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Je vous ledois siirtout pour un livre d el ils hdlenl de leurs voeux et de lenrs Iravaux nner6forme,non seulement dans la langue, mais dans la philosophie, dans la politique et dans la religion elle- m6me. On pent comparer les limites on d'abord s'enferme la r^ forme philosophique avec celles de la r^forme religieuse. La rtforme religieuse se rallache aussi au travail philologique duXY^ siScle par rinterpritalion directe et la discussion des testes originauXf latins, grecs el h^bralques, qui en eslle point de depart el le fondement. Les r^forrads opposenl T^glise pri- mitive h r^glise romaine , les lexles originaux k la Yulgate, comme, au m^me temps, les philosophes opposenl le p^ripa- t^tisme, pur au p6ripat6lisme all6r£ de la schoiaslique, et rArislote d^Alh^nes k rAristole des clotlreseldesuniversit^s du moyen-dge. Si la r^forme proclame le libre examen, elle le reslreint dans les limites de rinterpr^tation vraie des £cri- lures , comme la philosophie dans celle d'Aristote. Si elle attaque Tautoril^, ce n'est qu^en lui opposanl une autre au- toriti , et c*esl avec des lexles qu'elle combat des lexles, de 8 m6TAe que tea philo$ophes oiqyose&l les ancient aux andens el Platbn h Aristote. Mais, dpr6s avoir Iutt6 avec des aolorit^s, la raisoo esaaya de si'eiii passer el Ae marcher seule en avant. Ces premters eissaU d'intKpeDdance furent leiit^s par des esprits batdis et aventiireax , tel^ que Ramus , Bruno , Yanint , Gainpa- ncllla , tous iitarlyrd de ieur entreprise h^roifque. Aa XYP Slide comme an XY^, c^est I'ltalie qui joue le prindpal r6le Adm Thistoire de la philosophte. De m^mc que lui appar- 4i«mDent ceux qui les premiers, au XY° siide, renonvelirent le platonisme el raristo(6Iisme , de tn^e peut-ellese vanter d'avoir pr6dait la plupart des r^formaieurs qui les premiers lent6renl de fonder dne philosophie nouvelle , en secouaut le joug non settlement d'Aristole , mais de toute autoritg. Cependant , c'est k la France qu'appartienl Bamus qui ne le c6de k aucQh ^utre , sinon pour la profondeur et Toriginaliti defs doctrines , au moins pour fhiroSsme , Tiloquence, la di- gnity de la vie , et pour le nombre des disciples. A Paris , au sein de la plus p^ripat^licienne des univer- sitis, et, pour ainsi dire , au centre m6me de son empire, BamuB ose attaquer Aristote. Aussi, que de fureurs il excite, que de luttes k soutenir, que d'embUcbes tendues, que d'af- faires suscities par d*infatigables et fanaliques adversaires« devant le Pariement, TUniversiti et le Gonseil du roi ! Des feUx de joie accaeillent un arrdt du Parlement qui le con- damne au silence. « II ne m'a manqui que la C]gu6, s'icriait- il dans un Eloquent discours ou il rappeiait toutes les embd- cbes de ses ennemis. » Hilas ! elle ne devaitpas lui manquer, et plus amire encore que celle de Socrate ! Dans le iv® livre des Animadversiones^ il nous apprend comment il s'est dilivr^ des tinibres d' Aristote, et comment il a congu la pensie d*une r^forme philosopbique. Apris avoir, selon Tusage, passi trois ans et six mois h ^tudier les livres logiques d'Aristote, il se % 9 mit k consid^rer & quoi tant deveilles lui avaienl servi, ei, en s^apercevant qu'il n'en avail retir6 aucun frail, quels ne farent pas son ^lonpemenl el sa douleur ! Hei misero mihi I ut oft- stupuU til alie ingemuij ut me naturamque meam deploravij ut infelici quodam mUeroque fato et ingenia a musis prorsus abhorrenti tne natum €$sejudicavi, qui nullum fructum ejus ? ^ sapienticB quos tatda in Axistotelis % tct5 prcpdicare^ur , p^rot- pere aut cernere tantis laboribus poluissem t Le mdme sen- limenl est ex(M'im6 par.Descarles dans les premieres pages da Diseours de la Mithode. Mais, aa lieu de se. repiier, comme Descartes, sur sa pjropre pens^e, Ramas, poor dissiper cette ignorance, en renent encore ^\xx iivres des ancient, et c'est dans les Dialogues de Platon qa*il croil poar la premiere fois avoir trouv^ la lami^re. II raconie qae, dans les Entretiens de Soerale, il appril ane foale d'excellents pr^ceples et cette vraie mithode qui, de la definition da tout va h celle des par- tieS) en SclairaQt chaque pointpar des definitions et des exem- ples. II est ravi de voir Socrate, pour r^futer les fausses opi- nions, n en appeler qu'au libre jugement* ((Pourquoi done, se dit-il, ne pas user un pen i regard d'Arislote de la mithode de Socrate ? Quid plura ? coBipi egomet sic mecum cogitare : hem ! quid vetat paulisper socratizein ? 11 remercie Dieu de lui avoir envoys un pilole tel que Platon qui fa conduit au port ou varnement il aspirait, batlu par la lempete, et il con- fesse tout devoir k la lumi^re de sa mithode el & la liberie platonicienne de philosopher. Mais il n'emprunle k Platon que la forme exierieure de la methode et non la dialectique eHe-merae, car, h proprement parler, il n'a point de metaphysique. G*esl par la logique que regnait surtout Arislote, c'est par Ih que Ramus veut Tatla*- quer et le perdre. Obscurite, confusion, defaut des divisions et des definitions, absence de but pratique, omission de Tinduc- tion si admirablement maniee par Socrate dans les Dialogues 10 de Platon , voila ce que reproche saii» cesse Ramus h Aristote. Lui-mdme, dans sa nouvelle iogique, il s'^carte d' Aristote par la m^thode d'enseignemenl , par le choix des termes , par les d^Gnitions et par les divisions, tan(6t en suivant les traces de Platon, tant6t celles de Cic^ron oa de Quintilien. II d6- finil la Iogique ars bene disserendi^ et il en retranche toot ce qui lui paratt ne pas rentrer dans cette definition. D'ailleurs, abstraction faile de ce changeraent des termes et des divisions, le fond de sa Iogique ne difffere pas de celle d' Aristote. 11 r^- duit, il simplifie, il ^claire Aristote, mais aux d^pens de la rigueur, de la precision et de la profondeur. Ramus n'a fait prenve d'originalit^ et n'a exerc^quelqueinQuencesalutaire snr les esprils que par le but pratique qu'il assigne h la Iogique et par la maniire dont il Tenseignait.Si la Iogique est Tart de bien disserter, ou mieux T^tudier que dans les hommes d'^Iite , pontes ou orateurs, qui ontexcelie dans I'artde toucher etde persuader, en la prenant, pour ainsi dire, sur le fait et dans la nature elle-m^me ? Aussi s*appliquait-il a faire sortir de Ta- nalyse des plus beaux morceaux po^tiques et oratoires les divers proc^d^s de la Iogique et les diverses formes du raison- nement. II excellait dans ces analyses, et, par cette nouveaut6 pleine de charmes, il attirait et s^duisait les esprits d^godt^s de la s^cheresse et des subtilit^s de la scholastique* De toutes ses innovations, c'est I'union de T^loquence ou de la rhito- rique avec la Iogique h laquelle Ramus semble attacher le plus dMmportance, et c^est une de celles qui souleva contre lui le plus d*orages au sein de TUniversit^ de Paris. En r^unissant la rh6- torique h la Iogique, il voulait la d^barrasser de toutes les sub- tilil^s, de tons les termes obscurs et barbares de la scholastique pour lui faire parler la langue classique de Rome et la rendre attrayante el utile par des regies et des exemples tir^s des ora- teurs el des pontes. II fit plus encore pour rendre la dialec- tiquepopulaireenrecrivantenfranciais,quatre-vingtsansavant 11 le Diseours de la Mithode. Cesi aussi un philosophe rSfomia-* (eur de la mftme dpoque , Jordano Bruno , qui , le premier en Italie, comnae Ramus en France, fit parler la langue yul- gaire h la philosophie. A cede prtoceupalion constante do but et des applications pratiques de la philosophie, nous recon- naissons encore dans Ramus lin pr^curseur de Bacon et de Descartes. Remarquons aussi en lui un autre (rait de I'esprit moderne, Tunion de la philosophie avec ies matb£matiques« auxquelles il consacra une dtude acharn^ de quinze ans , et donty par son testament, il fonda une chaire au college de France. Ce m6roe esprit de r^forme, il I'a port6 avec plus ou ffloins de profondeur dans toutes Ies sciences. En ^mancipant an prix de sa vie Ies esprits et Ies sciences du joug d' Aristote , en steutarisant pour ainsi dire la langue phiiosophique, en mettanten honneur la raison, rexp^rienceetlecalcul, Ramus a pn preparer la ri^forme de la philosophie et de la physique , mais il laissait tout enti^re h ceui qui viendraient apr^s lui la gloire de son accomplissement. Le p^ripat^tisme m6me de rOniversit^ de Paris ne fut qu*6branl6et non pasabattu par la lutle hiroVque de Ramus; et, en 162&, il provoquait en- core de la part dn Parlement un arrdt calibre qui condamnait a mort quiconque enseignerait des maximes contre Ies auteurs anciens et approuvis. Mais cet arrdt atroce, qui ne put 6tre extents, ^tait comme un effort d6sesp6r6 pour prolonger un empire qui de toutes parts raenacait ruine. II y a des Eclairs dans Jordano Bruno, mais au sein de quel- t 11 se fonde sor le syst^me de Gopernic el tanl6t sur rinfinil6 m^me de Dieu. La terre n^itant pas immobile an centre du monde, le soleil Iui*m<^me n*^tant qu*un centre mobile et partiel , ne suit-il pas d*apr6s Gopernic que le monde n'a ni centre ni circonf^rence et qu*il est infini?L*univers est TOlympe el letrdne de la divinity. Si Dlea est un ^tre illifnitS , son palais doit 6tre sans bornes ; si Dieu est iternel , si ses actes el ses ann6es sont sans fin , les mondes sontinnombrablescirunivers infini. La majesty de Dten ^tant sans bornes, le nombre de ses ambassadeurs, c'est- a-dire des astres , sera Ini-m^me sans bornes. Avec quel en- tbousiasme Bruno ne c£libre-t-il pas ces myriades de mondes, ces conciles d'^toiles » ces conclaves de soleils donl la pensie transporte son imagination ! L'univers est n^cessairemenl par- tout y parce qu'il est inconcevable que Dieu ait i{i absent en quelque endroit et oisif en quelque temps. II miprise ces faux tbtologiens qui tie comprennenl pas que Tinfinit^ de l^univers pent seule s'accorder avec une religion dont la divinity infi- niedoit^treinfinie, non seulemenl en eile-m^me , mais dans I'espace et la dur^e. 11 traite m6me la doctrine d'un monde fini de dogme impur que le diable seul a pu invenler. Le monde 13 de Bruno est done infini , immeiise , immobile, parfaii; mais od est son Dieu ? 11 est au sein m6me de cei univers^ ou plut6t il se confond avec Ini. En effet , c'est y selon Bruno , dans les formes de Tunivers que Dieu se d^couvre h nous, qu'il se r6fl6chit avec toutesses perfections , et c*est settlement dans ces formes que la philo- sophie peal le chercher et le montrer. II est 5 la fois la cause et le principe de runivers. Gomme principe , il est le fonde- ment intrinsfeqne et Tunique source possible de son eiistence, il reste inh^ent aux actes qu'il op^, aux effels qu^il produit, c-est*ii-dire , h tousles 6tres, principe int^rieur et force qni les maitttient dans la vie. En m6me temps il est cause , cause efficace , cause formelle et cause finale. II est cause efficiente » car il €st T^re paxtout agissant, la force qui remplit et 6olaire tout. La cause effidente est aux osuvres de la nature ce que rintelligence humaine est h la production de ses iddes. G 'est un artiste int^rieur qui, de Text^rieur, donne la forme et la^fi* gure & la mati6re,«fait sortir la tige des racines ou dela graine, les branches de la tige, les rameaux des branches et les bour- geons des rameaux. II est aussi cause formelle , cbaque acte raisonnable supposant un dessein qui est la forme de Tacte. Enfin 9 il est cause finsAe , car la cause finale est le but de la cause effioienle et formelle , et ce but est la perfection deTur- nivers , qui conDiste en ce que toutes (es formes parvienneat k une esistenoe r^elle. P^n^trd de latoule puissance de T^tre divrn , oe monde est le meiUeur que piiisse concevoir un ob- ser¥aleur sans m^lancolie et sans misanthropie. Ge qui par rapport h nous est ddfectueux, ne Test pas par raf>port a l'en<^ semble , et te musicien de Tunivers asu r assembler toutes les vx>ix extremes et moyennes pour en former «n{^ub)ime concert. II y a doncd^nslesein du Dieu de Bruno identit^^luprin- cipeet de la cause^idenlitd de la cause efficiente, formelle ou fi nate. Dieu est l-dme, la forme,la vie de tout ce qui est, c'est lui 14 qai anime ehaque parlicale de la natare; c^est loi qQiconsfitoe r^tre, la vieetlemoavementde I'univers entier. Diea, dme du monde, est h Tunivers ce qae notre Ame est an corps hnmain* En ia d^fbissant , une simple puissance ou posslbilil^ d'etre , Bruno ramine la matiire elle-m^me a Tunit^ avec le premier principe. En effet,le premier et le plusparfait des principesem- brasse en lui tout ce qui exisle, il pent 6tre tout et ii est riel- iement tout, il est done h la fois formel et mal^rieL Force ac- tive, possibility, rdalitd ne sont en lui qu*une unitg indiviste et indif isibie. L'infinie variit^ des choses ne constitue done en elle-m^me qu'un seul et m6me 6tre. Gonnaftre, rechercher eette unit^, vofU le butde toute pliilosophie. Gomme tousles membres sont contenus indivisiblement dans la semence , de mdme toutes les formes sont enveloppies dans Tdtre un. Un 6tre individuel n'est pas un 6tre isol6,mais T^tre pris isoliment. Les 6(res individuels ne sont que la substance unique sous des traits particuliers ; tout ce qui diS%rencie les genres el les es- p6ces el caract^rise les individus , tout ce qui ne prend nais- sance^que pour p^rir, tout cela n*est pas i'^tre substanttel et absolu 9 mais les modes et les accidents de T^tre. Bruno se platt h rapprocher subtilement toutes les antitheses pour les faire s*evanouir au sein de celte unite absolue des choses et de I'ldentite des contraires* Gette unite absolue transporte el ravit son ^me. Qui voit el poss^de cette unite, posside tout , qui n'a pu y parvenir n'a rien saisi , n*a riencompris* Comment rindividoalite humaine ne serait-eile pas neces* sairement absorbee dans cette unite absolue ? Mais il ne font point s'attendre a rencontrer dans Bruno la rigueur geomitri- qnede Spinoza. Malgre sa doctrine de runite absolue, il n'en proclame pas moins , en cent passages , la personnaliie de rhomme et de Dieu , la liberie humaine et la divine provi- dence , sans se mettre en peine de les concilier Tune avec Tautre. Tantdt il cache sa pensee sous des formes aliegori- 15 ques , lanMt ii prend ies dehors d'une mystique inspiratioD , iantdt it raiile , il esl grossier, il est bouffon , tantdt il est po6te et tantdt il se perd dans toutes Ies subtilitis de la scho- lastique et de Tart de Raymond Lalle. Quelle continuelle fer- mentation d*esprit , quelle abondance d^sordonn^e ! Quelle intemperance d'images , de figures y d'all^gories indistincte- ment puisnes k toutes Ies sources de ranliquit^ profane et sacrSe ! Partout c'est rimagination qui Temporte sur la raison, partout mdme absence de r^gle et dem^thode* Huetvoudrait bien faire de Descartes un plagiaire de Bruno, mais tout au plus serait-il possible de supposer quMl a pu s*en inspirer Tid^e de Tinfinit^ du monde. Nous ne trouverons pasdavantage ni la vraie philosophie , ni la vraie m^thode dans Yanini et dans Gampanella. Yanini ne miriterait guire d'attirer Taltention des historiens de la philosophie sans la terrible sentence du Parlement de Tou- louse. Ge n'eslque par sa fin tragique et non par le talent et le caract6re qu*on peut le comparer h Bruno. Tout en se vantant d^^^tre un enfant d'Aristote , il attaque non moins vivement la scholastique que Ramus et Bruno. En eSet , son Aristote est ceiui de Pomponat , c*esl-b-dire TAristote qui est incompatible avec la divine providence et avec Timmortaiit^ de r^me. Entre tous Ies phiiosophes , c^est Pomponat quil admire , Pomponat en qui Pythagore , dit-il , aurait affirm^ que r^me d*Averroes avait passd. Mais il manque de dignity dans la vie et de s^rieui dans Ies doctrines. Comment croire h la bonne foi de cet adversaire de Luther , de cet apoiogiste de Mo&e , de ce d^fenseur de Texistence de Dieu , de la pro- vidence et de la liberty , dans V Amphitheatrum y qui , un an plus lard , dans un autre ouvrage , De admirandis regintB Deceque mortalium arcanis , se moquc de tout cequ*il avait eu fair de respecter et de d^fendre ? II n*y a de sincere dans Yanini que la haine de r^glise et un empirisme exces- 16 sif. II idenli6e Dieu avec la nature , ii affirme que c'est la forme m^ine du monde qui le raeut et dod la volonti d'une intelligence. II n*est pas moins Evident qu'il ne croit ni k la spiritually^ , ni h rimmortalit^ de Fdme. En morale, il est d'un ^picnr^isme grossier , et il transforme le vice et la verfu en des fruits n^cessaires du temperament el du climat. II y a loin de Yanini , non seulement k Descartes, mais ^ Campa* nella^t h Gassendi. Quoique Gampanella incline h rempirisme , ce serait lui faire injure que de le comparer h Yanini, non seulement pour le caract6re et pour le talent , mais aussi pour la doctrine. Ramus , Bruno , Yanini faisaient en m^me temps la guerre .ft r^gltse et ^ la scholastique , il n'en €st pas de mdmede iCam- panella. G'est un adversaire tr6s-sinciredesh6retiqaes et des ath^es, et mdme un i^l& d^fenseur des pr^teniions de >la coitr de Rome , un veritable ultramontain. Aussi les persecutions qu'il subit furent plut6t politiques que qreligieuses , et c'estd un pape qn'il dut la deiivrance d'une longue et horrible cap- tivity. Gampanella attaque Aristote , comme Patricius , en opposant ses doctrines et surtont celles de I'dternitedu monde avec les dogmes de I'^glise. Dans sa philosophie d^pourvue d'unite, eequi semble dominer, c'est un empirisme qui n'a rien de rigoureux , et qui s'allie parfois h un certain mysticisme. D s*etait d'abord attache k Telesio, qu'il admirait , dit-il , dans un de ses ouvrages, De libris prapriis , parce qu*il ne joulali pas s'en rapporter aut paroles des'horames, mais a la nature des choses. Son ambition fut d-etendre h la philosophie tout entiere la reforme tentee par Telesio seulement dans la philo** sophie de la nature. Gampanella distingue deux ^mes : Tone spirituelle, mens, venant directement du sein de Dieu, et nous eievant, par Textase , jusqu'aux choses d'en haut; Tautre , anima, principe de la connaissance naturelle, qui est un air chaud venant du soleil. G'est des sens qu'il faitderiver toute la 17 connaissance nalurelle , diice sensu philosophandum est (1). li cherche a d^monlrer que toules ies facull^s dc Tintelligence seraminent ^ la sensation, que la m^moire n' est que la sen- sation renouvel^e, et qu'avec la ro^moire rintelligence Torme loutes ies notions g^n^rales. Lesensseul nous donne certitude, parce que la connaissance par le sens a lieu, selon Campa- nella , dans Tobjet present lui-m^me. A cette th^orie sensualisle, il n'est pas facile de raUacher logiquement la m^laphysique ou Tontologie de Gampanella. Daus le premier fail de conscience, il trouve contenus f^tre ou le pouvoir, le connaiire, le vouloir ou raimer, d ou il re~ monte immMialemenl aux trois propri^t^s essentielles de r^tre. Car ces r^alit^s qui sonl en nous, on bien ne sont que des elTets sans cause, ou doivent se retrouver sans limiles dans la source inQnie de notre ^tre. Puissance, sagesse, amour , voila done Ies Irois primalil^s de V^tre qui se r^fl^chissent en nous et dans tons Ies <^(re cr^^s : « Ens essentiaiur potentia essendi , amore essendi^ sapientia essendi (1). Tons Ies ^tres finis d^riventde ces trois priraalit^s de T^tre'en m6me temps que du non 6tre auquel , en tant que finis , ils parlicipent n^- cessairement. Gampanella vent prouver que Ies deux primalit^s dela connaissance etde Tamour se trouventdans tous Ies 6tres sans exception , tout comme la premiere primalit6 qui est r^tre. G*est le principal objet de son ouvrage intitule : De sensu rerum. Toules Ies choses cherchent a se conserver, mais le pourraient-elles sans la connaissance de leur ^tre et de tout ce qui lui est avantageux ou nuisible? De m^me sans Tamour. pourraient-elles aimer leur 6tre, ni travailler h le conserver ? Ainsi Tamour el la connaissance 6tant le principe de la con- servation de r^tre, doiveni, selon Gampanella, se retrouver (1) Prodromus philosophise. (2) Philosophise rcalis libri quaiiior. Ad Icctorem praelucidariuin. I • •^ 18 dans I'essence de (ous les 6ires. II serait difficile dimaginer la bizarrerie el la pu^rilii^ des preaves qu*il aecumale el la cr^- dulil^ avec laquelle il acceple les croyances popalaires les plus grossiferes, pour arriver ^ conclure que le monde esl urt animal vivant, qu'il esl loulenfiervie, dmeet senlimenl.G*est par r^manation qu'il fait d^river de TunilS iniinte de Dieu la lotalil^ des choses finies, h travers une muUitude de schdraes el d*arch6lypes lous plus obscurs el plus arbtlraires les uns que lesaulres. Partoul il retrouve cetle merveilleuse (riadeel il s'en serl pour expliquer ralionnellemenl la Trinity. II s'extasie sur la Iumi6re donl sa Iriade ^claire toutes choses : Admi-- ratus sum quomodo illud diffkillimum monotriadis arcanum $U omnium scientiarum illuminatio (1). Danssa physique el dans son aslronoraie, Tastrologie joue le principal r61e , il y donne m^me des recelles pour se preserver de Tinfluence noauvaise des aslres. Le sens coraraun ne brille assur^menl pas davantage dans la CiU du soleil, reminiscence malheureuse de la RSpublique de Plalon. U est impossible de tenir moins de compte de la liberie individuelle, de supprimer plus radicalemenl la pro- priety el la famille el de se meltre en une contradiction plu» absolue avec le but veritable de la vie humaine. Dans Tespril de Gampanella , comme dans celui de la pluparl des philo- sophes de cetle epoque, la faiblesse, la creduliie, la super- stition s*allient k la force el a Taudace. Gampanella , mort en 1639, non seulemenl croil encore a Tastrologie, raais meme il la pratique; il tirall Thoroscope du Dauphin, fils de Louis XIII. au meme temps que Descartes publiait le Discours de la Mithode. II ne faut done pas s*eionner du jagemenl se- vere qu'en porle Descartes dans une de ses leltres : cc II y a quinze ans que j*ai lu le de sensu rerum du meme auteur , (1; Philosophiae realis quaestiones physiologicae, (lib. 38, art. 1). 10 avec qaelques autres trait^s, et peul-^tre celul-ci ^tail-il du nombre. Mais j'avais d'abord trou?^ si peu de solidity dans son esprit (fae je n'en ai rien gard6 dans noa mdmoire. Je ne saarais maintenant en dire autre chose sinon que ceux qni s'^garent en essayantde soivre deschemins extraordinaires, me paraissent moins eicasables que ceux qui ne s*^garent qu*en compagnie. » Tels furent les (^garements et les exc^s de Tid^alisme et de rempirisnte dans le XVI^' si&cle, soit qu'ils se manifestenl par le renouvellement de syst^mes antiques, soit qu'ils osent se ptoduife par des tentatives originales. Encore rooins trou- verons'-nous la rigle et la m^thode dans le mysticisme. Jamais le naysticisme n'avait cess^ d'exister a c6t^ ou au sein m^me de la scholastique ; mais il se d^reloppe, il prend une plus grande place et une existence plus ind^pendante dans la phi- losopbie de la renaiissance. Du mysticisme vinrent aussi, h cetle 6poqu6, r^branfement et r^manclpation, sinon la ro^- ihode et la< lumidre. Avec une grande ind^pendance dans le fond, le mysticisme de 1» renaissffnce n*ose cependant se produire avec la m^e iacMpendance dans la forme et dans la m^thade exl^rieare. II pretend paiser ses plus hardies doctrines dans la doctrine myst^rieuse, antique et vitiir^e cte la cabale, et se ratla^ber au texie m^me des'£critares, tout en se mettant fort& son aise au moyen de rinterpritatioh all^gorique. La doctrine de r. La GeomStrie fut tra- duite en latin par Francois Van-Schooteu : RenaH Descartes Geometria cum Florinwndi de Beaune notis, ex Gallico katine, interprete et commentator& Fra/ncisco a Scbooten. Lugd.-Batav., 1649, in-4o. — Meditationes de prima philosophia ubide Dei eanstentia et ammas immortalitate. Paris, 1641, in ^8. Get ouvrage fut traduit en fran^ais par le due dc Luyncs. La traduction francaise parut sous ce titre : Les Meditations metaphysiques de Ren6 Des- cartes touchant la premibre philosophie , dans lesquelles Veonstence de Dieu et la distinction rielle entre Vdme et le corps de Vhomme sont dSmontrees. Paris, 1647, in-4<*. — Prindpia philosophioB. Arast., 1644, in-4o. Get ott- vrage a ete traduit en fran^ais par I'abbe Picot. Paris, 1647, in-4o. — TraUS des passions de Vdme, Amst. , 1650, in-12. Voici les-principaux de ses ou- vrages posthumes : VHomme de Rene Descartes, a/vec les Remarques de Louis^ de La Forge et un TraitS de la formation du foetus, par lie meme Descartes. Paris, 1664, in>4o. — Le m^me, avec le Monde , ou Traite de la lumiere de Descartes. Paris, 1677, in- 4®. — Lettresde Rene Descartes, oik sont traities les plus belles questions touchant la morale, la physique , la mSdecine et les mathematiques, donnies au public par lesieur Clerselier.Vsiris, 1667, 3 vol. in-4<». — Renati Descartes opuscula posthuma physica et mxithemoitica. Amst., 1701, in-40. G'est Ik que furent publies pour la premiere fois le traite ina- cheve : ReguUe ad directionem ingenii, et le commencement d'un dialogue : Inquisitio veritatis per lumen naturale , qui ont ete traduits en francais^ parM. Gousin. Les principales editions de ses (SSuvrcs sont celle d*Amstcrdam, 9 vol. in-40, 1713, de Francfort-sur-le-Mcin , 7 vol. in-4, 1697, precedee d'un 37 duire, noD sans quelques orages, ses principes phiiosophiques dans les universit^s d'Utrecht et de Leyde. Si son repos n'y fat pas s^rieusement trouble, si m6me il sorlit k son avantage de toutes les affaires qui lui furent suscilSes au nom d*Arislote el de la foi par quelques ministres fanatiques, il le dut h de puissants protecleurs , h Tambassadenr de France, au prince d'Orange et h sa quality de gentiihomme. Descartes, gentil- homme et fort k son aise, s'occupant en son loisir d'exp^riences et de speculations phiiosophiques , ^chappa h des persecutions sous lesquelles, professenr h la Sorbonne ou h Tuniversite d'Utrecht, il aurait peut-etre succombe. En ce sens, il a rai- son de dire dans le Discours de la MHhode : « Je ne me sentais point, grdces h Dieu, de condition qui m'obligedt h faire un metier de la science pour le soulagement de ma fortune. » Par I'audace de la pens^e, il egaleses plus hardis predeces- seurs du XYPsiede. Mais combien ne les surpasse-t-il pas par Tesprit de conduite, de meme que par le genie? II possede au plus haul degre ce mepris du passe, cette confiance en son propre genie, caractere general de tous les revolutionnairesde tousles temps et de tous les lieux. Qui a pour mission de detruire le passe ne peut le tenir en grande estime, ni eire en bonne disposition pour le jugeravec equite. Ne nous etonnons done pas si Descartes est injuste k regard de la philosophic scholdstique et des auteurs anciens. Non seulement il connait Ires-mal ces auteurs anciens qu'il meprise , mais il se vanle de les ignorer. c( Qu'il fdt vrai , Abrege de la vie de Descartes. Hen parut unc en France, mais fort in- complete ; Paris, 1724 , 13 vol. in-12. M. Cousin , de 1824 a 1826 , a donne unc edition complete des QEuvres de Descartes en 11 vol. in-8 , et M. Gamier une edition de ses OEuvres phiiosophiques en 4 vol. in-8, Parts, 1835. 38 diUl dans sa R^ponse ^ Vo^liu», comme vous vous eugagez h le prouver^ que je ne comprends pas les iermes de la philoso- pbie p^ripat6(icienne « pea m'importeraitassartoienl, carce serait plu(6t une honte 4 mes yeux d' avoir doDog h cede iinde trop de soins el d*aitention (i). » II affecte le indme mftpris pour loules les etudes historiques et pour les langues. (I U n^est pas plus , dit-il , du devoir d'un hoDii^te homme de savoir le grec el le latin , que le Suisse ou le bas-bretou ^ ni Thistoire de Tempire germaDO--romanique, que celle du plus petit 6tat qui se trouve en Europe (2). » Sorbi6re rapporte que, se Irouvanl pres de la reine GhrisUne, pendant qulsa^c Yossius lui donnait une le^on de grec, il avait pris la liberty de lui dire qu'il s'^tonnait que sa majesty s'amusAt ii ces ba- gatelles, que pour lui , il en avait appris tout son saodl dans le college [6tant petit gargon , mais qu*il se savait bon gr6 d'avoir tout oubli^ lorsqu'il 6tait parvenu ^ Tdge de raisonna- ment (3). « Savoir le latin » disait-il encore, est-ce done en savoir plus que ia fiUe de Gic^ron au sortir de nourrice ? » Qa'on ne lui parte pas de ce qu*ont pens^ d'autres bommes avant lui , car il veul ignorer , r6pond->il h Gassendi , si ja- mais d'autres bommes ont exists (4). A Ten croire, n'^t-il jamais rien lu , il n^eu aurait pas moins pens6 et 6crit toat ce qu'il a pens6 et tout ce qu'il a ^crit* Montrant h un de ses visiteurs en HoUande des animaux qu il avait dissiqu^s, il lui disait : « Yoil^ mes livres. d Ge m^pris de Thistoire et de T^ru- (1) Ed. CeusiB, tome XI, p. 2. (2) Ibid., 341. Recherche de la verite par la lumiere naturelle. (3) Qaillet, Vie de Descartes, 2« partie, p. 396. (4) « Vous devriez vous souvenir que vous parlez k un esfHrit teUem^Eit detache des ehoses cerporoUes, qu'il b» sait pas meme si jamais il n'y a eu aucuns kommes avant lui , et qui partant ne s*emeut pas beaucoup de leur autorite. » (Rep. a Gassendi.) 39 diLion a passi da maltre aux disciples. La philosophie du X VHP si6cle Ta rega comme un heritage de la philosophie du XYIP. II apparteoait k oolre dpoqae de remettre en honneur les coDscieDcieases et impartiales 6tudes de Thisloire en g^n^ral et en particulier de lliistoire de la philosophie. Assurdmenl ce m6pris des anciens» mis h la mode par Descartes, fal sin- gnli^rement injuste et aveagle ; mais ii a 6ii favorable k la liberty philpsophique qu'enchainait un respect superstitieux ou une admiration excessive pour Tautiquit^, et il a ^t^ Tant^ cedent « peut--6tre la condition du d^veloppement de Tid^e de la perfectibility. De ce m^pris des anciens est n^e la que- relle des anciens etdes modernes; et dans la querelle des an- ciens et des modernes s'est d^veloppte Tid^e de la perfectibility. Nous verrons plus tard que les premiers qui Tont nettement formulae, Perrault, Fontenelle etlerrasson, appartenaient k Tfeole de Descartes, a qui il faut en faire honneur, et non pas k la philosophie du XYUP si6cle. Gependant Voltaire exagire plaisamment I'ignorance de Descartes, quand il lui fait dire: « N'ayant jamais rien lu, pasm^me TEvangile (1). » D'un autre cOt6, Huet et Yico t(Hnbent dans une exag^ration contraire quand ils lui attri- buent une grande Erudition qu'il aurait dissimulie pour ca- cher de nombreux larcins k Tantiquit^, et se donner fausse- ment les airsd'un novaleur et d'un inventeur. Descartes n'^tait ni an ^rudit, ni un ignorant. II est vrai qu'il aimail mieui lire dans le grand livre de la nature que dans ceux des hommes, mais il n'Stait pas et il ne pouvait pas 6tre stranger k tout le pass6 de la science. N'avait-il pas appris an college de La Fliche ce qu'on enseignait alors de philosophie, n^avait- il pas dii connattre Aristole et saint' Thomas que suivaienl (1) Des systemes et des cabales. 40 les J^suites ? Baillel va jusqu'^ dire que saint Thomas 6tait son aateur favori, en ajoutant, il est vrai, que c'est Tunique th^ologien quMi edt jamais voulu itudier (1). Enfln, de son propreaveu, Descartes avait beaucoup lu, au moins 6tant au coIl<^ge : cc J*avais parcouru tous les livres traitant des sciences qu'on estime les plus curieuses et les plus rares qui m'6taient tomb^s dans les mains (2). » A ce m^pris du pass6, Descartes joint une confiance en ses propres forces qui est un caractfere non moins g^n^ral de tous les grands rSvolutionnaires. II pretend philosopher comme si jamais personne n' avait philosophy avant lui , rien n'a 6t^ fait jusqu'6 lui , tout demeure k faire, yoWh ce quil declare dans les premieres pages du Discours de la Mithode^ et il termine les Principes en disant : « Qu'il n'y a aucun ph^nomine en la nature qui ne soit compris en ce qui a ^t^ expliqu6 dans ce traits. x> G'est-a-dire qu'il ne laisse plus rien h faire. De l&cette disposition i m^connattre lesd^couvertes et leg^nie de ses pr6d6cesseurs et de ses contemporains , m^me de Galilee, auquel il n^accorde que le mediocre 61oge d^avoir phi- losophy un pen mieux que le vulgaire. Maisi Taudace de Tentreprise et de la pens6e» il ajoule la prudence et les sages managements qui en assurent le succ6s. II faut remarquer le rare esprit de conduite, la connaissance du coeur humain dont il fait preuve dans les conseils qu'il donne h son fougueux disciple Regius. Je cite la recomman* dation de ne jamais proposer d'opinions nouvelles comme nouvelles, et dese contenter d'employer lesraisons nouvelles (1) U parait, en cffet, avoir entierement ignore saint Augustin, malgre les analogies de sa doctrine. Ce sont des critiques bienveiUants ou des disciples qui lui ont appris ces analogies et revele I'avantagc qu'il pourrait en tirer contre ses adversaires. (2) Discours de la MHhode^ l«'e part. 41 avec les moyeDS de les faire godier : « Qa'6taii-il nicesflatre que vous allassiez rejeter si pobliqaement les formes substan- tielies e( les qaalitis r^elles ? Ne vous souveniez-vous pas que j'avais d6clar6 eu termes expris dans moo Traili des miUores queje ne les rejetais pas et que je ne pr^lendais pas les nier, mais seulement qu'elles n^6taient pas n^cessaires pour expli- quer ma pensie el que je pouvais sans elles faire oom- prendre mes raisons ? d S'il Mie de parattre novateur en mdtaphysique, h plus forte raison en politique et en religion , soil dans rinlir^t de son propre repos, soil dans celui du suc- g6s de sa doctrine. De Ik ce reprocbe de queiques-uns de ses adversaires de tenir plus encore au repos de sa personne qu'i la gloire et k la v6ril^. Dans le Diseaurs de la Milhode , il proteste contre toute pens^e de rSforme politique ou reli- gieuse. II remarque'bien des diflBcuit^s k reformer son esprit, a mais elles ne sont pas comparables a celles qui se trouvent en la reformation des moindres choses qui touchent le pu- blic. » II ne Yeut pas qu'on le confonde avec ces humeurs brouillonnes et inquiites qui n'^tant pas appel^es ni par leur naissance, ni par leur fortune au maniement des affaires pu- bliques ne laissent pas d'y faire en id^e quelque nouvelle re- formation ; « et si je pensais qu'il y edt la moindre chose en cet ecrit par laquelle on piit me soup^nner de cette folie , je serais tris marri qu'il Mt public. » Aussi, la premiere r^le de sa morale par provision est-elle d'obeir aux lois et aux coutumes de son pays, en retenant con- stamment la religion suivant laquelle Dieu lui a fait la grdce d'etre instruit d^s son enfance. S*il proleste contre toute pen- see de reformation dans TEtat, plus vivement encore proleste- t-il contre toute pensee de reformation dans Tfiglise. J'ai la religion du roi ou j'ai la religion de ma nourrice, voila ce qu^il se contente de repondre au Iheologien reforme Revius , qui le presse d'examiner avec autant d'applicaiion les fonde- 42 menlsde sa religion que ceux de la philosophie (l].Dela r6pro<- bation universellet dans laquelle il enveloppe d'abord toutes ies sciences, il a bien soin d'excepler la (htoiogie en ra6me temps qae Ies math^matiqaes : a Je r^v^rais, dit-il , notre th^ologie el je pr^tendais aulanl qu*aqcun aulre b gagner le cieU mais ayant appris , comme chose tr6s assur^e que le chemin n'en est pas moins ouverl aux plus ignorants qu*aux plus doctes, et que Ies v^ri(6s r^v^l^es qui y conduisenl sont au-dessus de notre intelligence Je n'eusse os^ Ies soumettre h la faiblesse de mes raisonnemenls et je pensais que pour entreprendre de Ies exa- miner ei y r^ussir , il ^lait besoin d^avoir quelque extraordi-^ naire assistance du ciel et d'etre plus qu^homme (2). » Tout d'abord il met a T^cart de son doute mithodique Ies v^rit^s de la foi, el il Ies enferme k part comme en uoe arche sainte (3). Par lemdme motif, ilse refuse b trailer express^mentni de Tim- mortalil^ de Tdme, ni de son ^latdans la vie future, ni m^me de pures questions de morale. Iir^crit ^ M. Gbanut : « Mes- sieurs Ies regents sont si animus cootre moi k cause des inno- cents principes de physique , et si en colore de ce qu'ils n^ trouvent aucun pr^texle pour me calomnier, que si je traitais apr6s cela de la morale, ils ne me laisseraient aucun repo8.» G'est aux docteurs et aux doyens de la sacr6e Faculty de th Telle est aussi la doctrine de son 6cole tout enti^re ^ qui a constamment travailie y non pas k mainlenir s^par^es, mais k unir la religion et la philosophic et k d^montrer la conformity de la raison et de la foi. En France , en Hollande , en Alle- magne, Taccord de la raison et de la foi est la lh6se commune de tous Ies philosophes et de tous Ies th^ologiens cart^siens ; deWittichius comme de Regis, de Bfalebranche comme de Leibnitz. De 1^ aussi la predominance parmi Ies Ih^ologiens cartesiens, surtout en Hollande, de la doctrine du sens figure des Ventures, pour Ies accommoder avec la physique et avec la raison. Descartes, presse par des objections tiroes de la Bible, avait dil, quoique manifestement k conlre-coeur (2), donnerlui- meme quelques exemples de cette libre interpretation , et se rejetersur le sens figure des £critures. « Tout le monde, dit- il, connatt assez la distinction qui est entre ces fagons de par- ler de Dieu dont Tficriture se sert ordinai rement, qui sont ac- (1) Edit. Cousin, 9* vol., p. 53. (2) Dans la Reponse aux sixiemes objections il montre unc sorte de mau- Vaise humeur contre Ies difficultes qu'on lui oppose tirees de I'Ecriture : « C'est pourquoi, dit-il, Je fais ici ma declaration que desormais je nc repon- drai plus a de pareilles objections. » commodes h la capacity du vulgaire et qui coDtiannent bien quelqaesv^ril^s, maisseulement ea tant quelle est rapportCe aui hommes , et celles qui expriment nne vSril^ plug simple et plos pure , qui ne change point de nature , encore qu'elle ne lenr soU point rapportte (1). » Aillenrsil fait rapplJcartlonde cette r^Ie an r^cil de la Gen^se ; « On peut dire que celte hisloire de la Gen^se ayant m ^crite pour I'liomnie , ce sont principalement les choses qui le regardeot que le Sainl-Esprii y a voulu specifier, et qu'il n'y est parl6 d'aucunes qu'en taut qu'ellesserapportentii rhomme(4). u Malebranche,quitden- tiGe la vraie religion et la vraie pbilosophie , qui n'accorde eipress^mentde valenr que par rapport aux iolelligeucea vul- gaires k celte diBtinctioD de la foi et de la raison , repr&ente k Bon degrg le plus haul et le pins pur ce constant effort du cart^sianisme poor faire rentrer les v^rit^ de la foi dans celles de la raison. Ne consid^rons done le pr^cepte de Descartes snr la distinction de la foi et de la raison que comme one sage maiime de rtoerve et de respect k regard de I'^glise e( deB questions plus gp^cialemenl Ih^ologiqaes , comme la pre- miere r^le de sa morale par provision , el non comme uoe doctrine absolue de la separation et de {'opposition essentidle de deui ordres de v^riies. A quel prix n'edt-i) pas vouln , dans I'interfit de la pbiloso- phie, se concilier la faveur des JesuUes? liecritJi unmerabre de la Society : o M'etant m616 d'^crire une pbilosophie, je sais que votreCompagnie seule peut plus que lout le reste du monde ponr la faire valoir ou m^priser. C'est ponrqaoi je ne crains pas que des personnes de jngement, et qui nem'en croientpas eotierement d^pourva, doutent que je nefasse toot monpos- (1) ReponM aux Secondcs abjecltons. (S) Lettrea Chanut, ed. Gamier, tomi- (II, p. 216. 