettrez à même de terminer le destin de l'Angleterre.. » A Villeneuve, le 26 juillet: Ralliez les Espagnols à Cadix, au Ferrol, et arrivez devant Boulogne : « Si vous me rendez maître, pendant le seul espace de trois jours, du Pas de Calais, avec l'aide de Dieu, je mettrai un terme aux destinées et à l'existence de l'Angleterre. » Il estime que cette lettre trouvera Villeneuve à Cadix et que cet amiral rejoindra Ganteaume dans la Manche.
Tandis que ses courriers se hâtent vers Brest et vers Paris, il se reporte vers l'Allemagne. Pour lui, conmie pour Alexandre, la Prusse est la pièce principale à pousser,, et c'est le môme jeu de la part des deux empereurs : la gagner, sauf à la payer très cher, si elle les sert bien, ou à la détruire, si elle les contrarie ou les combat. Talleyrand presse Lucchesini; il offre le Hanovre: que la Prusse l'occupe pendant la guerre, elle le gardera lors de la paix; Napoléon la défendra, avec 80000 hommes, si la Russie et l'Autriche l'attaquent ; mais, par compensation, il exige qu'elle reconnaisse l'état dernier des choses en Italie, la réunion de Gènes, la libre disposition de Parme et de Plaisance. Laforest,
(1) Archives des Affaires étrangères, Correspondance de Napoléon, Correspon- dances publiées par MM. Bertrand, Tratchewsky, BaiUeu. Gf.Je lieutenant-colonel Rousset : l'Art de Napoléon; les ouvrages de MM. Desbrière, Alambert et Colin : la Guerre maritime; la Campagne de i805; ceux de Lefebvre, Thiers, Thibaudeau, Foumier, Hûffer, Ranke, Martens, Helfert, Oncken; les Mémoires de Ségur, Miot, Czartoryskl, Metternich, Comeau, la comtesse Potocka.
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DE BOULOGNE A AUSTERLITZ. 7
le ministre de France à Berlin, compose, sur la môme donnée, un long mémoire qu'il remet à Hardenberg, le 8 août : — « La Prusse ne doit point espérer de pouvoir rester spectatrice pai- sible des événemens. Entraînée dans le tourbillon, obligée de combattre sur le terrain que le hasard lui aura assigné, parce qu'elle ne sera plus à temps de choisir, elle regrettera vainement de n'avoir point prévenu des maux qu'il ne sera plus en son pouvoir d'empêcher. »
Le Portugal tombera de soi-même, si l'Angleterre succombe; il le faut faire tomber, si l'Angleterre subsiste. Napoléon vou- drait que l'Espagne se chargeât de la besogne. Le grand chan- celier de la Légion d'honneur, Lacépède, continuateur de Buffon dans rhistoire naturelle, émule de Guvier dans les emplois et la politique, mène cette affaire à Paris, avec Izquierdo, adjoint, pour l'intrigue de Godoy, à l'ambassade officielle de Charles IV à Paris. « Il me semble, disait Napoléon, que 60 000 Français sont trop considérables; 16 000 Français et 60 000 Espagnols devraient être suffisans pour venir à bout du Portugal (1). »
Nouvelles des flottes, réponses de Berlin et de Madrid, il décide de les attendre à Boulogne, au milieu de son armée. Les temps sont proches et l'événement décidera de ses résolutions. U part de Paris le 2 août; le 3, de Boulogne, il expédie à Tal- ieyrand le canevas d'un discours à tenir à Louis Cobenzl, le ministre des Affaires étrangères, à Vienne. L'Autriche arme; elle menace les frontières du royaume d'Italie : « Il est impos- sible que j'obtienne la paix avec l'Angleterre, si l'Autriche n'est pas véritablement pacifiée; » si elle ne l'est pas, si elle ne rassure ni ne désarme, « dans l'impossibilité de soutenir la guerre ma- ritime, il marchera en Allemagne pour pacifier entièrement l'Autriche ; » que la cour de Vienne y réfléchisse : « On ne peut plus se battre raisonnablement que pour les affaires de Constan- tinople, qui sont ime pomme de discorde pour laquelle il est très probable que la France et l'Autriche marcheront réu- nies (2). » Par Berlin, il adresse des insinuations plus claires : « Serbie, Bosnie, Herzégovine, Croatie turque, sont sous sa prise, s'ouvrent à elle. » Enfin, au prince Eugène : « Vous dites que tous les bruits sont à la guerre. Il ne faut pas combattre ces
(1) A Lacépède, 26 juillet 1805.
(2) Je donne le texte rectifié d'après Toriginal qni se trouve aux Archives de Menue. Foumier, Zur Textkrilik der Korrespondenz Napoléons L Vienne, 1903.
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bruits-Ià. Ce que fait l'Autriche, elle le fait vraisemblablement par peur (1). » Donc, l'épouvanter.
C'est qu'il espère passer. « L'heure de l'Angleterre a sonné, dit-il, le 4 août. Nous avons à venger les défaites de Poitiers, de Crécy et d'Azincourt. Il y a cinq cents ans que les Anglais commandaient à Paris. Les Anglais sont maîtres de l'univers. On peut, en une nuit, se mettre à leur place. Ils ont conquis la France sous un roi fou; nous conquerrons l'Angleterre sous un roi en démence. » « Si nous sommes maîtres douze heures de la traversée, l'Angleterre a vécu ! » Le 7, enfin, il apprend que Villeneuve a battu les Anglais devant le Ferrol, le 22 juillet : la jonction entre la flotte française et la flotte espagnole est opérée ! Trente-cinq vaisseaux sont réunis au Ferrol; les capitaines, les matelas sont parfaits, écrit Lauriston, mais Villeneuve est mou, indécis, perplexe, sans audace. « Cette bête de Gravina, au con- traire, n'est que génie et décision au combat ! » Vont-ils venir? Ganteaume sortira-t-il de Brest? Ces journées, du 9 au 12 août, marquent le point culminant de la crise, le tournant décisif des choses.
Jusqu'au 12 août. Napoléon se débat avec ses illusions; il interroge la mer, scrute l'horizon, harcèle les vigies. A partir du 12, les illusions s'évanouissent; il se reporte à la carte d'Alle- magne, il s'y absorbe de plus en plus. Villeneuve n'a pas paru : le destin se déclare ; les probabilités tournent à la guerre conti- nentale, et, dès lors, le grand revirement, conçu par lui, en ses heures de perplexité, va se disposer avec méthode, s'opérer par progrès, se dérouler par flots et vagues qui se poussent, ainsi €[ue monte la marée, sous l'impulsion lointaine de TOcéan qui oscille dans sa masse.
Le 12 août, il écrit à Cambacérès: « L'Autriche arme; je veux qu'elle désarme; si elle ne le fait pas, j'irai avec 200 000 hommes lui faire une bonne visite dont elle se souviendra longtemps. » Il envoie, le môme jour, à Talleyrand la matière d'une note à passer à Philippe Cobenzl, l'ambassadeur d'Au- triche à Paris : — « On ne peut pas aller plus loin; j'attends une réponse catégorique, parce que, sans cela, je ferai entrer des troupes en Suisse et je lèverai mes camps des côtes de l'Océan. » Il mande à Eugène, le 13 : « Je marcherai sur Vienne avec
(i) A Eiigcnc, 21 juillet; Talleyrand à Laforcst, 30 juillet 1805.
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DE DOULOGMC A ÀUSTERLITZ. 9
SOOOOO hommes; rien n'est beau comme mon armée ici. )* Puisj une nouvelle instruction à Talleyrand, celle-là embrassant Tensemble de la politique: ff Mon parti est pris; je veux atta- quer l'Autriche et être à Vienne, avant le mois de novembre prochain, pour faire face aux Russes. » Toutefois, il préférerait que TAutriche désarmât; Talleyrand doit graduer les réclama- tions : » Vous savez qu'il est assez dans mes principes de suivra la marche que tiennent les poètes pour arriver au développement' dtme action dramatique, car ce qui est brusque ne porte pas k vrai. H Que TAutriche désarme, retire ses troupes en Bohènië*"èf en HoDgrie, nous laisse « faire tranquillement la guerre avec TAngleterre, » sinon : a elle aura la guerre dans un mois. L'Em* peieur n est pas assez insensé pour donner le temps aux Russes d'arriver.-. Si votre maître veut la guerre, dira Talleyrand h Philippe Cobenzl, il ne fera pas les fêtes de Noël dans Vienne, n Il eiige une réponse en quinze jours ; sinon, il lève les camps I Talleyrand j du même coup, mettra la Bavière .en demeure: « Je ne souffrirai pas qu'elle reste neutre. » De même le Wurtem- berg, de même Bade, 11 déclare, d'ailleurs, qu'il ne gardera rien au delà du Rhin- Que toute TAllemagne soit avertie, « afin que rinquiétude générale du danger saisisse ce squelette de Fran- çois II, que le mérite de ses ancêtres a placé sur le trône. »
Traiter avec la Bavière sera facile. L'Électeur convoite la couronne royale ; il a tout à gagner avec Napoléon, tout à perdr© en se prononçant contre lui. Le Wurtemberg suivra, et par les Blâmes passages. Veut-on « Tohliger à détrôner le roi de Naples ? t> 11 y songe, mais il n'y \iendra que par contre-coup. Il ordonne (p'AIquier se retire, si les armemens continuent; le procès est ouvert (1)-
CependanCj il se reprend à espérer. « Villeneuve est un pauvre homme qui voit double, et qui a plus de perception que de carac- tère. » Nelson n'a que douze vaisseaux. Si Villeneuve possédait un peu de l'intrépidité de Nelson! Il essaie de le galvaniser: * Pour ce grand objet, nous pourrions tous mourir sans regretter b vie (2). >ï Le 22 août, arrive une dépêche de Tamiral, datée du W: il a renoncé à forcer Tontrée du Ferrol. Napoléon le croit ti Brçst. il rappelle, il appelle Ganteaume: avec leurs cinquante vaisseaux de ligne, il aura la supériorité: « Partez, ne perdez
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W) A talleyrand, 2K juillet. 4, 16 août; à Eugène, 19 août 1805. ftj A Ûecîrès, h. VUlencuvfl, 13 aoù»: 1805.