47 sible pour la mMter (1). » Yoil^ pourquoi il est si plein d'em. prdssetnent h regard de ceax de lears P6res qui sembieDt 16- moigner qaelque attachement h ses principes oa qo'il espire gagner. Qael n^est pas son Croable en appreoant les attaques du P. Boordln , oa il croit voir le signal d'ane ddclaralion de gaerre de la Gompagnie toul enti^re ? Dans ramerlome de son d^sappointement il va jusqu'^ remportement et la menace , H veot aiser de repr^sailles et pnblier la critique d'un de leors cours (2). Mais ni ses avances ni ses menaces ne pouvaient pr^valoir contre Tesprit de la Soci^t^ et la rendre favorable i sa philosophie. Pour remplacer un jour Aristote dans les chaires etdans les ^tes, il afaUjK>ng£ dans les derniers temps de sa vie k exposer sous une forme popuiaire sa physique et sa m6taphysique. Baillet nous apprend qu'il roulait faire un abrigd de toute sa philosophie, et en faire imprimer le cours par ordre, en met^ tant en regard un abr^gft de la philosophie de TEcole et des re- marques de sa fa^n sur les d^fauts de cette philosophie.il esp6- rait de faire en sorte par la m^thode qu*il y garderaitqu'en vo- yanl les paranoics de Tune etde rautre,cettx qui n'auraient pas encore appris la philosophiede r£cole Tapprendraieni beaucoup plus faeilemeut de son livreque de leurs mattreset qu'en m6me temps ils apprendraient k la m^priser, et que les moins babiles d'eolrelesmattresseraientcapablesd'enseigner la science par ce seul Ii?re (3).)) II avait aussi dans ce m6me but commence un dialogue trouv^ dans ses papiers apr^s sa mort(4), oa il exposait sous forme popuiaire ses principales id^es du Discoursde la Mi- tftode.I/ ambition de Descartes 6taitde parler non seulement aux doctes, mats aux gens du monde et h tons les hommes de bon (1) Lettres ed. Glers., tome III, lettre 22. (2) Lettre au P. Mersenne, edit. Clerselier, 1667, 3« vol., p. 609. (3) Ibid. (4) Inqitisitio veritatis per lumen naturaU. 48 de Sena, el de'sefaire entendre m^me des enf^nla et des femmes. VoiUponrqaoiilapabliioa faittr&duire en langue vnl^aire tons ses onvrages de physique et de m^laphysique. Ramus, il esUrai, bienavanllui, avail public an traits de dialectjqoe en francajs. Mais depois Ramos , saof de rares exceptions , le latin 6tait demeur^ la langne de la science en g^n^ral e( en particulier de lapbilosophie(l). DansIespremiSresann^esda XVII", si^cle on regardait encore comme absurde la tentative de mettre !a philosopbie en langue vulgaire d cause de I'im- possibilit^ de Iraduire ane foale de tennes de la langae de la scholastiqae qui ^taient consid£r6s comme essentiels k la phi- losopbie , tels que quiddity , corpor^il^, essence, etc. Sanchez s'en moqne assez spiriluellemenl dans son traits : Quod nihil sctlur, mais lui-meme il a continue de suivre la route com- mune et d'torire en latin (2). G'esl seulement Jk partir de Des- cartes et par I'exemple de Descartes qae la langue vulgaire prend la place de la langue latine. Descartes , comme I'atles- tent les derni^restignes du i>tscours de la Mithode, availbien le sentiment de I'importance de cetle innovaUon. « Et si j'6- cris en fran^is, qui est la langue de mon pays, piutAtqu'en latin , qui est celle de mes pr^cepteurs , c'esl k cause que j'esp6re que ceux qui ne se servent que de leur raison nalu- (1) Nous iDdiquerons coiame une de ces rares exceptions rouvmge sui' vant oil Id philosopbie d'Ariskite est raise on francais : Corps de toute la phi- loiophie, diviiien dttltc parttei , «(c., parTheoptirBste Bourju. Paris, 1614, I vol. in-foHo. (2) Non illud nbsurdum minus est quad qutdam astruerc conantur phi- losophiam non alio idiamate doceri posse quam vel grteco, vel latino , quit, inquiunt, non sunt verba quibus vcrterc possis plurima quce in illis linguis sunt, iit Aristoteiis htiiixilx , de quo hucusque frustra disputatur quo- mado latine veiti debeat apud Latinos essentia, quidditas , corporeitas et similiaquK philosophi machinantur : quceque cum nihil signifLcent, a nullo etiam nee intelligunlur , nee explicari possunt , necdum vulgari sermone verti, qui res solum veras non fictas, nominibus propriis omnes designare' solct. Edit, de Rolltrd., 1643, p, 73. 49 relle loute pure, jageront mieux de mes opinions que ceux qui ne croienl qu'aux livres anciens, et pour ceux qui joignent le bon sens avec T^lude , lesquels seuis je souhaiCe pour mes joges 9 iis ne seronl pas, je m* assure, si partiaux pour le latin, qu*ils refusent d'entendre mes raisons parce que je les 6cris en langue vulgaire. » II ne s^adresse plus seulement aux Uni* versit^s el aux £coles , mais aussi aux gens du monde et h ^ceux qui se serventde leurraison naturelle toutepu^e• Ainsi d^sormais la langue de la pbilosophie sera celle de tout le monde , ainsi est d^chir^ le voile qui interdisait au vulgaire Tentr^e et la vue m^me du sanctuaire* Dans le discours pr6- liminaire de r£nq/cIop^dte, d' Alembert regrette Tuniversalitd de la langue latine qui metlait en communication tous les savants du monde. Mais si runiversalit^ d'une langue morte facilitail les rapports eatre les savants, elle 6tait un obs- tacle h la diffusion de la science elle-m6me. Un philosophe ne doit done pas regretter le rigne d'une langue univer- selle morte , mais d^sirer celui d^une langue universelle vivante. En ^crivant en fran^ais Descartes ne rendit pas un moindre service k la langue de son pays qu!h la pbilosophie elle-m^me, car il n*y a paiS moins d*originalit6 et de grandeur dans la langue que dans les id^es du Discours de la Milhode. Les grandes qualit^s de la prose de Descartes , qui pendant long- temps ont pass6 inapergues pour la plupart des historiens de notre littSrature, avaient frapp^ ses contemporains et avaient 6t6 admir^es par Voltaire. Sorbi^re, qui n^est pas suspect de partiality en faveur de Descartes, ne pent s'emp^cher de dire tout d'abord du Discours de la MHhode : « que le style, sans contredit , en est beau , et qu'il n*avait rien lu de plus char- mant, de plus fort et de plus press6 en notre langue que tout ce que Descartes avait icni. » L*admirationde Daguesseau pouj r^crivain 6gale Tadmiration pour le philosophe. « Jamais I. 4 50 homme , dU-il , n'a en effet su former un lissu pliis g6om6- trique , eten m^me temps plus ing^nieux et plas persuasif de pens^es, d'images et de preuves, en sorte qu'on troave en lui le fond de Fart des orateurs joint li celai du g^omfetre et da philosophe (1).» II arrive souvent, en effet, k ce style si s£v6re et si g^om^trique de s*animer et de se colorer par de vives et fortes images. Biles abondent dans la langue de Descartes, mais elles sent si n^turelles , elles se fondent tellement avec la suite da raisonnement et du discours, que quelques-unes 6cbappent au premier abord. « Descartes , dit Voltaire , dtait n6 avec une imagination brillante et forte qui en fit un homme singulier dans sa vie priv^e comme dans sa mani^re de raisonner. Gette imagination ne peut se cacher, m^me dans ses ouvrages philo* sophiques, 06 Ton voit k tout moment des comparaisons in- g^nieuses et brillantes (2). » Rapprochons de ce jugement de Voltaire, ce que Descartes nous dit lui-m6me de son amour pour la po6sie dans le Discours de laMHhode (3). Le premier qui de notre temps ait appel^ de nouveau I'attention sur les beaut^s de la prose de Descartes, est Bf . Cousin. Apr^s avoir £num6r6 toutes ses grandes creations , il ajoute : « Pour les eiprimer il a cr66 un langage digne d'olles ; nalT etmdie, s6v6re et hardi, cherchant avant (out laclart^et trouvant par surcroit la grandeur. G*est Descartes qui a pori6 lecoup mortel, non pas seulement k la scholastique qui par- tout succombait , mais k la philosophie et k la litt^rature ma- (1) Quatrieme instruction a son fils. (2) Lettre 14« sur les Anglais, Maupcrtuis, dans son Discours de reception a 1* Academic fran^aise, n'admire pas moins le style de Descartes: « Geomctre profond, metaphysicien sublime, il nous a laisse des ouvrages dans lesquels on admirerait le style, si le fond des choses ne 9*etait empare de toute Tad- miration. » (3) « J*etais amoureux dc la poesie. » 51 Df^r^e de la renaissance* II est le Malherbe de la prose ; ajou- lonsqu*il en est le Ma!hei1)e et le Gorneille tout ensemMe. D6s que le DUeours de la Mithode parat, i pea pris en mdme temps qiie le Cid ^ loot ee qn'il y avait en France d*esprilsf solides , fatigaisdMmUationsimpQissantes, amateurs da vrai,du grand et do bean, reconnnrent k Tinstant m^me le langage qu'ilscher- cbaient. Depttis oune parie plos que cduMi, les taibles m^-* diocrement, les forts en y ajoatant leurs qualit^s dfverses, mais sur an fond invariable devenu le patrimoine et la rigle de toQB (1). » En on genre moins ilevi que celui da Diseours de la Mithode , de qnelles quality d*£crivffin Descartes ne fait-it pas preave , soft en frangais soit en latin , dans ses lettred et dans ses r^ponses aux objections (2j ? Que de charme, d'esprit, de finesse et de godt dans le jugement qo'il porte sur Balzac et dan& les lettres qu'il lui dcrit en 1631! Comme tl rivalise ai- s6menl avec lui pour Tesprit et Vmt de bien dire! Thomas n*exag6re rien en disanl qu*il ne tenait qu'f^ Descartes d*6tre le plus bel esprit de son siicle (3). Que de vigueur , d'ironie , d*61oquence dans ses lettres centre Vo^tius ! II ne leur a mau- qu6 que d'etre ^crites en frangais pour prendre place k c6t6 des Provinciales. Une seule penste , la r^forme de la philosophie , a absorbs la vie de Descartes. II y a port£ son dme tout entiire; il n*a pas eu d'aulre ambition ni d'autre passion ; il ne s'est pas partag^,. comme Bacon, entre T^tude et les affaires, entre la science et la politique , les experiences et les intri- (1) Preftice da Rapporl k TAcademie linincai«e sur les PmueeB de Pascal. Voir aussi le chapitre de M. Nisard sur Descartes dans son BH$tmre de la liUiralture frangaiee. (2) Les reponses aux objections sont en un latin bien superieitr a la tra^ ductionqu'en a donnee GlerscHcr. Les lettres en frangais fbrment a pen pres le quart de la correspondance. (3) Eloge de Descartes. 52 gues de cour. SMl a fr^quent^ ia cour d'ane grande reine , ce n'est pas pour y gagner des riehesses et des honneurs , mais pour la gagner elle-m^me h sa philosophie. La conqu^te d'uu disciple sur le lr6ne el d'une protection puissante pour sa philo- sophie, et aussil'espoir d' observer quelques m^t^ores nouveaux sous un ciel nouveau (1) , voilh les motifs qui le d^cident k quitter sa ch6re HoUande , et k c^der aux pressantes sollici-- tations de la reine Christine. On sail que sa vie en fut abrSg^e, et qu^au bout de quelques mois il y mourut h Tdge de cin- quante-quatre ans , n'ayantpu supporter la rigueur duclimat ni le brusque changement de toutes ses habitudes. Quel irreparable malheur pour Tavancement de Tesprit humain , que Descartes n'ait pas m^me atteint le terme ordi- naire de la vie des hommes ^ lui qui , de m^me que Bacon , avait T^y& de la prolonger bien au-del^ par les progr^s de Thygi^ne et de la m^decine (2) ! (1) Dans une lettre de 1646 a M. Ghanut, il lui demande s'il n'a pas jete quelquefois la vue hors de son poele et s*il n'a pas aper^u d*autres meteores que ceux dont il a ecrit. (Ed. Cousin, torn. 9, p. 409.) (2) Descartes ecrivait a M. de Zuitliclien en 1638 : « Je n'ai jamais eu tant de soin de me conserver que maintenant, et au lieu que je pensais que la mort ne me put oter que trente ou quarante ans au plus, elle nc sau- rait desormais me surprendre qu'elle ne m'ote Fesperance de plus d'un sie- cle. )> Voici ce qu'on lit sur cc revc de Descartes dans la vie de Saint- Evremond par Desmaizeaux : « Le chevalier Digby etant alle voir Descartes en HoUande, Tengagea a s*occuper avant tout de la grande coiinaissance qu*il avait du corps humain pour rechcrcher les moyens d'en prolonger la duree. M. Descartes I'assura qu'il avait deja medite sur cette matiere, et que de rendre Thomme immortel, c*est ce qu'il n'osait pas promettre, mais qu'il etait bien sur de pouvoir rendre sa vie egale a cellc des patriarches. M. de StrEvremond , en m'apprenant cette particularite, me dit qu'elle etait tres- connuc en HoUande, que les amis de M. Descartes n'ignoraient pas son sentiment, et que I'abbe Picot, son disciple et son martyr, etait si persuade dc I'habilete de son maitre sur cette matiere qu'il demeura longtemps sans 53 II fut pleur6 de la reine qui voulul que de grands honneurs fussenl rendus h sa m^moire. Par les soins de Tambassadeur de France , son h6ie et son ami , un tombeau lui fut 6lev6 , cottvert d'inscriptions en I'bonnenrdesa philosophie et de son g^nie. Mais ses amis et ses disciples de France envi^rent k la SuMe ce d^p6t sacr^, et, seize ans apr^s sa mort, par les soins de M. d*Alibert , tr^sorier de France , ses d^pouilles mor- telles furent rendues i la France, sa patrie, et transferees en grande pompe a Sainte-Genevieve-du-Bfoni, la paroisse des corps savants. Le cortege et la cer^monie fun^bres furent magnifiques. Une foule de personnages de la plus haute dis- tinction, des membres du clerge , de la magistrature et du barreau temoign^rent par leur concours des progr^s de la philosophie nouvelle et de leur veneration pour la memoire et le genie de Descartes. Jamais de si grands honneurs n'a- vaient ete rendus h un philosophe. Peul-etre la cour en prit- elle ombrage , peut-etre la philosophie nouvelle lui etait-elle dej& devenue suspecte , quoiqu'il en soit, un ordre survint, au milieu meme de la ceremonie, pour empecher le P. Lallemant, chancellor de TUniversite (1) , de prononcer son oraison funebre. Apres les funerailles, il y eut un grand banquet oil se reunirent tous les cartesiens les plus zeies et les i * plus considerables. A la fin du repas , un des convives , pouvoir croire a sa mort. » Mais, dans unc Icttre de 1646 a M. Ghanut, Descartes se montre desabuse : « Au lieu de trouver les moycns de conser- ver la vie, j'en ai trouve un autre bien plus aise et plus sur, qui est de ne pas craindre la mort. » I (1) Le P . Lallemant entra a 23 ans dans la congregation de Sainte-Genevieve . II devint par son merite chancelier de TUniversite de Paris et prieur de f Sainte-Genevieve. G'etait un des plus beaux genies de son temps. II s*ex- primait remarquablement bien en fran9ais et en latin, mais il n'a compose que quelques traites de piete en francais. II est mort en 1673. (Dupin, I Bibliotheque ecclesiastique du XVII^ siecle.) Voir aussi son eloge dans les hommes illustrcs de Perrault. 54 dans son eolhousiaame , s'^cria , raisant allusioa h la riuDe des p^ripal^ticiens : UostU habet muro8, ruit alto a culmine Trojs (t). Ce ful comme ta G6ne d'on les apdires de la philosophic oonvelle allaienl s'^lancer 4 la conqudle des in(ellig«nce8 et accomplir, en dSpit de tous les obstacles , la plasgrande et la pigs fteonde des rdrolatioDs philosophiques (S). ■ (1) BaiUct, liv. T, chapitre 25, doaae le nom des principaux convJTes. C'elaieot d'Alibert, tresorier grncral, qui avait vainemait sollicile Descartes d'accepter la moitie de sa grandc fortune pour faire des experiences, et qui s'elatt charg^ des frais et des soIds dc la translation de sts restes mortels; Clerselier, avoeat; Habert de Hontmort, d'Ormesson, de Guedreville, raaitres dea requites ; Pleuiy, aton avocat, depuls abbe et 9ou»^K«cqiteur du due de Boiii||Dgne; Cordoraoy, avocat; Rohault, gendre de Clerselier; Auiont, mathematicicp; Le Laboureur, bailly de Montmorency; Petit, intendant des fortjrications; Denys, medecin ordinaire du roi; Fede, medccin. II sera ques- tion de la plupart d'eotre oux dans la suite de eclte hist^iirc. (2) Quand I'eglise Sainte-Genevievc fut transformee en atelier pour le ser- vice duPaDtlieoii,ledirecteurduiiiusee des monuments franjais, H. Leaoir, dcmanda et obtint de la Coaventioa de transferer au musee les restes dc Descartes. II les placa dans un sarcophage eD pierro qui longtemps est dC' meure en plein air dans la cour du Louvre. En 1S19, ii a ete transporte ii Saint-Germain -des-Pres , ou maintcnant Descartes repose entre Pascal et Mabillon. CHAPITRE III. Exposition de la philosophic de Descartes. — Ordre a suivre marque par Ic Discours de la MSthode. — Definition et divisions de la philosophic par Descartes. — La philosophic science de toutes choses. — But pratique de la philosophic. — Rapprochement entre Descartes et Bacon. — Recherche d'uD fondement fixe et inebranlable. — Scepticisme provisoire, doute methodique. — Rencherissement sur les raisons de douter ordinaires des sceptiques. — Imagination d*un etre puissant ct trompeur. — Rencontre d'une verite inebranlable h tout scepticisme. — Jepense, doncjesuis. — Descartes I'a-t-il emprunte k saint Augustin ? — But et caract^rc du doute methodique meconnu par les adversaires de Descartes. — Le je penae, doncje sum, inspection immediate de I'esprit et non syllogisme , formule de la spirituaUte de Tame. — Demonstration de notre spiritualite. — La pcnsec essence de Tame. — L'dme pense toujours. — Gonnaissance de Tame plus claire et plus certainc que celle du corps. — Defaut du spiri- tualisme de Descartes. — La spiritualite placee en dehors de la notion de force. — Descartes pere de la science de Tcsprit humain. — Du signe de toute verite. — Regie de I'evidence. — L*existence d'un etre souveraine- ment parfait fondement de Tevidence. — Descartes justifie du cercle vicieux de I'evidence prouvec par Dieu et de Dieu prouve par I'evidence. — Dieu et le vrai inseparables. On peat dire que la philosophie de Descartes est conteoue teat enti^re, au moios en germe, dans le Discaurs de la M^ thode. Dans ce premier ouvrage, Descartes a exprim^ d'un seul jet, avec une fScondit^ et une force admirables, toute sa 56 pens6e philosophiqae. Ild^veloppe, ^clairdt, forOGe, dans ses aulres ouvrages, ce qu'il n'avait fait qu'lndiquer dans le Ditcours de la Mitkode, mais il n'y ajoute aucune doctrine v^ritablement noavelle. G'est done le Dtscours de la Mithoie qne nous prendrons pnnr base d'une exposition complete de la philosophie de Descartes. L'ordre des parties dont il se compose sera l'ordre que nons saivrons, poor reprodaire l'ordre et le raouvement natarels de la pens^e philosophiqae de son autenr. Mais si noas prenons te Discours de la lUilhode comme base de cetle eiposilion , il n'en sera pas la limile et la mesure, et continuellement nous le commenlerons avec les Midilations el les Principes, avec ses lettres et ses r^ponses aux objections. Coninie les anciens, et aussi cwnme les principanx philo- sopher contemporains, lels que Hobbes et Gassendi, Descartes fait encore de la philosophie la science de toutes choses. En effet, il la ddfinit la science de la sagesse, par ou il n'entcnd pas seulement la prudencedans les affaires, mais uneparfaite Gonnaissance de toutes les choses que rhomme peulsaroir, tani pour la conduite de sa vie, que pour la conservation de aa santA et I'inveiition detoas les' arts, Mais, pour 6tre par- faite, celle counaissance doit dtre dMuite des premieres causes. Or, le but de la philosophie est la recherche de ces causes on principes qui doivent dire clairs et ^vidents et dont toutes les BOtres choses se d^uisent de telle sorte qu'elles ne paissent aire connues sans eu( , landis qu'ils peuvenl 6tre connus sans elles. Ildivise la philosophie en deux grandes parlies, la m^ta- physique et la physique. La in^taphysique comprend les prin- cipes de la counaissance entre lesquels est reiplication des prin- cipaux attribats de Dieo , de rimmat^rialitS de nos Ames et de loales les nolionsclairesel simples qui sont en nons. La phy- sique, apr^s avoir Irouv^ les vrais principes des choses mat^ rielles, examine en gSn^ral comment lout Tonivers est com- 57 pos6. Selon la comparaison de Descartes » la philosophie est un arbre, donl la m^taphysiqae est la racine , la physique le (rone. De ce tronc partent toates les sciences qai se raminent i trois principales, la mteanique, la m^decine et la morale. La morale vient aprfes (outes les autres, parce qa'^tant le der- nier degT& de la sagesse , elle presuppose la connaissance de toutes les autres sciences (1). Tel est le vaste objet de la philosophie. Quel en est le but ? Descartes, de m^me que Bacon , a ii& frapp6 du vide et de la sterility de la philosophie enseign^e dans les ^coles , il veut que la philosophie ail un but pratique, etqu'elle serve it am6- liorer les conditions d'existence de Tesp^ce humaine. D*oii vient Topinion commune que la philosophie est de sa nature une science oiseuse, sterile pour ram^lioration et le bien-6tre de rhomme? Descartes en donne cette excellente raison, que Futility principale de la philosophie depend des parties qu'on ne pent ^tudier que les derni^res , et auxquelles on n'arrive qu'apr^s avoir pass6 par la solution des probl6mes de la mk^ taphysique. Or, commele plus souvent on s'arr^te d^courag^ devant les difficult^s et Tapparente sl^rilit^ des premiers principes, on se persuade de rinutilit^ d*une science qu'on n*a pas suivie jusqu*^ ses applications. Descartes ne se montre pas rooins pr^occupd que Bacon de cetle tendance pratique que doit avoir la philosophie. i[Ctvit. Dei, lib. u, cap. 20.) 11 dit aillenrs : nOinnis qui se dubllantem inlelligit, vcrum inlelligit et de hac re quam intelligit certus est... Omnisigitur qui utrumsit Veritas dubitat, in seipso babet verum unde non dubilet.i) {De vera retigione, 79). Voir aussi dans le Traa6 du tibre arbUre, chap. 3, on passage qui a le merae sens. Amauld le cite en rapprochant la doctrine de Descartes de celle de saint Augustin dans sesRemarques sur les meditations :ii La premiere chose que je trouve ici digne de rcmarque est de voir que M. Descartes etalilisse pour fon dement et pour premier prineipedc Icute aa pbilosophie, cequ'avantlui saint Augustin, hommc d'un tres-grand esprit et d'une singuliere doctrine, non seulcmcnt eu maliere de theologiG, mais aussi en ce qui conceme lliumaine philosopbie, avait pris pour l)i base et le souticn de la sicnne. u (ft) a Je veirai saint Anselme a la prochaine occasion. Vous m'aviei ci- devant avcrti d'un passage de sainl Augustin touchaul moDje penie, done je luu, que vous m'avez, ce me semble, I'edemande depuis ; il esl au livrc 11' : De dvitate Dei, cap. 26. » Lettre au P. Merscnnc, 6 deccmbre 1640. (Ed. Cousin, lom. S p. 409) « Vous m'avez oblige de m'averllr du passage de sainl Augustin auquel mon je p«n>e, done je «uu a quelque rapport ; ]c 1 'ai cU lire aujourd'hui dans la biblioihequc de celle ville, et je Irouve 61 pasgrande, et edt-il connu ces analogies, loin de ies cacher, ils^en serait tout d^abord pr^vala, corame il nemanqna pas de faire, qaand elles lui eurent^t^ rSv^lt^es par Arnauld.D'ail- lears, leje pense^ done je 5uis a une signification et ane port^e dans Descartes, qu'il n'a pas dans saint Augustin , comme en juge tr^s-bien Pascal lai-m^me , a un temps ou il n'^tait pas encore I'ennemi de la philosophie et de Descartes. « En v£- rit6 je suis bien 61oign6 de dire que Descartes n^en soil pas le veritable auteur, quand il ne Taurail^ppris que dans la lecture de ce grand saint ; car je sais combien il y a de difference entre ^crire un mot h I'aventure, sans y faire une reflexion pluslongue etplus (itendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de consequences qui prouve la distinction des natures mat^rielles et spirituelles , et en faire un principe ferme et soutenu d'une physique enti^re comme Descartes a pr^tendu faire (1). » II semble impossible de se m^prendre sur le caract6re de ce doute qui , suivant le nom qu'il a regu dans T^cole cartS- sienne, est le doute m^thodique, c'est-&-dire, une m^lhode pour arriver h la certitude. Cependantce caract^re a <^t6 m6- coniiu h piaisir par Ies adversaires du cart^sianisme. Presque ventaUement qu*il s'en sert pour prouver la certitude de notrc ^tre et en - suite pour faire voir qu'il y a en nous quelque image de la Trinite en ce que nous sommes, nous savons que nous sommes, et nous aimons cet etre et cctte science qui est en nous, au lieu que je m'en sers pour faire con- naitrc que ce moi qui pense est une substance immaterielle et qui n'a rien de corporel, qui sont deux choses fort differentes ; et c'est une chose si simple et si naturelle a inferer qu'on est de ce qu'on doute, qu'elle aurait pu tomber sous la plume de qui que ce soit : mais je nc laisse pas d'etre aise d'avoir rencontre avec saint Augustin, quand ce ne serait que pour fermer la bouche aux petits esprits qui ont tache de rcgabeler sur ce prin- cipe. » Lettrc a M.... ed. Cousin, torn. 8, p. 42. (1) De V esprit gSomStrique. 62 tousse reorient coatre rimpossibilit^ d'uD pareil dou(e, cootre rimpossibilil^ de douter, m^me un seul instant, de Texistence de notre propre corps et des v^rit^s math^maliques. Les uns ne veulent voir en lui qu'un sceptique qui doute poar douter, et il faut ieur appliquer ce que dit Descartes da P. Bourdin « qui a cru avoir assez de sujet pour Taccu- ser d'etre sceptique de ce quMl refute les sceptiques. » II en ,esl d'autres qui I'accusent d'impi^t^ comme coupable d*avoir prescril de commencer la philosophie par douter de Texistence de Dieu. D'autres enfin s*obslinent h ne voir dans le je pense^ done je suis^ qu'une insignifiante yiv'M^ k la porl^e d'un idiot, un raisonnemenl semblable h celui par lequel Sosie se rassure dans le sentiment de sa propre iden- tity contre Mercure rev^tu de sa figure. Gependant pouvait- on plus clairement marquer que ce doute est un doute essen- tiellement provisoire dont le terme ainsi que le but est la certi- tude ? S'il doute, ce n*est pas pour douter comme les sceptiques; « car, au contraire, dit-il, tout mon dessein ne tendait qu'6 m'assurer et h rejeter la terre mouvante et le sable pour trou- ver le roc et Targile (t). » Fait-il done autre chose que mettre h^oKquement en pratique la premiere r^gle de sa logique, de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie qu'il ne la con- naisse ^videmment 6tre pour telle ? II ne faut y voir que le our le plus ^nergique pour mettre en son plus grand relief Uncontestable Evidence de la v^rit^ premiere de Texistence de notre propre pens^e, par Tabstraction momentanSe de tout ce qui n'est pas elle, et pour montrer d'une mani6re saisis- sante, que le doute le plus hyperbolique et le plus insens6 ne peat m^me effleurer la v6rit6 fondamentale sur laquelle repose la philosophie ; voili le vrai sens, voiU la justification dudoate m^thodique de Descartes, si bien expose et d^velopp^ par F6- nelon dans la seconde partie du Traili de Vexistencede Dieu. (1) IHscours de la Methode. 63 La forme de reDlhymdme sous laquelie Descartes risame celte premii^re v£ril6 a aassi doon^ liea k quelques malea- tendus. Quelques-uns des contemporains de Descartes odI voolu y voir un veritable syliogisme dont la majeure £lait omise, et font en cous^quence accas6 de n'avoir fait qu'une grossi^re petition de priocipes, la majeure sous-eotendue af- firmant pr^cis^ment ce qu^il s*agil de d^montrer, k savoir que ce qui pense existe. Mais Descartes n^a pas song^ k dMuire son existence de quelque fait ant^rieur ; il n'a point donn6 une demonstration, il a pos6 un axidme. U-dessus il s'ex- plique lui-m^me avec une clart£ qui ne latsse rien h d^sirer : « Lorsque quelqu un dit, jepense^ donejesuiSy il ne conclut pas son existence de sa pens^e, comme par la force de quel- que syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit comme une simple inspection de Fesprit , comme il pa- rail de ce que, s'il la d^duisait d*un syllogisme, il aurait dil coonattre auparavant cette majeure, tout ce qui pense est ou existe *^ mais au contraire elle lui est enseign^e de ce qu'il sent en lui-m6me qu'il ne se pent faire qu*il pense s*il n'existe (1). » Gependant dans les Principes ou il cherche k s'accommoderdavantage aux formes de Tflcole, on pourrait lui reprocher de sembler vonloir ramener cette inspection pri- mitive k un syllogisme lorsqu'il dit: « Que pour eela il n*a pas m6 quil ne falliit savoir auparavant ce que c^est que pen- s6e, certitude, existence, et que pour penser il faut 6tre» et autres choses semblables (2) . » Que de lumi6res va faire sortir Descartes de cette premiere Iumi6re ! D^abord il s'en sert pour faire con^ naitre que ce moi qui pense est une substance imma- tirielLe et qui n*a rien de corporel. En effet, de cela seul qu'il se connatt lui-m6me, de ce qu*il ne se connatt que comme (1) Reponsc ai» secondcs objections recueillics par le P. Mersenne. (2) PrtnctpM, 1" partie, art. 10. 64 ane pens6e, sans connattre encore une seule autre chose au monde, sans savoir encore s'il y a un seul corps existanl, il inf^re ausst(6t qu'il est un esprit. Je sais d*une mani^re cer- (aineque je suis, mais qui suis-je? Je suis une chose qui pense. Mais qu^est-ce qu'une chose qui pense ? G'est une chose qui doute, qui entend, qui congoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. Or la connaissance dc notre 6tre ainsi pr^cis^meni pris ne depend pas de ce dont la nature ne nous est pas encore connue, ni du corps, ni de rien de ce que nous pouvons feindre par I'ima- gination. La penste, par ou Descartes entend tons ies phino- m6nes sans exception qui tombent sous la conscience, voii& done la seule chose qui nous appartienne en propre, la seule chose qui ne puisse 6lre d^tach^e de nous, et en consequence qui soil nous-m^mes. En vain excite-t-il son imagination pour voir s'il n'est pas encore quelque chose de plus, ou quel- que chose autre que la pens^e: « Je ne suis point cet assem- blage de membres que Ton appelle le corps humain, je ne suis point un air Ail\& et penetrant r^pandu dans tous ces membres, je ne suis point un vent, un souffle, une vapeur , nirieude tout ce que je puis feindre et m'imaginer, puisque j'ai suppose que lout cela n'etait rien et que, sans changer cetle supposition , je trouve que je ne laisse pas d'etre certain d'etre quelque chose (1).» « Rien, dit-il encore, dece que Tima- gination nous donne n'appartient 5 cette connaissance que nous avons de nous-meme, et Tesprit pour connattre sa na- ture, doit se detourner de cette fagon de concevoir. G'est ainsi que de la seule conception claire et distincte de notre 6tre pensant, independamment du corps, c'est-^*dire, d*une simple aperceplion de la conscience, Descartes tire immedia- tement la distinction de I'dme et du corps ou la spiritualite. (1) 2« Meditation. 65 II ne d^daigne pas, mais il ne place qae tr^sen seconde ligne Targument de la simplicity de Tdme oppos^e k la mulliplicit^ des parties da corps. On lui objecte qa'il peut y avoir dans I'dme autre chose qae ce qae noas y connaissons clairement, qae si la peos^e est an mode del'dme, rien ne prouve qae Titen- dae n'en soit pas an autre. Descartes r^pond que la pens^e n'est pas seulementun mode, malsressencem^mederdme,que tout mode deTdme n'est que la pens^e diversement modifi^e, de m^me que tout mode de la mati^re n'est que T^lendue elle- mdme diversement modifiie. On ne peat supposer que Tesprit difR&re seulement da corps comme Tespdce du genre, puisquMl en diff^re non par un mode, mais par Tessence, puisque la sim- ple diversity des essences emporte avec elle la distinction et Top- position des substances. Toute Tessence de fesprit consiste seu- lement k penser et celle du corps k ^tre 6tendu, enlre lapens^e et r^tendue il n*y a rien de commun,voilii ce que Descartes op- pose avec une force irresistible k toules les hablles insinuations de Gassendi en favour du mat^rialisme, voil^ sur quoi il fonde la spirituality et en consequence Tesp^rance de notre immor- tality (1). Ce n'est done pas k un raisonnement quelconque de metaphysique, mais k la conscience eile-meme qu*il emprante la preuve de la spirituality de I'dmequiestla traduction im- mediate dnje pense, doncje suiSy pierre angulaire de ioule sa philosophie. Le reproche qu*il faul ici adresser k Descartes, est #celui d^avoir place la notion de la spiritualite en dehors de la notion de force, d'avoir meconnu Tactiviie essenlielle de T^me, et de Tavoir definie plut6t par son acte que par son essence, en la definissant par la seule pensee. Or, nous ne pouvons concevoir la pensee sans ud sujet, ni aacun des phenomenes de V&me sans un principe actif, sans une force qui les produise. (1) Voir au cbapitre Xl Tanalyse de sa polemique contre Gassendi, I. 5 66 Mais celle errear de Descartes, qui d'aiileors taisse sobslster dans tonte sa force sa pr euve de la spirituality, se ratlacfae h uite errear plus gin^rale sur la nature des substances crudes, que Qons examinerons plus tard, et dont nous verrons se d^*^ velopper les cons^uences dans toute sa m^tapbysique. Gomme la pensie est 1* essence de l*dme, l^^me ne peut ces- ser de penser sans cesser d^^tre, elle commence el finit avec la pens^e, et Descartes ne craint pas d*affirmer que Tdme pense toujours. G'est en vain que Hobbes et Gassendi, que tons lesphilosophesempiriquesse r^crientetall^guenttous ensem- ble que Tdme n*a pas de pens6es pendant la lethargic el ces sommeils profonds qui ne laissent le souvenir d'aucun senti- ment. Rien ne prouve, r^pond tr6s-bien Descartes, que nous n*ayons pas pens6 pendant le sommeil et la l^thargie ; el de ce que nous ne nous souvenons pas d^avoir pens6, pouvons-nous conclure qu'en effet nous n'ayons pas pens6? Sans doute I'en- fant dans le ventre de sa m^re ne m^dile pas sur les choses m^tapbysiques, mais on peut conjeclurer que resprit nouvei- lement uni au corps d'un enfant ^prouve confus^menl des sen- timents de bien-^lre 8t de douleur (i). Nonseulement Tdme est distincte du corps, mais, cequi fait encore jeter les hauls cris ^ tons les philosophes de T^cole de Hobbes el de Gasseiidi , son existence , selon Descartes , est plus cerlaine el plus claire que celle du corps* Nous connais- • sons distinctement la nature de Tdme par la conscience, celle des corps ne nous est connue que par conjecture. 11 n^^st pas impossible de douter de Tezistence des corps que nous con- naissons par les sens, tandis qu'il est impossible de douter que nous exislons, nous qui les connaissons. Rien deplus clair 4 Tesprit que Tesprit lui-m6me. Gar quoi de plus clair et de plus (1) Reponsc k Hypcraspisies. m disHnot qse liidde que A#»s .!mm3.d$i'^|iiU tiMWiki mjImii qu'jhest «ne chose qui pense, DPUt^teiidne eB(^QBguo8r,ilar. gmz, profoDdow, ^i B^;pdi«ioipiOt >efitfrffiBii)la»DalniieniisFQiNlu«jm imiuoriel soiw&ee tii ita (moHile^et Mb fll fHillti^ejrtppetor iei '(piiffiinddieteiiiciit lavaot Ini pla pkipaH -des^phHoaephes de^ki renaiis^Ace , eorpaetphes ooiitemp^faios, iHolU^fmi Gnaseudi , ^teteiiit jiifit«iMj«t^s. A^wt Seso^ries^ rficoleiima- gtMiMe»4Qie^'metqa«areiaile'ye9M)eo^^ liAraeretil© corps, eUerpr«uait,rpwf autwt 4]^mm 4«ftreitf es .tes diversessfaoe- Moi» d'one seiae!e(«itoer (1) Rapj^ort du physique et du moral. (2) IH$cow8 de la Mithode, 2« partie. 69 Que peul en effe( d^sirer Tesprit aa-dela de r^videnoe au des • id^es Claires ? Est-il besoin d'une autre Ituni^re pour idairer ce.qni est la luiDi^.re m^me? L'^vidence est done bien le der- nier (eroie de toote satisfaction pour Tesprit et le crit^rimn supreme de toute v^rii6. Assur^ment Descartes n'esl pas le premier qui ait reconnu dans {'Evidence le signe infaillible du vrai, ni te premier, Gomme nous Tavons mootr^ par Tbistoire de ses prM^cesseurs, qui ait second le joug de I'auloril^ pour ne plus admettre que ceiui de la raison. Mais c*esl hii qui le premier avec autant de prteision et€e rigueur a plac6 dans la seule ^Yidence ie cri<- t^rinm de lacerlitude, c^est luiqui en a montr^ la source pre- miere dans la conscience, G*est lui qui a enseign^ les voies.par ou on I'obtieot el enfin assure h tout jamais le triomphe de oette grande r^gle de la m^tbode pbilosophique. Avant Descartes , et mdme de son temps , on invoquait encore en philosophie rautorit^,rautorit6d'AristoteetdesanGiens,rautorit6desPeres de TEglise; apr^s Descartes, on n'invoquera plus quel'Svidence et la raison. Tpus les disciples de Descartes^sans en excepler les thtologiens, n'h^siteront pas k placer dans T^vidence le signe unique de la v^rit^, el, en mati^re de pbilosopbie, Bossuet ne croira pas moins que Voltaire k la souverainet^ de la rai- son. G'est Tautorit^ ou la tradition qu^il faut suivre en Ib^o- logie, et la raison seule en philosophie : voil^ ce que r6p6tent>i presque h chaque page, les Arnauld, les Malebranche, lesF6* nelon et lesBossuet, et tous les th^ologiens cart^siens. Ausujet de ce crit^riam de I'^vidence, Descartes a rencontre et ren- contre m^me aujourd'hui de nombreuz adversaires.Gombien de fpis ne lui a-l-on pas objeot^ qa'il nous arrive de prendre pour ^yideotes des choses dont la fausset^ nous est ensuite d^- mpntr^e. Or, si une seule fois r^yidence nous trompe , com- ment r^vidence sera-t-elle ie signe infaillible de la v^rit^? Wajs r^vidence qui nous trompe, r^oftdenl Descartes et Ma- 70 khnaflcbe, ir*^t jamak^ qv'ane pr^teiidae A^MtmXi one pure vvaiiMiDQUaiice chwl mlre^ raiso* se eonteiiiev atengltocpi'cille erf p«lr qn^Iqve prijugifr M< qutebpie passiiOD. lies^^Hmoos, les MftMtB, Msjfr^gte, nowfont^prerMto IwraisotoMmcie poar r^vidence. De Ik (ant d'erreurs el d'lHtisioosJMil itisoBtoeest dMBfiiodire ppfcfpitHthnD ttl jugei) avaffl (|ue) la vtmsmiManite se coii^evtisad an dvidonoe aui yeinlde ooire raisun. Ifate la vraie MdeBOey oelle qui se itmniftm k \A raiseo sdrfeUM^ el atteir^ tive ditl9 Ib silerioe des pr^tig«9 et (tes passtons, demdiirei la liialrqae infaiMibtode ta t6ril6. Si noua h' affivmiMS qM c»qm BOS ii6es Bous' pvisentent diirement^ si Aotii nef niiaiis> que ee qn'elles eiciaeni a?ae clatit^ si ncxis auspetidioHB noire ji^e^ raeni di» qbe FidAe que nans eonsullMS nt noos paraft pm aissez cIaU>er jamais umb ne lomberions dana Kerreor. Mais si U rdisofif de»cliaescarCes el sdrtotit pttr Malek^aiehefv eelte nidtfiepbjee({di> esi eacore r€)prddiii(« aofoQfd'bdi e^nl^e tiocis par des adte^saff as qtfl ne pcinvefit pas m lie veulent pas nous eomprendre^ On perd le letups ft rip6i(sit que la raison soaveraitie doot il s*agi( eM k la ibis te prinoipe el le fondeibeitt de touias les in^^ t^Mgeuces^ qu'elle est univei^ene , imper^ottoelle , absotoe, «<^o'ef) cons^qaenee eHe dMMirr^ k tons les 6tres imeUigents et raidoHBables tin^ mdme jusliae el une m^me ti^il^, comme lesoleJi visible iolaire lous les yeuK d'une mdme Ibdsi^re. Mais que c^ a v^ugb® adver^aires de Descartes prennenl garde que luetlre en doule, la r6gle de I'^videuce, c'est metlre en dOttio la Mgitimit^ m^me de la faculty de connattre, que uielire en dottle la l^gilinnl^ de la faeulld de conuatire , e'est tout RKSltre en douCe, e'esi couper dans sa raeine la possibliiCift migme de loute certitude. Gar , comme te dit Fiinetoa, avec quoi redresser nos id^s i^aires^ si nos idtes Claires nous trovA- 71 pent ? Qttoi de plus clair qae ce qai est clair ? quoi de plus Evident que ce qui est Evident? Peul-on dever ud seul doule s^rieux sor I'^vidence , c'eo esl fait de loute la coDiiaissance hamaiDe* GepeadaDtr il faut s'dever avec Descartes jasqu'au priDcipe m6me deTiDfaillibilit^ de r^vidence , c'est-i-dire jasqa'^ la d^moDstratioa d'ua 6tre souveraiaement parfait et souverai- nemeDt bon , qoi oe peut ni vooloir nous tromper, oi souffrir qu'oD nous trompe , pour dissiper le fantdoie inutilement 6Toqu6 d'un 6tre puissant et malin prenant plaisir k nous tromper^ qui plane encore sur toutes ies v6rit6s autres que celles de notre propre pensie. La raison de douter qui depend de 1ft Descartes ne resUme que bien l^g^re, et pour ainsi dire m^taphysique. Mais afin de la pouvoir tout-i-fait dier, il doit examiner s^il y a un Dieu » sildt que Toccasion s'en pr^n- tera , et s*il trouve qu'il y en ait un , il doit aussi examiner s'lFpeut 6tre trompeur (1). Comment Descartes va-t-*il done dissiper cette derni^re raison de douter que lui-m£me il a in- venlSe pour venir provisoirement en aide au scepticisme , et qu'il imagine k tort pouvoir, m6me I6g6rement , troubler Tin*- faillibiUt6 de laj&gle de T^vidence ? Sans nul doute, c'est par r^videnceJquH s*assurera de la v6rit6 de la demonstration de Texistence de Dieu. C'est done par r^videnceque sera d^mon tr^e I'existence de Dieu, et par I'existence de Dieu que sera justifiie la r^gle de r^vidence* Tel est le cercle vicieux que tons Ies adversaires de Descartes]s'accordent h reprendre. Descartes se defend assez mal|par cette distinction que rien ne justifie : cc Onj'aiditque nousne pomrons rien savoir parfaitement si nous ne connaissons premiferement que Dieu exisle , j'ai dit en termes expr^s que je ne parlais que de la science de ces conclusions , dont la m^moire nous peut reyenir en Tesprit , (1) 3« MeditatioD. 72 lorsqae nous ne pensoDs plus aux raisons d'ou nous les avons tiroes (1). » Aiileurs il dit encore « qu'il n'est point tomb6 dans celte faate qu'on appelle cercle , en disant que nous ne sommes assures que les choses que nons concevons fort clairement et fort distinclement sont tonles vraies , qu'& cause que Dieu exisle, et que nous ne sommes assures que Dieu existe , qu'^ cause que nous concevons cela fort clairement , en faisant dislinction des choses que nous connaissons en effet d'avec celles que nous nous ressonvenons d*avoir autrefois* fort clairement con^ues, car nous nous assu- rons que Dieu existe en pr^lant une attention actuelle aux raisons qui nous prouvent son existence (2). >' D'apr^s cetle nouvelie explication , la r^gle de T^vidence se suffirait k elle- m^me pour toutes les choses dont nous concevons Tftvidence actuellement , et ne serait subordonn^e k la demonstration de Texistence de Dieu que pour les conclusions qui nous revien- nent h Tesprit sans les raisons d'ou elles ont &i& tiroes. Mais quand ces raisons ne sont plus pr^sentes k Tesprit , peut-on dire quMl y ait encore Evidence? Descartes ne revient-il pas sur ce qu'il a avanc6 , et pour se tirer dn cercle qu^on lui re- proche , n'affranchit-il pas , en r^alilft , de toufe d^pendance lar^gle de T^vidence? Gependanl il nous semble qu'il n'y a de cercle que dans la forme et non dans le fond de sa pens^e, et qu'il pouvait mieux se d^fendre en dislinguant les deux points de vue de I'^vidence en elle-m^me et du fondement objectif de r^vidence. Sans nul doute , T^vidence en elle-m6mo , telle qu'elle sc fail dans notre esprit , se suffit enti6rement k elle- m^me , et n'a pas plus besoin d'une autorit^ qui la confirme que la lumi^re d'une Iumi6re qui T^claire. Demander une (1) Reponse aux objections recucillies par Ic P. Mersenne. (2) Reponse aux objections d'Amauld. Malebranche reproduit cette meme explication dans le VI^ chop, du 6^ livre de la Recherche dc Ifiiv^riU. i 73 preuve h Tappui de ceUe Evidence , c est demander quel- que chose de conlradictoire. Mais il n*esl pas conlradictoire de rechercher quel peut 6lre en dehors de noire esprit le fon- dement de celle irresistible aulorit^ de r^vidence. Or, Des- cartes a raisoD de placer cefondement en Dieu« Groire k T^- vidence , c'esl croire h la v6racil6 de la faculty de coDuattre , croire h la v^racit^ de la faculty de connattre , c*est croire h la y^raciie de celui qui a mis en nous cetle faculty. La derni^re raison de r^vidence est done bieu en Dieu ; c*est bien en Dieu seul, en un Dieu souverainement parfait qui ne peut ni se tromper ni vouloir nous tromper, qu'elle a son fondement objectif et sa garantie supreme. En ce sens Descartes a eu raison de dire : « Ainsi je reconnais tris claire- ment que la certitude et la v^ritg de toute science dependent de la seule connaissance du vrai Dieu (1) , » et Pascal a iris-bien dit, d*apr6s Descartes : a Dieu et le vrai sont inseparables ; si I'un est ou n'est pas , s*il est certain ou incerlain , Tautre est necessairement de m6me (2). » Ainsi ce cercle vicieux dont les contemporains de Descartes ont fait tant de bruit, estplu- t6t apparent que r^el , et ne trouble en aucune fa^n la l^gi- timite de la m^lhode par laquelle Descartes va de Teiistence de sa propre pens^e a I'existence de Dieu. A peine sommes-nous entr^s dans la philosophic de Des- cartes , et dejft de toutes parts s'y d^couvrent bi nous les plus grandes et les plus f^condes v^rites , la certitude de notre propre pens^e, yejepensSfdoncje suiSy digue invincible k tons les efforts du scepticisme , le point de depart de toute philo- sophie, la spiritualiie de I'dme fondle sur la conscience m^nie de notre pens^e, Tdme plus certaine et plus claire que le corps, enfin la rigle supreme deTevidence. Mais puisque, au point de (1) 5« Meditation. (2) Entrelien sur Epicteteet Montaigne. 74 roe onk^logique, T^videnee repose sur la ?^rii&de rexbieat:e d'un Dieu souverainement parfoit, hdloM-mns avec Descartes de lai doDner ce(te derni^reeoDS^cration.Saivoiislephitosophe qui va de rbomme k Dieu pour redeseeadre ensoite de Dieu k Thomme , semblable au po^fe qti tantdt place la scioe dans VOIfBipe et tantdt sous les mars de Troie. CHAPITRE IV. Preuves de i*existence de Dieu. — De Fexistcnce de sa pensee Descartes tire celle de Dieu. — Liaison du sentiment de notre imperfection avec ridee d*une perfection souveraine reellement existante. — L'existence de P4tre infini enfermee dans I'idee de Tinfini. — Ckrte de Tidee de Tin- fini. — Anteriorite sur I'idee du fink -^ Le fim n^ation de rmfini. — Dnfenes Inrraes donnees par Descartes a la preove de Texistonce de Dieu.. — Farme plus sensilde et plus populaire. — Argunent tire de ridentite de la conservation et de la creation. — Forme plus scholasti- que. — Rapprochement avec saint Anselme. — Critique de la forme syllogistique appliquec aux preuves de I'existence de Dieu. — Vrai pro- cede par lequel Tesprit humain s'eleve jusqu'i Dieu. — Attributs de Dieu tftoins approfoiidis per Descartes que h preuve de son existence. — Gc qu41 faut exclure et ec qu'il faut admettre en Dieu. — Erreur de Des- cartes sur la Uberte ipi'il attribue a Dieu. — Consequences de la liberte d*indifference , et contradictions avec le principe que Dieu ne pent nous tromper et avec son optimisme. — De la fa^on dont il entend les attributs de createur et de conservateur. — Creation conUnuee. — Consequences par rapport k la liberte de la creation eontinv^. — Du made d'action de la Providence, -»El^vati0n de Deseartes h Dieu. Unjepense^doncje suis^ Descartes va faire sortir Teiislence de Dieu comme la spirituality de Tdme. II se ferme les yeux, se boocbe les oreilles, se d^tofirne de toas ses sens poor ne s'entretenir qa'avec Ioi~in£me ei consid^rer attentivement 76 ses id^es. Or parmielies il en irouve une qui d'une mani^re certaine contienl en elle la v^rit^ de Texislence de Dieu. Dans la quatri^me partie da Discours de la Mithode il fait re- flexion que son 6tre n'est pas lout parfait puisqu'il doute , et recherchant d'ou lui vient cette id^e de quelque chose de plus parfait que lui, ii monlre que cette id^e ne peutdtre son ouvrage, et qu'elle a et6 mise en lui par une nature v^rita- blement plus parfaite, el m^me contenanl en soi toutes les perfections dont ii peut avoir Tid^e, c'est-ii-dire, par Dieu. II reprend et d^veloppe cette mdme preuve dans la troisi^me Me- ditation. II la fortifie et Tenrichit sans doute par de nouveaux developpements , mais parlant en latin et s'adressant k la Sorbonne, il croit devoir employer queiques formes scbolasti- ques qui en ait^rent la simplicity et en voilent plut6t qu^elles n'eclaircissent la vraie nature. D*abord il passe rapidement en revue les diff^rentes classes d'idees qui sont dans son esprit. S'il n'y a point de difference entre la valeur et la r^alite des idees consider^es comme sim- ples fa(ons de penser, il n'en est pas de m^me a regard des idees considerees comme des images des choses. Gelles qui representent des substances ont plus de realite objective que les autres, c*est-^-dire, participent par representation ill plus de degres d'etre ou de perfection que celles qui representent seulement des modes ou des accidents (1). Mais quelle que (1) Ii faut prendre garde au sens du terme d'objectif et a celui de formcl qui lui est oppose dans la langue de Descartes. l\$ sent empruntesala languc de I'Eeole. Selon I'Ecole, Tideeetait I'objet immediat de la pensee, et la forme etait Tessence meme d'unc chose. Voila pourquoi Descartes appelle realite objective la realite exprimee ou representee dans I'idee, et realite fomielle celle contenue dans Tobjct ou la cause exterieure de I'idec. Posseder formel- lement une realite, c'esl la posseder en proprc, dans la langue cartesienne, tandis que la posseder objeciivemcnt, c'est n'en avoir en soi que la represen- tation. La realite formelle est I'original, la realite objective n'est que Timage, 77 soil la i^alil^ d*uoe id^e, il faui qu'il y ail au moins aulaiU de r^alil^ dans la cause efficienle qu'il y en a dans celle id^e elle-no6nie» De 1^ il suil que non seuleroenl le n^anl ne sau- rait produire aucune chose , mais encore que ce qui esl plus parfail ne peul ^Ire une suile el une d^pendance du moins parfaiL « La lumiire nalurelle, dil Descarles» nous fait done connatlre ividemment que les id^es sont en nous comme des tableaux el des images qui peuvent, h la v£ril6, facilement dtehoir de la perfeclion des choses donl elies onl &ib lirtes, mais qui ne peoven I jamais rien contenir de plus grand ou de plus parfail. » Done (oules les fois qu'il renconlrera une id^e donl la perfeclion ne d6passe pas les forces el les proportions de la nalure humaine, il pourra conclure que la cause en esl formellemenl en Iui-m6me. Mais si au conlraire il ren- contre une id^e donl la perfeclion soil telle qu'il voie claire- ment qu^il ne peul en dire la cause, alors il devra admellre Texislence d'un dire en qui reside formellemenl loule la perfection contenue objectivement dans celle idde. Dans les iddes qu'il a des choses corporelles el animdes, les id^es des aulres hommes el des anges eux-m6mes, il ne Irouve rien qui soil tenement parfail el sup^rieur a sa nature, qu'il ne puisse concevoir qu'il en esl Tauteur. Mais il n'en est pas de mdme k r^ard d'une aulre id^e non moins r^elle de noire esprit, qui est nde el produile avec nous ainsi que Tid^e de nous- mdmes, h savoir de I'id^e d'une subslance infinie, ^ternelle^ immuable, ind^pendante, loule connaissanle, loule puissanle,. el par laquelle Iui-m6me el loules les aulres chores onl 616 cr66s. Senlons-nous quelque chose en noire nalure qui soil capable de pareils effels? Elan I des subslances, nous line representation subjective. Le terme d*objectif a done dans la languc cartesienne le sens contraire a celui qu'il a recu dans la philosophic alle- mande depuis Kant et qui est adopte aujourd'hui daus la philosophic fran- caise. 78 , avons bien, de par devers noas, Tidte 3e substanoe. mans £(ant finis, nous ne pouvons tirer de nous Hd^'de la sub*- stance infinie. II favt done qn^elle nous i4enne d'un ^re qvi en soit le patron et I'original, et qni possfede formellemefil en lai-miftme totrtes les perfections dbjecfivement oontenms dans rid^e que nous en avons. Or cet ifttre (feteroel, irifiifi, in^- muable, ind^pendant, tout isonnaissant, tout pilissant >fie fretft dire que Dieu, done Dieu existe. Telle est la preuve de rexistence tte Bieu donn^e 'par Descai^tes. 11 Fa Tev^tue de diff6renles formes (flos ou moins populaires , g^omfttfiques et scibolasfiqcres , mats sous la diversity de ces formes elle est toujours la mdme, empruntant toilte sa rertu de la seule'id^e de ridfini. 'On pent dire que Fid^e de rinffini et cette preuve ont ki^H grand point de mire de tons les adversaires de la (^htlosopbie de Descartes. Niille part 11 n'a ^i^ plus Vivemenft atlaquS, mifte partil ne s'est mieux d^fendu. Tindique rapidement leurs principales objections et les r6ponsesde Descartes. Uliuma- nit6 va en se perfectionnant, oe pourrait-eller done un 'jour arriver h poss^der formellement en elle toute la r6alit6 dbjec* tivement contenue dans cette id^ePMdme en supposaitt, ripond Descartes, un progr6s sans fin dans' I'humanifS, jamais sa na- ture periectionn^e ne foumira h toute la r^aliti contenue dans cette id6e. Gar cette perfection ne serait d'abord qu'en puis- sance, tandis que celle de Dieu est attu^Ue, et en outre ce qui s*accro1t et se perfectionne, ce qui a des degr^ li'^galerar jamais I'infini quiexdlut tout progr6s, tout nombre, lout degr6.Tous ntentia clart6 de rid^e deTidfini, d'ou ils prStendeift qu^on n'en pent trrer aucune existence, surtout celle d*un 6tre infini. Gependant Descartes leur avait r^pondu h Tavance dans la troi- si6me Meditation : n L'id^e de Tinfini est fort claire et fort dis- tincte, ;puisqae tout ce que mon esprit con^^it elairement et distinctement de r^el et de vrai, et qui conlient en soi qu^l- 7f que perfeoton esl eontieoa ei r enfiemi lout entier dans ealte idfe. Ei 'Cfed ne laisse tpas d*^e ivai, eocore ^oe j6 ne co«h- premie pas TiiifiDs, et q«'il le renoenlre en Dieu niie infiaiM de eliQses que je ne puis oomprendre ni pettt«-6tre atteiadfe aucunement de la pens^e, car il est de la nature de Tinfini que iBoi iqui duis fsi el bovBi ne fmwe ie Hsofttprendre, et ilsofiit i^fiie fentendeJbien oela^ etquejejuge que 4oules les dioses que ije cobQm tiairement et dans leaquellGs je wis qu'il 7 a quelqne perfeetion, «t ipe«t-idtre ausai uoe Mfioiid d'aotres que fignore, sent en Dteu fonneUeneut ou i&miaeaiH meni, ifinque Tid^e quefen ai^ott la plus lOlaire etilai^ua distinaie de Pontes celles ^qui sont en uotne (eaprU. .» II tii^ encore dans cette mtme IttidilaUDn : « Je me nue doia pw imasiner que Ije oe conQms pas I'infini parune v^iAaiaile idde, mas aeuicment par ia nidation ike ce qui teat flsi, de aiftaie que je comprends le repos et les (6n6brQs par du fifii. :t> Tout ce que dit si Men Descartes fdans les SUdi^niom mr YMe derinfini, il te forlifie «t r^claircit eneore dans n'eal 'M obscure, ni confuse, tiifmrement n^ative , qulelie diffire essenfienemeut , par \h m&m% xid'elie nladmet ni degoi tid progrfes, de-l^d^e de rkid^ftni^jprodnit de rfmaginatioa et^de roipddence, et qu^elie e»t la vivante empreinte de DfeuiSwr ndre'tnteflligence. Kous n'avons qu'un i^roche a adresaer k Deseartes, celui de parattre faire tntervenir le principe des causes, en refnonlant de Tidtede rinfini consid^r6e comme 80 an effet k ahe cause inflnie de cette id^e, car uom pengonsf avec F^nelon et avec Malebranche que Tid^e de rinflni est ta vue immMiate de Tinfini loi-indnie, ce qu'exprimera si fortement Malebranche en disanl : « Si Dieu est pens^e,ii faut qu'il soil. » Mais quelqne claire et ^videnle qoMljiige cette demonstra- tion pour quiconque voudra s^riensement y appliquer son esprit, il con^oit des inquietudes sur les difficultes qu'anront & la comprendre et h la retenir, cenx dont Tdme est obscurcie par des nuages sensibies. Graignant quails ne se ressouvien- nent pas facilement de la raison pour laquelle il suit, de ce que nous avons en nous Tid^e d'un etre parfait, que cet 6tre par- fait existe reeilement, il veut donner encore nne autre preuve de Teiistence de Dieu plus facile h saisir pour le vulgaire, et au lieu de la conclure d'une id^e qui est dans notre intelli- gence, il annonce qu'il va la conclure directement du fait m^me de noire existence. II examine done si de ce que Iui-«m6me exisle avec cette idee de Dieu, il nesuit pas que Dieu existe.Si ce n'est pas Dieu qui nous a crees, trois hypotheses seulement sont possibles pour rendre compte du fait de notre existence, ou nous la tenons de nous-memes, ou de nos parents , ou de quelques antres causes moins parfaites que Dieu. Nous ne tenons pas notre etre de nous-memes, car, d'un cete, nous nous connais* sons comme un etre incomplet et imparfait , de Tautre nous avons en nous Tidee de tontes les perfections^ Ne les aurions- nous done pas loutes realisees en nous-memes, si nous nous etions fails nous*memes ? Si notre existence dependante prouve un etre independant , le fait seul de la conservation de notre etre prouve un createur sans cesse creant. Ici apparaft pour la premiere fois une doctrine qui joue un grand r61edans metaphysique cartesienne, celle de la creation ^^ontinuee,. en favour de laquelle Descartes aliegue ici la mutu^Ue mde-^ 81 pendaace de loutes les parlies infinies en nombre dans les- quelles on peal diviser le lemps par la pens^e. S'il n'y a au- cune relation enlre les parlies du temps , de ce que je vis , riostant d'h present, il ne s^ensuit pas que je doive vivre I'inslant d'apris. Ai-je en moi le sentiment de quelque pou- voir aa moyen duquel je puisse faire que moi qui suis main- tenant , je sois encore an moment apr^s ? Si j'avais ce pouvoir, je leconnatlrais, je le penserais, puisque je suis une chose qui pense. Je ne le connais pas, je ne le pense pas, il suit que je ne le possMe pas et que je depends de quelque 6tre diflGireDl de moi-m^me. Ma conservation n'esl done qu'une r^pgtilion conlinuelle de Tacte qui m'a cr66, et Dieu est d6- iliontr6 par le fail de noire durie comme par ceiui de noire existence. Faire d^river Texistence de nos parents ou de quel- ques autres causes moins parfaites que Dieu , serait contraire au principe d'apr^s lequeL il doit y avoir au moins autanl de rtelit^ efBcienle dans la cause que dans reffet. J'ai en moi Viiie de loutes les perfections , il faut que ces perfections se relrouvenl dans la cause qui m'a produit; si cette cause les poss6de formellemenl, elle est Dieu, si objectivement, il faul remonler i un autre 6tre qui les posside formellemenl , c'est- ^-dire, h Dieu. Enfin , je ne puis 6tre Toeuvre de plusieurs causes r^unies qui , chacune en particulier, infSrieure h Tid^e des perfections que j'ai en moi, formeraient par leur en- semble un tout qui les ^galerait , car nous donneraient-elles Tidie de loutes les autres perfections de Dieu, assur^ment elles ne nous donneraienl pas celle de son unil^ el de sa sim- plicite. De lout cela il r^sulte que Dieu est ndcessairement Fauleur de mon 6lre, et, en consequence, que Dieu existe de cela seul que j'existe ayanl en moi Tid^e d*une perfection sooveraine. Quoique Descartes annonce celle seconde de- monstration comme partant du seul fail de noire existence, elle a le m^me fondement que la premiere, h savoir la con- I. 6 82 science de notre imperfectioD accompagn^e de I'id^e de T^tre parfait, laquelle n^cessite uoe cause de notre 6lre en qai soient formellement toules les perfections objeclivemenl conienues en noire pensSe^ Cest done la m^oie d^monslration sons nne forme plus populaire et moins rigourease. Mais il veut lui donner encore la forme et la rigaeurd'une proposition de g^om^trie, tant il a ii coeur d'61ever au-dessus de tons les doutes cette yMH fondamentale de Texistence de Dieu. Ges deux premieres demonstrations parattraient-elles fausses et insuffisanles a certains esprits, il prouvera qn'il y a encore autant de certitude dans cette proposition , Dieu exisie , que dans une proposition gtom6trique quelconque. Ddijii, dans le Discours de la Mithode , il avait indiqu^ eh quelques lignes cette demonstration gSometriqae : « Reve- nant a examiner Tid^e que j'avais d'nn 6tre parfait , je trou- vais que Texistence y ^tait comprise en m6me faf on qn'ii est compris en celle d'un triangle, que ses trois angles sont igaux h deux droits, d 11 la reprend et la d^veloppe dans la cinquiime Meditation. II remarque qu'en notre intelligence il y a une foule d'id^es de certaines cboses qui, quoique peut*- etre n'existant pas bors de nous , ne sont pas n^ant, puis- qu'elles sont claires, ni de notre invention puisqu^elles out leurs vraies et immuables natures. Telles sont les pr(q>rieMs du triangle qui n'existent peut-6tre pas hors de ma pens^e , mais que je n'ai pas Invent^es, puisqu*elles existent en d^pit de moi. On ne pent dire que cette idte de triangle nous vienne par les sens, car y edt-il quelque vraisemblance dans cette opinion h regard du triangle , il n'y en aurait aucune h regard d*une infinite d'autres figures plus compHqnees don t nous concevons cependant clairement les proprietes el qu'on pourrait prendre egalement pour examples. Mais si jepuis tirer de ma pensee Fidee de quelque chose, tout ce que je reconvais clairement appartenir h cette chose lui appartient en effet, et 83 celte pr(9riit6 de I'dgalilides trois angles k deilt angles droits que je recanaais dairenoent esister dans an triaiigley n'est pa& moios vraie da triangle que Teiistenoe n^nle de ViA&e du liiMgle. 11 est certain que j'ai ennaoi Tidtede IXieut en consequence tdutes les propiifet^a que jie reconnatlrai cUt* rement lui appartenir, lui appartieridrbnt eh efet^ et nie seront pas motos vraies de Dieu que T^galit^ des Irois angles h deux droits n'e$t vraie dii triangle. Or dan^ les perfeetaoM que je conigoia claireJUeot appartenir ft Dieu est compirise; woe actuelle etj&tj^rnelle existence, done je puis affiriiier an m&nm litre que Dieu esciste et que les trois angles d'un triaiigle sool ^gsmuc, h deux droits. Aulant vaidt celte secofide peopo^iiiiM , aotaiM vaut la premiere. Ainsi nierait-ou toul ce qui pr^cMe, Texiltence d^ Dietiy selon Descartes, n*en devrait pas moifs passer dans notre esprit pour aussi certaine qa'nae v6rit6 nia- thdmalique quelconque. U est impofiSible de ne pas 6lre frapp6 de la resseno^ blance de cet argument avec ceiui de saintt JknMbne dafas le Prpslogium (!).« Faulr-il em conclufe que Deseartes avati itvdii siint Anselme , quoiqu'il se garde de ravoueir^ et quj^jl le Uii a d^obi? Mais c'est en vain qiae Huet et Leibnitz lai*in6me veuieat noos repr^senter Descarles si liche desoo propre fond coniiAe feigaanl rigj^otanoe pour csudti^r ses lain* . dns. Tout aui plp& peutt-on pensea que Descarles en »wl garde quelqme vague rinMniscence, a travers J'emeignement scbolaustique de La Fl^ehe et les objections de saint Thomasv Quoi qu'il eH soit^ceile didcussioA a pea d'id>portaoee, car li gloiae et I'origiRalite de Desbartes nesonl pas danscel; argu- ment, qui Q*est qu'un aceessoirie, une forme uouvelle el, selon nous , vicieuse de son premier et principal argument par • •■ . ,1 • •• ^ .1 ', .J (1) Voir VHUtoire de saint Amelme par M. dc Remusat ei la these d« M. Saisset: Oe varia S. Anselmi argumenti fortwna. 84 leqael, de I'id^e de Tinfiui qui est en noas, il va droit k Dieu. Pourquoi ce retoarmalheureux deDescartesiicessyllogismes qu*il a si bien condamn^s comme a'apprenant rien qued^jti on ne sache ? Pourquoi cetle m^thode artiBcielle, au lieu de la sim- ple description du proc^d^ nalurel par lequel I'esprit humain s^6- livek Dieu? II le dit dans ses r^ponses aux premieres objec- tions : a Je confesse que cet argument paratt un sophisme qnand on ne se rappelle pas toutes les raisons sur lesquelles il s'ap- puie, et j'ai d^abord ^l^ en doute si je devais m'en servir, je craignais d'affaiblir la dart6 de mes autres arguments. Mais comme il y a deux mani^res de prouver I'existence de Dieu, Tune par ses effets, par Tid^e que nous en avons et qu'il a mise en nous , Tautre par son essence et sa nature mdme , apris avoir d^velopp^ la premiere dans la troisiime Medi- tation^, j'ai cru que je ne pouvais passer I'autre sous si- lence. » G'est done apr^s coup, et pour plaire k certains esprits, c'est-&-dire, pour s'accommoder aux habitudes de r£cole, que Descartes, apr6s avoir 6t6, comme il le dit, des effets aux causes, ou de I'id^e de Tinfini h sa cause, veut alter de la cause h ses eiTels, c'est-ft-dire, se plagant tout d'abord au sein de T^lre parfait, qui n'est encore suppose que possible, en d^duire la r^alit^ de son existence. Dans la premiere partie . desPrincipes^ qui est un abr^6 des il!f^dt(ah'on5,DesGartes tend encore davantage h ramener h des sy Uogismes les preuves de Texistence de Dieu et semble de plus en plus mettre en oubli ce procM6 naturel de la conscience qu'ii a si bien dicrit dans le Discours de la Mithode et dans la troisiime MMitation (1). Mais Texislence de Dieu, pas plus que notre existence propre, ne nous est donn^e par un syllogisroe, dont ^1) Voir sur ce sujet, dans le Journal des Savants de septembre 1850, le remarquable article de M. Cousin sur l«s Animadversiones Leibnitzii ad CartesU Principia philosophiae. 85 la conclusion n'aurait qo'ane valeuretune nicessili logiqae. Sans doute je ne puis sans contradiction sopposer un 6tre in- finiment parfait et aa m^me temps lui denier Texistence. One n^cessit^logiqaeunitcesdeux termes, comme I'ldite de triangle k I'^galit^ des truis angles k deux droits. Mais ou est la con- tradiction k supprimer les deux termes k la fois ? Le syllo- gisme ne d^monlre que ieur convenance et non pas ienr existence r^elle. D'aillenrs^ quelle sorte d'existence est con- tenue dans les pr6misses« sinon une existence g^n^rale « abs«- traite. L' existence contenue dans la conclusion ne sera done elle-m6me qn'nne existence abstraite, putsqne les termes doivent 6tre pris an m^me sens dans la conclusion que dans les premisses. En outre cette preuve syllogistique ne nous donne rien que Aijk nous ne sachions. En effet , comment pourrions-nous faire Thypotb^se de la possibility d*nn ^tre souverainement parfait si d^jk nous n'6tions en possession de Tid^e d'un 6tre souverainement parfait , r^ellement existant. Le possible et I'abstrait ne viennent qu'apr^s le rtel et le concrel* Le syllogisme de Descartes suppose done cette preuve sim- ple et primitive, cette preuve de simple vue, comme dit tr6s- bien Maiebranche, qui n'est que la description fiddle do pro- cM6 naturel par lequel i'esprit bumain s'^live k la virit^ de Texistence de Dieu. L'existence de Dieu est rcnferm^e dans cette conception de T^tre souverainement parfait et infini qui ne se sipare pas de la conscience de notre nature imparfaite et finie, voila la preuve carl^sienne par excellence, voiii la settle legitime et vraie preuve de Texistence de Dieu. Eu la mettant en un jour merveilleux, en la dtfendant d'une maniire victorieuse contre tous les efforts des plus re- doutables ennemis , Descartes a pos6 les vrais fonde- ments de la Ihtodic^e » comme il a di]k pos6 ceux de la science de Tesprit bumain par le discernement de I'dme ei 86 do corps el de la m^ifaode appropri^e a Tun et h Taatre (1). Aprte avoir approfondi la preavede rexislence de Dten, Descartes passe assez l^g^ement sur ses attribats et sa Providence. Cependani sa th^odicte contient le germe de toales les grandes v^rit^s d^vdopptos par Mald^ranche ei Leibnitz. Dans le Discours de la Mithode il pose Bins! le principe d'apr^s leqael doivent se d^termiDer (es et- tributs de Dieu : « Suivant les raisonnemenls que je viens de fatre, pour coonattre la nature de Dien, antanl que la mienne en 6tait capable, je n'avais qu'a eonsid^rer de toutes les choses dont je troQvais en mol queiqne idte, si c*6tait perfection on noD de les possMer, et j'Mais assnri qn'cucune de celles qui marquaieni qaelqiie imperfection n'^tait en loi, mais que to«h tes les autres y ^taient (2). » Ge principe est le vrai ; Descartes sails en avoir fait one application anssi i^lendue et aussi appro- fondie qne Malebranche on F^nelon, en a n^anmoins dMait quelqnes cons^uences importantes relativement k la nature de Diea. Ainst il remarque qiie le doate, I'inconstance, ia Iristesse et cboses semblables ne peuvent ^tre en lui, car ce ne sont que des imperfections de noire nature dont noos-^m^- mes nous serionsbien aises d'etre exempts. Par la m^erai- (1) « n n'y a rien, dit Bayie (art. Zarabdla) sur quoi les cart^siens soient plus harceles que sur la demonstration que donne Descartes de rexistfenee de Dicu. M. Werenfels, profcsseur a Bale, a soutenu par un ecrit imprime que cet argument de M. Descartes est un pur paralogismc. M. Swicer, professeur k Zurich, lui a repondu. M. Jaquelot, ministre a La Hay c, lui a fait aussi une reponse inserce dans le Jourmal des Savants en 1701. M. Brillon, docteur en Sorbonne, a vu cette reponse et n'en a pas ete content. II a pu- Wie un memoire pour demontrer que Descartes a fait un sopbisme et non u^e demonstration. Le P. Francois Lami a refute ce memoire. M. Jaquelot a replique parle sien, etc. » Ajoutons qu'iln*estpasd'advcrsaire de Descartes qui n'ait attaque et pas de cartesien qui n'ait defcndu la demonstration de Tcxistence dcDieu tirec de Tidec que nous en avons. (2) IHtcour$ de la MHhode^ 4« partie. 87 son Dieu ne peut 6tre trompenr puisque la lumiire naturelle Dons enseigDe que la (romperie d^end nteessairement de qndqae d^faut (1). U oe peat done ni nous tromper, ni, ^tani toat puissant en mdrne temps que souverainement bon, per- meitre qu'on nous trompe. Par \h est dissip6 le fant6me de Fesprit malin, prenant plaisir k nous tromper, et le crit^rium de r^vidence en dehors comme au dedans de notre propre pens^e, est k Fabri des attetntes dn scepticisme le plus for- cen6. Nous nous connaissons clairement eomme composes d'une nature intelligenle et d'une nature corporelle , mats nous ne pouvons concevoir Dieu compost comme nous^ car toute composition t^moigne de la d^pendance qui est mani- feslement un d^faut. a Je jugeais de Ih que ce ne pouyait 6tre une perfection en Dieu d'dtre compost de ces deux natures et qu'en consequence il ne T^tait pas (2). » Descartes ne s'explique pas sur cette nature unique qu'il attribue h Dieu, il ne dit pas si elle est identique k notre nature spirituelle ou si elle en diffire, en comprenant k la fois ce qu'il y a d'essen- tiel dans la nature spirituelle et dans la nature corporelle. La maniire dont Descartes entend la liberty souveraine de Dieu et la confusion de Tattribut de conservateur avec celui de cr^ateur sont deux points importants de cette partie de sa mitaphysique. Signalons d*abord I'erreur grave dans laquelle il est tombe au sujet de la liberty souveraine de Dieu. Sous pritexte de ne porter aucnne atteinte k la plenitude de la li- berty de Dieu, il Taffranchit dans son exercicede toute consi- deration d'ordre et de sagesse» de toute loi, m^me de la loi du bien. Voici ce qu'il terit sur ce sujet au P. Mersenne: « Les Veritas metaphysiques lesquelles vous nommez eternelles ont ete eiablies de Dieu et en dependent enti^rement, aussi (1) 3« Meditation. (2) Digcours de la Melhode, 4* partie. 88 bien que tout le reste des creatures; c*est en effet parler de Dieu comme d'un Jupiter ou d'un Saturne et Tassuj^tir an Styx et aux destinies que de dire que ces v^rit^s sont ind^-> pendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d'assurer et de publier partout, que c'est Dieu qui a ^tabli ces lois en la nature, ainsi qu'un roi ^tablit les lois en son royaume (1).» II d^veloppe encore cette pens^edans sa R^ponse aux sixi6- mes objections : a Quant h la liberty du franc arbitre il est certain que la raison ou Tessence de celle qui est en Dieu est bien difT^rente de celle qui est en nous, d*autant qu*il r^pugne que la yolont^ de Dieu n*ait pas 6t6 de toute 6ternit6 indifi%- rente h toutes les choses qui ont M faites et qui se feront jamais ; n'y ayant aucune id^e qui repr^sente le bien ou le mal, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire ou ce ()u'il faut omettre, qu'on puisse feindre avoir 6t6 Tobjet de I'entende- ment divin avant que sa nature ail 6t^ constitute telle par la determination de sa volont^.... Ge n^est pas pour avoir vu qu'il etait meilleur que le monde fat cr^^ dans le temps que d^s r^ternite, quMi a voulu le cr^er dans le temps, mais au con- traire parce qu*il a voulu cr^er le monde dans le lemps, pour cela il est ainsi meilleur que sMleilt et6 cr66 dis r^ternit^.... Ainsi done il ne faut pas penser que les v^rit^^ ^ternelles de- pendent de I'existence des choses ou de Tentendement humain, mais seulement de la volonte de Dieu qui comme un souve- rain l^gislateur les a donn^es et eiablies de (oute eternity (2). » Descartes semble avoir retenu cette doctrine des J^suites, ses anciens mattres da college de La Fl^che, sans en avoir mMite toute la gravity. En effet, si la v^rite et le bien ne sont que des decrets arbitraires de Dieu, iln'y a plus rien de solide ni dans la science ni dans la morale, el la garantie ontologique du (1) Ed. Cousin, torn. VI p. 109. (2) Ed. Cousin, torn. II, p. 353 ct suiv. 89 critMuin de I'^vidence est rainie. Si Dieu peat faire (out ce qa'il lui platt, que devient la maxime que Dieu ne peut nous tromper ? Qui nous assure que ce que Dieu a ^tabli par un d^cret arbitraire, ind^pendant de loute consideration de sa- gesse, il ne le renversera pas par un autre dteret arbitraire ? 11 faut partir de la conscience de notre propre liberty pour nous faire une juste id^e de la liberty de Dieu. Comment done se faitHi que Descartes se trompe sur la liberty de Dieu, ne s'6tant pas tromp6 sur la liberty de Thomme , et qu'il lui attri- bue pr^cis^ment cetle liberty d'indiffi&rence qu*il considire comme ie pins bas degrade la liberty dans lliomme dansce pas- sage remarquable de laquatriime MMitation : « L*indiffi6renoe que je sens lorsque je ne suis point emport^ vers un c6\i plu- t<^t que vers un autre par le poids d'aucune raison« est le plus bas degr^ de la liberty et fait plut6t paratlre un d^faut dans la connaissance qu*nne perfection dans la volenti, car si je con- naissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de d^lib^rer quel jugement et quel choix je devrais faire, etainsi je serais entiirement libre, sans jamais 6treindiff(6rent. y> Descartes ne s^pare pas dans Thomme la liberty de Tentendement, pourquoi les s^pare-t-il en Dieu , pourquoi d6tache-t*il sa liberty de tous ses autrcs attributs? II est vrai qu*il en donne cette raison sp^cieuse, qu^ant^rieu- rement h la voloot^ deVhomme, le bien est constitu6, tandis qu^il ne Test pas ant^rieurement h celle de Dieu. Mais com- ment n'a-t-il pas compris que la volont^ de Dieu ne peat s'exercer ind^pendamment de sa sagesse et de sa perfection infinie qu^elle presuppose necessairement. Le bien et le vrai sont eternels el immuables parce qu'ils d^coulent de la nature m^me de Dieu. L'erreur de Descartes a ete redresste par son ecole, Malebranche et Leibnitz ont restitu6 h la liberty de Dieu son vrai caracl6re en Tassujetissant k sa sagesse souve- raine, c'est-^-dire a la loi de Tordre et du meilleur. 90 Par une autre inconsequence, k ia doctrine de la liberie d'indiflf&rence , Descartes joint celle 4e roplimisme , qaoi* que Tune et I'antre semblent s'exclore. Gar, si la volont^ de Dieu est indifil6rente , comment affirmer qu^elle se d^ter* minera en vue du meillenr, et sur quel foodement, dans la qui^iime Meditation, Descartes peut-il dire : a U est certain qtie Dieu veut toujouts 1e melHeur ? » Dans sa R^ponse aux siKi^mes objections , il essaie de sauver cette contradiction : « Si quelqne raison ou apparence de bonte edi priokdi sa preordination , elle I'edt sans doute determine k faire ce qui etait de meilleur ; mais , tout au contraire , paroe qu'il s'est determine h faire les chosescpii sont au monde , comme il est dit en la Genese , eties sent tres^bonnes , c'estrk-dire que la raisot) de lenr bonte depend de ce qu'il les a ainsi vonlu faire. » Mais de ift suifrait que tout autre univers edt ete egalement parfait parce que Dieu I'edt youIo , ce qui est contraire au principe meme de Toptimisme. Neanmoins Descartes croit k la pliis grande perfection possible de eet univers , si Ton con- sidere I'ensemble et nori pas les details. « De plus, il me vint encore h Tespritqu'onne doit pas considerer une seule creature separement lorsqu'on'recherche si les ouvrages de Dieu sont parfaits , mais generalement toutes les creatures ensemble , car la meme chose qui pourrait^ peut-etre avecquelque sorte de raison , sembler fort imparfaite si elle etait seule dans le monde , ne laisse pas d'etre tres-parfaite etant consideree oomme faisant partiede tout cet univers. » II explique encore tres-bien ailleursque le meilleur dont il s'agit est un meilleur coUectif au regard de I'ensemble et non uri meilleur particu- iier au regard de cheque chose: «Dieu mene tout k sa perfection , c'est-b-dire tout collective ^ non pas cheque chose en parti- culier , car cela meme que les choses particulieres perissent et que d'autres renaissent en leur place , c*est une des princi- 91 pales perfections de rQnivers(l). » Leibnitz ne repoussera pas avec plas d'inergie que ne le fait Pescartes , la ridicule pre- tention de rhomme de se poser comme la fin de Tunivers. Comment soutenk que tout a Hi fait en vne de Thomme, lors- que tant de choses sont dans le monde , y ont ^t^ el n*y sont plus, sans qu'aucun homme lesait jamais vues ou connues et sans qu'elles lui aient jamais servi a ausun usage (2). Non seulement Thomme n'est pas la fin deTunivers; mais, selon Descartes , celte fin dernifere des choses ^chappe n^cessaire- ment h nos investigations. Cette doctrine de Toptimisme, a peine ^bauch^e par Descartes, grand ira dans sonteoleetrece- vra tousses di&veloppementsdansMalebrancbe et dans Leibnitz. II importe ausside remarquer la mani^re dont Descartes en- tend les attributs de cr^ateur et de conservateur.Ilfait d^pendre la crSationdu monde d*und^retarbitrairede la toule-puissance de Dien. II Ta cr^^ quasd il lui a plu de ie cr^er, il Taneantira quand il lui plaira de ran^antir, ce qui d'ailleurs est une con- s^uence de la liberty d'indiffi&rence. Le monde n'a pas eu d'enfance , il n'est pas n^ d'abord imparfait et informede cet acte tout-puissant de la volont^ divine , il ne s'est pas form6 ni d^veloppe dans la suite des temps par Taction lente et con- tinue des loisqui lui auraient m donn^es d6s le commence- ment. Avant d^exposer Tbypoth^se des tourbillons , Descartes nous avertit que s'il suppose une formation successive du monde , c'est pour expliquer plus clairement son ^tat actuel , car ii ne pense pas qu*il soit de la dignity de Dieu de crier Tunivers petit a petit, corome s*il eti eu besoin de propor- tionner ^ ses forces la grande tAche qu'il s*6tait imposie; Dieu n'a eu qu'A vouloir, et d'un seul jet le monde a M crii. Sans doute Dieu a pu crier le monde d*un seul jet, mais il ne nous (1) Lettrcs. Ed. Gamier, tome IV, p. 135. (2) Principes, 3« partic, 3. 