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pas un moment, entrez dans la Manche. L'Angleterre est h. nous ! Nous sommes tout prêts, tout est embarqué. Paraissez vingt- quatre heures, et tout est terminé (1). » Mais une dépêche, en- voyée par le télégraphe, annonce qpie Villeneuve s'est réfugié, le 21, à Cadix. Napoléon écrit, en hâte, à Decrès : « Je vous prie de m'envoyer, dans la journée de demain, un mémoire sur cette ques- tion : dans la situation des choses, si Villeneuve reste à Cadix, que faut-il faire? Élevez- vous à la hauteur des circonstances... Pour moi, je n'ai qu'un besoin, c'est celui de réussir (2). »
Le même jour, 22 août, un courrier de Talleyrand lui apporte des nouvelles de Berlin. On a tout offert à la Prusse : « le Hanovre, tel autre avantage, arrondissement, prérogative ou influence en Empire que le roi pourrait trouver à sa conve- nance. » Le roi écoute, prend conseil et revient à sa manie, la neutralité, qpii lui procurerait des bénéfices de toutes mains, sans le compromettre avec personne. Pressé entre ces deux géans, la France et la Russie, il cherche un défilé par où échap- per à l'étreinte. S'il passe à la Russie, c'est la possession des Pays-Bas, d'une partie de la rive gauche du Rhin; mais Napo- léon peut l'anéantir ! S'il passe à la France, c'est le Hanovre, mais c'est la guerre avec l'Angleterre et avec la Russie qui s'apprête à l'envahir et à lui prendre Varsovie ! Il est prêt, ré- pond-il, à négocier pour le Hanovre; mais il demande des expli- cations au sujet de l'Italie, de la Hollande, de la Suisse ; et il se flatte de transformer ainsi l'alliance, qu'il redoute, en une média- tion pacifique et lucrative, qu'il souhaite.
Napoléon était un homme qu'il fallait prendre au mot : porté à donner, et largement même, quand il attendait beaucoup en retour, mais se repentant aussitôt, désirant reprendre ses pro- messes ou, pour les accomplir, exigeant davantage. « En donnant le Hanovre à la Prusse, écrit-il à Talleyrand, le 22 août, je lui donne un bien qui, sans exagération, augmente ses forces de 40 000 hommes et améliore la situation de ses États, de la même manière que Gênes améliore le Piémont... Je lui garantirai l'in- tégrité de ses États; inais j'entends aussi que la Prusse me garan- tira Tintégrité de mes États actuels, sans que je veuille m'en- gagçr avec elle pour la Suisse, la Hollande ou les États de Naples. Le roi de Prusse me garantira, à moi et à mes descendans, mon
(i) A Ganteaume, h Villeneuve, 22 août 1805. (2) A Decrès, 29 août. 1805.