92 semble pas suivre de sa perfection infinie qu'il n'ail pu le cr^er d'one autre mani^re. Un d^veloppement progressif de la creation, conform^menl a des lois immuables, t^moigne-t-ii moiDs de la dignity et de la grandeur de Dieu que l^univers tout entier cr^^ d'un seul jet? Faire sortir tons les d^veloppe- ments du monde , d'un germe qui dis l^origine les contient tons en puissance , n*est-il pas aussi grand que cr^er simul- tan^ment toutes les choses h la fois, 5 leur plus haul degr^ de perfection? Faut-il moins admirer celui qui a crM Toeuf, d*oii Toiseau sortira, que celui qui d'abord a cr^6 Toiseau ? Dieu a cr66 le monde el il le conserve, non en le soutenant dans Texistence par la permanence des lois que d6s Torigine il lui a imprim^es , mais en r^p^tant k chaque instant de la du- r^e Facte cr^ateur par lequel une premiere fois il Ta fait sor- tir du n^ant. « II est certain, dit Descartes, et c'est une opi- nion commun^ment re^ue enlre les th^ologiens, que Taction par laquelle il le conserve est toute la m6me que celle par la- quelle il Ta cr^6 (1).» aNi Thomme ni le monde ne sont sem- blables, dil-il encore, h des machines qui, une fois mont^es, se meuvent seules quelque temps , quoique abandonn^es de rouvrier.»Bien n^existe que par la r6p(^tition non interrompue de Tacte qui Ta cr66. Coriserver el cr^er de rechef sont, au re- gard de Dieu, une seule et m^me chose. Di^ja nous avons si- gnal6 celle doctrine de la creation conlinu^e dans la seconde forme donn^e par Descartes h la preuvedeTexistencedeDieu. Sans vouloir d6s h present la discuter, nous dirons d'abord, qu'k nos yeux, elle a le m^rile de t^moigner fortemenl du sen- timent de la d^pendance n^cessaire des i^tres n'existant pas par eux-m6mes k regard du seul 61re existant par Ini-m^me. La n^cessil6 de celle d^pendance ne pouvail ^chapper k un grand m^taphysicien comme Descartes. Mais le tort de la (1) Discours de la Methode, 5^ parlio. 93 creation conliDO^e est d'exag^rer ceUe v^rit^aa point d*enle- ver toate force et toule action aux creatures , et en cons^ quence de d^truire ou du moins de rendre incomprehensible le fait de notre personnalit^ et de noire liberty. Si Diea ne nous conserve qu'en ne cessant de noos crier de noaveau , il faut qui*ii chaqae instant il nous cr6e avec toutes nos penstes et totttes nos inclinations , et c'est de I^ m6me que Descartes fait dSriver sa prescience infinie. « Avant qu'il nous ait en- V076S en ce monde , Dieu a su exactement quelles seraient toules les inclinations de notre volonti ; c'esl lui-m6me qui les a mises en nous , c'est lui aussi qui a dispose de toutes les au- tres choses qui sont hors de nous , pour faire que tels ou tels objets se prisentassent ^ nos sens k tel ou let temps , k Toc- casion desquelles il a su que notre libre arbitre nous dilerroi- nerait h telle ou telle chose , et il Ta ainsi voulu , mais il n'a pas voulu pour cela Ty contraindre {I). » Pour concilier cette prescience infinie avec la liberty de Tbomme , Descartes , h Texemple de certains th^ologiens , distingue en Dieu deux sortes de volonti , Tune indipendanle et absolue parlaquelle il veut que toutes les choses se fassent ainsi qu'elles se font , Tautre relative qui se rapporte au mirite et au dimirite des hommes et par laqueile il veut qu*on obiisse h ses lois. Descartes n'a faitqu*effleurerles questions relatives au mode d'actlon de la Providence sur le monde. Toutefois il s'en expli- qned^une mani^re assez remarquable dans une Lettre h la prin- cesse Elisabeth : « Je ne crois pas que par celle Providence particuli^re que Yotre Altessedit 61re le fondement de la thio- logie, vous entendiez quelque changement qui arrive en ses dterets k Toccasion des actions qui dependent de noire libre arbitre, car la thtologie n'admet pas ce changement. Etlors- qu'elle nous oblige k prier Dieu ^ ce n'esl point afin que nous (1) fid. Gamier, 3« vol., p. 210. — Lettre a la princcsse Elisabeth. 94 liii enseignions de quoi noos avotis besoio, rti afin que nous Id- chions d'imp^trer de lui qu'il change quelque chose en Tordre itablide toute dternit^ par sa Providence, I'un et Taatrese- raient bldmables, mais c'est seulement afin que nous obt&- nions ce qu'ii a voulu i^lre de loute iternil^ obtenu par bos prices. r> Ainsi Descartes , de m^e que Malebranche et Leibnitz, est pour les Tolont^s g^n^rales et immuaUes comne settles dignes de Dien. Tel est le resume fid^te de la th^odicte de Descftries. Descartes a raoins profond^ment mMit^ sur les attribuls de Dieu que sur les preuves de son eristence« De 1^ des erreors^ des contradictions, des lacunes que j*ai signaltes. Mais n6an- nioins il a la gloire d'avoir fond^ la th^odiede sur son vrai fondement, k savoir sur Tid^e de Tinfini, el d'avoir oiivert les voies k Malebranche et ^ Leibnitz. Rappselons^nous que Descartes a entrepris la demonstration de TeKistenoe d'un Dieu souverainement parfait pour donner la derhiire conBii*' cration k la r^gle de T^vidence. Grdce k cette demonstration, tons les doutes qui planaient encore sur la l^gitimite de h r^gle de r^vidence se sont dissip^s commie de Mgers Mages devant les rayons du soleiL Dieu et le vrai ont m assooids Tun k Tautre, et se servent de mutuelle el infaittible garanlie. Nous aliens done maintenant redescendre avec Descairtes de Dieu k Thomme, arnies de la r6gle de revidenoe. Mais ci- tons d'abord la fin de la troisi^me Meditation, dans Uquelle Descartes exprime les sentiments que lui a> fait eprouver eeite contemplation de Dieu et de ses attribute A-vm^ manlirs 4i*- gne des plus belles elevations de Malebranche, de Fenelon et de Bossuet. « Arretons-nous quel(pie temps k la coatenk^ plation de ce Dieu tout parfait, afin de pesef k loisir ists merveilleux attributs , de considerer, d' admirer et d'adorer rincomparable beaute de cette immense lumiire, au moins autant que la force de mon esprit qui en demeure en quel* 95 que sorle 6blooi, me le pourra permettre. Gar comme la foi nous appreod que la souveraine f(ftlicit6 de Tautre vie ne GODsiste que danscette contemplation de la majesty divine, ainsi exp^rimen tons-nous dis maintenant qu'une semblable meditation, quoique infiniment moins parfaite, nous fait jouir du plus grand eontentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie. » CHAPITRE V. Bcs divers modes de la pensee essence dc r4me. — Des idees innees. — Vague definition des idees innees. — Deux interpretations diverses dont la doctrine des idees innees est susceptible , d*ou deux tendances diverses dans Tecole cartesienne sur la question des idees. — La vraie theorie des idees innees dc Descartes tout entiere dans ce qu'il dit de la nature et des caracteres de I'idee de Tinfini. — Des idees adventices et de Tcxis- tence du monde exteriour. — Du paradoxc cartesien que les qualites sensibles n'ont d'existence que dans Tame. -— De I'argument de la vera- cite divine en favour de I'cxistence du monde exterieur. — De Tordre dans lequel Descartes classe et demontre les trois verites de Vkme de Dieu et du monde. — De la volonte. — Confusion de la volonte . et du jugement , de la vertu et de la science. — De Torigine de I'erreur. — Des passions. — Traite des passions. — Definition , causes et objets des passions. — Descartes moraliste. — Ses jugements sur les diverses passions. — Utilite des passions. — Preceptes pour les combattre. — Milieu entre Epicure et Zenon. — De la morale de Dcscartos. — Tendance a mettre au meme rang la vertu et le contentement qui en est la suite. Descartes distingue trois modes divers de la pensee, qai est Tessence de Tdme, les id^es, les affections et les volout6s. Par idies il enlend des conceptions de Tdme et non, comme Platon, des types absolus des choses risidant au sein de Dieu, ni, comme Hobbes et Gasseudi, des images mal6rieiles des choses.II dit de 97 toutes leD id^es qu'elles soot des passions, il compare Tdme e( ses id^es avec ia cire et lesdiffirentes figures qu'elle re^oit, c*est- a-direqa'il fait Tentendement loat entier puremeDtpassif. II divise les id6es elies-mdmes en trois classes : l*" les id^es qui semblent n^es avec nous ou les id^ inn^es ; 2^ les td^es qui semblent 6trang6res et venir du dehors ou id^es adven«^ tices; 3° les id^es qui semblent 6tre faites el inventi^es par nous-m^me ou id^es factices. Rien de pins c616bre que les id^es inn^es de Descartes. De cofflblen de discussions etde railleries les id^es inn^es n'ont* elles pas 6t6 Tobjet? P^ripat^liciens, Gassendistes^ J^suites, s*accordent ^ leur fatre la guerre et k soutenir le principe que toutes nos id^es viennent des sens. Toute la philosophie du XYIIP si6cle retentira de dMamations contre ce qu'elle appelle la grande et dangereuse chim^re des id6es inn6es. Malheureusement aatanl Descartes a de precision etde pro* fondeur quand il parle de Tid^e de Tiniini, qu'il place en l^te des id^es inn^es, autanl il est vague et incomplet quand il parle des id^es inn^es en g^n^ral. II n'est pas m^me facile de mettre d'accord toutcequ'il en dit» et sa doctrine est suscep- tible de deui interpretations qui ont favoris^ au sein de son ^cole deux tendances distinctes, Fun repr6sent<^eparArnauld etR^gis, TautreparBossuet, F^nelon et Malebranche. Mais d'abord qu'entend Descartes par inn^ ? A-t-il m6rite les railleries r^p^ttes de Gasseudi, de Locke, de Voltaire ati sujet de pr^tendues connaissances m6ta physiques que nous poss^de- rions d6s le ventre de notre m^re? G'est un point sar lequel Descartes s'est plus d*une fois si clairement expliqu^ qu'on s*(i- tonne que quelque Equivoque ait pu subsisler. Par id^ n^ avec nous, il n'entend pas une id^e qui soit toujours pr^sente h notre penste, sinon, dit-il, il n'y en aurait pas une seule, mais il entend seuiement que nous avons en nous-m^mes la focuiti de les produire. Rf^gius, son disciple infid^le, croyait I. 7 98 s* Pearler de sa doclrine en disaoi qail o'y a poinl didoes el d'axi6mes imprimis dans t'Ame t mdis ane facalt^ nalu- relle et n^e avec lui de les prodoire. Mais Descartes lai Impend que jamais il n'a eii d'autre doctrine : « Gar je n*ai jamais jng^ ni 6cril qne i'esprit ait besoin d'id6es natarelles qoi scnent queique chose de different de la factolU^ qu'il a de penser. Mais bien esMl vrai que reconnaissant qo^il y a cer- taines pens^es qui ne proc^daient ni des objets du dehors, ni de la determination de ma volont6, mais settlement de la faculty que j'ai de penser, poor 6tablir queique difference en*- tre les id^es ou les notions qui sont les formes de ces pensies et les disttngner des autres que Ton pent appeler etraDgires ou faites k plaisir, je les ai nomm^es naturelles* mais je Vai dit au m^me sens que nous disons que la gen^rosite ou quei- que maladie est naturelle h certaines families (1). » II ne prend pas pour lui cette objection, que les enfaals n'out point la connaissance actuelle de Dieu dans le ventre de leur mire, car lorsqu'il a dit que Tid^e de Dieu est naturellement en nous, « il a seulement entendu que la nature a mis en nous une facuUe par laquelle nous pouvoos connattre ; mais il n'a jamais ni ecrit ni pens6 que de telles id^es fusseot ac- tuelles ou qu'elles fiissent des esp6ces distinotes de la faculte que nous ayons de penser ; » et il ajoute : dcAl d'une iibte d^lerAifDatiori de uotre votont^, el ft h'est pas en no!re potiv6f ^ d'y ricf n ajoutei' et d'en rien relranoher. Maffs en l^s ^epr6$en(ant comtne def smples produits d'uue faculty parlieuliire it nottie espi'h et de noire nafore pfopres Descartes ne semble^t-H' pas Us rMuiro k de ahnpies titfodes de noire pens6e et ni66(MrA(aUre h source divine d'oii elies se I'^pandent dans toUs les esprits ^ On done sera la garantie de leur universality et de lieur v6- riC^ absolue, et quelle autre valeur auront-^elles qb^cTne va- leor pnreme»t subjective coMne les c(kl6gdHes de f^eiitendig- ment de KanI? Bappelon^ ici d'ditt^urs que Descartes d^cfai^e iucompatibles afve^ la Hbert^'de Dieu, rimnmtabilil^ et T^ter- Dit6 dea v^ritis inntes^ Ainsi' efttetkdue la d6etritie desr M^es inaies seuflTre de graves objeicliorls^ ilkkais en uti sens (out op- pose h ceUes de Hobbes et de (^assendi. Nous ne lui repro- cherions pasd'Atre trop idiiallsle, mais au conftrair^ d'id^re trop eiol^rkiue, de m^iooniiattre les rtiis tWeKi^v^, la ri^ture' divine el' la pdrtde ontologlque des id^e^ de la raison et de conduire 4 le negation de la v6rit^ absolue. Si on entend ainsi la doetrine de Descartes, H n'est pas en <^ffet bien diffidle de la eonciiie# , comme on Ta (ent^ (2), avec celfe de locke^ Mais il faut pkitdl voir la vrare IMorte des idiies inn^es die (1) Reponse & Hypenispistes. (2) Descartes et Locke concilies par Caslilloii, Memoires de IWcadeinie dc Berlin, annee 1770. 100 Descartes dans ce qu*il dit de fiiie d'infini, la priocipale et la premiere des id^es inn^es, et dont il a particuli^rement approfondi Torigine, la nature et les caract^res poar en tirer la preave de Fexistence de Dieu. N'en eilt-il fait qa'un pro- duit naturel de notre faculty de penser et un simple mode de notre esprit sans original et sans objet, comment en au- rait-il tir6 la v^rit^ de Texistence de Dieu? Mais il y voit la marque de Touvrier empreinte sur son ouvrage (1), » et il reconnatt en plusieurs fagons que cette id^e n*est point quelque chose de feint ou d'invent^, dependant seulement de sa pens6e, mais que c'est Timage d'une vraie et immuable nature (2). » L'idi^e de Dieu, selon Descartes, ne vient done pas de nous, elle ne depend pas de notre pensee, mais elle vient de Dieu m^me , elle est Timage d'une vraie et immua- ble nature Tels sont les deux points de vue diff^reuts que pr6sente la doctrine de Descartes sur les id^es inn^es. J'ai dii signaler le premier qui r^sulte incontestablement de plusieurs passages des Lettres et des R^ponses aux objections. Mais c*est le second sens qui domine dans la philosophie de Descartes puisque toule sa th^odic^e en depend , et qui a aussi doming dans toute son ecole. Ni Malebranehe , ni F^nelon , ni Bossuet en France , ni Glauberg et Geulincx en Hollande n'ont pris les id^es in- ures pour de simples modes de notre faculty de penser.Us les ont fait d^river imm^diatement de Dieuet non de notre esprit, tis leur ont restitu6 Fimmutabilit^ , et ainsi ils ont r^tabli le fon- dement de la souverainetS de la raison et du caractire absolu de ses principes dans la science et dans la morale.Mais quelques autres cart^siens, tels que Weltbuysen en Hollande, Arnauld et R6gisen France, se sont attaches k la premiere interpretation, (1) Fin de la 3« Meditation. (2) 5« Meditation. 101 e( Dous verrons leurs doclrines manifeslBr une tendance re- lalivement empirique au sein m^roe de I'^cole carl^sienne. Le vague de la d^iQnition des id^es inn^es se relrouve dans leur Enumeration. Nulle part Descartes n'en donne une clas- sification rigonreuse. II dit bien que Tid^e de Dieu est la premiere et la principale des id^es inn^es, mais il ne montre nulle part comment les autres s*y ram^nent ou s'en d^duisent. Dans le passage ou II s'explique avec le plus de precision , il n'admet qu'un petit nombre de notions primitives, car « apr^s les plus g^n^rales de T^tre , du nombre et de la dur^e qui conviennent ^ toutce que nous pouvons concevoir, nous n*a- vons pour le corps en particulier que la notion d'extension, de laquelle suivant celles de la figure et du mouvement , etpour Tdroe seule nous n'avons que celle de la pensEe en laquelle sent comprises les perceptions de Tentendement et les incli- nations de la volenti (1). x> Mais ailleurs on le voit ranger parmi les id^es inn^es les id^es de couleur, de la douleur, des sens et c( de toutes les choses semblables. » Malebranche, dans sa polSmique contre Arnauld , a done pu dire, non sans raison, que Descartes n'a pas examine k fond la nature des id^es (i). Sachons grE n^anmoins k Descartes d*avoir mis en lumi^re avec tant de clartE et de profondeur les caract6res , la nature et la port^e ontologique de Fid^e de Dieu ou de I'infini , et d'avoir ainsi pr^parE les voies dans son Ecole aux grandes v£- rit^s de la vision en Dieu et aux admirables d^veloppements de la doctrine d'une raison universelle impersonnelle et divine ^clairant toutes les intelligences. II n*y a rien k remarquer sur les id^es factices ou de notre invention , dont Descartes se borne h dire qu'elles sont dans notre d^penda nee et que nous pouvons y ajouter ou y retran- cher k notre gr6. Mais il n'en est pas de m6me des id^es ad- (1) Ed. Cousin, tome IX, p. 125. (2) Heponse au livre Desvraies et des fausses idSes ^ chap. 24. 102 ventices auxquelles se lie I9 qa€i$|ljoD ie TaxisleDce 4u monde ext^rieur. Les id^es advenjLices soot celled qui oous flemblenC venir do dehors, ellesne sent pas j\&es avec nous, nousn'en son^mes pas les mattres, elles survJLeopeQt inopinjtoi/ept da^ noire esprit, sans le cpncour^ dp notre volQnt^ et ro^in^ coi^ire notre attente et notre volont^ , et k roccasion de^seps , el^es repr^senlent des choses mpt^rielles. A quelles conditions s'^- yeillent dans notre dnoie les id^es de ces choses mati^riellef ? Yiennent-elles en r^alit6 du dehors ou du dedans? De^iQfurl^s rejetle Thypoth^se des esp6ces intentioonelle^. oLorsque |e i^ois un bdton, II ne faQtpass*imaginerqu'Usorte4eli|ide pittites images voUigeantes par Tair, valgairement appelj^i^s def esp^- ces intentionnellesqui passenijusqu'^ monceil. Mais les rayons de la lumi^re rj^fl^cbis de ce bdtoo excitieni quelque mouve- ment daqs le nerf optiq^e et par son moy^n dans le pervieau m^me(i). » Ces mpuveipen)s prpduits dans nos organiei^ p^r I'iinpre^sion des obj,ets extiSrieurs n.e sop^t eux:-m4in^ que Kocr casion et nop p^s la cause des idi^es adventiees oq des percepr- tions. Les sens pe noiasdonnent que la copsclence de quel^ues mo|]y(e]Dsien.ts corpprels dans les orgaue^ et ne nous appprtent aujcuQe vraje image des objets ; c^est par Tentej^ement ^^l Wff Pous connais^oius le moode extirieur. « Quicjooque ^ bien compri^ jpsqju'ou s*6tefidenj nf>s sens et ce q^ ce peut 6tre pF,(^ci^^iqen)l q^^ est port6 par eui jp9qtt*& la faculty que nous ayp^is de p^eqser, dpit avpuer ap contraife qu'aucunes id^es ne nf)^^ sont j»f(^sept6es par e^x telies que nous Iqs formons par la pens^e, en sorte qu'il n*y a rien dans ops idides qui ne soit n.aturel h T/esprjit opd la faculty qu'il a de peoser, si seulement on excepji^ cerjtaines circoqsla^ces qui n'^ppartiennent qn*b rexpirience. Par exeqaplje, c*esi Texp^rience qui fait que nws jugeons que telies ou telles id^es que nous avons maintenaol (1) Reponseaiix sixicmes Ol^jcctions. 103 prteentes h Vespfii se rapporteol k qaelques choses qui soQt hors ie wus , oon pas, h la yir'My qae ces choses les aieat tra^aiises dans notre esprit par les organes des seQs, teller qiie nom les seotoos, mais h cause qo'elles oat traiMmia quelqae chose qui a doting occasion h notre es- prit, par la faculty qu*il en a, de les former en ce temps plu- I6t qu'en un autre (i). » II £aut done que toutes les idtes de figure > de distance ^ ei, h pies forte raison, les id^es de cou- leur, de la douleur, des sons et de toutas les choses sembla- bles nous soient naturelles, (( afin que notre eqpril; k Tocca'- sion de certains mouvements corporels avec lesquels elles n'ont aucune ressemblance, se les puisse representor (2). » Voil^ done les objets ext^rieurs r^duits h la pure 6tendue et d^poaill^s au prpfil de Tame des qualit^s sensibles. De li^ Torigine de la fameuse diatinction des qualjtis premieres et des qualil6s seeon^es de la mati^re (8). De 14 le paradoKe, en apparence si strange qui met le son et la couleur dans rdrne, et noD plus daus les corps, et qui a M aussi un grand sujel de raillerie contre la philosophie cartteieuue. Je crois cepen- daft qu'ici T^tranget^ de la doctrine de Descartes est plutdi apfttrente que rtolle, si Ton veut aller au fond des choses, sans s'«rr6(er k I'^quivoque des teniies et au tour para* doxal que quelques disciples se sont plu k\m donner par une sorte de bravade e( contre r£cole et contre les opi* Dions vulgaires. II ne faqt pas I6g6rement croire que Descartes ait peos^, que rien dans la mati^re ne corresponde k la perception que nous avons de telle ou telle quality sen- sible , et que la c$use de la chaleur, comrne la chaleur elie- m£me, ne ri&side que dans I'dme. Descartes, il est vrai, n'ad- (1) Reponse a Pierre Leroy. Edit. Garnier, tome IV, p. 86. (2) Ibid. (3) C*est Locke qui le premier a em^ploye cette denQmination de qnallte premi^reis et qualites secondes de la matier*;* 104 met dans la matiire que la pare ^iendae e( ce qui en est ins^« parable, largeur, profondeur, hauteur, figure. Mais il ne faut pas oublier quMI a la pretention d'eipliquer tous les ph^nom^nes avec la figure et avec le mouvement des parties insensibles de T^tcndue. Ainsi tout en niant que dans les objets il y ait des quallt^s sensibles, il ne nie nullement quMl y ait en eux tel ou tel mouvement de parties proprc h ^veiller en nous la perception des qualit^s sensibles. Tel est le sens de ce passage des Principes : « Lorsque nous disons que nous percevons des couleurs dans les objets, c*est ^videmment comme si nous disions que nous percevons quelque chose dans les objets, quoique nous ignorions quel est ce quelque chose, par quoi est produite cette sensation claire et distincte que nous appelons sensation de couleur. » Malebranche inter- pr6te el commente Descartes dans le m^me sens : « Ce n*est, dit-il dans la Recherche de la VMtij que depuis Descartes , qu'^ ces questions confuses et ind^termin^es, si le feu est chaud, si Therbe est verte, etc., on r^pond en distinguant T^qui- voque des termes sensibles qui les exprimenf. Si parchaleur, couleur, saveur, vous entendez un tel ou tel mouvement des parties insensibles, le feu est chaud , Therbe est verte. Mais si par chaleur et les autresqualit^s, vous entendez ce que je sens aupr^s du feu , ce que je vois lorsque je vois de Therbe, le feu n^est point chaud et Therbe n'est pas verte, car la cha- leur que Ton sent et les couleurs que Ton voil ne sont que dans r^me. » Que peul-on done reprocher h Descartes et aux cart^siens , sinon de n'avoir pas toujours marqu^ assez nettement cette distinction et le sens dans lequel ils 6faient h la mati^re les qualit^s sensibles? SMI y a ici une erreur, je ne dis pas dans les termes, mais dans le fond m^me de la doc- trine de Descartes , cette erreur ne pent ^tre qu'a faire con- sister en un mouvement de parties insensibles ce qui produil en nous toutes les perceptions des qualit^s de la mati^e , x 105 c'esl-ii-dire, une erreur de physique et non une erfeur de psychologie. II faut done, h ce qoMI mesemble, jusUfier Des- cartes d'avoir dt6 h I'herbe la conleur, et au feu la chaleur, comme on 1 -a tant r6p6t6, et d'avoir donnd ^ I'dme ce que le genre humain jusqu'^ lui avait attribu6 aux objets. Mais, en parlant de T^tendue et dumouvement de ses par- ties, j'ai anticip^ sur la demonstration que Descartes croit de- voir donner de Texistence du monde ext^rieur. Rappelons-nous Fordre suivant lequel il d^montre el classe les r^alit^s. D'abord il part de I'existence de la pens^e, et ensuite de la pens^e i' s'6l6ve & Dieu. Dans I'ordre de Timportance et de la Iogique> il ne place qu'au troisi^me rang la certitude de Texistence du monde ext^rieur qui ne lui paratt ni si ferme ni si ^vidente que celle de Tdme et de Dieu. En efiet, il n'en est pas de r^tendue comme de Dieu en qui Texislence ne se s^pare pas de Tessence, et nous pouvons tr6s-clairement en concevoir Vid^e sans 6tre forces d'en conclure I'existence. Comment done d^montrer la r^alit^ de I'^tendue mat^rielle? D'abord elle s'est ^vanouie devant le doute m^thodique. Mais toutes les raisons possibles de douter ayant fait place k la certitude, elle est d^sormais k I'abri de la supposition d*un 6tre puissant et trompeur, renvers^e par la demonstration de Teicistence d'un etre souverainement parfait, et aussi de I'incertitude entre la veilleet le sommeil, ou Descartes ne voitplus qu^un doute hy- perbolique et ridicule auquel il ne pent plus s'arr^ter. Mais il reste h examiner si, sur la foi de ces perceptions de la veille, nous pouvons admettre I'existence du monde ext^rieur. Puis- qu'ellesne viennent pas de nous, ellesdoivent venir de quel- que chose d'ext^rieur qui ait la faculte deles exciter en nous, et avoir leur cause dans quelque substance distinoie de nons- m^mes en laquelle soit contenue formellement ou eminem- ment toute la r^alite objectivement renferm^e dans les id^es que nous avons des choses maierielles, or ceHe subslance et 106 la mati^re. Mais Descartes s'adresse encore celte objection : Ne se |M>urraiMl pas quae ces id^es yiDSsent directeniani de Dieu e( qm cetle chose que nous sentpos bors de nous fdt Dieu lui<-0pi&me ? Telle sera Ja doctrine de ftblebrancbe, mais telle n*esl f^as encore celle de Descartes, qai la rifi^te par le principe de la v^acit^ de Dieu. Dieu n'^tant point trompenr, il est ir^-maniCeste quUl ne m'envoie pas ces id^es immMia*- tement parlui-m^me. II a mis en nous une ir^s-grande in- clination k croireqoeces id^es parient desclni^es/corpor^^S. Si elles n'en partaient pas, comment Texcuser de troroperie h notre ^ard ? En d'autres termes, nous avons une tendance naturelle k croire que certaioes id^es viennent des choses cor- poreiles ; il faut doncqu^elles en vienoeni, sinon Dieu auteur de cette tendance naturelle, nous tromperajt« or Dieu souvfv^ raiaemenl bon ne pent vouloir nous Iromper, done les choses cprporelles existent, Tel est rargui^^nt de la v^raciti divine s^r lequel Descartes fonde la vMt& de Texisteoce du mpnde eitdrieur, Descartes pr^voit qu'on pent objector centre cet ar^ guipent de la v^acit^ divine les erreurs des sens. Si Diqn nous troippe par les sei^s, nous fajsant voir ronde la tour qui e^t carr^e, et brisi te bAlon qui est droit, pourquoi ne pour^* rait-il pas dgalement nojus tromper quand il s*agit de Teris* tence m^e du monde ei:ti6riear? Sfajs il justifie tr^r-bien la y^raqit^ divine de ces pr^tendues erreurs des sens, en mon*^ trant qu*elies consistent plutPt dans un jugement qui djgpend de nous que dans le temoignage des sens. II reprend m^me rudement Begins d'avoir avanc6 quMl est naturellement in- certain si nous ^percevons vi6riteblement wcun corps, parce que les phases qui pe sont qu'imeginaires peuveni aussi bien faire impression sur Tesprit que celles qui sopt vraies. « Ger- tes oeux qni opt de Tentendement, dit Descartes, et ne res- semblent pas tout k fait aux chevaux et auK mulets, encore qu'ils ne soient pas seulement touches par les images que la 107 pi;^$eDce djss choses vr^ies imprime d^os le cerveaut mais 9W9P F>r cellos que d'autres ca^^es y ^xcUeat, (XMmne il arrive dMis te9 fipffgc^s^ pemrrli, dis-je) diicernent aiianmoips trtsr*- ^jair^roept |M|r la lomifere de )a rai^oo, les uoes d'av^c 1^ 9.i|)yr^» » Piqisl^qt^s cart^sieo^t teis ique Cordeiooy, Ma)abraii<- Qbe, Fi9|r4ieiU9i n'oot pjB9 admis eet argumeDl de la v^racit^ dlvip^ jen f^y^^r 4e I'ei^jsteoce du i|90d4# ext^rieur. GiiQQg ^Ifl^iqeDt Majli9))ran€be qmi dU : a Pour 6tre pleinemejoiit goat- vaiiH^us qu'ji.jr a de$ corpi, il faut qn*0D oooa d^iBontre uqr 9eul#ineot qu'il y 9 un Dieu e( que Dieu o'est {kMdI Irompeur, Q)ai^ encore que Dieu poqs a assure qu'il en a ejBGBcUveoieoi cr6^, fie que j^ ne irouve poiot prouv6 dans les ouvrages de VL, D^earti98. » ]Ue ^rt de Descariesest defiiif^ intervenir ici, d'une mani^e ef ^faor^ii^aji'e, ^ principe d^ )a vdracit^ divioe, au Keu de r^po^fjif e I'iivide^^ imo^diate da monde ail^rieur dans la G^j^fiief^ce 4^ la JjmiiaUpn de rac4ivil6 essepUelle du moi par q^ejfliie cjio^e qui la t^orae, etqui esile oou moi. G'esi ainsi q^% 9 PRyert la vope a«x Qau^$ occfsioDfielles et au jyeepti*- wmi^ ^r 1® imwde 9;itirieQr ou se aonl ^garte un grand Remise de aes disqiples^ Mais si ou eonsidire en lui-^mteie rargiimei^jl de la viirAeiii divine, on verra qu'encore ici Des^ ^fies a'est pluUt iropap^daas la forme que dans le fond. Car au fond* la v^raeiU divine ne se distingue pas de I'^videoce, dm( eUeest le principe et la garaolie, et dont elle est ins^pa- raMe, oomme Desicaries Ta ddmontr^. Quand done il en ap- pelle k la v^racit^ divine en faveur de Teiislence du inonde mat^ruri, c est en rialit^ T^vidence qu'il invoque, et on ne pent Ini reprocher que de recourir inutilement k une forme estraordinaire, h une inlerveation sp^ciale de ce prindpe sur lequel repose I'^vidence, lequel est au mftme degr6 et au I rn^me tilre la garantie de toutes les v^rit^s sans exception. I Ainsi voili suecessivement arrachtes au doute les trois vi-* 108 rit^s fondamentales de la philosophie : la cerlilade de Texis- fence de I'dme, de Dieu et da mohde. Get ordre esMl bien celui suivani lequel se classe et se produit la eertitude de ces Irols exislences? Nous croyons qu'entre ces Irois v6rit6s il n'y a point de succession chronologique, qu'elles se produi- sent simultan^ment, indissolublemenf li^es les unes avec les autres au sein m^me du premier fait de conscience. Nous ne pouvons avoir conscience de notre activity propre, sans avoir par \k m^e conscience d'un non-moi qui la borne, et nous ne pouvons noussavoir limit^s sansconcevoir imm^diatement r^tre infini. Toutefois la simultaneity de ces trois v^rit^s n^exclut point entre elles an ordre logique, et cet ordre logi- que est celui-lii m^me qu'a 6tabli Descartes. Au point de vue logique, la v6rit6 de notre propre existence est bien la pre- miere; elle est le point de depart et le fondemenl n^cessaire h toute autre v6rit6. De cette premifere v6rit6 nous allons n^- cessairement droit h celle de I'existence de Dieu, en raison de la correlation n^cessaire de la connaissance de I'infini avec celle du fini. La virite de Texistence de Dieu ne suppose done rigoureusement pour antecedent que la verite de notre propre existence et non pas celle du monde exterieur. En consequence Descartes a eu raison de parlir de I'dme, d'aller immediate- ment de Tdme 6 Dieu, el de ne placer qu*en troisieme ligne la certitude el Texistence des choses materielles. Des idees passons aux volontes et aux affections qui nesont aussi que la pensee elle-meme diverseroent modifiee. Des- cartes definit la volonte, le pouvoir de faire ou de ne faire pas, de poursuivre ou de fuir une mdme €hose, et d'agir sur Tdme ; il lui donne prise sur les idees el sur les passions soit d'une maniere directe, soil d'une maniere indirecte; il lui accorde le pouvoir sinon de produire, au moins de diriger le mouvement. Jusqu'ici sa doctrine de la volonte paratt irrepro- chable. Mais il enieve le jugement k Tentendement pour en 109 faire anssi une fonclion de la volont^, el ainsi commence* t-il une confusion fatale qu'ach&veront quelqaes-uns de ses disci* pies : G* est done la volont^ seule qui affirme ou qui nie les choses que Tentendement nous propose. Quoi de plus grave que cetle confusion du jugemeni etde la volenti ? II depend de nous de nous r^soudre en tel ou tel sens, mais non dejnger a noire gr6 du vrai oudu faux , du bien ou du mal. L'^vidence enlratne n^cessairemenl notre jugemeni, landis que nous demeurons loujours litres de vouloir ou de ne pas vouloir. De celte tendance h confondre la volon 16 avec le jugemeni derive aussi dans Descartes une autre tendance k confondre la verlu avec la science. II dlt, en effel, dans la troi- siime partie du Discours de la Mithode : a Notre volenti ne se porlanl h suivre ni a fuir aucune chose, que selon que no- tre entendemenl nous la repr^sente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, el de juger le mieux qu*on puisse, pour faire aussi tout de son mieux, c'est-ii-dire, pour acqu^rir toutes les verlus. » Dans une de ses Lettres il d^ve- loppe la m^me pens^e : « Je ne crois point que pour mal faire il soil besoin de voir clairemenl que ce que nous faisons est mauvais; il suffit de le voir confus^ment, ou seulement dese souvenir qu'on a jug6 autrefois que cela 6tait sans le voir en aucune fagon; c'esl-^-dire, sans avoir attention aux raisons qui le prouvent, car si nous le voyions clairement il nous.serait impossible de p^cher pendant le temps que nous le verrons en cetle sorte, c'est pourquoi on dil : Omhis peccans est igno-- ran${i). Le sentiment de Descartes sur Torigine de Terreur semble aussi se ratlacher ^ cet|le confusion de la volenti avec le juge- (1) Edit. Gamier, torn. 4, p. 1. 466. 410' men I. Ea(re touted dos an»lres f«cuH6s,, la fiftciiU^ de conte- voir, la m^tooire, rim^^natifHif Ik volooil^ seule^ selon Des^ cartes , est , pour ainsi diifer saos bOrites et san» limites ^ putoqiae nous pouvoBS loujoars vottloir d« ne pas rouioir,. af-^ firmer ou Diet. La voIod46 oo lal liberie du frane arbtire que nous esp^rimon tons &» wm^ es^ st^grande, que noas' ii€ oonee- vons pas I'id^e d'ofie autre fa€uUd pkis grande et plu» dten>* due , en sorle que c'est elte principalement qui nous fait cOnf^ nailre que nous 'portons Timage et la ressemblanee de Dieu (1). La volont^ 6tM4 si ^temkfe , si parfolte el si amplef^ eomtnenl serail-^elle ta cause directe de noa cfrr-euvs ? fi^uni a«H tre c6l6 cetle cause fie peul ^t#e non pttts- dsnls nes autre»fa-* cuU6s ^ queique iiniil^es qu'elles soien4^ , ear^ si eHes nous trompaieftt , comment absoudve Kaut^ur de notre nalnrd du reproche de nous aYoii' trOttlp6»? II place done 1' unique cau^ de nos erreurs dans la disproportion qui eiDi^to entre la vo- lontd elf les au4res faeuU^ de notre eniendementw La rolout^y l^lus ^tendue que TeDtendement, k deyance el 16 d^pdsse pim ainsi dire v elle n'attend pas potl^r se di&cider, et se porter en telle ou telle ciifeetioix, que yeotendement lui ait fou-rni'dte ltt»* mi^ite^ suffisanles^ et alor^, marehanl h VavenlwH^e^ n'a^Mil plus rien quiJe guide^ elle s*6gape, ell^ choisit le imx pour le vrai , et le mfal pour le bien^ Nous Be e6mprenoBS pas que j comme le dtt Descartes, la'volont6 d6pa88erentendemeiii< poisque loute volout^ 6taiit ndcessaiipement prdeid^e d'lme id^e , jamais nou9 ne vouions sans vouloir quelqoe chose. Le tort de la volontd ne pent dtr^ de d^passei* les boraeis de ta' conoaissance en g6n6ral , mais seulemeii't dd la coonaissauee. Claire et ^vidente , c^est-^-dire de ne pas suspendre le jxige^ ment jusqu^i ce qu'ail brill6 la lumi6re de T^Wdeneei. Mais d'ailleuTft Descartes a raison de farred^pendre Terreur de nous (1) 4« Meditation, 7. Ill 'dt Au niaitTai» usage de dos facalite , el non de DIeu oa de mAre fiature intotteeloelle , et it couclat Ms-bien : s ne i^oient t»pa- Ues» » Quani k la l^dtiei^ «ii Ja peur, 'ttaokfu'fl ne puisse^ae pecsuader iqoe la nainre ait domi am iionmes qoelqae passion qai n'ait aaeiHi usage bon et lomable , •« jl a iAm de la |)eine k deviner b quoi^ces deax pcutent aervir ; » Cam de tels sentiments sont etrangers h son dme ! (1) Passiong de Vdtne, viri. i90. 116 Mais quelle est done rutilil^ de ces passions qui , au pre- mier abord, semblent n'avoird'auCre effet que de tenir en 6chec tout le pouvoir de Tdme et de d^tourner de la verlu? « Main- lenanl qne nous les connaissons toutes , dit Descartes , nous avons beaucoup moins de sujet de les craindre que nous n'a- vions auparavant ; car nous voyons qu'elles sont (outes bon- nes de leur nature et que nous n'avonsrien i ^viterque leurs mauvais usages ou leurs exc^s (1). » Elles excitent I'dme & Taclion, ^Texercice derintelligence etde la volonl6, & re- chercher ce qui nous est utile et ^ fuir cequi nous est nuisible. Si elles forlilient et font durer dans Tdme des pens^es aux- quelles il est mauvais qu'elle s*arr6te , elles fortifient aussi et font durer celles qu'il est bon de conserver ; elles poussent k vouloir leschoses auxquelles en m^me temps elles pr^parent et disposent le corps. Rien ne pousserait k Taction Thomme absolument d^pourvu de passions, qui sont le principal mobile de son activity ; mais rendez-lui les sentiments et les pas- sions, vous lui rendezen m^me temps lavolont^ et le mou- vemenl. Gonlenues dans leurs vraies limites, toutes les passions naturelles ont un bon usage ou un but salulaire. Ainsi Descartes , d^accord avec le bon sens , sait tenir le vrai milieu entre un ^picur^isme qui pr^che T^mancipation abso- lue des passions , ne distinguant pas entre leur bon e( leur mauvais usage, et un asc^tisme qui les condamne comme es- scntiellement mauvaises et present leur an^antissement. Viennentensuite les regies suivant lesquelles on peut^viler ou combattre Texc^s des passions. Descartes prescrit de combattre ce qu^elles ont de mauvais par Tindustrie et par la premeditation, mais surtout par la vertu. Si les passions agissent sur la volonte, la volonte i son tour peul agir sur (1) IraiU de$ poitiofu, 3* partie, art 211 . 117 ies passions; mais les passions dependent absolument des ac- tions qni les produiseni en nons , et Tdme n'en est pas direc- temenl la mattresse coinme de ses propres volonl^s. La plus ^nergique desvolonl^s, par son action direcle, nenous d^Ii- vrera pas de la peur et ne nous donnera pas du courage. Nous ne pourrons la conibattre qu'indirectement par la re- presentation des motifs capables d'exciter en nous le courage, tels que le danger plus grand et en m^me temps la honte de fuir, la joie de la victoire, rhumiliation de la d^faite. De 1^ cette r6gle g^n^rale, qu^il faut lutter centre une passion par la representation des choses qui ont coutume d'etre jointes avec les passions que nous voulons avoir, et contraires h celles que nous voulons rejeter. Aux passions du corps , il faut opposer les emotions interieures ou les passions de Tdme , c'est>k-dire , ces passions qui sont excitees dans Tdme par Tdme elle-meme et non par quelque mouvement des esprits animaux. De ces emotions interieures dependent surlout le bonheur et le mal- beur de la vie, parce qu*elles nous touchent de plus pres. Souvent elles se trouvent jointes avec les passions corporelles qui leur correspondent, mais souvent aussi elles se rencontrenl avec celles qui leur sont contraires et leur servent de conlrepoids. Ainsi la joie morale et intellectuelle est qnelquefois unie avec la douleur physique jnsqu'au point de Tadoucir ou mdme de Tabsorber, ainsi le plaisir sensible peut etre empoisonne par la tristesse morale el par le remords, si ce plaisir est crimi- nel. (c II est certain, dit admirablement Descartes, que pourvn que notre dme ait de quoi se contenter en son interieur, toas les troubles qui viehnent d'ailleurs n'ont aucun pouvoir de lui nuire, mais plutdt ils servent h augmenter sa joie, en cc que voyant qu'elle ne peut etre offensee par eux , cela lui fait connattre sa perfection. Et afin que notre dme ait ainsi de quoi etre conlenle, elle n'a besoin que de suivre exactenient 11:8 la vertu. Gar quiconqiie a \&cxl en lelte sorte cpie sa efinfteieoce ) ne lui pettt ja^oais re^oche« quHl ait j«j»«ia mwqiai6 ik tontes / les Gtu).ies qu'U a ju{;iea Atre lea ineUleurea (qui ^sA ^ qm je ; nomine ici auivre la v«r(»)t il on E^^oil u«ie satisfaction qiM ( est si pujssante pour le rendre^ be«re«ix qae less pluayiolents \ efforts des paasioofl n'on t jafflais assf^ de pouvoir pmf Iroubler '■ la tranquillity de son dme (i). » Celte bella ecKusIqsioa da Tvaitii ies Pamon% est auMsi k» pcineipe de la morale de Descartes. Dans la pr^eie des Frincipes , il fail de la morale une des^ tf ois pcincipales braacheaqui s'^chappenl de ce grand arbre, dont la m6taphy<- su|«e est la raeine et la pbysique le irooe* et U la plaee apris toutes les autres sciences , parce qo^elle en pctenppoae la Goanaissance, ^taat le dernier degrS de la sagesse. Malheo- reusemenl Descartes ne Ta nulle part trait^e d'une manitee syst^malique , ei il en est restd k sa morale par provision^ Cepeodant, danale Jrai^d d^sPo^mtii^dans^quelques Lettres a la ceine Gbrisline et aurtoat dans les Leltres bt la princease Elisabeth, on tjroavedea traces d'ane belle doctrine morale^ digne du &piritualisn^e de sa mitaphysique. Ainsi placc-i-il lesouverain bien consid^r^ par rapport a nous daoaune ferme volont^ de bien faice et le contentemenl qu'il produit. Quant h la vertu , c*est la r^solutioo et la. vigueur avec laquelle on se porta k faire les choses qu'on croit ^e bonnes, ou que la rsdson nous conseille* Ne s^parant pas la vertu du contente- • mem qpi en est la suite , il se flatte de concilier Z^opo qu^ place le souveraio bien dans la seule vertu et Epicure qui le place dans la seule volupt^. II est impossible de plus vive-* ment sentir et de mieux exprimer que Descartes la beatitude dans la vertu et par la vertu. La satisfaction ini^rienre que sentent en eux-mdmes ceux qui savent qu^Us oe maa- quent jamais k faire leur mieux, tant pour connaltre le bien (1) TraitP des Passions, art. 148. 