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royanme d'Italie... Je ne veux pas entendre parler du roi de Sardaigne, je tranche le mot, pas plus que des Bourbons!... Quant à la Hollande, je ne veux donner aucune garantie... C'est une offre que je ne referai point dans quinze jours... Une fois que j'aurai levé mon camp de l'Océan, je ne puis plus m'arrèter, mon projet de guerre maritime est tout à fait manqué ; alors je ne gagnerai plus rien à donner le Hanovre à la Prusse. Il faut donc qu'elle se décide sur-le-champ. « Je suis obligé de marcher du 7 au 12 septembre; que la Prusse menace et fasse connaître que, si TÂutriche passe l'Inn, elle entrera en Bohème, sinon, rien ! » Le 23 août, la réponse de Decrès arrive. Elle laisse peu d'es- poir que Villeneuve sorte de Cadix. Toutefois, il reste encore une chance. Napoléon la suppute : mais déjà tout son esprit, toute sa volonté se portent vers la terre. « Si mon escadre suit ses instructions, se joint à l'escadre de Brest et entre dans la Manche, il est encore temps : je suis le maître de l'Angle- terre (1). » Mais les vents sont contraires; s'ils le demeurent et si les amiraux hésitent : « Je cours au plus pressé : je lève mes camps... et, au 1«' vendémiaire, 23 septembre, je me trouve avec 200000 hommes en Allemagne, et 25 000 hommes dans le royaume de Naples. Je marche sur Vienne, et ne pose les armes que je n'aie Naples et Venise, et augmenté tellement les États de l'Électeur de Bavière, que je n'aie plus rien à craindre de l'Autriche. »
Son plan est double : politique et militaire. En politique, il lui faut gagner du temps ; c'est à Talleyrand de filer la rupture en conséquence. Il envoie Duroc à Berlin : « Vous conclurez le plus promptement possible le projet d'alliance... Ma conduite sera celle du Grand Frédéric au commencement de sa première guerre. » A Naples, où Ton annonce le débarquement de 6000 Anglais, il exige qu'Acton et Damas soient chassés de la Sicile, que les troupes napolitaines soient placées sous le com- inandement d'un officier français, que les milices soient licen ciées : « Alors, je conclurai un traité de neutralité avec la reine de N^les, qui assurera la tranquillité. » Mais il n'y croit pas, et il se précautionne. Ses exigences ont pour objet de mettre les Napolitains à genoux, désarmés, déshonorés, ou de les pousser à des imprudences qui donneront prétexte à la guerre; et il y
(1) A Talleyrand, à Berthier, 22 août 1805.
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compte tellement qu'il la commande. Gouvion Saint-Cyr est pré- venu qu'avant le 16 septembre, il peut recevoir Tordre de mar- cher sur Naples, et, en huit jours, de s'en rendre maître, de désarmer les milices et de lever des troupes régulières quïl fera entrer dans son armée. Marmont et Tarmée de Hollande doivent s'apprêter à débarquer dans les vingt-quatre heures, au premier ordre qu'ils recevront, et à gagner Mayence. Cependant Bema- dotte s'acheminera sur Gœttingue, « le tout dans un secret im- pénétrable. » « Si le cas arrive^ je veux me trouver dans le cœur de l'Allemagne avec 300000 hommes, sans qu'on s'en doute (1). »
Ces ordres sont arrêtés le 23 août. Les lettres pour Marmont et pour Hemadotte sont expédiées le jour même. Napoléon écrit à Dejean, adjoint au ministre de l'administration de la Guerre, à Paris, que les vivres soient prêts à Strasbourg «t à Mayence pour le 20 septembre. Le 24 août, il donne à Berthier des instruc- tions détaillées pour la formation des divisions et leur marche sur Strasbourg. Il écrit à Talleyrand : « Je fais descendre mon armée de Hanovre en Bavière. » Il croit tenir les Prussiens, il est résolu à courir les grands risques et à les laisser dévorer déjà leur proie, à leur abandonner le Hanovre qu'il leur offrait, à si haut prix, sauf, l'Autriche « pacifiée » sans eux ou malgré eux, à le leur reprendre et à les « pacifier » à leur tour.
Si le cas arrive, écrivait-il le 24 août ; le 25, il estime que le cas est arrivé. « Tous les renseignemens que je reçois par mes courriers me font prendre le parti de ne pas perdre un jour. Le moment décisif est arrivé, » mande-t-il à Berthier. Derrière le décor qui demeure immobile et la figuration qui se con- tinue, tout le fond, tous les dessous du théâtre s'ébranlent et se retournent. Il écrit encore, le 25, à Talleyrand : « Mon parti est pris. Mon mouvement est commencé... Dès ce moment, je change de batteries; il ne faut plus d'audace, il faut de la pusillanimité, afin que j'aie le temps de me préparer. Il s'agit de me gagner vingt jours et d'empêcher les Autrichiens de passer rinn pendant que je me porterai sur le Rhin. » Il connaît en partie, imparfaitement, les mouvemens de l'Autriche; il s'en étonne, ignorant l'arrivée des Russes. « Je n'aurais pas cru les Autrichiens aussi décidés... Mais... ils ne s'attendent pas... avec quelle rapidité, je ferai pirouetter mes 200000 hommes. » Il
(1) A Talleyrand, au roi de Prusse, à Berthier. 23, 24 août ; instructions à Duroc 24 août; ordres dôfîniUrs à Gouvion, 2 septembre.
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DE nOULOGNK A AUSTEHUT^. IS
envoie, en poste, sous le nom du colonel Beaumont, Murât, qui commandera Tavant-garde, reconnaître les pays limitrophes de la Bohème, se rendre compte des passages, tout étudier, la carte et le précis des campagnes de Belle-Isle, à la main (1).
Il dépêche Thiard à Bade avec pouvoir et instructions pour traiter. Il traitera aussi avec le Wurtemberg, non avec TÉlecteur, qui est tout autrichien, mais avec son fils, qu'il pense à substi- tuer au père : ce fils aura le grade de général français et le grand aigle. c( Arrivé à Stuttgart, je mets tout entre ses mains; je lui donne ce que TAutriche a en Souabe. » Le général Bertrand part pour Munich avec une lettre à l'Électeur. Il fera une reconnais- sance en règle, notamment sur la route d'Ulm à Donauwerth; il étudiera le plan d'Ulm en grand détail. « Peut-on aller à Prague par cette route? » A TÉlecteur, il confie le secret « qui n'est connu d aucun de mes ministres, et qui est encore dans ma plus arrière- pensée. » La Bavière « y gagnera Taccroîssement et la splendeur que lui réservent Tancienne amitié de la France et la politique actuelle de mon empire. » L'esprit occupé de la Bohôme, il s'imagine si peu que les Autrichiens le devanceront à Ulm et qu'il les y investira, qu'il demande à l'Électeur d'y faire confec- tionner 500 000 rations en biscuit, et autant à Wttrzbourg.
Le 26, il fait préparer les ordres de marche pour Marmont. Bemadotte, Davout, le prince Eugène, le grand déménagement des provisions et munitions embarquées. Il envoie Masséna en Italie, où Jourdan lui semble insuffisant. Ces ordres sont signé<? et expédiés le 27. Il divise l'armée, qu'il appelle la Grande armée en sept corps; la lettre où il donne à Berthier les instructiont nécessaires est du 29, mais la mesure était connue de Berthier le 28, car, ce jour-là, Napoléon écrit à Dejean : « Le ministre de la Guerre vous aura envoyé l'organisation de la Grande armée en sept corps. » Et à Duroc : « L'armée est en plein mouvement... L'armée de Hanovre n'a encore reçu que Tordre de se rendre à Gœttingue. Si je m'arrange avec la Prusse, je n'ai pas besoin du penser au Hanovre; si je ne m'arrange pas avec elle, je laisserai, dans la place forte, des vivres pour un an, un bon commandant et de l'artillerie; et si quelqu'un vient l'assiéger, je reviendrai, avant que la tranchée soit terminée, tomber sur 1 armée a-ssic- geante... Frédéric allait bien, rapidement, de Prague à Ros-
(i) Mission analogot à Savary, le 28 août, pour les yallées du Dânulr
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bach... Il est possible qpie, d'ici à cinq ou six jours, j'envoie l'ordre aux corps du maréchal Bernadotte de se rendre à Wûrz- bourg... Il devra alors traverser un pays neutre. Commencez à faire les premières démarches pour obtenir des facilités pour le passage, par l'intermédiaire de la Prusse... Dites au roi, seule- ment, que l'Autriche m'insulte trop et d'une manière trop évi- dente; que, dans le fait, elle a déjà déclaré la guerre. »
Toutefois il ajourne à expédier cette lettre. Qu'attend-il? Des nouvelles décisives, les nouvelles dernières et irrémédiables de la flotte. Le 31, il les a, et il envoie le courrier à Duroc avec ce post-scriptum : « Mon escadre est entrée à Cadix, gardez le secret.. Tout est parti', je serai en mesure le 5 vendémiaire, 27 septembre. » Le 2 septembre, il est encore à Boulogne; le 4, il rentre à Malmaison. C'est là qu'il reçoit les courriers d'Es- pagne, les rapports de Decrès, et que sa colère éclate : a L'amiral Villeneuve vient de combler la mesure... Cela est certainement une trahison... Villeneuve est un misérable, qu'il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage... Au lieu de venir à Brest, il s'est dirigé sur Cadix, violant ainsi ses ins- tructions positives. » Villeneuve était un marin sans génie et sans audace; il ne craignait pas la mort, mais il n'avait pu sou- tenir la responsabilité du commandement; il ne supporta pas le soupçon de lâcheté, et l'horreur qu'il en eut le jeta bientôt dans un coup de désespoir. Telle fut la fin de Vimmense projet qui devait, en vingt-quatre heures, anéantir l'Angleterre. Napoléon ne pouvait plus désormais que la bloquer dans son ile, l'affamer, la ruiner, lui faire la guerre des banqueroutes à l'intérieur, et la prendre à revers par l'Europe d'abord, jusqu'en Autriche, jus- qu'en Pologne, jusqu'en Russie, puis jusqu'aux Indes. L'immense hyperbole commence. A la diversion fantastique par l'Amérique succède le mouvement tournant par l'Asie, à l'infini.