119 que pour Tacqu^rir , vo\\k , dit-il , un plaisir sans comparai- son plos doox , plus durable et plus solide que tons ceux qui viennent d'ailleurs (1). Mais on pent lui reprocher de parattre mettre sur la m^meligne ia vertu et le bonheur qui la suit, ou rndme de proposer cc bonheur pour le principal but, commeon le voit par celte ing^nieuse comparaison ou il explique k sa maniire les parts respectives qu'il fait dans sa morale au bonheur et h la vertu : « Gomme lorsquMI y a quelque part un prix , on fait avoir envie d*y tirer k ceux h qui on montre ce prix , et qu*ils ne le peuvent gagner pour cela s^iis ne voient le blanc, et que ceux qui voient le blanc ne sont pas pour cela induits ^ tirer s'ils ne savent qu'il y ait un prix a gagner; ainsi la verlu qui eat le blanc ne se fail pas d^rer lorsqo^on la voit tbuteseule, et le contentement qui est le prix ne pent 6tre acquis, si ce n'est qu'on la suive (2). » La morale n'en demeure pas moins une lacune fdcheuse dans la philosophic de Descartes que plusieurs de ses disciples essaieront de combler, mais non pas tous aveo le m^me bonheur. La direc- tion dtt mattre manquani , la mdoie ^cole a vu se produire en morale des systimes opposes, les uns fond^s sur Tamour- propre 6clair6, et les autres, plus conformes au spiritualisme de la m^taphysique cart^sienne, sur la justice et sur Fordre absolus. (1) Lettre a la rcine Christine, edit. Garnier, 3* vol., p. 176. (2) Lettre a la prineesse Elisabeth, ibid., p. 185. CHAPITRE VI. J>e la nature des substances cr^ees , de leurs rapports entre elles et avec Dieii. — Pourquoi Descartes ne demontre pas rimmortalite de Tame. — De Tunion et des rapports de Fame avec le corps. — ^L'homme de Descar- tes n'est pas un esprit pur. — Du siege de Tame dans le corps. — Rapport entre les divers etats de Ykme et du cerveau. — Tendance aux causes oc- casionnelles. — Qu'a-t-il manque, selon Leibnitz, a Descartes pour arriver k rharmonie preetablie? — De Tesscnce de Tame et de cellc du corps. — At- tributs fondamentaux qui les distinguent, caractere commun de passivete qui les rapproche. — Ou est la semence de spinozisme dans la philosophie de Descartes. — r Incompatibilite de la methode et des principes de Des- cartes et de Spinoza. — Conunent Descartes distingue la substance pre- miere des substances secondes , et les substances secondes des simples phenomencs. — Necessite du continuel concours de Dieu pour la conser- vation des creatures. — Comment Descartes cntend ce concours. — Iden- tite de la conservation et de la creation continuee. — Consequences de la creation continuee par rapport h la liberte et a la realite des creatures. — Critique des arguments de Descartes en faveur de la creation continuee. — Milieu entre les deux execs de la creation continuee et de Tindepen- dance des creatures. — Toutes les erreurs de Descartes ramenees au prin- pipe de )a passivete des creatures. — Descartes corrige par Leibnitz. Une des plus grandes queslions agilSes par la philosophie cartisienne est celle de la nature des substances cr^^es, de leurs rapports entre elles el avec Dieu. G'esl par Ik que nous 121 ach^verons I' exposition de la m^taphysique de Descartes. BevenoDS sur la substance spirituelley que tout d^abord nous avons saisie au sein dn je pense^ done je suts. Apr6s avoir ^tabli la spirituality de YAme , Descartes ne veut pas alter au- Aelb , it s*abstient de toute conjecture sur sa destin^e, et ne d^montre pas son immortality. Aussitdt apris avoir re^u les Miditatians^ le P^re Mersenne lui dcril que Ton s'itonnede ne pas trouver un mot de rimmortalit^ dans un livre qu'on croyait entrepris pour prouver rimmorlalitd (1). Mais Des- cartes lai r^pond, qu^on ne devait pas s'en 6lonner, ^tant im- possible de d^montrer par la raison que Dieu ne peut an^antir r^me de Thomme. L*^me est distincle du corps et par conse- quent elle n^est point nteessairement sujetle k p6rir avec le corps dont elle peut 6tre s^par^e par la toute puissance de Dieu, nulle demonstration philosopbique ne peut alter au- del^ ; et voil^ tout ce qui est requis pour la religion et toutce qu'il s*etait propose de prouver. Aussi, dans la seconde edition des Miditations^ pour prevenir une semblable objection , il substitue dans le titre, les termes de demonstration de la dis- tinction reelle de Tdme et du corps , h ceui de demonstration de Vimmortalite de Tdme. Dans une lettre a la princesse Elisa- beth, il dit, non sans un pen d'ironie, k Tadressede ceui qui pretendent en savoir plus que lui sur cesujet : « Pour ce qui est de retat de i'dme apres cette vie , j'en ai bien moins de connaissance que M. d'Igby (2). Laissant k part ce que la foi nous enseigne , je confesse que par la seule raison naturelle nous pouvons bien faire beaucoup de conjectures h notre avan- tage et avoir de belles esperances , mais non point en avoir (1) B^niet, tome 2, p. 108. (2) D'Igby etait un seigneur anglais catholiquc , auteur d'un grand ou- vrage sur Timmortalite de I'^me. Descartes Tavait rencontre a Paris et s'e- tait lie avec lui. * 122 Tassurance (1). d Id encore on ne pent sonpconner Descartes* comme Pomponai , de mauvai^ foi et de dissinnulatioo. Car tandis que Pomponat^ avanld'en appeier k la foi, s'est efforc6 de d^monlrer par la raison I'impossibUit^ de rimmortalit^, Descartes au conlraire en a dtoiontrS la possibility par la dis*- tincUon de r^me el du corps. Mais n*apparlienMl done pas h la raison de sonder les fondements de la croyance da genre humain a fininiortalild , et en est*-elle rMuite h de pures conjectures, quand, comparant avec la fin de celte vie* le d^ veloppement ind^fini auquel aspirent loutes nos tendances et loutes no6 facull^s, elle affirme que cette vie ne pent dtre le terme de notre existence, parce que, pour parler comme Descartes , Dieu ne peat ni nous tromper, ni se jouer de sa creature? Apr^ avoir consid6r6 T^me en elle-m^me, selon la mar- cbe que Descartes a suivie, consid^rons-la dans son union et ses rapports avec le corps. On ne peut sans injustice re- procber k Descartes d'avoir mSconnu la d^pendance et les relations r^ciproques du corps et de Tesprit, el d'avoir fail de Tbomme un pur esprit. Non seulementil dit queTdme est unie au corps, mais qu'elle est m^lie et confondue avec lui. Elie n'est pas dans une parlie du corps, k Texclusion des autres, parce que le corps quoique compost de parlies forme un lout, une barmonie indivisible, elle n'est pasmorcel^e dans les orga- nes,parcequ'6tanl spirituelle,ellen^a aucun rapport avec r^ten- due* Cependant,^quoiqu'il i^oitvrai dedire que Time est jointe k loutes les parlies du corps, Descartes lui assigne un point ou elle reside plus particuli^rement, un centre, d'oii sonaction rayonne dans loutes les parlies, dans la parlie la plus centrale et la plus int^rieure du cerveau, la glande pin^ale. G*esl dans le cer- veau seul qu'il place Tim^ression que Tesprit recoil de loutes (1) Baillrt, lomc II, p. 246. 123 les partie9 du corps* ei leapMsions elles-*in^nM9, quoiqu'dtes exerceot leur principale adion snr le 6oeor« II faul kmer Desciurtes d'avoir itabli iio des premiet s^ avec aiiUnt de net-* let£, que le c^rvoav esl le si6ge eiclusif de t'dme.Il avail m^e CTQ reeoonatlra Qne correapondance enire certaiDs ^lata du carveaiietcef tains dials de I'dme* e( il pensail que la nakare du (mvem modife te lien qui ratlaehe rame an eorps, el loi parmel ptua oamoins da s'affrandiir des iinpressioiis des sens. Uaoae ne pau( s'en d^gager quaed elie est joiute h qb cer- \e9m irop niqa el trof^ hisinide, comme dons un eufSanl, oi qoaod .eile est joMe k uu cerveau mat affects, comme il aiFJ¥<) 4*01 certaiDes aniadies el dana wi soaflmeil profond. EafiD,. Descartes a si peu m^conDU la relatitMi du corps et de respritqu'il dil, daosla sixii^me parlie du Dtscoar^ d# h» MHhod^ : « L'espt il depend si fort do lemp^ameol el de la dispoailion des org aoes da corps, que s'il est possiUe de Irou^ var quelqae moyea qui reode cemnuiii6m«iil les hommes plus sages et plus habiles qu'ils a'onl itk jusqu'ii present, je crois qaa c'esi dans la midecine qit'il faol \e cherdier. » II se defend d'avoir jamais doand h entendre , que le corps ne fll pas parlie de Teasenoe de rbemme enlier , et d'avoir 616 au-deUi de celte canctasion , que Time pdellement disliaeie du corps, pent en 6lre $6par6e par la toute^^-paissaace de IMeo. 11 se defend m^tat de n^ avoir fail de I'lMiDiBe qa'un esprit se servant du corpa* a II m'a sembl6, rdpondkil k Arnauld* qae j'avais pris garde assez soignense** neni h ce que personne ne pdl pour oela penser que Phomne n'est rien qu'uo esprit usant ou se servant du corps... Je ae pense pas avoir Irop proav6 en moiitrant que Tespril pent 6tre sans le corps* ni avoir aussi trop peu dit en disant qu1I lui esl sobstantiellement uni (1). » Le spiritualisme de (1) Reponsc aux obicetions d'Arnaukl. 124 Descartes ne piche done pas par celte ridicale abstraction du corps, d^s cetle vie* surlaquelle Gassendi et les J^suites aiment tanl ^ plaisanter. Les dmes cart^siennes qui quittent et reprennent leur corps a volenti , grdce aux merveil lenses receltes de Descartes, n'existent que dans rimagination et les ' romans du P. Daniel et de Huet. Mais si Descartes ne fait pas abstraction du corps, comme il en a iii accuse, il est vrai que son spirituaiisme a un caract^re abstrait, et que cette union de Tdme et du corps tend h se convertir en une simple cor- respondance , parce qu'il a placi la notion de Tdme en de- hors de celle de la force (1). En effet, comment Tdme digpouillte d'activiti propre, ou bien la pensie, agirait-elle rtellement sur 1e corps et comment le corps, c'est-^-dire, Titendue mat^ rielle, agirait-elle h son tour sur YAme ? voil^ ce probl^me de la communication de Tdme et du corps qui tiendra une si grande place dans rhistoireducartisianismeetengendrera de si timiraires et si brillantes hypotheses. Descartes en est visiblement trouble et embarrass^. II est sur la pente qui conduit aux causes occasionnelles ou ^ Tharmonle priitablie, mais il s'efforce de s'y retenir. Gependant, qui ne voit d6ji, m£me dans Descartes, qu'entre ces deux substances opposies le seul midiateur possible* sera Dieu ? Descartes refuse k T^me et h toute substance le pouvoir de produire du mouvement, et suppose que la quantity de mou- vement mise par Dieu dans le monde, Aks Torigine des choses, demeure invariable. II n*est pas donn6 aux itres criis de changer la somme totale, mais seulemenl les directions du (1) A propos dc rinfluence des mouvements de la glande pineale sur les mouvements de Tame, et de cette union qu'il admet entre I'ajne et le corps, Spinoza reproche a Descartes de se contenter pour expliquer une chose obscure d*une hypothese plus occulte que les qualites occultes elles-memes. Quelle idee claire et distincte pouvons-nous avoir d*une pensee etroitcraent unie a une portion de Tetendue? (EM., part. 5. Avanl-propos.) 125 mouvement. L'dme eslsemblable au cavalier qui peut bien diriger h son gr^ les mouvements du cheval qui ie porte, mais qui ne peut ni augmenler ni diminuer en elle-m^me la force qui produit ces mouvements. Parmi les successeurs de Des- cartes, bienldt il s'en trouvera qui nieront a Fdme Ie pouvoir de diriger comme celui de produire Ie mouvement. Leibnitz partant de cetle premiere loi de Descartes, y ajoute cette se- conde : ar que certains mouve- ments se produisissent dai35 les corps^ k Toccasion de cerlaiues inclinations de notre volonl^, on voit encore qu^entre ces mouvements et ces incliaations il y a correspondaoce, mais non action rteiproque. Ainsi Taclivil^ m^connue de T^me en parliciilier et des substances cr^&es en g^n^raU conduil presque irr^sistibteoient Descartes k la negation de toute action f^ciproque entre r^me et le corps et aux causes occasiminelles. Toutefois^ il ne tire nuUe part express^ment ceite consequence, qu'il n'y a point de communication riielle entre Time et le corps et eatre les substances cr^es, et c*est par li qu'il se distingue de ses successeurs de Genlius , de Gordemoy, de MalebraAche et de Leibnitz. Non seulement il n'avone pas eette cons^qnenoe, mais m^me il proteste contre elle : « Que Tespril qui mi i»- corporel puisse faire mouToir le oorps^ il n'y a ni raisoane- menty ni comparaison lir6e des autres cboses qui nous le putsse apprendre, mais n^anmoins nous n en pouvons douter^ puis- que des experiences trop certaines et trop Andantes nous le font connaitre tons les jours manifestement. Et il faut bian prendre garde que cela est Tuiie des cboses qui sont covnues par elles-mdmes, etque nous obscurcissous toutesled fiMsqae nous voulons les expliquer par d'autres (2). » (1) Edit. Garnicp, 3« vol.,p. 210. — LettreSi fe princcssie^lisaLctli. (2) Ed. Cousin, tome X, p. 161. 127 Gomparons mftinlenaal ensemble cesdeut natufes du corps ei de I'esprit telles que les d^BDit Descartes. L'une et Vautre ne Dous son! Gonnues que par tear attribat fondamental, par oft Descartes entend I'altribut sans lequel nous ne pouvons concevoir une substance et duquel tous les autres dependent. Tontes les propri^t^ que nous tronvons dans TAme pr^snp*- posent la pens^e, ou ne sont que la pens^e elie-m^me diver^ sement modifi^ ; c'est done la pens^e qui est Tattribut essentiel de Tesprlt. Tous les ph6nom6nes mal^riels s^ ram6nen( ii r^tendue diversement modifi^e, et s'eKpliquent par la seule ^tendue ; done c'est I'^tendue qui est Taltribut essentiel du corps. Essence el attribut fondamental sont des termes syno- nymes dans la langne de Descartes. L'^tendue est Tessence du corps comoie la penste est Pessence de Tesprit. Par la pena6eet par r^tendile, Descartes explique qu'il entend des princrpes, des essences v^ritables, d'oji naissent tous les ph^^ nomtoes de Tame et tous les ph^noni^nes du corps, el non des qualit^s g^n^ates, abstraites de ce que Tentendemeut d^-^ couvre de commun entre lousces ph^nom^nes: aParlapens^ je n*entends pas quelque cho^e d'universel qui comprenne toules les luaniferes de penser, mais bien une nature particu- like qui recoil en soi tous ces modes, ainsi que Textension est one nature qui revolt en soi toules series de figures (1). n Par leurs attribuls fondamenlaus, les substances spirituelles et mai^rielles se dislinguent done profond6ment les unes des autres. Mais, melgr^ cette opposition des attribuls, etles ont un caract^re commun de passively par lequel elles tendent h se rapprocber et m^me h se confondre. La pas^vet^ de la matr^re rdsuite de sa difintti<)n m^me. L'inerlie est le propre dela simple dlendue ou extension. La propri^l^ du mouvement n'est poinl inh^renle a la mali^re, (1) tdit. Gamier. Lcttre 58, tome IV, p. 205. 128 elle iQi est communiqu^e par Dieu qai la crte avec oa san^ le moQvement des parties, e( qui la lui conserve par Faction imm^iate qu'il eierce sar elle. D'un autre cdti, continuelie- ment j*ai signal^ dans toute la doctrine de Descartes la ten*- ^ dance h 6ter k rdme, comme aa corps, toute esp^ce d*activil6, pour faire de Dieu le seul acleur. Rappelons seulement, que tout d*abord il exclut de I'dme la notion de force ou de cause, en la d^finissant une chose qui pense ; qu il confond la vo- lont^avec lejugement, la conservation avec une creation con- tinu^e , et qu'il fait T^me passive par rapport aui id^es de Tentendement, et m6me par rapport aux inclinations de la volont^. Dieu, selon Descartes, ne serait pas souverainement parfait s'il pouvait arriver quelque chose dans le monde qui ne vtntpas enti^rement de lui: « La seule philosophic suiBt pour connattre qu*il ne saurait entrer la moindre pens6e en Tesprit de rhomme que Dieu ne veuille et n'ait voulu de toute ^ternit^ qu'elle y entr^t. » Nous Tavons vu comparer r^me et ses id^es avec un morceau de cire et les diverses figures qu^il peut recevoir (1). 11 est vrai que Descartes ap- pelle les volonl^s des actions. Mais il s'agit de savoir si ces actions sont bien r^ellement des actions de notre dme, si ce sont nos propres actions ou bien celles de Dieu. Or, il dit eipress^ment que c'est Dieu qui met en nous les inclinations de la volenti, a Avant qu'il nous ait envoy^s en ce monde, Dieu a su eiactement quelles seraient toutes les inclinations de notre volont^ ; c'est lui-m6me qui les a mises en nous (2). » Done il n'y a ni la 'moindre pens^e en notre entendement, ni une seule inclination dans la volenti dont Dieu ne soit Tau- teur en nous. Done nous ne faisons rien, car Dieu fait tout, dans le monde de Tesprit comme dans celui de la matiire. (1) Edit. Cousin, tome IX, p. 166. (2) Edit. Gamier, tome III, p. 310. — Lett re a la princesse Elisabeth. 129 Voil^ done un caract^re essentiel, celui de la passively qui rapproche ces deux natures qui tout h Theure nous parais- saient si profond^ment oppos^es. Ne peu(-on par la pens^e faire abstraction des modes qu^elles reooivent, abstraction d'autant plus facile que, d'apr^s ce qui pr^cide, ces attributs sont des modifications que Dieu produit directement dans chacune de ces substances et non des modes ^mananl n^cessairement de leur activity essentielie ? Que reslera-t-il soitde la substance spirituelle soit de la substance mat^rielle, sinon de part et d'autre une pure passivet^^ une eiistence inerte ? Or par ou distinguer la pure passivet^ de la pure passivet^ ? L'inertie absolue ne se confond-eile pas n^cessairement avec Tiner- tie absolue et n'enl6ve-(-elie pas toute prise h la distinction? Done, malgr^ la distinction de leurs attributs fondamentaux^ nous courons le risque de confondre les deux essences de )( Tesprit et du corps en une seule et m6me substance, sujet commun des deux attributs opposes de I'^tendue et de la pens6e. Ainsi la distinction essentielle de Ti^me et du corps, point de depart de la philosophie de Descartes , est com- promise par la passivet^ absolue des substances cr^ees. Derri^re ces deux attributs fondamentaux de Titendue et de la pens^e purement passives, comment se d^fendre de conce- voir autre chose qu'une seule et m^me substance inerte, sem- blable h une mer immobile et sans fond, oil tout va se con- fondre et s'engloutir? Je viens dMndiqner sinc6rement la \ semence du spinozisme contenue dans la philosophie de Descartes. Qu'on se garde n^anmoins de conclure que Des- cartes n^cessairement conduise h Spinoza. Gar, h c6t6 de cette pente qui m6ne de Tun h Tautre , quelle n*est pas d'ailleurs Topposition des principes de la m^thode de Descartes avec les principes et la m^thode de Spinoza, et ou prendre de plus fortes armes centre KEthique que dans le Discours de la Me- thode et dans les Miditalions ? I. 9 130 Nod seulement la m^thode de Descartes , qui pari de rhomme poor s'^Iever k Dieu, est diam^tralement op- pos^e k celle da panth^isme, mais on ne peut tnieux mar- quer que Descartes la distinction de la substance pre- miere et des substances secondes, des substances secondes et des purs ph^nom^nes : c< Lorsque nous concevons la sub-* stance, nous concevons, dit Descartes, seulement one chose qui existe en telle fagon qu'elte n'a besoin' que de soi«*mtoe pour exister. » Mais il sail parfaitement qu'il en snivrait que Dieu seul est substance, parce que Dieu seul existe par lui- m^me. Aussi, k la difference de Spinoza, s'empresse-t-il de restreindre immediatementcette definition h la seule substance de Dieu en ajoutant : a G'est pourquoi on a raison dans r£cole de dire que le nom de substance n'est pas uuivoque au regard de Dieu et des creatures, c'est-ii-dire qu'il n'y a aucune signification de ce mot que nous concevions distincte- ment laquelle convienne en mftme sens h lui et h elles ; mais parce que, parmi les choses creees, quelques-unes sontde telle nature qu'elles ne peuvent exister sans quelques autres, nous les distinguons d*avec celles qui n'ont besoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-ci des sub- stances et celles-l^ des qualites ou des attributs de ces sub- stances. Et la notion que nous avons ainsi de la substance creee se rapporte en m^me fa^on h toutes, c'est-&-staiitceB Aeieoiides ei\s$ pars pbitonoitoe^. Ia sntotAnce j^eoiiire^iiste pgr floi, a ^e, les ^ub^iice$ secondeB exisleflt par le seul concoan da DiWt et »an$ celui d'ancooe fiutre chos^ qr46e« elles eijateol en sai el non pa$ par soi, snivant la di9(iiiQlien qn'oppiiMe Bif^ a Spiooi^a^ c'e&l^&-*4ire eUes ^Mi h .elle$^a»6oN^ leur proptre si^^t, iwdie que les ph^nomio^^ iDddpefidamniefii dii concpws de J)ien9 'i''^ besoio du ccmkoutb d'une antra chose cr^e ipi en soiUe BujeU L'e^i^tooce en boa, rexistonM propre* mais xion niieefisaire, Te^icliisiM M Umie juMnaaee daiid an autre siqet, mais nan pas Tiodiipendaooe absolue k r^rd de la cause efSciente, voilji la rraie d^niUon de la sahslaxu^ cr^tet La substaDce soooode existtint par le aetti concours de J)ieu devient un centre d*iiotivit6 ^ ie »««• jet de loanifesXaitions qm se rappordent dineiBliemeftt k ^ie coname jiiodes ^m pbAnom^nes^ tandis q^ie le pli^ifteina^ne, modificalion j^asaag^re d'xm 6tre, ne pent ei;.is(6f ind<^peii«- damment de oet 61r^ m devenir ^ stn jUhn* le aujet d'aucwe autre JUiedlfi£Ation« Telle est la diffiirenoe fondamentale q^i B&paxe les ^tres seconds des purs phtaoiii6«e9.et 'fQi emp^che de les confoodre, qooi4iue d'aiUeurs les wis et ks aplres n'eiistenJl <{ue parle concoursde Dieu, et ^teHeest la ^r^ liucliOQ gu'^avec Descartes nons opposerons & SpH)oaa. Descartes diiniontre avec une grande force ceUe n^oessit*^ d'uu.cQncQnrs continnel de Dieu pour riexjstancedes oriatnres. A ceux ^ni s^imagioent ««e ,les ^hfses, une fois produHes, peu«- vent subsister ind4pendaou»ent du coneours de Dieii, il n^ substaniiam definH rem a se subsisteiitem unde totum pantheism! systema huic falsae definitioni inaedificatum sua mole ruit. » (Voir la Dissertation du cardinal Gerdil sur rincompatibilite des principes de Descartes et de Spi noza.) 132 proche de confondre ensemble les causes qu*on appelle dans r£cole secundum fleriy c*est-i-dire,dequi ies effets dependent, quant k la production, avec celies qu^on appelle secundum esse^ c*est-^-dire, de qui Ies effets dependent, quant 6 leur sub- sistanCe et continuation dans Tfttre. Ainsi I'architecte est la cause de.la maison, et le p6re la cause de son GIs, quant k la production seulement. C'est pourquoi Touvrage achev6 peut subsister et demeurer sans cette cause, mais le soleil est la cause de la lumi^re qui precede de lui, et Dieu est la cause de toutes les choses cr66es, non seulement en ce qui V depend de leur production, mais m^me en ce qui concerne leur conservation ou leur dur6e dans T^tre (1). « Lorsque vous dites, r^pond Descartes k Gassendi, qu'il y a en nous assez de vertu pour nous faire pers^v^rer, au cas que quel- que cause corruptive ne survienne, vous ne prenez pas garde que vous altribuez h la creature la perfection du cr6atenr, en ce qu^elle pers^Vjfere dans I'^tre ind^pendamment de lui. » D^veloppant en d^autres termes la pens^e de Descartes, nous dirons que cette n^cessit^ d'un conconrs continuel de Dieu r^ulte de la notion m^me des 6tres cr66s el finis. Les ^tres crMs ne peuvent se sufQre k enx-m^mes, puisqu'ils n^existent pas par eux-m6mes. Ce qui n'existe pas par soi est en une d^pendance n^cessaire de ce qui existe par soi ou, pour ren- dre la chose plus sensible, ce qui ne se soutieot pas par soi- m^me a besoin d'etre continuellement soutenu. D*ou derive ce qu'il y a de rdel dans Ies creatures sinon de la source de toute r^alit^, c'est-i-dire de Dieu? €omment se conservera dans Texistence la r^alit^ des creatures, sinon par un rapport continuel avec cette source de toute r6alit(^? La seule suppo- sition d'une creature s^paree de Dieu nous semble contra- (1) Reponse a Gassendi. 133 dictoire, car c'esl la supposition d'uii ^tre existant en dehors de r^tre infini. Gomiuent Dieu serai(-il Infioi si quelqae chose existail en dehors de lui, si les creatures ^talent s^pa- r^ de lui, si elles cessaient de reposer sur lai, si elles ne tenaient pas par un lien n^cessaire k sa r6alit6 supreme ? Qaiconque place, loin de Dlea, le monde eties creatures, et meconnatl leur d^pendauce coDtinue h regard de Dieu, Irans* forme, qu*il le sache ou noh , les creatures en des 6tres existant par eux-m^mes , et nie implidtement I'infinit^ de Dieu. Descartes, comme tous les grands m^tapfaysiciens , se mootre p^n^tr^ de celte v6rit6 de la d^peadaoce continue des creatures k regard du cr^ateur, qui, du maftre, a pass6 daos r^cole tout enli^re. Mais le lorl de Descartes et da cart^sia-*. nisme, est d'avoir entendu ce coocours au sens d'une creation - continu^e, qui enl6veaux creatures toute r^aliiSy en identi- fiant la conservation des creatures avec la contioaelle r^p^ti- tion du premier acte crtoteur qui leur a Gonf6r6 Texistence. Si conserver et cr^er derechef ^taient en effet une seule et m6me chose, toutes nos pretentions, non seulement h la li- berty , mais k la substantiality et ^ rindividualit^ , a une r^alite quelconque, s^en iraient en fum6e. Cr^s k chaque instant dans notre^tre premier, c^est-&-dire , dans noire substance, nous le serious aussi en consequence dans notre^tre second, c'esl-^-dire, dans nosroodes,et avec naspenseesetnos volontes de chaque instant. Par une consequence rigoureuse, comme Tobjecte tr^s-bien un des^adversaires de Descartes, la creature ne sera plus qu'une influence ou un ecoulement de Dieu,un simple accident semblable au mouvement local. Que sera done rhomme,siaon un acte repeie de la toute-puissance divine, une simple operation de Dieu , comme le dira Glau-f berg? Mais voyons quels sont les arguments de Descartes en fa^-> veurde la creation continuee?C*est d'abord Tlndependance des 134 ptrties de la dar^e donl il a M6 d^jii question dans lexpost- UoD de^ preuves de FeiiMence de Dieu. De cede inddpeo- dance des parlies de la dnr^ed'ufi 6tre, DescQftes caniilat qa'il ne pent conlinuer d*exis(er qn'ji ]a condiUon d'etre 6rMr k chaque instant de son eiistence, toot ccminie dans le premier. II a'appaie aossi sar la dignity et laf puissance de Dieo : « Dieu ^ ditr-il , ne ferait pas paraltre que sa puis* sance est immense^ s'il crdait des choses (elies que, par apr6s, elles pussent exister sans lui, mais, au conlraire, ii montre- rait par \k qii'elle serait finie , parce que les choses qu^it aurait une fois cr66es ne d^pendraient plus de lui pour 6tre. Enfin si la conservation n'^lait pas une conservalfon conti- nate, Dieu ne pourrait nous faire cesser d'etre, que par une action positive qui aurait pour terme le n^nt^ tandis qu'il est impossible de eoncevoir que Dieu d^truise quoi qtiece sott, aulrement que par la cessation de son concourse i> Ne peut-*on r^ondre h Descartes, qu*en effetde cequ*un 6trea exists, le moment d'avant, il ne suit pas qu'il doive exister, le moment d^ap#6s^ mats que ia senle conclusion a tirer, c'est qn'A tout instant une cause plus puissante peut ditruire la raison d'existence qui est en nous, et non qu'A ehaque instant ii faudra une creation nouvelle pour le maintenir dads Texi- stenoe ? Sans doute Dieu ne ferait pas parattre sa puissance sMl cr^ait des choses qui, par apr6s, pussent exister ind entendu an sens d'une simple par-^ ticipation, Tetre cree continue d*exister conformemeut 4 des lois geoerales et seulement en vertu de la racine par laquelle il plooge, pour ainsi dire, dans Tinfini pour y puisar lout ce qu'il ade realiie. L*eRtretien el ralimentation, vorl^ tout ce « ^ 136 qu'exige la creature pour pers^v^rer dans T^lre, En cons6- qaence, au Heu de n'^tre qu'un acte r^p^l^ de la toute-puis- sance divine , elle garde sa forme et son essence propre , sa r6alit(^ dislincte, pour devenir h son lour le sujet d'actes et de ph^nom^oes qui se rapporlent h elle directement. Getle erreur de Descaries a pass6 dans son £cole tout entiire. Tous les philosophes cart^siens sans exception , m^me les plus cir- conspects, Arnauld comme Malebranche, soutiennent la doctrine de la crMion continu^e, mais ils d^duiseot diverse- ment, avec plus on moins de fernfiet^ el de logique, ses conse- quences par rapport h la substantiality des creatures el k la liberty de Thomme. Par tout cequi pr^c^de, on comprendque la grande erreur de la m^taphysique de Descartes, est cette tendance k d^pouil- ler les substances cr^^es, sans en excepter Tdme humaine, de toute force et de toute activity. Tel est le principe auquel se ram^nent toutes les autres erreurs que nous avons signal^es. Yoil^ pourquoi Descartes ne voit dans Tdme qu'une chose qui pense et qui regoil des id^es, de m6me que la cire revolt des figures ; voilli pourquoi il est oblige de recourir a Targument de la v^racite divine pour justifier la croyance a Texistence du monde ext^rieur ; voili pourquoi il confond la volont^ avec le jugemeut ; voil& pourquoi il tend aux causes occa- sionnelles ; voill^ pourquoi il identific la conservation des 6tres avec la continuelle repetition de facte crealeur ; voil& pour- quoi enfin « comme nous allons le voir, jl fait des animaux de pars automates, c*est*^-dire, de I'etendue inerte soumise aux lois generales du mouvement ? Si toutes ces erreurs se rap- portent k un meme principe, on les redressera en redressant ce principe , et en opposant k fidee fausse de la passivete ab- solue Tidee vraie de racliviie essenlielle de Tdme en particu- lier et de toutes les substances creees en general. La separa- tion de ridee de substance d'avec I' idee de cause, tel est le 137 grand vice de la m^laphysique de Descartes, l*idenliGcaUori de Tid^e de substance avec Tid^e de cause, tel est le grand nitrite de la m^taphysique de Leibnitz. G'est avec Leibnitz que nous corrigerons Descartes. CHAPITRE VII. De rautomatisme des betes. — Tendance des philosophes sceptiques et empiriques a mettre la bete au niveau de Thomme. — Montaigne, Gharron, Gassendi. — Exces contraire de Descartes. — Hors de la pensee humaine, rien que ie mecanisme dans Tanimal comme dans le corps humain. — L'Ecole et le sens commun contre I'automatisme. — Sentiment d'Aris- totc. — Objections et reponses. — Descartes a-t-il emprunte I'automa- tismc aux anciens ou a Gomez Pereira ? — Raisons morales et theologiques en faveur de I'automatisme. — Danger pour I'immortalite dc Vkme hu- maine ct pour la Providence divine d'accorder une ame aTanimal. — Au- tomatisme en theorie et en pratique de Malebranche. — Cruautes carte- siennes de Port- Royal sur les animaux. — Plaisanteries du P. Daniel con- tre I'automatisme. — Dissidences ausein mcme de Tecole cartesienne sur rautomatisme. — Embarras dc I'Ecole pour donner a Tanimal une ame d'une nature mitoyenne entre I'esprit et la matiere — Protestations de M™e de Sevigne et de La Fontaine contre Tautomatisme. — Ecrits innom- brables pour ou contre. — Retorsion par les sceptiques et les materialistes des pretenducs utilites morales et theologiques de I'automatisme. — ^Bayle et Lamettrie. — Relati|>n de I'automatisme avec toute la metaphysique de Descartes. — Necessite d'accorder aux betes une ame spirituelle. — Su- periorite el excellence des facultes de I'ame humaine. — Diflfercnce essen- tielle de I'homme et de la bete — De I'immortalite metaphysique qui est le propre de la bete. — De I'immortalite morale qui est le propre de I'homme. — Le probleme de la souffrance de I'animal ramene au probleme plus ge- neral de I'existence du mal. — La chaine des etres brisee par Descartes, rcnouee par Leibnitz. Avant de passer a la physique, arr^tons-nous a la C(^i6bre hypotb^se de rautomatisme des b^tes, par iaquelle Descartes 6te aux animaux non seulement T intelligence, mais encore 139 le seDlimenlet la vie, pour les traDsfonner eD de simples aa- lomales, dont les mouvementss'expliquentpar lesseales lois de la m^canique. La question de la nature des animaux est bien digne des meditations d'un philosophe. Selon la solution qu'elle regoit , elle affaiblit ou fortifie les fondemenls de la foi en noire propre spiritualil^, elle obscurcil ou ^claire les rap- ports de Thomme avec la nature. Malbeureusemenl presque toujQurs, comme s'il s'agissait de Tbomme lui-m6me, Tesprit depart! el desecte s'en est mdl^, et c'est avec des vues syst^ma- tiques arr^t^es & Tavance, que la plupart des pbilosophes Tout trait^e et risolue. Lesuus ont exaltd les b^tes k Teffet de ra- baisser I'bomme^ les autres pensant rehausser la dignity bumai- ne, les ont rabaissies outre mesure, jusqu'au rang de simples machines, Sur les traces de Gelse dansrantiquit^, Rorarius, Montaigne* Gbarrou et Gassendi , peu de temps avaot Des- cartes, etaient tomb^s dans le premier excks. Rorarius, au XYP si^cle , a ^ril un livre pour prouver que les bdtes se serveut mieux de la raison que leshommes (1). Telle est aussi la th6se soutenue par Montaigne dans son apologie de Ray^ mond de Sibonde. II veut faire rentrer dans la presse des CF^alures Tbomme qui , dans son orgueil > aspire k se mettre k Titeart* II voit plus de difiEference d'homme h homme qued^ b^lte a homme. a La mani^re, dit-il, de naiUre, d'eugendrer, nourrir, agir« mouvoir, vivre et mourir des b^les 6lant si voi* sine de la n6tre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices etque nous ajoutons k notre condition au-dessus de laleur, nepeut aucunement partir du discours de la raison. » II abonde en r^cits merveilleux, plus ou moins suspects, de rinleiligence et deTinslinct des animaux. Le seul instinct lui est bon, tout comme rintelligence , en faveur de sa Ihfese. (1) Voici le titre dc son ouvra|^ : Quod animalia bruta eeepe roHane utantur melius homine. Libri dno, in-12. 140 Si ranimai agit en effel par instinct, c'est que la nature lui a donn^ d'accomplir mieux el sans effort ce que rhomme ne peut accomplir qu'imparfaitement el avec plus d'efforl, et \h encore il veul nous forcer h reconnatlre un litre de su- periority de la b^le sur Thonoinae* Gharron r^p^te Montaigne. II voit plus de difference d'homme h honoime que d'homme k b^te , il est frapp^ du voisinage et du cousinage entre Tbomme et les autres ani- maux (1). Gassendi a le m^me penchant a exag^rer les senti- ments et Tintelligence chez les animaux , et h prendre les impulsions aveuglesde rinstlncl pour des calculs de la raison(2). Voltaire aussi se plaira a comparer les b^tes avec Vhomme pour en tirer des arguments conlre la spirituality. C'est la tendance commune de T^cole empiriquede beaucoup donner h Tanimal et de beaucoup 6ter k Thomme. Port-Royal in- dign^ a Ianc6 Tanath^me conlre cette doctrine impie qui Hk\e la bete au niveau de Thomme. Mais k son tour il tombe dan^ un autre exc^s , k la suite de Descartes, en ne voyant dans les b^tes que de pures machines d^pourvues d'intelli- gence, de sensibility et mdme de vie. En effet, Descartes supprime tous les interm^diaires entre la pens^e consciente d'elle-m^me, r^fl^chie, telle qu^elle se manifeste dansrhomme,el r^lenduemat^rielle. DansThomme el hors de Thomme, il ne veut admellre aucun principe inf^- rieur de sentiment et dlnlelligence, ni mdme aucune force (1) De la Sagesse, livrc I, chap. 8. (2) Henri Moms dans ses Objections contre Tautoinatisme semble croire que les perroquels el les pies parlent, avec I'intelligence : « Est-il possi- ble que les perroquets ou les pics pussent imiter nos sons, s'ils n*entcndaient ct s'ils n'aperccvaient pas par Icurs organes cc que nous disons ? » On con- nait la risible histoirc des conversations du perroquet du prince d'Ocange serieusement rapportee par Locke. 