II
La première négociation à conclure, à brusquer au besoin, était celle de la Bavière : un pays sur lequel, de part et d'autre, on voulait passer. Maximilien, l'Électeur, beau-frère d'Alexandre, endoctriné par sa femme, tiraillé par les ministres de Russie et de Suède, pressé par Otto, se débattait entre ses désirs, la cou- ronne royale, et ses affections de famille, ballotté entre la crainte
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et l'avidité. Napoléon remporta : il semblait plus redoutable, il déclarait ne vouloir rien prendre et il promettait de donner beaucoup. Le traité d'alliance fut signé à Munich le 24 août. Le 6 septembre, Schwarzenberg somme TÉlecteur de joindre ses troupes à celles de François II; sinon, il le traitera en ennemi. Maximilien s'effare, se désespère. Otto accourt, le console, Fexhorte, le secoue; il lui montre la couronne royale perdue, rélectorat avili, la sujétion autrichienne, la vengeance de Napo- léon. Maximilien le crut et s'en trouva bien. Cette confiance fit de lui un roi. Toutefois il dut commencer par où les autres finissent. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, il déménage en hâte avec ses ministres, sa cour, son trésor et ses troupes. Le 9, les Autrichiens franchissent l'Inn, mais ils ne trouvent que des ar- senaux vides, une capitale évacuée ; ni prince à lier, ni armée à enrégimenter. La Bavière se faisait enlever, tout bonnement, sur simple promesse de mariage.
La Prusse exigeait, au préalable, une constitution de douaire, des articles de reprise, des réserves de divorce et tout un sous- contrat de secondes noces. Il y avait à Berlin, à l'armée, à la cour, un parti de la guerre, un parti de Talliance russe, de la « grande alliance » qui régénérerait l'Europe, purifierait Tçitmo- sphère politique et reléguerait, à leur place, les parvenus et les usurpateurs.
Frédéric-Guillaume fit ce que font les généraux nés pour les capitulations : il tint conseil, et consulta les plus perplexes des hommes, après lui-même, Brunswick, Schulenburg, Harden- berg, sans parler des sous-consultations secrètes de Haugwitz. Ces conseillers conférèrent le 22 août, après quoi, Hardenberg fit à Metternich cette remarquable déclaration : « Nos principes sont inébranlables; le roi ne se départira pas de la plus stricte neutralité. » Mais s'entêter à la neutralité dans un pays sans fron- tières, entre deux empires qui se poussent l'un vers Tautre, c'est se jeter inévitablement dans les conflits. Or, ce roi irrésolu s'y précipitait par l'effet même de son indécision.
Le 27 août, Alopeus reçut, ainsi qu'il avait été décidé à Pétersbourg et qu'il en avait été averti, une lettre d'Alexandre pressant Frédéric-Guillaume de se joindre à lui. Alopeus devait en même temps annoncer des mesures, « tant militaires que diplomatiques, tendantes à persuader ou à contraindre la Prusse à faire cause commune avec la Russie et avec l'Autriche. »
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16 REVUE DES DEUX MONDES.
L'armée russe était en marche et approchait des frontières. Quatre jours après, le !•' septembre, Duroc arriva avec la lettre de Napoléon, réclamant aussi alliance et passage. Duroc vit Har- denberg le 2 septembre et fut reçu, le 3, par le roi. Ce prince parut fort ému de la communication, mais il déclina les offres : « Ce projet a dû être jugé entièrement inadmissible, puisqu'il ne tend à rien moins qu'à m'enchaîner pieds et poings liés à la cause et aux intérêts de la France, et à m'entraîner dans une offensive incalculable dans ses effets et ses bornes. »
D'ailleurs, si Napoléon propose un traité, Alexandre en pos- sède un : la déclaration du 24 mai 1804; elle porte : « Le casus fœderis aura lieu à la première entreprise des Français contre un État de l'Empire situé sur la rive droite du Weser. » Lié de la sorte, Frédéric-Guillaume pourrait-il, sans félonie, s'engager contre le Russe avec Napoléon^ ou simplement faciliter à Napo- léon les moyens d'une invasion que l'alliance du 24 mai 1804 avait précisément pour objet d'empêcher? Dans cette extrémité, il ne trouvait plus de recours qu'à Vienne ; il y envoya un cour- rier, et Hardenberg s'occupa, jusqu'à la réponse, de tenir Duroc et Alopeus en suspens. Si le roi se berçait encore de neutralité, Hardenberg ne s'en flattait plus guère : ses propres fils lui sem- blaient trop ténus pour résister à de telles bourrasques. « Les espérances de paix ont encore plus diminué et la guerre paraît décidée, écrit-il, le 8 septembre, à Brunswick, nous ne sommes rien moins que sûrs du côté de la Russie. Il paraît qu'on veut nous forcer à nous unir à la coalition... »
Ils s'imaginèrent qu'en sonnant du fifre, battant le tambour et traînant les sabres sur le pavé, le tapage détournerait, de part et d'autre, les violateurs de neutralité. Ils mirent les troupes sur pied : « Une armée de 80000 hommes qui, au premier signal, pourra être portée à un nombre beaucoup plus considérable, » écrivit, le 9 septembre, le roi à Lucchesini. Devant ce déploie- ment de forces, et pour s'en débarrasser. Napoléon les laisserait dériver vers le Hanovre ; ils occuperaient ce pays, de son con- sentement tacite, sans traité, ce qpii éviterait le conflit d'enga- gemens avec la Russie. Mais en auraient-ils le loisir?