141 instinctive et vitale. II ne voit dans le corps qu'une ma- ti^re inerte, ou tout doit s'expliquer et se produire par las lois g^n^rales du mouvement. Toutes les impressions sar le cerveau , toutes les fonclions des organes , ne sont pour lui qu un pur m^canisme, mis en jeu par les mou- ?ements divers des fibres, des fluides, des esprits animaux qui d^coulent du cerveau dans les muscles, ou bien remontent du cceur dans le cerveau. Or, il pretend tout expliquer dans les animaui, comme dans le corps humain, par T^tendue et par le mouvement. Les animaux, selon Descartes, ne sont done que de simples machines soumises aux lots g^n^rales de la m^canique, comme celles qui sortent de la main des hom- mes ; elles n*en diffiferent que par le degr^ de perfection. Si Tanimal d^pourvu de toute spontaneity et de toute initiative, h la vue d*un objet, accomplit un certain acte, c^est que cet objet a produit sur lui une impression , et a mu un certain ressort, en vertuduquel les esprits animaux I'ont pouss^ k un certain mouvement. Une horloge compos^e de roues •et de ressortsplus ou moins compliqu^s, qui ne marche quelors- qu'elle a &i^ mont^e, et ne produit tel ou tel mouvement qu'au- tant que tel ou tel ressort a 6t6pouss6, voil^ Tanimal^selbn Descartes. Supposez un ouvrierassez habile pour construire une machine/parfaitementsemblable^ toutes les parties d'un ani- mal, et cette machine, fonclionnant comme cet animal lui- m^me, ii serait impossible de disUnguer Tanimal de la machine. Descartes le dit dans la cinqui^me partie du Discours de la MHhode : « Et je m'^tais ici particuli^rement arr^t^ h faire voir, que s'il yavait de telles machines, qui eussent les organes et la figure ext^rieure d*un singe ou de quelqu* autre animal sans raison, nousn*aurionsaucunmoyen derecoonattrequ'elle ne serait pas en tout de m^me nature que ces animaux. » Une telle hypolh^se semblait un d6fi jel^ au sens commun, et ind^pendamment du sens commun elle avail aussi centre 142 elle Aristote el Ttcole. En effet, Aristote considire I'dmc humaine non comme un ^tre h part, inais cotnine le dernier lermed^nne s6rie compos^e des dmes des plantes et de^ dmes des animatix ; ei il adroet des faeult^s, telle que la sensibllU^, commune h Thomme el h Tanimai. Cependant c'est en vain qu'oTi croyail accaWer Descartes de toutes ces industries mer- yeilleuses, de tons ces actes si nombreui et si divers, qui &t«- testenl dans les animaux le sentiment et un commencement d'iiitelligence. Loin de s'avouer Taincu , il s'en empare comme d'un argument pour sa doctrine. Plus les actes at-* complis par les animaux «ont merveilleui et surpassenl Tin- dustrie humaine, plus il est Evident qu'ils sontle produft d'une action m^canique, dont il faui renvoyer tonte la responsabi-* lit^ et toute la gloire h I'auteur m6me de la machine et de ses divers ressorts. « Ce qu'ils font mieux que nous, dit-il dans le Discours de la JUithode, ne prouve pas qiiMIs out de Tesprit, car, h ce compte, ils en auralent plus qu^aucun de nous et feraient mieux en toutes choses, mais prouve pluUVt qu'tis n'en ont point et que c'est la nature qui agit en eux, selon la disposition de leurs organes, ainsi qu'on voit qu'une horloge, qui n'est compos6e que de roues et de ressorts, pent compter les heures el mesurer le temps plus justement que nous avec noire prudence. » D'ailleurs tons ces traits rap- port^s en Thonnenr des animaux fossent-ils vrais, il n*en est pas un qui suppose n^cessairement en eux la pens^e, d*aprte ce pr^tendu principe mis en avant par Descartes, qu'aucune action ext^rieure ne suffit h prouver qu^un corps est autre chose qu'une machine, si ce n'est les paroles ou les signes d'une autre nature, h propos de sujels qui se pr^sentent k nous sans se rapporter h aucune passion. Or ce signe exld- rieur, seul caract^ristique de Texistence de la pens^e, n'ap- parlient qu*5 Thomme. c< Gar bien que Montaigne et Gharron aient pr^tendu qu*ii y a plus de difference d'homme k homme 143 qae d'homme h b^te, il iie s'est (roav6 aucune b^te si par- faite qu^elle ail as6 de quelques signes pour faire entendre i d*autres animaux qaelque chose qui n'eAt pas rapport k ses passions (1). » Telle est Thypothfese cart^sienne des animaat-machines on de rautomatisme des b^tes. On a cru, mais ^ fort, en troover des traces dans quelques passages de philosophes anciens, et sartout de saint Augnstin (2) Ces passages signifient senlement queranimal est destitu^de raison etd'dme intellectuelle, mats non pas de tout principe de vie et de sensibility. Pour la pre- miere fois, on rencontre ce sentiment clairement exprim^,- dans un ouvrage de 6om6s Pereira, mMecin espagnol, inti-* tnie, da nom de son pkre et de sa m^re , MargaritchAnto- niana. Selon Pereira, si Ton prend les actes exl^rieurs des brutes pour des signes de sensibility et d'intelligence, on se- rait conduit k leur accorder autant de raison qu'ii Thomme Iui-m6me. Get argument est aussi dans Descartes , n^n-* moins il est probable que Descartes n'a pas connu le livre de Pereira, et ne lui a pas emprnnt^ Tautomalisme des bdtes, qui, comme nous le verrons, d^coule rigoueeusement de ses principes g^n^raut sur la nature des 6tres. Ge n'est pas seulement par des raisons m^taphysiques etphy- siologiques, mais par des raisons morales elth^ologiques^que Descartes s*efforgatt de d^fendre Tautotoatisme des hHes : «Apr6sl'erreur de ceux qui nient Dieu, il n'y en a point qui eioignepluldt les esprits faibles du droit chemin de la vertu,que (1) £dit. Cousin, t. IX, p. 425. (2) Voici un des passages de saint Augustin , ou Ton a cru trouver cettc opinion : « Quod autem tibi visum est, non esse animam in corpore viventis animalis, quanquam videatur absurdum, non tamen doctissimi homines qui- bus id placuit, defuerunt, neque nunc arbitror deessc. » {De quantitate animce, cap. 30.) 144. d'imagiDer qae Tdme des b^tes soit de la ro^me nature qae la Ddtre, et qae par cons^qaenl nous n'avons rien k craindre ni k esp^rer apr6s cette vie, pas plus que les moucbes et les fourmis, au lieu que lorsqu'ou sail combien elles diffi^reot, on comprend beaucoup mieux les raisonsqui prouvent que la n6tre estd'une nature entiirement ind^pendante du corps, et que par consequent elle n'est pas sujette h mourir avec lui ; puis, d^aulant qu'on ne voit point d'autres causes qui la d6-r truisent, on est port6 naturellement k juger de la qu^elle est immortelle (1). » Yoici encore un autre avantage moral qu'il fait valoir en faveur de son sentiment : a Hon opinion n*est pas si cruelle aui animaux qu'elle est favorable aux hommes, puisqu'elle les garantit du soupgon m^me de crime quand ils mangent et luent les animaux (2).» Quelques th^ologiens god- tferent fort ces raisons morales et jug^rent, d*accord avec Descartes, qu*en effet il y avait danger pour la dignity de Tdme humaine et pour le dogme de Timmortalit^, k admettre Texistence d'unedme dans I'animal. La faisait-on mat^rielle et p^rissable, il ^tait k craindre que les libertins et les impies n*en conclussent par analogic la materiality de Tdme humaine. La faisait-on au conlraire spirituelie et immortelle, on egalait les destinies de Tanimal et celles de Thomme, on mettait Tdme de la bete au meme rang que la n6tre. lis crurent aussi y de- couvrir des utilites theologiques pour la defense de la provi- dence etde la justice divine. Ainsi le P. Andre Martin, auteur de la Philosophia Christiana, et le P. Poisson, de TOratoire^ qui a commente le Discoursde la MSihode, developpenlcet ar- gument, que Dieu etant juste> la souffrance est une preuve necessaire du peche, d'ou il suit que les betes n'ayant pas (1) IHtcours de la Mithode, 5* partic. (2) Edit. Cousin, tomeX, p. 208. 1" Reponsc a Moms. U5 p^ch6> les bdtes ne peuvenl souffrir , et en cons^uence 8on( de pares machines. Un philosophe cartteien hoUandais ^ Darmanson, semble avoir pris k tdche de miner la connais-* sance des b6tes par des argumentsempruntfe k la th^ologie (1) • II pretend d^monCrer que si les b^tes avaient une dme, noire ame neserait pas immortelle, que Dieu ne serait pas Dieu, parcequ'il ne s^aimerait pas Iui-m6me, parce qu'il ne serait pas constant, parce qu*il serait injuste. Malebranche insiste sur Targamenl des PP. Poisson et Andr^ Martin : « Les animaui 6tant innocents, comme tout le monde en convient, s'ils 6taient capables de sentiment, il arriverait que sous un Dieu iafini<^ ment juste et tout-puissant, une creature innocente souffrirait de la douleur, qui est une peine et la punition de quelque p6- ch6. Les hommes sont d'ordinaire incapables de voir T^vidence de cet axi6roe: Sub juslo Deo quisquis^ nisi mereatufj miser essenon potest^ dont saint Auguslin se sert avec beaucoup de raison centre Julien, pour prouver le pich6 originel et la cor- ruption de notre nature (2). » Malebranche donnait h ce m^ me argument une forme ironique et plaisante, en demandant aux adversaires de Taulomatisme , si par hasard les b^tes avaient mang^ du foin d^fendu* II £tait d'ailieurs partisan de Tautomatisme non seulement dans la tbtorie, mais aussi dans la pratique. Fonlenelie raconte qu*entrant avec lui h Tora- toire Saint-Honoi^, Malebranche tit pousser des cris plaintifs k une chiehne pleine, par la fagon brulaledont il accueillil (1) La bete transformee en mdchme, divise en deux dissertations pronon- cees a Amsterdam par Darmanson , dans ses conferences philosophiques, 1683. (2) Recherche de la verit4 » livre 3 , chap. 2. Telle est aussi, k ce qu'il semble, la pensee de La Fontaine dans ce vers de PMUmon el Baucis : Les animaux sonffrir ! passe encorles humain«. I. 10 146 ses cadres^es imfiortmiAs ; et wtmAe fl m rdertait conlre ifn si dor traiti^leDt : k Eh quoi ! r^ondit froidementMHlebrancbev ne saves-vioud pas bieti que cela ne sent point (1) ? » Sat fo foi de Descartes, on (Hfftt deventi h Port*RoyaI sms f/M^ pour les dnimalix; on He s'y faisait plus scnipute de di^dquer des bdtes tit ahtes, de foainertlans ledrs entratlles. Qu^^taient leuiiscrtsetleurs conval8ft>ns,d'apr6s le systimedu mattre, si- ti (BfA^M^ffMtVltf JFbtitame. ) (3) Voyage du Monde de Descartet, 4^ partie. 147 exception 90 favear de Norri9, dont I'dme plus (endre n/c^( pas sans scrapule au sujet des craaut^s que pour^ail autoir|ser rautomalismet et qui cgtiijare de (ralteip n^ajprnQiQ^ ce9 pau** vres creatures oomme si ellas .4itaie«t poji^rviiie^ de j^e^^time^tt Pour on grand nombre de iart6sieDS» TautoiDaUsma d^ Mtes tiidH devenn eomme un doigiiia , ou lottt an m&m eomni/e un priacipe deal il n'^tait pas pkis iMtiQiF de douier que 4f^ la r^Ie de i'^vidence oa de la preuYe de TexisleDoe 4^ Dia«. De ik encore ees idakaoieries chi P. Daniel : aie me suis p^^ 8ttad6 qne te point essential da oart^siaDisme , et comoae la pierre de louche dont voiis ^oas aervez , vous auires chefe d§ parti, ponr reconnattre les fiddles disciples de votre grand mattre , c'esi la doctrine des aatomates qui fait da pures ma-^ chines de fous les aaimati^ €n lear Ataat tout ^entiii^e^t at toote oonnaJ9saa£e. 'Quiconqoe a asaez d^esprit ou d'antdte- meat poor ne troufor nuUadiOijeuUi j^ «e paf adaxe , a aussi- (6t 'Tolre agrtmeot pour ae faire partout I'luonneur du nom de cart^ien. Qn ne peat penser de la sorte qn'on n^aU le^ v^ri- (ableaetios daires idiftesda oorps^et de I'Ame et qmi'on fl'ait p^^ n^rg la ddmonstfatiofi que donne le grand Dese^rtes de la disfioetiea qui «at entre ices deo^x eiptees d'dires. Sans eela H a8tinq>osttbied-6tffe<^ttdsien9iet,avec.ae]ia il est impotsnibte dene paa VAin^i).. x> Gepeadant^en Frauiee , Ri^gis , iBojAiiQi, iF^Qek)Xi , iFoatenelle MetleP. dkndri. fidgb , d'aiUears .si vk\6 oarl^sien, •aVm oependaiat abselttaasQi atietr resiateace dtunte Amedaos 4esriMes^ iei.;9e'^cimtQiite#de(pn6$eBAer r#utoRiati9ine.i6qq9ffke (1) Suite du Voytige autotw dumonde de Detcartet , lettre I" touchant la eonnaissance des b^es ; in*-12, Pcrit, 1690. 148 une hypoth^se commode pour expliqaer les phinomines. a Qaelqae penchant que nous puissions avoir k accor- der aux b^tes une dme distincte du corps , nous aimons mieux suspendre notre jugement k cet £gard. Et d'aulant que les b6(es peuvent faire absolument tout ce qu'elles font par la seule disposition de leurs organes , nous avons cru qu'il £tait plus k propos d'expliquer toutes leurs fonctions par la ma- chine que de recourir pour cet effet k une dme dont Texistence est si incertaine, qu*il est impossible , tandis que les b^les ne parleront point , des*en assurer (1). » Bossuet , dans le cin- quifeme chapilre de la Connaissance de Dieu et de soi-'mime , traite longuement cette question de la nature des animaux. II prouve d^abord que les bdtes n^agissent pas par raisonne- ment , mais par instinct. Ensuite , il compare et discute deux opinions sur la nature de Tinstinct ; Tune, celle de Descartes, qui en fait un mouvement semblable h celui des horloges et des machines; Tautre, celle de r£;cole et du sens commun, qui en fait un sentiment. II dit de la premiere qu'elle enlre peu dansTesprit des hommes, et il penche visiblement en fa- veur de la seconde qui accorde h Tanimal tout ce qu'il y a dans la partie sensitive de rdme, le plaisir, la douleur, les app^tils et les aversions qui en sont la suite , les sensations , les pas- sions , les imaginations : « Elle paraft , dit-il , d'autant plus vraisemblable qu^en donnant aux animaux le sentiment et ses suites, elle ne leur donne rien dont nous n*ayons Texpirience en nous-m^mes , et que d'ailleurs elle sauve parfaitement la nature humaine en lui r£servant le raisonnement. » Mais le corps ne sent pas; si on accorde aux animaux le sentiment, il faut leur accorder une dme ; cette Ame sera-t-elle done pnre- ment mat£rielle ou bien spiriluelle et en consequence immor- (1) Systhme dephilosophie, livre VII, part. 2, chap. 17. ^ 149 lelle? Bossuet pense qu*ofi peulse liter de la difficulte en leor atlriliuaot um Ame 4*uiie nalare mitoyaoMf qai ne aeraii pas ui^ cotrps , o'i^nt pa» ileDdue en longoeor , largeur el pro*- foDdeyr^ et qoi pe serait pas ud esprit, ftlaai saflainlelligeDCe, incapable de poss64er Dieu et d'etre heureuse. F^nelon 6?ite de se pronoiKer aar raatooaalisoie , et\ dans le Traiii d$ texUl0$iee de JHrn^ il se boriHSt li mootrer que, quelque hypo- th^e qu'on embrasse, I'iostinot des animaax ne r6?&Ie pas moiDs la puissance et rintelligcHica infiuai^de Dieu. II met aux prises sQi: oeUe qqe^ioo Aristote eH Descartes dans un IHqlague ies MqtU^ oiais il ne conolul. rien, stooii que la matiftre est eiakif^ilUe et dtfficjie. Fontenelle.a attaqug rautomatism^ dms \m petit TraiU $ur la noMr^de VitisiimU ou il dteontre que 14s bMes peusent et ne sont pas de pures machines. Le P. Andn& abandonne au0$i en te poiat la pbitosophie de Deftr cartes* Dans sa profession de foi sup Ies articles du Farmulair$ phH€i$ofh%qu0^dojii $es supirienr» veulenl iioki imposer la sigoa'^ lure, il dAdare , an s^jet de rautomatisnate , qu'il est prdt & fiiire iOtt4€e qu'on VQudra (!)• Pluneurs carlteiensbollandais, parwi lesqufijs Balitiazar Bddcer , eurent aussi des serupulea an sujet des b^iles^nMtchines de Descartes, et Bay le, daos^es Noiwtlln httres wiUr$ tHUloire du Calvinisme , «tait san^ doate food^ a dir^ : a Yoush n'ignorez pas que Ies carKsiens soot d6ik dlviais en deux factions au snjet de Tame des b^les^ Ies unadisant qu'elle n'esi point distlncte do corps, Ies autres <|pi'elki esl un esprit, et, par cona^aenl, qu'elle peBse«)> Quant k Spinoza, par son principe de Tunit^ absolue de sub- stance, il est conduit k doaner non seulement aux animaux, mais aux dtres en apparence inanimfts et h tout I'univers une Ame qui au fond n'est autre que celle de Dieu. Sans doute r£cole avail raison centre Ies cart^siens en soutenanl qu'une (1) Introduction aux QEuvres du P. Andre, par M. Gousii), p. 113. 150 ' dme sentante est le principe de Texistence et de Taction dans ies animaux, anima sentiens in belluis est prima ratio essendi et operandi. Mais elle £tait fort embarrasste, qaand il s*agis« sait de determiner la nature de cette dme , et Ies cart^siens triomphaient de son embarras, ne faisant point de quartier h ces dmes mat^rielles on d'une natnire mitoyenne entre Tes- prit et la matiere dont Ies p^ripat^ticiens vonlaient doter Ies bdtes et Ies rMuisant h raltcrnative ou de n*en accorder au- cane ou de Taccorder spirituelie. La question n'^tait pas settlement agit^e par Ies philosophes, mais aussi par Ies gens du monde. Malgrg leurs sympathies pour Descartes, Madame de S6vign6 et La Fontaine protes- tent centre Tautomatismedesb^tes. Madame de S^vign^, dans plusieurs deses lettres, se moque spirituellement des b6tes- machines, et plaisante k cesujet sa fille, Madame de Grignan, z^I^e cart^sienne. Elle ne pent se persuader que sa chienne Marphyse ne soit qu'une machine : a Parlez uo peu au Cardi- nal de vos machines ; des machines qui aiment , qui ont une Election pour quelqu'un , des machines qui sent jalouses, des machines qiii craignent \ allez, allez, vous vous moquez de nous, jamais Descartes n'a prdtendu nous le faire croire (i).» Quelle que soit son admiration pour Descartes, dontil a c6- iebr6 la philosophie en vers magnifiques, La Fontaine, dans plusieurs de ses fables, proteste avec autant de bon sens que d'espriten faireur de la connaissance et du sentiment des ani- maux. Je citerai la fable des Souris etdu Chat-^Huant : Pais qu*un cartesien s'obstine A trailer ce hibou de montre et de machine, Quel ressort lui pouvait donner Le conscii de tronquer un peuple mis en mue ? (1) Edit. Montmerque, 2« vol., p. 639. 151 Si ce n'est pas la raisonner, La raison m*est chose iaconnue, etc. II faodrait citer aussi toute cette admirable dpttre snr rintelligence des animaax, sar la difii^rence des animaax et de rbomme , et sur la philosophie de Descartes ^ qui est si mat inUtulie : Lts ieux raU^ le renard et Vomf, Yoici com- ment La Fontaine termine le charmant r^cit d*an trait d'in- telligence des animaax : Qu'oQ aille soutenir apres un tel recit Que les betes n'ont point d*esprit. Pour iQoi, si j'en etais le maitre, Je leur en donnerais aussi bien qu'aux enfants, Ceux-ci pensent-ils pas des leurs plus jeunes ans ? Quelqu*un peut done penser ne se pouvant connaitre ? Par un exemple tout egal, J'attribiirais k Tanimal, Non point une raison selon notre inaniere, Blais beaucoiq) plus aussi qu'un aveugle ressort, etc. II n'est peQt-6tre pas un point de la doctrine de Descartes qui ait donnd liea k de plas nombreuses discussions et attir^ centre ses partisans plus de refutations serieuses ou ironiques. Voltaire appclleles partisans des bdtes -machines : les inven- teurs des tourne-broches, et avec lui tout le XYIIP si6cle se moque de Taulomatisme (1). Tons les adversaires du car- (1) Yoici quelques-uns des principaux ouvrages pour et centre Tautoma- tisme : HUtaire critique de Vdme dee bStee, par Hucr, Amsterdam, 1749, 2 vol. in-8. — IHecoure eur la connaieeanee dee hitee^ par le P. Pardies, in-12. Paris, 1672. — Le P. Pardies expose avec tant de force les argu- ments de Descartes, et les refute si faiblement, qu'au dire du P. Daniel , il passe parmi les peripateticiens pour un prevaricateur et un cartesien dans Tame. — Willie Thotna de anUna brutomm , 1 vol. in-13. Londres, 1672. — Willis est un naturaliste qui attribue a la bete et a rhomme une 152 t^ianisme n'Spargnent pas raulomatrsme , el , d^un autre c6i6, les cart^siens se d^fencTetit par rimpossibilit^ de conce- meme ftme corporcUe sensitive.— Z>e carentia sennu et cognitionis in bnUi$^ par Antoine LcgrMid. — Brutum Mrteiianum, pil* Arnold ■Geullii^ *uvragc posthume publie en 1688. -r TraitS de 4a oonMMsmwe des bUe9it miprime ^ Lyon en 1678, par Dilly , .pn§tre d'Embrun. — teUre au P< Cossardf de la Compagnie de Jesus , pour montrcr que le systeme de Descartes et son opinion touchant les betes n*ont rien de dangcreux, par Cordemoy.— De anima brtUorvm, traite compris dans la Phtlosophia christiaHa d'Ambrosius Victor ou Andre Martin qui vcut demontrer Tautomatisme par les prin- cipes de saint Augustin. — Jusqu'au milieu du XVIII* si^cle ont paru des ouvrages en faveur de rautomatisme. Dans le Sixie'me chant de VAnti-LU' crhce , le cardinal Polignac expose les deux lij^^otlf&ses sur la nature des b^tes, et sans formellemcnt se p^ononccr, incline k celle de Descartes. Racine le fils a compose deux ^pi%res en vers en faveur de Vautomatisme des b^tes. Le cardinal Gerdil prend aussi parti, dans plusieurs de ses ouvrages, pour I'hypothese dc Descartes , et particulierement dfins une dissertation inti- tulee : Essai sur les caracteres distinctifs de lliomme et des animaux brutes, 1771. — « Je croyais, dit GWmm, que mcs yeiix avaient vu mourir le der- nier des cartesiens et qu*il n^en exi^tait plus depuis que nous avons perdu M. Mairan, mais les BStes mietix connues, ou Entretiens de M. Tabbe Joannet (Paris, 1770. 2 vol. in-1?) m'ont desabuse. » Parmi les ouvrages centre rautomatisme nous citcrons : Suite du Voynge autour du rnonde de Descartes, par le P.Daniel. — Discours de VamitiS et de la haine qui se trotwent entre les animaux, par de La Chambre. Paris, 1667, in-8. — Traits de la eonnaissance des ammauo;, par le meme. t^aris, 1662 , in-^o. — EntehcMa sen anima sensitiva brutorum demonstrata eonira €ar^ te$iwny par Sbanigti, pfrofesseur de philosopfaie a Bvlogne^ 1716t, la^4^. «- Essai philosophique sur Vdme des bites, parBoullicr, 2« edit. Amst., 1737, 2 vol. in-12. — Apologie des bites contre le systeme des philosophes carti- siens , ouvragc en vers par Marfouage de Beaumont, in-8. Pbris, 1732. — Citons enQn sur cette mSme question le singulier ouvragc du P. ^ougeant : Amusement pFiilosophique sur Vdme des bites, Paris, 1739. Le P. Bougeant suppose que ce sent les demons dont la sentence est differ^e jusqu*au ju- gement dernier qui animent les betes. Get ouvrage semble plut6t un badi- nage qu*une oeuvre serieuse ; neanmoins il fut condamne par la censure ec- clesiastique. — Traite des animaux^ par Gondillac, qui refute a la fois Buffon et Descartes. 153 voir utoe Ame qm tie loil pm IpirilteUe , et par tes prt* idD4o» ^vantfges moraiix et reHgieuK de ieur doctrine. Gepwdatit TattloBiatifltne ne ae laoBtra pas toujoaro avec cea ttUli44$ th^ologicpiea a4 tnoratea donl les eattdsiens faiaaieiU lafli de bruit , fst hobs aUooa voir its soeptfquoi et les iMf^rialisies reiploiter k teur kmr. D'abord Bayles'ea ecupare en favour -d^ a^eptioisme. |»arfaitemeBl pr^n cetle cooa^uence. « S'il est yrai » diseot-^^ils , que iea ainges , ^ ehjena et las i^^hanis agiadent de «eftUs aarte dajns iwtes ieiira ^operations, al s*en trovrera pkisfair^ qui di«- r#Qt ii|oe les aurtions de rhomme aont aussi :setnblableS' a oelles des iMebiQes, et qui oe voudroat plus aiiiiieitre en^ hai de aeiis nt d'eniendemeni, ¥« que si la faiUe raison des bttes difffere de celle de Tbomme, ce n'eat que par te plus ou |^r le moins qui tie ebange pas la nature dea eboses^ » & les betesv dit aussi Voltaire, sont de pares macbines^ vons n'dtes certaiaiement auprte d'elleaqne ce qu'une monlre h rdpe^ tition eat en comparaison du iourne-broche (I). » Le plus (1) Traite de melaphysique, chap. 5 154 cynique philosophe do XVIII^ siicle , Lamettrie , s'appote sur cette doctrine de Descartes daos son Traiti de Vhomme^ machine , et il pardonne tout k Descartes en favour de raQtomatisme pour leqoel il professe la plos vive admira- tion, a II est vrai, dit-il, que ce calibre philosophe s'est beau- coup tronipi, et personne n'en disconvient ; mais, enfin, il a counu la^nature animale, il a le premier parfaitement d^ montr^ que les animaux 6taient de pures machines. Or apris une d^couverte de cette importance , et qui demande autant de sagacity , le moyen , sans ingratitude , de ne pas faire grAce k toutes ses erreurs. Elles sont toutes A mes yeux r^- paries par cet aveu. » M. Fiourens,, dans son excellent ouvrage sur la vie et les travaux de Buffon , cherche k absoudre Descartes de Tauto* matisme. II pense qu'on a pris beaucoup trop k la leltre ses bdtes-machines, et, pour preuve, il cite le passage suivant d'une de ses lettres : « II faut pourtant remarqner que je parte de la penste) non de la vie et du sentiment , car je n'dle la vie k aucun animal... • Je ue leur refuse pas m^me le senti- ment autant qu'il depend des organes du corps ; ainsi mon opinion n'est pas si cruelle aux animaux (1). d Hais il suffit de completer la citation en ajoutant : « qu'il ne fait consister que dans la seule chaleur du coeur cette vie qu'il veut bien ne pas Oter k I'animal, » pour voir que Descartes mainttent, mal- gr6 ses expressions 9 rautomatisme des b^tes dans toutesa rigueur et demeure fidiie k la doctrine exposte dans la cin- qui6me partie du Discours de la M^thode. II n'y a rien de plus dans les animaux que ce qu'il y a dans notre corps , voilft ceque Descartes a toujours et partont enseigni. Or, qu'y a-t-il dans le corps humain ? Rien de plus, selon lui, qu'un pur micanisme. N'est-ce done pas 6ler aux animaux (1) Edit. Cousin) iomoX, p. 208. 1*"« Reponsc a Morus. 155 le sentiment et la vie que de les rftdaire k de T^tendue et da mouvement et les assimiler a des horloges, k des machines plas ou moins compliqotes ? D*ailleors, qu'on prenne garde que celte hypothtee de ''animal-machine est en ane relation 6troite avec font le reste de la philosophie de Descartes. Non settlement elle se rattache k I'ensemblede sa physiologie, mais aax principes fondamen- taux de sa mMaphysiqoe. Apr6s avoir placi Tessence de Tdme humaine dans la seule pensie consciente d'elle-m6me, en de- hors de laquelle il n'y a plus que Tfttendue mat^rielle inerle, apris avoir 016 tonte force et toute causality aui creatures et fait de Dieu Tunique force et Tunique cause eflBciente, ou aurait-il prisdes principes de vie etde sentiment pouranimer les b6tes ? Dans rimpossibilit^ de leur donner^ d'aprte son syst^me^ aucune force active , il devait nftcessairement les concevoir comme une pure matiire inerte, soumise aux lois gto^rales dn mouvement. Tel est le lien entre Tautomatisme des b6tes et la m^taphysique de Descartes. Tdchons maintenant de r^tablir centre Descartes la vraie nature de Tanimal. Les animaux ne parlent pas, ou du moins ne produisent pas de signes qui signifieiit autre chose que des passions ; les admirables industries des animaux, si eiles n*6- taient pas pnrement m^caniques, t^moigneraient en eux plus d'intelligence que dans Fhomme : tels sent les deux seuls arguments directs que donne Descartes en favour de Tauto- matisme des b6tes. Mais les bdtes n'ont-elles pas un langage qui, quoique dict6 par la passion, signifie un certain degri de connaissance et surtout de sentiment, et la passion, k tout le moins, ne manifeste-t-elle pas la sensibility ? Si le langage in- ddpendant de la passion est le seul signe ext^rieur de la sen- sibility et de la connaissance, il faudra done ne voir qu'une ma- chine dans Tenfant qui ne parte pas comme dans Tanimal. Quant aux admirables industries des animaux, elles ne sent pas 156 en effet ie produit de la raisoo, mais eliea son! le prodnil de rinstinct, et, pour D*6tre pas la raigon^ rioslinct n'eal pas non plus un pur m^canisme.Si rioslinct n'est pas pr£c6d6du calcul , il est suivi du seotiment) eld^ji lui^lDdme il est un aeDtloieDt. Tout nous sigoifie que raoioial souffre quand ao9 insiincl eat Gontrari^ et qu'i) jouU quand il est aalisfait. Refiiae^^voiia d*a*- joutor foi dans raouinial k ^ile panlomima si expreasive du plaisir ^Lde )a doiylear, ^ tout aussi ha^ droit vons pouvtz af^ firmer qn^ renfanl, qui ne parte pas n'^prouve ni plaiifir nt douleuf' Ainu awa devons croire que mtaie ranimal pur^ meoil ini^liodtif diff^re profoud^ent par Ie aentimenl d!iifie montre ou d*uiie horloga. Gombieu en difffererant eacdre davanlage ces animam qui * en outre de rinstiaot, ant un commenceoient d*inbeUigence, manifesto par rji-nitoe'Cfak)se» i^' la> consid^ratiotn do la sagessft* dime danaiUopdre dea ehoses, qtti« 5 moa aikUA^doiifttrele grand boli dela phildsophie*, il^ euf^iteQlrevQir Xs^ raison dAfls.iin endnoit ieses^Prineipts^ QU vojulaqt s'ex£user de'Ce^quilsemUe avoir attribu^'ii la nature cerlaines (orm^ et certains aiaavc^meiils , il^dlt qn^ll^a eu le^ droit dele, faj^e parce qpie* Ibsmaliiroiprend) soocesBivenorent' tpuJ.es IeS)foxm3S possibles' Ql>qu'«ta8t il » fallu qu'^lle soit' veojQ^.^ celle. qi^IiL fi^ su(||ipas6 164 qu'il n'y a ni choix, ni providence, que ce qui n^arrive point est impossible et que ce qui arrive est n^cessaire justement , comme le disent Hobbes et Spinoza. » Gassendi , Bayle et Malebranche ont aussi pris la defense des causes finales et reproch^ k Descartes, norais sans insinuer Todieuse et inique accusation d'alhiisme, d*avoir mis de c6t6 la consideration de la sagesse de Dieu dans T^tude de Tunivers. Nier absolument Texistence des causes finales serait en effet nier Fexistence d*une providence et d'un plan de Tunivers. S'il y a un plan prbvidenliel de Turrivers, toutes choses sont comprises dans ce plan, et ont un rapport n6* cessaire avec Tordre et la fin universelle des 6lres, comme toutes les pieces d'tine machine se rapportent h la fonction el k la fin de cette;machine. De 1^ il suit que chaque chose a sa fin, qui est son rapport avec Tordre universel, et qu'il y a des causes finales .Mais Descartes n*a jamais, comme Hobbes ou Spinoza, ni^ les causes finales, il se borne k en inlerdire la recherche au physicien, (out en les conservant dans la mo- rale pour Clever Tdme h Dieu et fortifier la pi6t6. << II est juste, dit-il, de connattre et de glorifier I'ouyrier par Tin- spection de ses ouvrages, mais non pas de deviner pour quelle fin il a cr^e chaque chose (1). » S'il les bannit de la phy- sique , c'est pour porter remade h Tabus qui s'en faisait dans r£cole et dans la science de son temps et non pas parce que, comme Hobbes ou Spinoza, il a cru h t'empire d*une aveugle et inintdlligente n^cessit^. D^buler par la question de la fin des choses, la faire intervenir h propos de chaque detail et de chaque phenom^ne, tout rapporter & Thomme, voil^ quel est dans la physique Tabus des causes finales, abus que Descartes a eu raison de combattre. La recherche de la fin (1) Reponse k Gassendi. 165 ne supplie ni h Texp^rience ni k la recherche des causes efficientes, et, poor jager de la fin d'ane chose, d^abord il &ut connattre sa nature. Get ordre est-ii renversi , les conjectures bizarres, les r^ves de imagination prendront la place de la science, la physique se perdra dans de vai- nes hypotheses, et la th^ologie naturelle elle-m^me recevra une fdcheuse atteinle de toutes ces voiont^s particuli6res multiplies pour chaque ph^noraene et forgoes au gr6 de rint^rdt, de la passion, de la superstition de quiconque les interpr^te. Mais que les causes finales suiventet ne pricMent pas TexpMence, qu^on ne les cherche pas dans chaque detail de la citation el dans des ph^nomincs particuliers, dont il n'est pas facile de voir le rapport avec Tensemble, mais dans des ph6nom6nes dont la g^niralit^ et la simplicity ne souffrent aucnne exception et ne laissent aucune Equivoque, alors elles ^clairenl la physique, au lieu de Tobscurcir, elles 6l6vent et purifient la th^odic^e, au lieu de la corrompre. Plus une loi est g^D^rale, plus sa cause finale est facile k d^couvrir, parce que plus sa relation est intime el apparente avec le plan de Tunivers et la sagesse souveraine de la providence. Une telle cause finale ne servira pas a dimontrer une loi , mais h mleux faire comprendre une loi i^jk d^couverte et d^mootrie , en marquanl sa place dans Tordre univer- sel (1). Enfin elle pent inspirer d'heureuses hypotheses , et conduire a la divination ou au pressentiment de lois que plus tard le calcul ou Texperieoce demontreront. Assur^ment ce n'est pas en ne sens que Descartes a proscrit les causes finales. N*est-ce pas sur les vraies causes finales etsur la consi- deration de la sagesse de Dieu, que repose le principe (1) Voir la Philosophic spiritiialiste de lanature, parM. Martin, doyen dc la Faculte des leltres de Rennes, tome II, page 182. 166 .4e^ voias ies fhis conrles doiit il 'g'esi servi poor bfH- iver jh to id^.aoiiMerte des iois Ae la ritfraotton ? N*€^(*ce pas 4e la ^naidiration 4e ia sagesse ds Dteo e nous sommes accoutura^s d*y voir , n'y sont plus . nous fugeons que ces espaces sont vides. G'esi aiosi que nous disons qu'un vase esft vide et qu'un autre est plein. (1) Principes, 2® parlie, art. 10. P) Ibid.,lrcpartie, art. 57. 171 Pour corriger cette fausie opiDion , il raffit de remarqMr qa'il fl'y a pas une ikiisoB oAoessaire entre ie vas6 6t td ou tol corps qui ie remplit ^ mais qu'il en exisle tifte si absoltt^ flient nteessaire en Ire la fignre concave de ce vase el Y^ieu" doe qui doit ^tre comprise en ceite concavity ^ qo'il n'y a pas plus de repugnance 4 concevoir nne montagne sans valine qae cetle concavity sans Textension qu'elle contient. A moins que ie n^ant ait des atlribuls et que tout attribut ne suppose pas one substance^ comment {'extension sabsistera4-elle sans qoelque chose d'^eddti ? Si on suppose que Dieu , par sa toBle'^piiissance enl6ve tout ce qu'il y a dans oe vase , k I'ln- stanl m^rne il faudra que ies paroid se touchent. II nj adonc pas de vide et toat est plcin dans I'nnivers (1). Mais comment avec ie plain de I'anivers concevoir I'origine da monvement ? telle est la grande objection qlie ne cessent de produire sous toiites Ies formes tous Ies adversaires de Descartes > h la soite 4e Roberval el de Gassendi^ IMre que Ie moade est aana bornes et sans vide , revient k dire qa'U estinfinU Telest, en effet, Ie sentiment de Descartes qui estime qtt'uo monde fini implique contradiction (2). Tootefois , riservant a Diea ie terme d'infiniv il veut n'ap- pliqiier M raonde que celoi d'iodifini , qui sigliifie Ies ehoses eu Pesprit ne voit pas de fin « mais settlement sous qdelques eonsiderations , oomme la multitude des nembres , rindivi- sibilii^ dela malitee, iwiis que Tinftni veut dire ce qui est de loutes parts sans fin etsans limites (3). B6gis m6iiie , enlevant totite^aivoqae h la penste de Descartes^oioiitrequ'U ne se sort da lerme d'ind^fini qu*& regard d'une partie de rdmvers, mais <1) PrkUfipety, a« partie, aH. 16. (2) Pnto implicare contradictionem ut mutidus sit finitus. £p. 69.*Edit. Clers., l«'vol. (3) Reponsc aiix pi'cmieres objections. X 172 qu*a regard de i'univers entier il n^hisile pas h affirmer qu*on ne peul lui concevoir aucune borne, c*e8t-&-dire qu'il est in- fini. « Si la nalare est fioie , dil Fonlenelie , disciple fiddle de Descartes poar la physique , elle ne serait toujours par rap- port ft Tespace qu*un infiniment petit , et Tunivers , quoique tris-r^el , ne serait qu'an vide immense qui ne conliendrait rien, ^ urie pelite parlie pris, qui ne m^rilerail pas d'Mre compt^e (1). » Maiss'il ripogne qu'il y aiit actuellement du vide , il r^pugne qu'il y en ait jamais eu, et'il faut que le plein s'^ tende non seulement dans Tespace , mais aussi dans le temps , sinon le vide aurait exists ant^rieurement au plein , d'oii il suit que le monde n'a pas dd commencer dans le temps , et qu'il est ^ternel. Nulle pieirt, il est vrai, Descartes n'ayoue cette qons^uence, il la repousse m6me dans sa r^ponse aux objec- tions de la reine Christine sur Tinfinit^ du monde. II convient que r suivant les trois principales formes qu*elle affecte. Ces trois Pigments sont le feu, Tair, la terre, qui ne different que par Tin^galit^ des parties de la mati^re qui les composent. L'^l^ment dn feu est une liqueur subtile, p^n^- 174 tranle, dont les parties se meuvenl avcc une excessive rapidil^. Ge premier ^l^ment est la rnati^re subtile qui joae un si grand r61e dans la physique de Descartes, Les parties de r^l^menl de r^ir sont rondes et jointes ensemble comme des grains de sable et de poussiire. i^nfin le troisi^me 616ment, la terre^ se compose de grosses masses inforooes, dont les parties n'oi\t que fort peu ou point du tout de mouvemQnt. Ges ^l^ments, avec leurs degr^s divers de mouvement, avecleur melange en diverses proportions, constituent la vari^t^ des^tresdont Tuni- vers se compose. Telle est la mati^re et telles sont aes prin- A cipales formes ; il ne manque plus k Descartes que 1q mpuve- ment et ses lois pour coqstruire I'univers tout entiqr. II d^finit le mouvement le transport d'une partie de la ma- ti^re ou d'un corps du voisinage deceui^ qui )e touchent im- m^diatement, et que nous consid^rons comme en repos^ dans le voisinagede quelqqes antres. Le mouvement est une pro^ pri6t6 du mobile et non une substance, de mfinoe que la figure est une propri^t^ de la chose qui est figur^e, et le repos un^ propri6t6 de la chose qui est en repos (1). Mais la mati^re inerte de sa nature regoit le mouvement d^une causQ e:^t6- rieure immat^rielle et ne |e tient pas d'elle-m^n^e. Descartes distingue deux caqses du mouvem^Qnt, une cause premi^r^ qui produit g^n^ralement tons les mouvementsi qui sQot au monde, et des causes secondes en vertu desquelles ce n^oo^ vement g^n^ral r^pandu dans le monde, pent 6tre diverse-^ ment r^partl, de telle sorte que chaque parlie de la mati^re acquiert du mouvement qu^elle n^avait pas auparavant. La causQ premiere et immat^rielle du mouvement, c*est Dii^u ; <( c'est lui qui, par sa toute-puissaqce, a cr^^ I9 mati6re avec. le mouvement el le repos de ses parlies (2). » Les cau^^s se- (1) Rrif^iipfh 2* ptrlU, aft. ?^. (2) Ibid., art. 36. 176 condes da motiveinent sont tous les 6(res qui , dou^s d'une certaine force, peayent par lear action imprimer des diredions particali^res h la quantity de mouvement rftpandue dans I'uni* vers. Les creatures ont le pouroir de diriger le mouvement, mais non d'en angmenter ou d*en diminiier la qnantft^. Df eu qui a crM runivers y conserve, par son concoars ordinaire, autant de mouvement et de repos qu'il en a mis en le cr6ant, et en mouvant toutes les parties de la nature, il lesmaintient toutes dans les m6mes rapports avec les m^mes lois qu'il leur a impos^es d6s la creation. Groire que tantdt 11 7 a plus, et que tant6t il y a moins de mouvement dans Tunivers, c^est attribuer ft Dieu une inconstance contraire h ia perfection in- finie, que nous recoonaissons devoir 6tre nteessairement en id, et se le repr^senter comme un ouvrier mal faabHe, sans cesse oblige de retoucher k son ouvrage. €omme la mtme quantity de mouvement en se ripartissant sur des masses in6gales, produit des effets difli&rents, les divers changemenis qui ont eu lieu dans Tunivers ou qui nous ont 6t6 r^viil^s par Dieu, s*expliquent tr6s-bien malgr6 1' invariability de (a quan- tity do mouvement. Leibnitz anssi admet cette invariability, fondle sur I'immutabilit^ de Dieu; mais il fattribue h la quantity de force vive et non a la quantity de mouvement, parte que I'effet pent 6tre ou n'6tre pas produit, tandls que la force capable de le produlre demeure toujours la mtoe. Si la quantity du mouvement est invariable,jamafis dans aucun chocou combinaisondes corps, il ne se perd du mouvement. Ge principe a priori tir^par Descartes de ia consideration des attri- buts de Dieu, est la condition sous-entendue de toutes tes lois de la m^canique sur le choc des corps et la transmission du mouvement. Yoici quelles sont, suivant Descartes, les trois grandes lois du mouvement : 1^ Ghaque chose perspire dens son etat, jusqu'ft ce qu'une cause nouvelle survienne qui le d^- truise ; 2® chaquepartie de ia matiire ne tend jamais & conti- 176 nuer de se mouvoir suivant des lignes courbes» mais suivanl des lignes droites ; 3® an corps en mouvement qui en rencontre un autre perdsa determination, mais non son mouvement (l).Des- cartes ne secontentepasde d^duire ces trois lois fondamentales de rimmutabilite de Dieu et de la simplicity de ses voles, il ies prouve aussi par Inexperience. Tous Ies jours nous voyons que lorsqu*unepartiede lamatiirea une certaine forme, ellegarde cette forme, sMl n'arrive rien d'aiileurs qui change sa figure. Est-elle en repos, elle ne commence pas k se mouvoir d'elle- m6me; est-elle en mouvement, nous avons raison de pen- ser qu'elle ne devrait jamais s^arr^ter, si elle ne rencon— trait pas d*obstacle. Pour prouver la loi du mouvement en lignedroite, il suffit de (ionsid^rer la pierre qui tourne dans une fronde. Si la pierre s'^cbappe ou si la fronde se roDipt, au lieu de continuer son mouvement circulaire, la pierre suit la ligne droite, ce qui prouve que tout corps qui est mu en rond, tend sans cesse h s'eioigner du cercle qu'il d^crit pour se mouvoir en ligne droite. Enfin pour verifier la troisieme loi, on pent remarquer que, lorsqu'un corps dur est pousse par un autre plus grand qui est dur et ferme, il re* jaillit vers le cdti d'ou il est venu. li perd de sa direction, mais ne perd rien de son mouvement ; si au contraire le corps qu il rencontre est mon, il s'arr6te incontinent, parce qu*il lui transfire tout son mouvement. En cetle rigle sont comprises toules Ies causes particuliires des cbangements qui arrivent aux corps. Telles sont Ies trois grandes lois du mouvement, qui sont Ies principes de la m^canique, auxquelles Descartes a ajoute sept lois secondaires de la communication du mouve- ment. S'il s*est trompe sur ces lois secondaires, il lui reste au moins la gloire d'avoir soupgonne le premier que le mouve- ment se communique suivant cerlaines lois. {i) Principes, 2^ partie, 37, 38, 39. 177 De Taction da moavement el de ses lois sur l'6tendue inerte, Descartes fait sortir tons les raondes, (ous les etres teis qu'ils existent aajourd'hui , les 6tres animus comme les etres inani- mis; il nons fait assister en quelqae sorle an dibrouillemenl da chaos. Dans tons les 6lres, k I'exception de r«me huroaine, il ne veil qu'une maUire inerte, soumise am lois ««n«rales du moovement. Tout probl6me de physique se r^sout done pour Ini en an probteme de m«caniqne ou de g6om6trie ; de Ik le grand rdle que joaent les mathimatiqnes dans sa physi- que. Lui-mfime il declare que sa physique n'est pas autre chose que de la g«om6trie (1). II a ramen^ la physique k la g*om6trie et la gtom«trie k I'algibre. Leibnitz partage arec Newton la glolre de la dicouverte du calcul infinitesimal, Des- cartes ne partage arec personne celle de I'application de I'al- gibre k la g6om6trie, qui a ouvert les voies au calcul infini- tesimal. Donnons maintenant une idie de cetle grande hypo- thise des tourbillons qui embrasse tous les phenomenefi de I'unirers. * (1) «n a resolu de quitter la g^oni^trie abstreile,c'est-4-dire, la recherche des questions qui ne seirent qu'4 exercer I'esprit. II n'a pris ce parti que pour ayoip d'autant plus de loisir de cuIUver une autre sorte de g&metrie qui se propose pour question T^tude des phenomenes de la nature. Qu'au restc M. Dcsai^es reconnaitrait bientAt que toute sa physique nest autre chose que de la g^metrie, s'ilprenail la peine de considerer ce qu'il avait ecritdu sel, delaneige, de I'arc-en^icl, des meteores, etc. .. (Tome IH, p. 37. Edit, des Lettrcs par Clerselier.) 1. i^ CHAPITRE IX. De rhypothese des tourbiUons. — Formatioa dos tourbiUoas.-^Des momve ments de la matiere et des figures qu'elle prend au sein de chaque tour- billon. — Matiere subtile. — Deux explications divcrses de Descartes sur la formation desplanetes. — De la revolution des planetes sur elles-memes et autour du soleil. — Des cometes. — Le monde de Descartes immense e* adiQirable machine. — Inclination de Descartes ^ peupler Tinfinite de Te- tendue d'uae infinite d'^tres iatelli^Dis. — Application a la terro des lois generates du monde. — Du mouvement de la terre. — Subterfuge imagine par Descartes. — Explication de la pesanteur par la force centrifuge des tourbiUons. — Du flux et du reflux. — De la lumiere. — Decouverte des lois de la refraction. — De la chaleur. — Des seub prineipes employes par Descartes pour rexplicaiion de tous les phenom^es. — fjacune dans les Prmcipes au sujet des corps organises. — Physioiogie de Descartes. — TrtfitS de Vhomme et 4u fostus. — Explication mecaniqiie de tous les phe- nomdnes de Torganisation et de la vie. — M^eci&s carti^iens. — Ecole iatromecanique. — Services qa*elle a rendus k la medecilie. — Garact^re general de la physique de Descartes. — Le meoanisme cause immediate de tous les phenomenes de la nature. — Jugement sur la physique de Des- cartes.— ^Descartes injustement sacrifie k Newton. — Les tourbiUons juges par Voltaire et d'Alembert. — Descartes p^re de la physique commc de la metaphysique modernc. Comment de la confusion primitive de tous les Aliments I'ordre est-il sorti , comment toutes choses, depuis les soleils 179 jus^b^^ la j^ote et 6 raniinal, se senl-elles formdes el conli- noeot-elles d*6lre el de se mouvoir, Deseartes Texfrikiae par SOD hypoih^ dea loiirbiiloDs (1). De mdme que Platan, il expose ce qa'il pense de la creation et la formation do monde sous Tombre et le voile d*one fable, au travers de la- quelle il eapire que la v^rit^ parattra sufSsamment. Par pru- dence, il Feiol de laiaser de €6t6 ce monde rtol que Dieu cr^a, ily a Cioq on six »ille ans, pour noua faare assister 4 la crea- tion d*un tout nonveau dans les espaces imaginaires. II suppose done d^abord que Dieu er^e aulant de maliire que, de quelque c^t^ que notre imagination se puisse^tendre, elle n^aper^eive plus de vide (2). Avant que Dieu ait donn^ le mouvemenl k celte matiire ^ elle est plongte dans u« repos absolu. En eel 6tat, Descartes veut que nous la concevions comme le corps le plus dur etle phi^ solide qui soit au loonde, et aussi eomnae compos^e de parlies ia^ales disposies ik ne se mouvoir pas, ou h se mouvoir en toutes famous et en tons sens. Tout ilant plein , le mouvement donn^ par Dieu a la matiire a dii se commiini<|aer h toutes ses parties. Alors Tagitation s'est r^pandae dans cetle masse infinie , et toutes les parties de U raatiire, en vertu de la seconde loi du mouvement^ ont fail effort pour se mouvoir en ligne droite. Toutes s'emptehant lesuneS'les aulres ^ par leur nsutuelle action el rtoctioo, ellea ont conspire h se mouvoir en uo monveoaent ckculuire. Mais la div-ersite du-moavemeot dont elles oni 6t6 primitivement ani- m^e^, Be leur ayaat pas permis de s'accorder a tourner aulour d'oD sea) centre, elles ool tourn^ aotour de plusieurs diver- (1) Sur rhypothcse dcs lottrbillons voir la 3« parlic des Principes, les cbapitres 8) 9 et 10 du Traite du monde , Texposition qu'en a faite Male- bnnehe dans lit Biechereke de l» v4rite , chap. 4, la Th^rie det tourbUhn* €a$^ii$i€n8 par Fimtenelle. (2) Le Monde ou Traite de la lumibre, chap. VI. 1 180 sement situ6s h regard les uns des autres. Plus (oates les par- ties del'^teDdue auront rencontre de difficalt^s h se mouvoir en ligne droite , et plus grand sera le nombre des tourbillons. Si nous consid^rons avec Descartes un seui de ces tourbillons, les mouvements de la mati^re qu'il entratne et les figures qu'elle doit prendre, nous allons assister h la naissance des mondes. Ge qui se passe dans un tourbillon se passe de rndmc dans tons les autres, etles figures quy prendla matiferesoni celles des trois ^l^ments. Emport^es par le tourbillon , la plu- part des parties de la matiire, dans leur frottement les unes contreles autres, brisent ieurs angles ets'arrondissent. Celles, qui , h cause de leur masse, n*ont pas encore 6\& bris^es et arrondies, forment le troisieme ^l^ment qui sera la mati^re des planites. Celles, qui ont 6t6 arrondies par le frottement, for- ment le second 616ment compost d'une quantity de petites boules rondes destinies h devenir la matiire de Tair et des cieux. Que devient la mati^re de ces asp6ritis et de ces angles brisks par le choc des parties qui se rencontrent et s'arron- dissent? Descartes Tenvoie remplir Tintervalle entre les par- ties rondes, ou sans cesse bris6e de nouveau, sans cesse mou- lue, pour ainsi dire, entre ces corps qui la pressent de tous c6i^s, elle est bient6t rMuite k T^tat d*une poussi6re, dont la subtilitS d^passe tout ce que Timagination pent con- cevoir. Gette poussi^re est la mati^re du premier 61^ment, c'est cette mati^re subtile, qui joue un si grand rdle dans toute la physique cart^sienne, et qui va devenir Tunique dispensa- trice du mouvement de la lumiire et de la pesanteur. Elle remplit les interstices entre les boules rondes du second 61^ ment, et suivant la forme de ces interstices, elle prend elle- m6me diffirentes formes, de 1^ des parties triangulaires courbes ou cannel^es. Descartes pretend expliquer une foule de phinom^nes particuliers par les diff^rentes figures de ces 181 parties el surtout par les parties cannel^es. Les parties du premier ^teroent plus petites que ceiles da second ont moins de force poor conlinuer leur mouveroent en ligne droite , en cons^qence elles doivent afflner vers le centre, tandis qae les parties du second 6l6ment rempliront le reste da tourbillon. Riunie ao centre du tourbillon, la matiire fluide du premier 6l6ment 7 forme d'immenses globes liquides qui sont le soleil ou les Stoiles fiies. Autant il y a de lourbillons, autant il y a de soleils ou d'^tolles fixes qui en sont le centre. Telle est Torigine et la formation des 6toiles fixes. Mais parmi les parties primitives dont se composait la ma- liire, avant qu'elle flit mise en mouvement , il en est de tel- Icment grosses que le frottement n'a pu les rSduire h la t^nuit^ des parties du premier ou du second 6l6ment. De Ik le troi- siime 6l6ment, dont les parties en se liant les unes aux autres, ferment d*immenses agr^gats dans le sein des tourbillons. Ges immenses agrdgats sont les plao^tes. Les plan6tes, entrafntes par le mouvement du tourbillon autour de son centre, en sont plus on moins rapproch^es, selon qu*elles ont moins ou plus de solidity et de grandeur. Descartes don ne cette explication de Torigine du troisi^me ^I6ment et des plan^les dans le Traite du Monde audela Lumiire^ mais ii en a aussi donn^ une autre dans les Principes, ou il fait d^river le troisi^me 6I6-- ment non plus deTagr^gation des parties primitives de T^ten* due, mais de Tagr^gation des parties du premier 6l6ment, qui rejeties par les plus subtiles hors du globe iiquide, ou du so- leil qu* elles composent , s'attachent les unes aux autres et nagent k sa superficie et lorsqu'elles sont en fort granda quantity, ferment des taches semblables h ceiles du soleil. Ainsi , des ^toiles ont pu se recouvrir enti^rement de taches et de crodtes ^paisses , et, impoissantes h se soutenir et h d^fendre leur tourbillon centre les tourbillons environnants, elles ont tourn^ autour du centre du tourbillon qui les a ab* 182 sorb^es et sonl deveoues des pUnMes. Les plan6les et la terre elIe-«-raftflie ne seraient done que des soleiis eo- crodl^s (1). Les plao^tes suiveot le eours de la mati^re da eiel sans r^-^ sistaoce et se meuvenl d'un ro^me branie avec elte, man elles ne se meuveat pasaussi vite, en raison deleur masse. Par eelte inferiority de vit^se pios ou moins grande et propor- tionn^e h leur volume , relativement ani parlies qui les en- tratnent, Descartes expiique les revolutions que les plan^tes accompUssent sureile8«-m6mes, en m^me temps qu'elies tour- nent autonr du soleil. La mati^re du €iel , en faisant touroer les planites autour du soleil , les fait done lourner aussi sur leur propre centre, et en tournant sur elle-m6me, la plaoSte communique son mouvement ^ une partie de la maU6re qui Tentoure. Ainsi se forme autour d'elle un pelil lourbillon, qui se meut dans le m^me sens que le grand toufbillon doul it fait partie. Ghaque plau^teason tourbillou par tieulier plus ou moins 6tendu, selon que sa masse est plus on moins grande, qui entratne tout ce qui est i sa portie. Si done deux pla^ n^tes se rencontrent egalement massives , quoique d'in^gal volume, et par consequent disposees, d'apr^s ce qui a ete dej^ demontre, k prendre leur cours k egale distance du so- leil , la plus petite devra se joindre an petit ciel ou au petit tourbillou qui sera autour de la plus grosse et tournoyer avec elle. Les plan^tes qui se meuvent autour d*un grand centre* deviennent done elles-*memes des centres par rapport aux-^ quels se meuvent des astres plus petits, qu*elles entratnent avec eiles dans leur tourbillon. Les com6tes se forment comme les planetes* Ge sont aassi des masses composees par Tagregation des parties du troi- sieme element. Jusqu^a Descartes, les astroaomes n'avaienl (1) Principes, 3^ partie, arl. 94 ct 146. 183 en que des id^ tr6$ lattases rar \e§ ootnH^. Saivaot les an- cieos > oe n'AtMeni que des exhalaisons ou des feux Toilets plao^s bieo aoHiassoas de la lone. Tjcho-Brahi, le premier des modernes, osa dire que les com6les n'^taient point aa*- dessoas de la luae, e( que leur r^gioe s'^tendail jusqu'i Tapog^e de Yinus. Mais Descartes, le premier, les consid^e comme des astres qui oe different des plaufetes que par leur grosseur^ et qui s'en vonl voyageant de cienx eu cieux , de tourbillons eo tourbilions, bien au-nlessns de Saturne. Ed raison de leur grosseur les comiles peuvent passer d*un tour- billoD dans un autre , tandis que les plauites moins massives demeurent toujours dans le m^iiie. Ainsi qu'ou voit h la ren-^ coBtre de deux riviiires uo gros bateau passer sans difficult^ d'un conrant dans Tautre, tandis que des corps lagers, tels que r^ume, demeurent dans le m^me. A propos de cette comparaison de Descartes, remarquons que Tid^e fonda- mentale des tourbillons semble prise du courant qui enlraine la barque. Avant de descendre plus avant dans les dtoils, donnons- nous le spectacle de Tunitft, de la simplicity et de Tharmonie de oet univers con$u par le gtoie de Descartes. Je le vols semblable ^ une seule et immense machine compos^e de roues toumant sur elles-m^mes et dont tous les ressortsont ^t^^dis* pos^s par Dieu de la mani^re la plus simple. Notre systime n*en est qu*une roue avec le soleil pour oentre, et les ^toiles fixes sent autant de centres de roues dont la circonf^rence est peut-^tre plus vaste encore. Ges roues communiquent encored d'autres, et dans T^tendue ind66niede Tuniyers, notre imagination ne pent conceroir un seul tourbilion qui ne soit born6 par un autre, et ainsi de suite h Tinfini. Ges innombrables tourbillons, par un admirable enchafnement, se servent mutueliement de contrepoids et produisent Tordre el r^quilibre des mondes. 1S& Mais cette infloil^ da monde serait-elle dteerte et d^peo- pl6e, hors la terre, qui n^estqa'andesespoiDts, ne contieD- drait-eile pas un seal 6(re peasant ? Descartes, sans oser Taf- firmer, incline visiblement h croire que Tinfinit^ de T^tendae sert de s^joor h aoe infinite d^^tres intelligents. Dans sa Letlre h Ghanut, en r^ponse aux objections de la reine Christine contre Tinfinit^ da monde, il dit : a Qaoiqae je n'infire point qa*il y ait des cr6atores inteliigentes dans les ^loiles, on aillears, je ne vois pas aassi qo'ii y ait aacane raison pour laqoelle on puisse proaver qa'il n'y en a point (1). jo II ajoate qae, poar inC6rer qa'il peal y avoir des habitants ailleurs qu'en cette terre, il n*est pas besoin d'admettre I'^ten- dae ind^finie de rnnivers. L'^tendae qae toas les astro- nomeslai attribaent n*y salfit-elle pas amplement, paisqa*il n*y en a aucan, qai ne juge qae la terre est plus petite au regard de tout le ciel , que n'est an grain de sable aa regard d'une montagne? II cherche m^me ik preserver ce sentiment des difficult^s qa*il poarrait souffrir du point de vne des prerogatives que la religion accorde 5 I'honime. « Je ne vois point que le myst^re de Tincarnation eties autres avan- tagesque Dieu h faits^ Thomme, emp^chent qa'il n*en puisse avoir fait une inflnit^ d'autres tr6s-grands h une infinite d'autres creatures. » Les biens spirituels sont de telle sorte qu'ils ne diminuent pas, £tant partagis, et qu'ils peuvent 6tre accordis k toutes les creatures inteliigentes d*an monde ind6- fini, sansrendre moindresceux que nous poss^dons. Descartes y voit done au contraire une raison de nous estimer davantage, i cause que nous sommes des parties d'un tout plus accompli, et de louer Dieu d*autant plus, que nous sommes des parlies d'un tout plus accompli. Par ces lois g^n^rales de Tunivers s'expliquent toules les (1) Lettres, ed. Cousin, tonic IX, page 50. 185 priDcipales actions qui se produisent sur ia terre, et par ces principales actions tons les ph6nom6nes particuliers. Descartes aborde d'abord dans les Principes , mais avec une extreme circonspection, la question du moavement de la terre. II allait mettre la derniire main h ce grand ouvrage du Monde , don t il a donnd le plan dans la cinqui^me partie du DUcours de la Mithode, lorsqu'il apprit la condamnation de Galilee par le Saint-Office, le 22 Aodt 1633. H^solu d'6viler toute querelle avec les th^ologiens, non seulement dans Tint^r^t de sa tran-^ / / quillit^, mais dans celui de sa philosophies il se hdta de retirer j -J son ouvrage des mains des imprimeurs, et jamais il ne le fi|L ^^4./ ^rr^ reparattre sous la forme qu'il lui avail d'abord donn^e. Tou-f<^ tJ^On't tefois, s'il se sonmet, il n'est pas convaincu, comme on en peut juger par ce passage d*une de ses Lettres : « J'avoue que si ce sentiment du mouvement de la terre est faux , tons les fondements de ma philosophie le sont aussi » parce quMI se dimontre par eux ^videmment. II est tellement Ii6 avec les parties de mon traits, que je ne Ten saurais detacher sans rendre tout le reste d^fectueux. » Plus tard , encourage par I'exemple d*un grand nombre de philosophes et de math^- maticiens catholiques que n'avait pas retenus la condamna- tion du Saint-Office , il transporta dans les Vrineige^ cette opinion du mouvement de la terre , mais en se servant d'un biais pour ne pas heurter de front la Bible et les thtologiens. II se defend de la pretention d'expliquer les choses telles qu^elles sont » il ne veut que faire une hypoth^se pour con- naltre les ph6nom6nes et rechercher les causes naturelles, et il adopte celle de Gopernic, qui lui semble plus claire et plus simple que celle de Tycho , mais en ayant le soin de ne pas attribuer du mouvement (1 la terre. Or, voici comment il ima- gine de faire mouvoir la terre sans lui donner du mouvement. On ciel liquide Tenvironne et la porte ; elle est emport^e par Ic cours de ce ciel, comme un vaisseau qui n'est pouss^ ni par Ic 186 vent, ni par des rames, quoiqoe en repos aa milieu de la mer, pent dtre insensiblement emport^ par !e flax et le reflax de cette grande masse d*eau. Ainsi croit-il ^yiter le mouvement de la lerre avec plas de soin que Gopernic e( plus de v^rit6 que Tycho. Ge sont done les tourbillons qui , emportanl la terre , lui donnent son mouvement. Par les lourbillonss'expliquent ausst la pesanteur, la lumi^re, la chaleur, qui sont les trois princi- pales actions par lesquelles tous les corps ont ^t6 pro^uits. Descartes fait de la pesanteur un efllet de la Force centrifuge des tourbillons et non une propri^t^ inh^rente h la mati^re. C'est une loi de la nature que tout corps qui semeut en ligne courbe, tend k s^^loigner du centre de son mouvement, par une ligne droite qui toucherait la courbe eti un point. Telle on voit la fronde qui s'ichappe de la main. La force de la pe- santeur ne consiste qu'en ce que les parties du petit ciel qui environnent la terre , tournant beaucoup plus vite que les siennes autour de son centre, tendent aussi avec plus de force A s'en Eloigner, et par cons^uent repoussent vers le centre les parties de la terre. En eSet , cette force sup6rieure avec laquelle la mati^re du ciel tend k s'Sloigner du centre de la terre, ne re$oit son effel , h cause de f impossibility du vide , qn^autant que ses parties montent 5 la place de quelques par- ties terrestres , qui sont forc^es de descendre k la leur. Qu'on se repr^ente les parties terrestres dans la mati^re subtile , comme un corps plough dans un liquide d'une moindre pe- santeur sp6ci6que ; de m6me que ce liquide le repous&e vers le cdl6 oppose h celui ou il tend par sa pesanteur, de m^me les corps terrestres, ansein du tourbillon, seront repousses vers le milieu dont il tend k s'^loigner (1). L' effort que font toutes (I) Montucla, Histoire des Mathcmaliques, 2^ vol., part. 4, livrc 3. 187 les parlies de la roaliire du ciel pour occuper sa place et le coDtraindre k descendre , voili en quoi consiste la pesanteur d'ao corps. QimdI k la diversil6 de la pesanteur des corps* elle r^salte de la diversild des 6I6menU doDt ils se composeiiU Plus ils cootienueDl de matiire subtile et moios ils ont de pe- saQteor, parce qa'ils tendent davantage k s'^loigoer du centre de la lerre. Telle est cette explication de la pesanteur par la force centrifuge des tourbillons, que d'Alembert juge la plus belle bypoth^se que jamais peut-^tre le g^oie de rhomme ait coucoe. Descartes tirait aussi de ses tourbillons uoe explication non moins s6duisaotedu flux et du reflux. La matidre subtile, plus press^e dans son passage r6tr6ci entre la luoe et la terre , presse davantage les eaux de la iner qui s*enfoncent sous les tropiques et s'^livedt vers les pdles, et aussi les marines oe soot- elles jamais plus hautes qvtk la pleine et k la nouvelle lune. Descartes avail done remarqu^ que le flux et reflux de la mer se r^gle principalemeot sur le mouvement de la lune , et s'i' n'a pas dteouverl la vraie cause du pb6nom6ne , au moins a- t-il mis ses successeurs sur la voie. La Inmifere, comme la pesanteur* est un eflet dela matiire subtile et des tourbillons Elle ne vient pas du soleil k nos yeux , mais elle est produite par la force centrifuge du tour- billon, qui pousse la matiire subtile centre nos organes. L'ef- fort que fait la maU^re du ciel pour s'iloigner de son centre et se pousser k la circoof^rence , voilk la cause de la lumiire. Cette action fort prompte et fort vive est transmise* en un in- stant* k nos yeux par Tair et les autres corps transparents , de la m^me fa^on que le mouvement ou la resistance des corps qu'un aveugle rencontre passe k sa main par fentremise de son bdton. Cette action sur Torgane y produit un mouvement particulier, a Toccasion duquel a lieu dans Tdme la sensation de la lumi^re. Par la Ih^orie des ondes oudes vibrations , la 188 physique moderne a iri abandonn^ Newton .pour revenir :\ Descartes. Les diverses mani^res dont les corps regoiventet renvoient la lumi^re contre nos yeux produisent les diverses sensations de couleurs. Selon la nature des diffi^rents corps que rencontre la Iumi6re , ses rayons sont r^fl^chis , r^fract^s ou disperses, line des plus belles d^couvertes de Descartes est celle des lois de la refraction. II discute dans plusieurs de sesLettres la m6- thode qu'il a suivie pour les d^couvrir, et 11 cite comme Tayant eclair^ et guid6» ce principe apriorij que la nature, pour ar- river k ses fins, prend toujours les voies les plus simples, natu- ram per vias breviores semper operaru Huygens a accuse Descartes , mais sans preuves suffisantes , d*avoir ddrob^ h Snellius la gloire de celte d^couverte (1). Descartes explique la chaleur de la m^me fagon que la lu- mi6re , par I'agitation des petites parties des corps quexcite Faction de la mati^re subtile. Gette agitation des parties des corps devient-elle plus grande que de coutume , elle agite les nerfs et produit en notre dme la sensation de la chaleur. Si la chaleur persiste en Tabsence de la Iumi6re, c'est que, ceite agitation elle-mdme persiste, jusqu'i ce que quelque autre cause vienne TOter. La pesanteur, la lumi^re, la chaleur sont les trois principales actions qui rftsultent directement de Tin- fluence des tourbillons sur notre globe. Ges actions, combin^es avec la diversity des elements, suffisent (i Descartes pour ex- pliquer, dans la derni^re parlie des Principes , tous les corps et tous les ph6Dom6nes , les m^laux , les sels , les bitumes , (1) n dit dans une lettre : « Ccs lois de la refraction ne sont pas de Des- cartes, selon toute apparence, car il est certain qu'il a vu le livre manuscrit de Snellius. » H ajoute « qu'il n'aurait fait que se servir des sinus au lieu des secantes, comme I'avait fait Snellius, ce qui ne change rien au theoreme. » (Frag.philos. deM. Ciousin, 2« vol., 3* edition.) 189 les IremblemenU de (erre, la foudre , les propri^tis de Tai- mant el celles de la plupart des corps. Force centrifuge des toarbillons , mouvement , disposition , figure des parties , il n'en faal pas davantage h Descartes pour expliquer Tunivers entier. Quoiqa^elle ait 6{& convaincne de ne poavoir rendre compte de tous les ph^nom^nes, n^admirerons-nous pas cepen- danl la puissance, la simplicity, la fi6condit6 de cette hypotbise qui embrasse funivers enlier, qui porte en elie une explica- tion universelle des choses, qui, par les mdmes principes, rend compte de la formation d'un sel ou d'un soleil, du mouvement des astres ou de celui d'un insecte ? Ne nous ^tonnons pas qu'elle ait s6duit de grands esprits et qu'ils aient fait longtemps les derniers efforts pour la dtfendre. Toutefois , dans cette partie des Principes qui devait com- prendre tous les corps et tous les ph^nom^nes , on doit re- marquer que Descartes laisse de c6t6 les corps organises. Dans une de ses Letlres , il prSvoit que cette omission lui sera reproch^e : « lis y trouveront peut-6tre k redire sur ce que je n'y parte pas des animaux et des plantes , et que j'y traite seulement des corps inanim^s , mais ils pourronl remarquer que ce que j'ai omis n'est en aucune fa$on nicessaire h I'intei- ligence dece que j^ai 6crit (Ij. » Huygens, dans une lettre ^ Leibnitz , reproche en effet k Descartes cette omission , qu'il attribue, a Timpuissance de rendre compte de la formation des animaux, h Taide des particulesetdu mouvement. Cependanl les Trains de Vhomme et de la formation du foBtUB suppl6ent jusqu'^ un certain point h cette lacune des Principes , puis- qu'ils renferment une explication m^canique de la formation des corps organises et de tous les ph6nom6nes de la vie. Rebuts d'abord de la difficulld d'une telle entreprise , Descartes nous (1) Ed. Cousin, tonulXj-p. 178. 190 apprendqii'ilcroyaitparla suite en avoir triomph^JlQes*6laU, diUil^d'abord propose que de mettreau nelcequUl pensaiteou- nattrede plus certain touebant les fonctians deranimal, parce qu'ilavait presque perdu Tesp^rance de troaver les causes de sra formalian. « Mais , en m^itanl lii-dessus, j*ai tant dicouverl de nouveaux pa;s , que je ne doute presque point que je ne puisse aehever toute la physique sebn mou soubait , pourvu que j'aie du loisir e( la commodity de faire quelques exp^-- rience^ (1). » Descartes attribue au corps tout ce qui a' est pas la pen- ste 9 et tout ce qui est dans le corps , il Teiplique par un par mteaDisme. Tout le TraiU de I'Eomme s'appuie sur cette supposition, que le corps ne serait qu'une statue ou une luacbine de terre, formte eipr^s par Dieu^ pour la rendre aossi semblable h nous qu'il est possible. Descartes j niat loutes les parties oteessaires pour racoonttplissemeut des fooetiona of«- gauiques , parties eiactement semblablos< h celles de noto corps, qu'il est en consequence inutile de ddcrire, etdantiilF faut seuleraent expliquer les divers loauvenftents. Le pb^no-*- mb&Q de la digestion a lieu< par riftterventioB de certaines^ lj»* c^urs, qui se glisseat entre les parties des aiiufcents d^osto dans Teslonoac , et agiasent cooDDie Teau commune sur la cbaux vive, ou comme Teaa forte sur les mtoux. On peut en- core supposer qu'll se pi^oduit dans Testomac une fermenta-* tiOD semblable b^ celle qui a lieu dans du foin entass^.Mais le plus remarquable mouvement qui doive s'op^rer en cette ma- chine es4 celtti du coBur« La chair en est si chaude et si ac- dente qu'i mesure que le sang j arrive des. veines > il s'y va- pcwise et s'exhale ensoUe dans le poumoo^ ou il a'dpaissit , rafirateht par Tair. Gette dilatation et ceUe condensation al- (1) Ed. Cousin, torn. IX, p. 364. 191 lernalives dusang soot la cause du mouvement du coeur. La chaleur da coeur est done le grand ressort de tons les mouve- ments qui sont en celte macfaine , c*est elle qui eogendre les es- prits aninoiaux , lesqueis h leur (our meuvent tous les mus- * cles du corps. L*hypoth6se des esprils animaux n'esl pas particuli^re k Descartes. Elle est dans Hobbes et Gassendi , et, apr^s avoir servi k Descartes, elle servira h Malebrancbe et au XYIP si6- cle tout entier. Tous les pb^nom^nes de la vie , de ThuiDeur et de la passion furent alors expliqu^s par les esprits animaux, et, pour plus de commodit^^ on en imagina de diffiSrentes es- p^ces; il y eui des esprits animaux agi(6s» des esprits animaux languissants t et m6me des' esprits animaux libertins. Yoici comment Descartes explique la formation des esprits animaux. Le sang qui arrive des veines , apr^ s'^tre vaporish dans le ccBur, se condense dans le poumon , mais les plus vites , les plus subtiles , les plus fortes parties de ce sang vaporish par le cceur, aja lieu des'arr^ter au poumon, montent jusqu'au cer- veau en beaucoup plus grande quantity qu'il eat n^cessaire pour la nourriture de sa substance. Ges petites parties sont les esprits aaimauxtUne mobility ex- cessive>» semblable h celle des parties de la Qamme d'un Qaixv- beau, etqui produiseot dans le cerveau comnxeun vent tr6s- subtil, ouuBeflamme tr&s-vive.Log^s enquantit^isinnombra- bles daas lea pores iunombrables du cerveau> ils n'y soni p^ immobilea et emprisonn^s,. ila entrent et aorleut k chaque in- staott. Notre Ame se d^termiue-t-elle ^ quelqae moayemeDt dans le cerveau, ila passent ducerveau dans tes aerfs ou its out la force de changer la figure des muscles* ' Doscartes compare leur action h celle de Teauqui s'^cbappe de sa source on de certains tuyaux, avec une force suffisante pour mettre en mouvement dlverses machines j ei il compare Tdme r^si- daut dans le cerveau au fontainler qui fermant et ouvrant k 192 son gr6 ces divers luyaux , fail mouvoir ou arrfiler ces ma- chines. En eflfel, pour les besoins de Vhypolhise, il imagine que les nerfs sonl de pelils luyaux, par iesquels les esprils ani- maux s'6coulenl du cerveau dans les membres, pour les mellre en mouvemenl. Lc muscle s'enfle, se raccourcil ou s'allonge, loTsque les nerfs eux-m6mes s'enflenl, se raccourcissent ou s'allongenl, selon la quanlil6 des esprils animaux qui y enlrenl ou en sorlenl. Toul dans le corps humain el dans les diverses fonclions des organes n'esl done que pur m^canisme, c'esl-4- dire, ne s'accomplil qu'en verlu des lois g6n6rales du mouve- menl, el sans Tinlervenlion d'un principe vital ou d'une force parliculifere quelconque. Ce caradfere g^niral de la physiolo- gie de Descarles esl parfailement r6sum6 dans ce passage qui lermine le Traiti de V Homme : « Je desire que vous consi- dSriez apr^s cela que loutesles fonclions quej'ai allrlbu^es k celle machine, corome la digestion des viandes, le ballement du coeur el des artires, la nourrilure el la croissance des membres, la respiration, la veille el lesommeil, la perception de la lumifere, des sons, des odeurs, des goiits, de la chaleur, el de lelles aulres qualit^s dans les organes des sens exl6- rieurs, Timpression des id^es dans Torgane du sens commun el de Timaginalion, la retention ou Tempreinle de ces id^es dans la mSmoire, sonl de telle tialure qu'ils imilenl le plus parfailement qu'il esl possible ceux d'un vrai homme. Je de- sire, dis-je, que vous consid^riez que ces fonclions suivent tout nalurellemenl en celle machine de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d'une horloge ou autre automate de celle de ses contrepoids el de ses roues, de sorle qu'il ne faul point, h leur occasion, concevoir en elle aucune autre Ame v*g6lative ou sensitive, ni aucun autre principe de mouvemenl el de vie, que son sang el ses esprils agil^s par la chaleur du feu qui bnUe continuel- 193 lement dans son coeur, el qui n*est point d'autre nature qae tous les feax qui sont dans les corps aoini^s. » Malebranche et d'autres cart^iens, n^osant comme Descartes pousser le mteanisme jasqu'^ la formation da germe, l^ont restreint k Texplication de ses d^veloppemeats, et ont admis la pr^exis-^ tence des germ^s. « L'^baache de ce philosopbe, dit Male- branche, k propos du TraiU de la formation du fmtus^ pent nous aider k cbmprendre comment les lois du mouvement suffisent pour fairecrottre pea 4 pea les parties d'un animal, mais que ces lois puissent les former ou les iier toutes ensem-^ bles, c'esleeque personne ne prouvera jamais. Apparemment M. Descartes Ta bieii reconno Iui-m6me, car il n'apaspouss6 fort avant ses conjectures ing^nieuses (1). » G*en est assezpour montrer Tesprit gdn^ral de la physio- iogie de Descartes, et le lien qui la rattache h sa physique ainsi qu'^ tout le reste de son syst^me. Descartes a fait une rivolation et une ^ole en m^decine comme en physique et en m^taphysique. II y a eu des m^decins cart^siens et des chaires de m^decine cart^sienne en France, en Hollande et en Italie. II y a eu et il y a encore une 6cole en mMecine qui a suivi le mdcanisme de Descartes, et qu'on a quelquefois d^si- gnte sons le nom d'^cole iatrom^canique. Borelli a m le plus illustre repr^sentant de cette £cole, et son cil^bre ouvrage sur le moavement des animaux n'est que le d^veloppement des principes physiologiques de Descartes (2). (1) Entretiene nUtaphy piques, XI, 8 ^ (2) Ne a Naples en 1608, moH en 16t9v Grand medecin et grand mathe- I maticien, son ouvrage est intitule : De motu animaHum, opus poathumum. Rome, 1680, 2 vol. in-4<^. Dans ses Entretiens metaphysiques^ Malebranche en porte ce jugement : « J'ai lu dcpuis peu un livre du mouvement des ani- maux qui merite qu*on Texamine. L'auteur considere avcc soin le jeu de la machine necessaire pour changer de place. II explique exactement la force I. .13 194. Si desm^decins de celte6cole oni voulufaire tourser auprofit da mat^rialisme le mteanisme physiologique cartMen, jl nest pas jasle de rendre responsable de cette grossiire coDfosion le philosophe qui a si profooddnienl dislinga^ T Ame du corps^ tandis qu*il faut lui faire honneiir des grands services rendas par celte £cole. Non seulemeni la pbysiologie de Descartes a d^barrass^ la science de toutes ces causes occultes et mysMrleu- sesyde toutes ces Ames, esprits on archtes qui d^tournaienl de I'obserfation des ph^nom^nes, mais aassi, par cela mdoie qu'eile se fondaii exclusivement sor raDatomie, etie a coik- tribu^ aux progr6s de la connaissance das organes el de leurs fonctions^ e( aux progr6s de Tart mMical (1). des muscles et les raisons de leur situation, tout cela par les principes de la geometrie et des mecaniques. Mais, quoiqu*il ne s'arrete guere qu'a ce qui est le plus facile a decouyrir dans la machine de Tanimal, il fait connaitre tant d'art et de sagesse dans celui qui Ta forme qu*il rcmplit Tcsprit du Ice- teur d'admiration et de surprise. » (1) Voici le jugement qu'en porte M. Flourens dans son ouvrage sur la vie et les travaux de Buffon : « On se recrie sur les esprits animaux dont en effet Descartes abuse. Je reponds qu*il font savoir degager le fond durable d'une opinion de ce qui n*en est qu'un aecessoire, toujours different suiyant les epoques. A Tepoque de Descartes on avait les esprits animaux , comme k r^poque de BufEbn, on cut les ebranlements organiqucs. Les esprits animaux ne sent ici que I'accessoire, le fond est I'organisme... Oublions le petit meca- nisme des esprits animaux imagine par Descartes, oublions toutes ces petites explications de ce qui ne s'explique pas, Taction du cerveau , Taction intime de Torgane, et remarquons une belle et grande vue, grande et belle surtout au temps de Descartes, la vue de supprimer toutes les 4mes yegetatives et sensitives dont les anciens avaient embarrasse la science, la vue de reduire tout dans la brute k Torgane et k la function de Torgane. » (Page 122.) I Le mtoe jugement est developpe dans une these soutenue en 1850 a la Faculte de Medecine de Montpellier par le docteur Jaumes sur cette ques- tion : De Tinfluence des doctrines philosophiques de Descartes et de Bacon sur les progres de la medecine. 195 Le m^caiitsiiie pos6 oomme cause immMiale de (ous lea phteomines de la natore, est done le (rail caract^rislique ^ essentiel de la physique cart^sienne. « Je n'ai rien troav6, dit Descartes, sar la nature des choses mat^rielles dont je ne puiflse tr^s-facilemeiit dooner une raison in^caiikpie (1). » Quelles oe sou t pas rimpof tance et la f aleuf , skiOD dans r^tal ae^ iuelde la science, au inoinsdens sod histoire, decettephysiqve elde ees lourbilions, si dteri^ par le XVllP siMe qui, en phy- siqae, a sacrii^ Descartes li Newton, comme h Locke en m^ta* physique. CepeodMl tout le XVIIPsitele n*a pas^t^injusle h regard du gitoie de Descartes dans la physique, et nous pouvoDS iuvoquer le t^nuiignege de ceux-la ipdmes qui ont le plus ooDtrtbu^ au triomphe de ratlraetion. Vottaire , si pr^vene en faveur de Newton, n'en juge pas noins que Des- cartes, ^ni nous a mis sor ia voie da la ?6rit6, Taul eelui qm apris Ini a iU jasqu'au boat de la carrMre (2). L^adonraiion de -d'Alembert poor le g^nie dont tifcmoigne la physique de Descartes est plus grande encore : « Sa dfoptrique est la plus graadeietla plas belle application qu'on aitfaite encore de la gtomitrie k la {Aysiqiie. On voU partont dans ses ouvrages, mdsne les tnoias ios maintenant, percer te g^nie inventeur. Si Ton juge sans partiaKt^ «es toiirbiHonsdevenus aujourd%ul presqoe ridicules, rmes substanlielles , lesqualites occnltes, les sympathies » les horreurs de la physique ancienne, pour y substituer lea prindpes simples et clairs de la forme , du mouvement , de la disposition des parties de la matiire; c'est lui quia rameni e premier le problime de I'univers k nn simple probieme de (1) Discours prelim, de TEiicyclopedie. (2) L*ouyrage de M. Bordas-Demoulin sur le cartesianisme coniient une appreciation approfondie des grandes decouvertes de Descartes et des servi- ces qu*il a rendus aux mathemaiiques et & la physique, et les preuves de la superiorite de son genie sur celui de Newton. 197 m^canique (1). Par la, il a pr6par6 les voies k Newton ; par li, ii a fait plus que Newton. Ainsi le g^nie crftateurde Des- cartes a laiss^des traces presqueaussiprofondes dans la phy- sique que dans la m^tapbysique ; ainsi il a ro^rit^ le titre de p6re de la physique, aussi bien que celui de p^re de la m^taphysique moderne. (1) « Descartes essaya le premier de ramener la cause du mouvement ce- leste a la mecanique. » Laplace, Systeme du mondey livre 5, chap. 5. CHAPITRE X. Descartes aux prises avee les philosophes et les theologiens les plus renom- mes de son temps touchant les principes des MSditaHona. — r Objections de Caterus contrc les preuvcs de Texistence de Dieu. — Aucune autre cause requise parl'idee que Tesprit] lui-meme. — Equivoque de Texpres- sion d'etre par soi. — Reponse de Descartes. — Pourquoi il ne s*est pas servi des choses sensibles pour demontrer Dieu. — Tendance empiriquc des auteurs des sccondcs objections. — Comment Descartes se justifie de n'avoir pas fait entrer le complement de la possibilite dans la demonstra- tion de I'existence de Dieu. — Sa mauvaise humeur contre les objections tirees de la Bible. — Exemple de la methode geometrique applique aux Meditations. — Observations de Descartes lui-m4me sur les inconvcnicnts de cette methode en metaphysiquc. — Objections bienveillantesd*Arnauld. — Principales difficultesd'Amauld commephilosophe et comme theplogien, sur la distinction de Tame et du corps, sur Ic sens positif de Texprcssion d'etre en soi, le danger de la regie de I'evidence , I'incompatibilite avec I'Eucharistie du sentiment de Descartes sur la matiere. — Concessions de Descartes sur les details et sur les expressions. -^ Tentative pour conci- licr avec I'Eucharistie Tindistinction de la substance et des accidents. — Amauld satisfait. -—Deux nouvellcs lettres d'Amauld a Descartes. - Rcfus de Descartes de s'expliquer sur I'indistinction de la matiere et de I'exten- sion locale par rapport a I'Eucharistie. — Objections de Hobbes, erudite de son materialisme. — Repulsion de Descartes a I'cgard de Hobbes. — Juge- ment sur le De Cive. Avantde passer aux disriples et h leursadversaires, voyons le mattre lui-m^rne aux prises avec les philosophes et les 1»9 ibtologietis les pitis renomm^s de son temps, et retragons «Be pol^mique qui doit servir de compliment el de Idmiire ii Tex position de sa pbilosophie. Descartes ne voalut pas pu- blier. les Jlitditalions avant de les faire passer par r^preuye d*ane solennelie discassion. Liii-m6me H a provoqui les o\h Jections de Ions les iMologtens et de tous les philosopbes de la Sorbonoe, de la France, de TAnglelerre et des Pays-Bas. Les Miditaiians ont ^ii mises poar ainsl dire h la question dans leas les tribunaux de la pbilosophie. Nous allons voir Descartes soutenir victorieusement le cboc des plus redou- tabies adversaires, en appuyani de nouvelles preuves et en idairant d'^one plus yive lumiire les principes fondamentaux da Discows de la Mithode et des Miditations. Avant de faire imprimer les Miditations k Paris, il en Gt done circolerqueiqoes copies en Hollandeet en France pour re* caeillir, eonfime il le dit lui-m^me. des objections dont il pdl profiler et pour iclairer ses principes par la discussion. Ges objections avec led riponses de Descartes furent puUites k la suite de la premiere Edition des MMUalions (1). Quels sont les philosopbes et les tbtologiens qui , ripondant k Tappel de Descartes et du P. Merseone, Brent I'examen critique des Uidi- tatiimSj queilessontleursprincipales difflcultis, leurs plus sp6- cieuses objections, etquelles sont en regard les explications et les riponses de Descartes ? Nous ne ferons que les passer rapi- dement en revue, d'autant que d^jit nous avons dd nous en servir, pour (iciaircir et commenter quelqnes parlies de la m^ taphysique de Descartes. Le premier qui entre en lice est Gaterus, docteur en Ihto- logie de la Facuiti^ de Louvain. G'est un adversaire plein de respect et qui proclame Descartes un grand esprit. II attaque (1) Elks ontete trarhiites en franrais par CIcrselicr. 