La marche des Russes prenait un aspect d'invasion. Har- denberg s'en explique avec Alopeus. — Le roi, dit-il, ne se décidera jamais pour la France, si la Russie ne l'oblige pas à sortir de ses principes. Oui tentera de lui faire violence^ le verra
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certainement passer du côté de ladversaire. Et, le 12, il remit une note à Laforest : « Le roi est très fermement décidé à s'en tenir au système de neutralité, le seul conforme aux intérêts de sa monarchie et à ceux de ses voisins... Il maintiendra la tran- quillité et le repos du Nord de TAUemagne... C'est le système le plus favorable à la France ; mais on ne peut se dissimuler qu'il devient très difficile et presque impossible de le soutenir, si rÉlectorat de Hanovre reste occupé par les troupes françaises... Que la France remette donc, sans la moindre perte de temps,... le pays de Hanovre à la Prusse...; qu'elle en retire toutes vos troupes, qu'elle emploiera beaucoup plus utilement ailleurs. » • Cette neutralité, qu'ils cotaient encore à un si haut prix, ils nen disposaient plus. Le 15 septembre, Alopeus reçut une seconde lettre d'Alexandre pour le roi, la seconde sommation annoncée ; le tsar l'avait signée à Pétersbourg le 4 septembre, avant de quitter sa capitale. Malgré les instances de Czartoryski, il répugnait à violenter un ami si doux, si touchant, si angoissé. Il insistait sur la nécessité de menacer et d'entamer Napoléon de tous les côtés à la fois ; il réclamait l'alliance ; il réclamait, « en attendant, le libre passage » pour ses troupes à travers les États prussiens ; il annonçait son arrivée et il demandait une entrevue « pour nous concerter avec détail sur l'ensemble de nos vues... Je vous garantis des dispositions de l'Autriche... Le sort de TEurope est entre vos mains. » Le 16, cette missive, ultimatum fraternel et caressant, était entre les mains de Hardenberg. Alo- peus supplia ce ministre de la remettre au roi le plus tôt pos- Hardenberg fit un beau geste : — « Vous connaissez depuis emps mes principes. J'ai déclaré au roi qu'il ne lui restait plus que le parti de lever le bouclier. — Et contre qui ? inter- rompit Alopeus. — Eh! pouvez- vous le demander? contre la France. » Alopeus déclara qu'il attendrait la réponse jusqu'au 23 ; c'était le terme fixé par la procédure russe et tout, dans le plan, s'exécutait avec méthode. Merveldt, envoyé de Vienne pour concerter une entente, arriva sur ces entrefaites, et Metternich en profita pour pousser à fond Hardenberg et son maître.
Mais, le lendemain, 17 septembre, Duroc et Laforest reçurent des instructions de Napoléon : Bernadotte passera, de gré ou de force, par les États de l'Électeur de Cassel. « Tâchez de con- clure. Pourvu, que votre traité ne me lie pas les mains pour marcher de suite, je passerai par-dessus tout le reste. » Que TcsiE xni. — 1QG3. 2
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18 REVUE DES DEUX MONDES.
Laforest « n épargne point les espions, qu'il envoie des officiers prussiens ou autres, pour observer; qu'il prodigue largent, si cela est nécessaire. » Le 19, il se tint une grande conférence entre Brunswick, Hardenberg, Haugwitz, Mœllendorf, Kalkreuth, Kleist. Ce conseil délibéra d'armer très ostensiblement : neutra- lité maintenue contre tous, alliance avec personne, médiation in petio, et le Hanovre de toutes mains. Ni Duroc, ni Metternicb, tirant chacun de son côté, n'en obtinrent davantage. Le 21 sep- tembre, Frédéric-Guillaume écrivit à Alexandre en termes pathé- tiques : « Et vous, à qui je tiens par des traités solennels que j'ai remplis, par une amitié qui fait mon bonheur, c'est par vous que mes premiers droits de souverain pourraient être compromis ! » Il refuse le passage, il décline l'alliance, il accepte l'entrevue, c( une de ses idées les plus chères » depuis Memel (1). Au fond, il la subit et ne s'y rend qu'avec anxiété, redoutant le prestige, les séductions d'Alexandre. Il tremble pour sa neutralité, ainsi qu'une prude pour sa vertu, traînée, comme malgré elle, au ren- dez-vous.
Le courrier s'en allait à la rencontre du tsar, quand, le 23, Alo- peus, exécutant ses instructions, annonça que, n'ayant point ob- tenu le passage à la date indiquée par lui, les Russes entreraient de gré ou de force : 50 000 hommes par Varsovie, marchant sur Breslau ; 47 000 par Grodno, marchant sur la Prusse ; 25 000 en Poméranie, par mer. Ils sont annoncés pour le 28. Hardenberg se trouble. Les adjurations du roi, l'armement de la Prusse, n'ont donc point arrêté Alexandre I II prie Alopeus de le venir voir ; il le supplie d'éviter « la plus horrible des catastrophes. » Alopeus répond que les choses militaires échappent à sa compétence, et rompt l'entretien au bout de quelques minutes.
En rentrant chez lui, il trouve un de ses attachés qui arrive de Pétersbourg, avec des ordres datés du 18, et tout est renversé. Alexandre charge Alopeus de déclarer que, « dans l'espoir de voir accepter par le roi le rendez-vous qu'il lui a proposé, il a suspendu l'entrée de ses troupes jusqu'à cette époque, convaincu toutefois que le roi n'hésitera pas à faire cause commune avec lui. w Alopeus court chez Hardenberg, où l'on fait quelque diffi- culté de l'introduire. C'est que Duroc et Laforest sont attendus d'un instant à l'autre. Hardenberg reçoit Alopeus dans un petit
(1) C'est à Memel qu'avait eu lieu, en 1802, la première entrevue d'Alexandre avec le roi et la reine de Prusse.
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salon. Il traversait une de ces crises où tout moment de répit semble le salut; il fit le Russe, il ôt Tempressé, annonça €[u'il se trouvait désormais à Taise avec les Français ; qu'il aurait de quoi leur répondre ; qu'il attendait tout le bien possible de l'entrevue. Sur quoi, le voyant si bien disposé aux expansions, Âlopeus lui demanda si l'on parlait toujours du Hanovre. — « Ah ! répondit Hardenberg, il est question de bien plus : on nous propose une alliance et beaucoup en sus. » Mais il était impatient de voir débarquer les Anglais. « Personne ne peut les empêcher de reprendre leur propre pays. » Et, revenant à l'entrevue : « J'es- père que nous pourrons en tirer parti. Qui sait si on n'entraînera pas le roi? »
Alexandre avançait à travers la Pologne. « L'enthousiasme était général, rapporte Czartoryski ; toute la Pologne était prête à se lever en masse, » à acclamer le tsar pour roi. Lord Gower, qui rejoignit le quartier général russe, dit que l'Angleterre ne s'y opposerait point, dans le cas où il s'agirait d'une reconstitution totale de la Pologne. Alexandre songeait aux compensations qu'il offrirait à l'Autriche pour la Galicie, qu'il lui prendrait. « Si je puis vous faire avoir la Silésie, vous pouvez compter sur moi, )> disait-il à l'envoyé autrichien. Comment compenser à la Prusse Varsovie et Posen, et cette Silésie dont on l'expulserait pour la donner à l'Autriche? La guerre en fournirait les moyens, aux Pays-Bas, en Hollande, sur la rive gauche du Rhin. Mais ces pays, bons à partager, étaient encore à conquérir ; pour en chasser Napoléon, le concours de la Prusse semblait nécessaire ; en commençant par la démembrer, n'allait-on pas la jeter dans l'alliance française, qui, au lieu de la dépouiller, lui procurerait le Hanovre ?
Dans les châteaux où il logeait, Alexandre charmait ses hôtes par sa courtoisie, parlant beaucoup, jamais d'affaires, empressé près des femmes. « Sa conversation, dit l'une d'elles, était simple et réservée ; on ne pouvait présumer qu'il eût de grands moyens, mais il était impossible de ne pas lui accorder de l'élévation dans les idées et une mesure infinie. » Ses officiers en obser- vaient beaucoup moins, hâbleurs, avantageux, ils demandaient aux belles Polonaises leurs commissions pour Paris... et au delà. Mais, à mesure qu'il s'approchait de la frontière prussienne, Alexandre se sentait pris d'inquiétude, de remords : violer le droit, rompre l'amitié, précipiter le bon roi dans le désespoir,
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20 REVUE DES DEUX MONDES.
perdre son renom chevaleresque aux yeux de la reine ; se jeter sur la Prusse, brutalement à la Bonaparte; humilier, arracher des pleurs, provoquer, au lieu des embrassades émues, des re- gards de haine, des gestes d'horreur ; dépouiller cet Alexandre, le tendre et le magnanime, pour découvrir le machiavéliste et