200 le fondement *m6ine de la preare de Texisleiice de Diea par SOD idte. En effet, il lui semble que toates les id^es ne sont qa'un acle de Tesprit qoi n'a pas besoia d'ane autre cause que I'esprit Iui*in6me et n'en requiert aucune autre hors de nous. Ge que Descartes dit de Vidte de triangle, « encore qu'il n'y ait en aucun lieu du monde, hors de ma pensie, une telle figure^ ]» on pent le dire de toutes les idtes. D'ou il condamoe la preuve de Texistence de Dieu par Tidte de Tinfini. D'ail- lenrSy il soutient quMI n'est pas vrai que nous connaissions clairement rinfini, d'apr^s cette maxime universellement re* (^ue, que i'lnfini en tant qu'inGni est inconnu. A cette premiere preuve il pr^C&re la seconde, dans laquelie il lui paratt que Descartes, comme Aristote et saint Thomas, suit la voie de la causality efficiente, Toulefois il lui reproche d*y faire encore intervenir les id^es, dont peul*^tre il n'^taitpas besoin. Mais Descartes ripond tr^s^bien, que si rid6e, en tant qu'id^e, ne peut exister en dehors de TentendemeRt, elle a besoin d'une cause pour 6tre con^ue par renlendement. Dire que I'en- tendement est cette cause, ne signiGe rien, car ce dont il s'agit, c'est de savoir pourquoi renlendement est d^termini h concevoir telle oo telle chose plulOt que telle ou telle autre* Or c'est dans la cause, qui a d^termin^ Tentendement k la concep- tion d'une id^e, que doit 6tre formellementcoutenuetoulela r^alit^ objective de cette id^e. De 15 la force de la preuve de Texistence deDieu tirtede Tid^ede rinfini.Gatirusreprend en- core Descartes sur ce qu^il dit, qu*en remontant de cause en cause, il faul arriver h une cause ayant la ver(u A' tire parsoi et en consequence la puissance de poss^der acluellement toutes les perfections que nous concevons 6tre en Dieu. II fait la re- marque qu*^/r<; par 8oi peut s'entendrede deux mani6res, soit en un sens n^galif, comme quelque chose qui n'existe pas par aulrui, soit en un senspositif, comme ^tre par soi-m6me ainsi que pfir une cause efficienle. Mais tout le monde Tentend 201 dans le premier sens, or de ce que Diea n'existe pas par au- trai, il ne suit nallement qn'il comprend tout et qu'il est infini. Descartes declare I'entendre au sens positif, que Dieu est la cause efficiente de lui-mdme, par ou il s'atlire des difficult^ avec Arnanld. S'il n'a pas d^montrft Texistence de Dieu par la causality efficiente et par les choses sensibles, c'est que I'existeoce de Dieu lui paratt plus ^Tidente que celle d'aucane chose sensible. II avoue que Tinfini, en tant qu'infini, n*est pas compris, mais, s*il n'est pas eompris* il est entenda, car entendre clairement et distinctement qu'une chose est telle qa'on ne peut du tout point y rencontrer des limites, c'est clairement entendre qu'elle est infinie. Apris les objections de Cat^rus viennent celles de plnsieurs philosophes ou Ih^ologiens qui gardent I'anonyroe. Ges se- condes objections recueillies et probablement proposes en grande parUe par Mersenne Iui-m6me> sont en g6n6- ral empreintes d'empirisme, et nous donnent un avant- godt de celles de Hobbes et de Gassendi. Que savez-vous, disent leurs auteurs, si vous n'6tes pas un mouvement corporel on un corps remu6 ? Comment prouvez-vous qu'un corps ne peut penser? Comment pourez-vous afGrmer que Tid^e de Dieu ne proc6de pas de votre esprit? Ne suffit-il pas, que nous voyons en nous et en nos semblables qnelque degrS de perfection, pour que nous puissions ajouter des degr^s h des degr^s jusqu*^ Tinfini ? Mais nous retrouverons toutes ces objections dans la pol^miquede Gassendi et de Descartes. S'ils devancent Gassendi, ils devancent aussi Leibnitz en d^ clarant d^fectueuse la preuve de Texistence de Dieu , k moins qu'on ne prouve que sa nature est possible ou bien quil n'implique point que Dieu soit. Mais Descartes d^montre parfaitement que, la possibility de Texistence de Dieu 6tant comprise dans Tid^e m^me de la nature de Dieu, ce pr^tendu complimenl est d'une parfaite insignifiance. II n'y a d'im- 202 possibility qu*au sein des \i6ea confases, mais il ne peut y en avoir au sein des iddes claires et disiiQctes, et partant « a&n que nous puissions assurer que nous connaissons assez la na- ture de Dieu, pour savoir qu*il n'y a point de repugnance qu'elle existe, il suffit que nous enlendions clairement el dis- tinctemenl toutes les choses que nous apercevons dire en elle. » Ainsi Descartes a r^pondu & Tavance a Leibnitz. Les philosq>hes et les Ih^ologiens du P. Mersenne veulent aussi mettre Descartes en contradiction avec la Bible, sur ce qu*il a dit que Dieu ne pent 6tre trompeur. Dieu n*a-t-il pas signifie qnelque chose centre son intention, quand il dit par son prophite : encore quarante jours et Ninive sera d^ truite, puisque Ninive ne Ta pas ^16 ? Descartes se defend par la distinction entre les famous de parler accommod^es au vul- gaire et celles qui expriment une v6ril6 absolue. II ne dissi- mule pas n^annioins combien lui d^platt ce genre de diGB- cult^s, et dans les sixi6mes objections il diclarera ne plus vouloir y r^pondre. Enfin, ils terminent en demandant ii Des- cartes^ comme une chose fort utile, d*exposer les principes et les conclusions des Midiialions^ suivant la m^thode des g6o» metres : « afin que tout d'un coup et comme d*une seole ceillade, ?os lecteurs puissent y voir de quoi se satfcfaire et que vous remplissiez bien lenr esprit de la connaissance de la divinity. » Descartes veut bien d^f^rer k leur d6sir, apris avoir toutefois fait observer qu*une telle m^thode con- vient beaucoup mieux i la g^om^trie qu'& la m&taphysi- que, oil la principale difficult^ n*est pas de tirer des conse- quences, mais de concevoir clairement et distinctement les premieres notions. II donne done, k la fin de sa riponse, un abr^g^, sous forme g^om^trique, des principales raisonsdonf il a use pour demon trer Texistence de Dieu et la distinc- tion de r^me et du corps, qu'il resume en quatre propo-* sitions precedees de definitions et d*axi6mes. Mais cette 203 forme nouvelle, comme I'apprdhendait Descartes, diminue plat6t qa*elle D*augmeDte la clarti des Miditations. Gesi Ik sans doQle que Spinoza a pris Tid^e el le module de la forme g^om^trique de son exposition des principes de la philoso- pbie de Descartes et de VSthique, Pour ne pas s6parer Hobbes de Gassendi et pour r^unir ensemble des riponses h des objections de m6me nature, je passe imm^diatement k Arnauld et je place les qualrifemes objections avant les troisi6mes. Descartes aurait vivement d^sird publier ses Miditations avec une approbation en forme du corps des docteurs de la Sorbonne, auxquels il les avait dedi^es. Mais Mersenne en avait vainement communique di- verses copies h plusieurs docteurs de la Faculty de th^ologie pour les convier h un examen de Touvrage. Its s'abstinrent soit, dit Baillet, parce qu'ils n'y Irouvaient rien h bl^mer, soit parce qu'ils ne Tentendaient pas ou qu'ils n'en apprd- ciaient pas Timportance. Dans tout ce grand corps il ne se trouva qu'un jeune docteur qui consentit k prendre la plume. Ce jeune docteur ^tait Arnauld, alors dg6 de 28 ans. II 6tait prepare h eel examen par un cours r^gulier el complet de philosophie qu'il avait lui-m6me enseign^e en Sorbonne au college du Mans, de 1639 h 1641. G'est une bonne fortune pour Descartes de rencontrer un pareil adversaire, ou plut6t un pareil disciple. Arnauld s*incline devant son g^nie, il proclame les Miditations un excellent ouvrage, il 6crit au P. Mersenne qu'il met au rang des plus signalSs bienfaits la communication qui lui en a &ik faite. II a m6me la pre- caution de ne presenter ses bienveiilantes critiques queconame des difficultes que d'autres pourraient faire, plut6t que comme des objections qui viennent de lui-m^me, etd'ailleurs il donne la plus complete adhesion & tons les grands principes de la philosophie de Descartes. II annonce qu'il jouera successi- vement deux personnages dans ses objections : « D*abord 204 paraissant en philosophe je repr^senterai les principales difficull^s que je jugerai poavoir 6tre propos6es par ceux de cetle profession , touchanl les deux questions de la nature de Tesprit humain et de Texistence de Dieu, et apr6s cela prenant Thabit d'un th^ologien* je mettrai en avant les scm- pules qu'un homme de cette robe peut rencontrer en tout cet ouvrage. » II se platl d'abord h signaler une remarquable analogie entre Descartes et saint Augustin touchant le prin- cipe fondamental de la science. II cite des passages de saint Augustin semblables & ceux dans lesquels Descartes pose comme invincible & tous les efforts les plus d^sesp6r^s du scepticisme Tirr^sistible Evidence de cette proposition : Je pense^ doncje suis. Descartes recueille avec joie ces analo- gies qu'il ignorait, et il ne manquera pas, comme feront aussi ses disciples, de s'en pr6valoir contre d'autres th^olo- giens moins bienveillants. De 1^ Arnauid passe a la question de la distinction de r^me et du corps, qu'il croil n'^tre pas suffisamment fondle dans la conception claire el distincle de iMme ind^pendam- ment du corps. Si cette conception prouve bien que nous pouvons avoir quelque connaissance de nous-m^mes sans la connaissance du corps, elle ne prouve pas que cette connais- sance soil complete et enti^re. Ne se pourrait-il done pas, objecte-t-il avec presquetous les adversairesde Descartes, que la chose qui pense fdtune chose ^tendue, laquelle, ind^pen- damment des propri^t^s de la chose ^tendue, aurait la pro- pri^t6 de penser? Pour affirmer le contraire connaissons-nous done, d'unemani^re assez complete, la nature de Tdme et du corps? D*un autre c6t6 ne pourrait-on pas craindre que cet argument ne prouve trop et ne tende h 6ter le corporel de Tessence de Thomme ? Cependant tout ce que dil Descartes touchant la distinction de 1' imagination et de Tintelleclion, sur la certitude des choses concues par la raison, plus grande 205 que celle des choses apergues par les sens, il I'approove grandement. D*autatil qu'il a depuis longtemps appris de saiot AugastiD qu^l faui rejeter le sentiment de ceux qui se per- snadent, que les choses que nous voyons parresprilsontmoins cerlaines que cellesque nous voyons par les yeux du corps. Quelques expressions et quelques details, voil^ tout ce qu'Arnauld Irouve b reprendre sur les preuves de Dieu et sur sa nature. Ainsi 11 a 616 choqn6 du sens posilif donni par Descartes dans sa r^ponse & Gat^rus h Texpression d'etre par soi. II ne comprend pas qu'on puisse dire que Dieu soil par lui-m6me et comme par une cause, ce qui revient k dire qu'il est un effet de lui-m6me. N'y a-t-il pas une manifeste contradiction h cequ'une chose soil par elle-m^me positive- ment et comme par une cause? Gomme personne ne peut donner ce qu'il n'a pas, nous ne pouvons concevoir une chose se donnant F^tre k elle-ra6me , sans concevoir que iijb elle le poss6de. Dieu ne peut done 6tre par soi posi- tivement, ma is n^gativemenl , en ce sens qu*il n'esl pas par autrui, ce qui ne porte aucun prejudice h rinfinil6 conte- nue dans son id6e m6me. Si Ton demande pourquoi Dieu existe, il ne faut pas r^pondre par la cause efficiente, mais seulement parce qu'il est Dieu, c'est-^-dire, un 6tre infini ; et enfin si Ton demande pourquoi il n*a pas besoin de cause efficiente» il faut ripondre parce qu'il est un 6tre infini dont rexistence est son essence. Enfin il ne reste plus h Arnauld qu*un seul scrupule philosophique* celui du cercle de T^vi- dence prouv6e par Dieu et de Dieu prouv6 par Tividence. Quant aux choses qui peuvent arr6ter les thtologiens, d*a- bord il signale cette libre fagon de philosopher par laquelle toutes choses sont r6voqu6es en doute. II voudrait que Des- cartes averttt davantage que ce doute n'est qu'une fiction pour arriver k confondre les plus obstin^s douteurs. Peut- 6tre fandrait-il aussi avertir, pour 6viterbien des difficult^s, 206 que dans la qualri&me MMitation^ il ne traile de rorigiite de Terrear, qo^ par rapport aa vrai et ao faux, et non par rapport aa bien et au mal. Amauld insiste sar rimportance de bien marquer, qne le pr^epte de ne donner cr^ance qn^h ce qu'on conceit clairement, s^appliqae sealement auz choses de la science et non aux choses de la foi : « De peur qoe plusieurs de ceux qui penclienl aujonrd'hni vers TimpiAtA, ne pussetit se servir de ses paroles poar combattre la foi. » Mais il pr^voit que les thtologiens s'offasqueront snrtont de la destruction des qualit^s sensibles ou de leur transforma- tion en itendue, figure et mouvement, dont Texistence est inconcevable ind(^pendamment de la raati^re. Comment condlier cette doctrine avec la foi del'Eglise qui enseigneque, dans TEucharistie, la substance du pain n'existant plus, les accidents du pain continuent d'exister ? Descartes se montre plein de condescendance pour un ad- versaire d'une aussi grandeautoritS et d'une aussi grande bien^ veillance. II s'empresse d^iclaircir certains points, de retirer quelques expressions, de donner raison sur tous les details et dans rimpression des MiditationSy il suit la plupart de ses conseils. Mais il n'abandonne pas sa demonstration de la dis- tinction de r^me et du corps, ni aucnn des principes essentiels de sa philosophie. II persiste h croire qu'il n^est pas besoin d'avoir une connaissance complete de Tflme et du corps, pour concevoir clairement leur distinction. II sufBt quMl n'y ait rien dans le concept de Tun qui entre dans le concept de Tautre et r6ciproquement, que Vesprit soit con(u comme une chose subsistante, quoique on ne lui attribue rien de ce qui appartient ao corps, et le corps comme une chose subsi- stante, quoique on ne lui attribue rien de ce qui appartient k Tesprit. II n'admet pas non plus qu'il risque de Irop prouver, et quMl ait fait de Thomme un pur esprit se servant du corps. De ce que Tesprit peut 6tre congu sans le corps, il n'en r6- 207 suite poiol que le corps ne. fasse pas portie de Tessetice 4e I'hoinme entier, et il rappeile qu'il a dit que Tesprit est sob- staDtiellemenl nni au corps. En ce qui coocerne les ob- jections relatifes k Dieu , it accorde qu'on peut prendre les choses aa sens ou I'auteur lesentend, etil se defend d'avoir voula dire en aucan lieu que Dieu soit un effel de hii- rn^me. La puissance qui est Dieu est la raisoo pour laquelle il u'a pas besoio de cause et la cause positive de Texistence de Dieu est dans soo immensity, voili settlement ce qn'il a voulu dire par Dieu cause efBciente de soi-m^me. Passant k rexameD des derni^res raisons d'Arnrakl sur te» choses qui peuvent arr^ter les iMologiens , Descartes s'ex- prime ainsi : « Je me suis oppos6 aux premieres raisons do m. Arnauld, j'ai tdch^ de parer eax secondes, et je donne- entiirement tea mains a eelles qui suivent , excepts k la der- Di6re, au aujet de laquelle j^at lieu d'espdrer qu'ii ne me sera pas difficile de faire en sorte que lui-*mtaie s'accommode ft mon avis. » II aroue qu*il ne peut croire aux accidents r^els. II lui para! t cootradictoire de supposer que toote la substance du pain et du vin soil chang^e et que les accidents demeurent au sacrement de rEucharistie. Ni r£giise, ni le Concile de Trenle n'ont fait des aoeidenls fMs un article de foi, et il es-*- pire qu*un temps viendra 06 cetle opinion sera rejet^e par les Ih^ologienS) comme peu sihre en la foi, r^pugnante h la raison, et du tout incomprehensible, et que la sienne sera re^se en sa place comme certaioe et iMhdiatable* Poor se Hrer de cette difficulty, il imagine de dire que te contact, qui est n6^ cessaire au senlimenl, se fait par lasaule superficie descorps, et de faire coosister celte superficie dans Idos les pelits inter-^ yaUes qui sont entre les parties d*un corps et non dans le petit circuit qui Tenvironne tout entier. La superficie du pain qui produit en nous la sensatimi est celle qui Couche et enviroMie imm^diateBeal diacune de ies petiies 208 parties. Gette superficie ne fait aucunement parde de la sabstance, ni m6me de la quantity du pain , elle n*a point d'entiti » et n^est que le terme qa'on congoit 6(re moyen entre chacane des pariicules de ce corps et les corps qui les eDvironnent. « Ainsi , puisque le contact se fait dans ce seul terme et que rien n*est senti si ce n'est sur ce contact, c'est une chose manifeste que de cela seul que les substances du pain et du vin sont dites 6tre lellement chang^es en la substance de quelque autre chose , que cetle nonvelle substance soit contenue pr6cisiment sous les ra^mes termes sous qui les autres itaient contenues , il s'ensuit nicessairement que cette nonvelle substance doit mouvoir tons nossens, de la m6me fagon que feraienl le pain et le vin, s^il n^y avait point eu de transsubstantiation. » G'est par \h que Descartes croit pouvoir concilier Tindis- tinction de la substance et des accidents qui est essentielle h sa philosophie avec les d^cisionsdu Goncile de Trente.II fait valoir comme un grand avantage f^conomie de miracles que pr6- sente son explication par rapport k Texplication ordinaire. Plus tard, il devait encore et moins heureusement revenir sur la m6memati6re. Quant k cette premiere explication de TEu- charistie, Descartes, surce point d^licat, comme sur tous les autres, parattrait avoir satisfait Arnauld, si I'on en juge par une Lettredu P6re Mersenne h Yo^tius, etpar deux nou- velles Lettres qu'Arnauld ^crivit k Descartes pendant son der- nier voyage k Paris et qu*on pent consid^rer comme une suite de ses premieres objections. « Je demandai derni^rement, dil Mersenne , h Tillustre anteur des quatri^mes objections, qui estestimd run des plus subtils et des plus grands thtolo- glens de cette Faculty, s*il n'avait rien k r^pliquer aux r^ponses qui lui avaient^t^ faites par M. Descartes ; il me dit que non el qu'il se tenait pour pleinement satisfait. » Dans Thistoire de la vie de Descartes, apris avoir fait mention du dernier 209 voyage de Descartes k Paris, en 1648, et de ses difticuUte avec Roberval, Baillet, ajoutequ^il rtossit mieux h regard d'an savant homme, qui feignant d'etre fort doign6, lui 6cri«- vit des environs de Paris , le 15 jaillet, une ietire, on il lai proposait divcrses difficaltte sar I'dme raisonnable, sur Dieu et la transsubstantiation. II remarqua, dit-il, dans la lettre de cet illustre ineonna les caractires d'un grand fond d'esprit, d'^rodition et d'honnfttet^. Get illustre inconnu, dont Baillet n'a pas su d^coiivrir ranonyme, n*est rien moins qu*Arnauld lui-m6me (l).Ordans la premiere de cesdeax leltres^ Arnauld dity qu^il a lu avec admiration et approuv^ presque entiire- ment toot ce que Descartes a Acrit touchant la premiere phi- losophie, et mdme il ie loue de la maniire dont il a concilia Tindistlnction de la substance etdes modes avec TEucharislie. Toutefois il lui reste encore deux ou trots scrupules dont il le prie de vouloir bien le d^livrer. Ge sont d*abord quelques difficult^s sur la doctrine que Tdme pense toujours et que la pens^e est Tessence de Tdme. V&m\^ est une substance qui pense , s^ensnit-il qu'elle pense toujours , ei ne sufiit-il pas de dire qu'elle a en soi la faculty de penser, de m6me que la substance eorporelle est, toujours divisible, quoiqu'elle ne soit pas toujours divis^e. II est n^cessaire, r^pond Descartes, que Tdme pense toujours actuellement , parce que la pens^e n'estpas seulement un attribut de Pdme, mais son essence, comme Textension est Tessence du corps. Mais comment la pensie, qui n'est qu'un mode, constituera- t'elle la substance de Tesprit ? L'essence de I'esprit devra (1) L'auieur de la Vie d^Artiauld ct de la Preface historique de scs OEuvres philosophiques dit : « Une note ecrite de la main de M. Arnauld sur Texem- plaire de la Vie de Descartes par Baillet que nous avons entre les mains nous apprend que Tillustrc inconnu dont il est parle , p. 347 et 348 , est M. Arnauld lui-m^me. » (Tome 38 des (ffinvres d*Arnauld.) — Voir Baillet p. 346 et 348. I. 14 210 done varier comme chacane de nos pens^es. La pens^e en g^n^ral peat-elle 6(re disUogu^e de chaque peDsteen par* ticulier, si ce n'est par une abstraction de notre enteodement ? Selon Descartes, la pens^e, essence de V^me » n'est pas que generalisation de Tentendement, mais one nature parlicali^re recevant en soi tons ses modes, et la penseeldiffire de tell? ou telle pens^e, comme Textension de telle oa telle maoiere d'extension. A propos des preuves de rexislence de Dieu , Arnanld r^^ p6te les eioges qaMl a d^j^ donnas h DescarteSf « Les raisons dont vous vous servez pour prouver Texislence de Dieu , oe me seroblent pas seulement ingeoteuses, comme tout le monde Tavoue, maisde vraies et soiides demonstrations, par- ticulierement les deux premieres. » Gependanl, dans la troi* sieme, il trouve une difficult^ relative h ce que Descarles dit de Tindependance de tous les instants du temps ii regard les uns des autres. De quel temps Descarles veut-il parler ? Est-^ de la dur^e de Tesprit ? Mais elle est ui^e chose permanente et non successive, elle ne peut avoir de parlies ; est-ce du temps, qui est la duree dumouvement,dusoleil, desaslres,etc,,.lequel seul a des parties? II semble que cela a'apparlien^ en aucune fa$on h la conservation de Tesprit, puisqoe tout ce qui y a rapport est independant de Texistenoe du corps. II faut done quMi explique ce que c^est que la duree et en quoi elle differe de la chose qui dure. Sur ce qu'il entend par la duree, Des- cartes renvoie k ce qu'il en a dit dans les Principes. Ce qu'Arnauld lui oppose sur la duree et le temps, lui purait fonde sur Topinion de r£cole, de laquelle il est fort eioigne, h savoir que la duree du mouvement est d'une autre nature que la duree des chosesqui ne sent point mues. Quoiqa*il n'y ait point de corps au monde, on ne pourrait pas dire que la duree de Fesprit humain fdt tout k la fois tout entiere, 211 CDipme celle de Oieu, puUqu'il y a de U succession d«nsi)08 peastos. Aa SQJet 4u plan de Tuoiv^rs, Arnauld s'^raie de (M^Ue double cons^qoeoce, qne Dien m peut aQ(&i»iUr aocun eorps el qu'il ne peat crter qa'an ittonde infiou ei eo fayeur da la possibility da vide, il invoqne la loute-poissance de Dieo. Xtescarlespersiste ii juger cQQtradictoirequeDiea puissefoire le vide II oil le Ilea demeare avec ses trois dloreosioiis, c'eslrMire, avec r^teodae qui est pr^eisi^iaent Tesaence 4u corps. EoGfi, Arnaald le presse encore aar Taccord de aa doctrine avec TEiic^ariatie* U le loue d'avoir ir^s^bien mooir^ comment rindiatiQctiipn de^ accidents ei de la substance peut a'ac^ cordei* aveo ce mysAfere. Mais ooDune de son aentiment sar la nato^re des eorfs, il soit aossi qu'«ne ch^se 6lendue ne piaut en mmm iu^on ^re diatingoie de son extet^ioo ip«- C8le« liri^jgeraii fort de lui dire, a'il n'a point ioveott^ xfuelqM rai9i$ia par laqadie il accorde ce setttiment avec la foi cuiboiiqae, qui oMige de croire que le oorps de Jtena- Cihrjl est pri^Qt aiu sacremeni sans eiteiftsion locale. Des^- carto3 rfifn^a pr«df$mwient de s expliqoer par terit sor eette mali^re delicate , et se borne a nipoadre : « puisque le CoQciJie de Trenle xi'a fm vouta OKpiiquer de quelle mani^re le oarpa de JhiaaHClbriat e^t en rENcharbUe, et cpu*il a dit , qu'il 7 est d'une fagon d'exisler qa'^ peine pouvons-nous exprimer par paroles , je craindrais d*6tre accuse de t^m^ril^, si j'osafs determiner quelque chose ISi-dessus ; et J'aimerais mieux en dire me3 conjectures de vive voix que par ^crit. » En vain, dans ^a seconde Jeltre^ Arnauld reproduU-il avec io- sistance la m6me qrqooi sai^s doule it refuse de s'expliquer avectof, eomme i\ s'^taH expli- qn^avecle P^reMesland. D^j& peul-6tre aussi se repentait- 212 il d*avoir ailleurs hasard^, m^me confidentiellement , celte nouvelle explication de rEucharisUe (i). N^anmoins on pent dire qa'Arnauld, en appelant, le premier, Descartes sur ce terrain, a contribu^ h le poasser lui et son 6cole dans cette Yoie dangerease des explications philosophiqoes de TEu- charistie (2). Les objections d'Arnauld portent le litre de quatriimes Objections. Les troisiimes Objections sonl de Hobbes. Hobbes dtait dg6 de huit ans de plus que Descartes et mourui apr^s lui, dansun dge avanc6. A cette ^poque, oblige de fuir sa patrie k cause des guerres civiles , il cultivait paisiblement la philoso- phie k Paris , en liaison intime avec Mersenne et Gassendi. Depuis longtemps il d^sirait avoir des relations avec Descartes, dont il faisait cas, de cela seol quMl en avait appris, que tout se passe d'une mani^re m^caniqne dans la nature. II esp^rait trouver en consequence dans sa doctrine une confirmation de sa propre explication toute mat^rielle et m^canique des ph^- nom^nesdeTdme. Mersenne s'empressa done de lui commu- niquer le manuscrit des Miditations en Tavertissant, que pour m^riter Tamiti^ de M. Descartes, il fallait lui faire les objec- tions les pins fortes qu*il serait possible. Hobbes avec son mat^rialisme ne pouvait entrer dans Tesprtt et les principes des MMitations- Partant de ce prin- (1) Ges deux leltres d'Arnauld sont de 1648 et dans une Lettre au P. Mesland de 1645 Descartes, parle de I'explicatiun qu*il lui a envoyeesur la fa9on dont Jesus-Christ est au Saint-Sacrement. (Edit. Cousin, tome IX, p. 193.) II avait done deja donne depuis plusicurs annees au P. Mesland Texplication qu*Amauld lui demande ici vainement. (2) Nous parlerons des Lettres au P. Mesland, qui n*ont ete divulguees qu'apres la mort de Descartes, et de toute la polemique au sujet de l*Eucha- ristie, dans un chapitre particulier du tableau general de I'histoire du carte- sianismc iran9ais. 213 cipe qai ne lui paratt pas avoir besoin de d^monstralion , tant il le joge Evident , que les sujets de tons les acles ne peuvent 6tre entendus que sous une raison corporelle, il affirme tout d*abord que la pens^e, qui est ud acle, doit avoir un sujet ma- teriel.II suffit il Descartes de r^pondre, qu'&des actes d'uuena* lure oppose, tels que sent les actes corporeis, qui touspr^sup- posent i*6tendue , et les actes intell^ctuels, qui tous out pour raison commune la pens^e , il faut attribuer des sujets d*une nature oppos^e, peu importent les noms, pourvu qu*on ne les confonde pas Ton avcc I'autre. A Tappui de son mat^rialisme, Hobbes avancecette singu- li^re doctrine , que le raisonnement n'est rien autre chose qu'un assemblage etun enchatnement de noms par le mot est^ d'ou il s'ensuit que le raisonnement depend des noms, les noms de I'imaginalion , el Timaginalion du mouvemeni des organes corporeis. L' assemblage qui se fait dans le raisonne- ment est*il done celui des noms, et non celui des choses signi- fi^es ? Descartes a raison de dire qu'il s*etonne que le con- traire puisse venir h Tespril de personne (1). Apr^s avoir transform^ toutes les id^es en des images des choses mat^- rielles d^peinles dans Timagination , il n'est pas ^(onnant que Hobbes pr^tende que nous n*avons point d'idie veritable de DIeu ni de V&me , et que tout ce que nous en concevons vienl des objels ext^rieurs. Mais, selon Descartes, les id^es sont tout ce qui est congu imm^diatement par respril el non pas des images mat^rielles. Telle est la substance des principales objections de Hobbes. Nous n'y insisterons pas davantage , parce que nous aliens les retrouver pr^sent^es avec plus d*art et de d^veloppement , diverses par la forme , mais identiques par lefond, dans la pol^mique de Descartes el de Gassendi. (1) Voir cette refutation dans le premier chapilre de la LogiquQ ds Port^ Boyal. 214 A ces objeciions ^ Hobbes , toujours eicit^ pai* MefsenB^* eo ajouta bienlOlqui avaienl pour objet la dioptrique et dans lesquelles il rev^nait a ses id6es itt4taphysiqae9i4 Descartes y r^ponditt Hobbes r^pliqua « mais Desoartes ne rdpondit plus« 11 iprouvail une sorle de repulsion natureUe cootre un es^ pril et des principes (ellement eontraires aax siens » et il dcri^ vit jk Mersenne pour lui marquer les raisons qu'il avait de rompre de bonne beUre tout commerce avec ce philosophe ^ afin de le conserver au nombre de ces amis da common qui s'estiment de loin el qui s'aiment sans communication. Plus tard voici le jugement qU'il portait, dans une de ses lettres, surle De Cive^ qui venait d'etre public k Paris, cc Je juge que Tauteur de ce iivre est le m6me que celui qui a fait les troi— Slimes objections centre mes Miditations. Je le trouve beau-^ coup plus habile en morale qu'en m^taphysique et en phy* sique,quoiqaejenepuissenullement approuver ses principes, ni ses maximes qui sent tris^mauvaises et trto*^dangereuses en ce qu'il suppose tons les hommes m^chants ou qu'il leur donne sujet de T^tre. Tout son but ^t d'^crire en favour de la monarchie , ce qu'on pourrait faire plus avantageusement qu'il n'a fait en prenant des maiimes plus vertueuses et plus solides. II icril aussi fort au d^savantage de rEglise et de la religion romaine » de sorte que s*il n'est particuiiirement ap- puy^par quelque faveur tr6s-puissante , je ne vois pas oom-* ment il pent exempter son Iivre d'etre censure (2). » (1) Baiilet, tome H, p. 12:^. C2) Ibid., t. IL p. 173. CHAPITRE XI. Objections de Gassendi. — Opposition de Descartes et de Gassendi ch physique ct en metaphysique. — La polemique de Gassendi modele d*esprit et de gout. — Lcgere ironic dont Descartes a tortde s'offenser.— Liberte avcc laquelle Gassendi, sous forme d'objections, devoile son ma- terialismc. — Reprochc k Descartes de n*avoir pas pronve la nature de 1« chose qui pense. — Arguments en fareur de la materiality de Vkme. — Les sens , source dc toutes nos idees. -— Rlen de plus obscur pour I'ame que Tame elle-meme. — Critique de la preuve de Texistence de Dieu par I'idee dc Tinflni. — Admirable reponse de Descartes. — Dure retorsion dc rironie de Gassendi. — Defense du spiritualisme et de Tidee de Tinfini. — Refutation de la maximc que toutes nos idees viennent des sens. — Suria neces^ite du concours de Dieu pour Texistence des creatures. — Irritation de Gassendi coHtre Dcsetrtes. — Ses inaiimees. — NouroUe repmise de Des- cartes.— Reconciliation de Descartes avcc Gassendi. — Sixiemes objection^. Comment Descartes concilie ce qu'ii dit de la liberte d'indifference de rhomme avcc cette meme liberte qu'il attribue a Dieu. — Septiemes ob- jections par le P. Bourdin. — Debats anterieurs de Descartes avcc lui . — ^Ton grossiirement ironique da P. Bourdtn. — TraTcstissement du doute me- thodiqu6.--^Attaques contre les arguments en iiiTeur de la spiritualite. — Demieres objections par Hyperaspistes. — Consequence de la creation continuee. — Confusion de la volonte et de Tentcndement. — DcTexclusion des causes finales. — Polemique avec Morus. — Discussion sur la natiu*e de la mati^e et sur Tinfinite du monde. — Morus infid^le k Descartes apr6s sa mort. — Jugement general. — Triomphe remporte par Descartes sur ses adyersaires. BienlOl Mersenne suscite k Descarles uti nouvel adversaire plus redouiable que Hobbes * et lui envoie les cinquiimes 216 objections , dont Tauteur est Gassendi , le plus c^l^brd et le plus grand philosophe qui filt alors en France aprte Descartes. Gassendi, comme Hobbes, ^tailde qaelqaes ann^es plus dg6 que Descartes , et d£j^ ses opinions et ses tendances philoso- phiques ^taient arr^tdes quand parurent le Discours de la Mi' thode et les Mtditations. Entre Gassendi et Descartes il y a accord pour combattre la scholastique et les p^ripat^iioiens, pour d^fendre la cause de la liberty philosophique , mais sur lout le resle , dans la physique comme dans la m^taphysique, lis sont en une opposition absolue. En physique » Gassendi soutieni le vide et les atomes, en m^taphysique^ il est sensua- liste et incline au matirialisrae. II avait quitt^ la Provence et ^tait venu h Paris en 1641 , d^put^ par le chapitre de Digne pour r^gler quelques affaires h TassemblSe du clerg^. Mersenne lui communiqua une copie des Midiiations de Descartes, h la condition de lui envoyer des objections. Jusqu'alors Gassendi et Descartes, sans se connattre personnellement , avaient ^changi des marques d'estime mutuelle par rinterm^diaire de Mersenne. Gependant, selon Baillet, Gassendi 6 tait piqu^de ne pas avoir iik cit6 par Descartes dans le Traiti des MittareSy etson ressenliment se trahit par la vivacity deses objections. 11 y a en effet quelque vivacity dans les objections de Gassendi, mais cette vivacity ne nous paratt pas exc^der les limites du bon goilt etdes convenances. II est impossible de traitor les discussions philosophiques avec plus de clart6 , d'agr6ment et denaturel, etia pol^mique de Gassendi m^rite encore aujour- d'hui d'etre propos^e comme un module. Elie est anim6e par une douce et l^g^re ironie dont Descartes a tort de s'offen- ser. II ne pent supporter que Gassendi feigne ironiquement en certains endroits, comme a propos du doute sur Texistence des corps , qu'il n^a pas voulu parler s6rieusement , il s*ir- rite lors qu^en derision de son spiritualisme, il s'adresse k lui non plus comme h un homme tout entier, mais comme k un pur 217 esprit : « G'esl ici que vous coimnencez k ne plus vous consi- d^rer comme un homme (out entier, mais comme cette par- tie la plus intime et la plus cach^e de vous-m^me , telle que vous estimiez ci-devant qu'^tait Tdme, dites-moi done, 6 dme, ou qui que vous soyez , etc. (1). » Gassendi se platt k prolon- ger cette ironie et ajoute un peu plus loin : « Je reconnais ici que je me suis trompd, car je pensais parler h une dmehu- maine ou bien h ce principe interne par lequel rhomme vit, sent , se meut et entend , et n^anmoins je ne parlais qu'ii un pur esprit, car je vois que vous ne vous 6tes pas seulement d^pouiil^ du corps, mais aussi d'une partie de Tdme (2). » Puis il ne s'adresse plus h Descartes comme h une dme, mais seu- lement comme h un esprit pur : 6 esprit , 6 mens. Les adver- saires de Descartes, et surtout les J^suites, ont souvent imitd, avec plus ou moins d'esprit, cette ironie de Gassendi contre le spiritualisme cart^sien. Apr6s s'6tre mis h convert en faisant d'abord profession de croire, qu^il y a un Dieu, que nosdmes sont immortelles, et en declarant que ses objections ne portent pas contre les cho- ses, mais contre la m^lhode et les raisons employees par Descartes Gassendi, ne se fait plus aucun s Que si Ton persiste k croire h la ndcessit^ d*un principe immat^riel pour expliquer ce qui se passe dans l^homme, il faudra en admettre un semblable dans Tanimal. Se jetant dans une extr^mit^ oppos^e t celle de Descartes, Gassendi, en vue de rabaisser la nature humaine, exagire k plaisir les facult^s de I'animaL Tout ce qui se trouve dans I'esprit de Thomme, et le raisonnement Iui-m6me, il pretend le re- trouver dans la b^te, au moins en une certaine mesure, sans autre difii^rence que celle du plus et du moins. Si les b^tes ne parlent pas k notre Ta^on, elles parlent k celle qui leur est propre. a Yoyez, je vous prie, si vous 6les assez Equitable d'exiger d'une b^te les paroles d'un homme et cependaut de ne pas prendre garde k celles qui leur sont propres. » II va sans dire que Gassendi rejette la preuve de Texistence de Dieu par Tid^e d*infini, qu'il met au nombre de ces id^es obscures et confuses dont il est impossible de rien conclure : a Gelui qui dit une chose infinie donne k une chose qu'il ne comprend pas un nom qu*il n'entend pas non plus. » Mais telle qu^elleest, il la fait venir du dehors et du commerce avec les autres homme?, et non de notre esprit ou de Dieu ; ce n'esl qu*un compost , une amplification de toutes les perfections 221 que nousavons remarqates dans les creatures, el elle necofi- tientrien de plus. La substance infinie que nous concevons n'est que {'extension de la substance finie que les sens nous d^couvrent. Done Tid^e de Tinfini n'a pas la vertu que Des- cartes lui attribue, et ne nous donne que ce qui existe dans les creatures. Pourquoi tous les hommes n^auraienl-ils pas la m^me id^e de Dieu que Descartes, si Dieu a empreint son id^e en enx aussi bien qu'en lui ? L'unique argument en fa- veur de Texistence de Dieu est, selon Gassendi, celui des causes finales. Toujours pldc^ au point de vue du sensualisme et du mat^rialisme, Gassendi n'a raison, et encore fort incom- plitement, que sur quelques points particuliers, tels que la confusion de la voIont6 el de l^enlendement, rautomatisme des b^tes, la creation continu^e. II refute bien rargumenl de I'ind^pendance des parties du temps donn^ par Descartes, pour prottver qn^h chaque instant un 6lrea lout autant besoin d'etre crM qu'au premier , pour pers^v^rer dans I'existence. Mais il ne substitue h la creation continu^eaucun autre rap- port de d^pendance, et il donne k penser que les choses, une fois cr(!:6es, n'ont pTus besoin pour subsister du concours de Dieu. Quelle vigueur dans la r^ponse de Descartes, et quelle dure retorsion de Tironie de Gassendi ! Gassendi s'adressanl k Descartes avail feint de s'adresser k un esprit sans corps , Descartes, h son lour, feint de r^pondre k un corps sans es- prit : <( Je m'imagine, dil-il, en ceci que voire dessein n^a M que de m'avertir des moyens dont ces personnes dont Tesprit est tenement plong^ et attached aux sens, qu ils ne peuvent rien concevoir qu'en imaginanl, et qui partant ne sont pas propres aux speculations m^taphysiques, pourraient se servir et me donner lieu en m<^me temps de les pr^venir.... Yous commencez ici h m'interroger non plus comme un homme lout entier, mais comme une dme s^par^e du corps, en quoi 923 il semble qae vous oyez vouiu m*avertir que ces objectioos ne portent pas de TesprU d*un sublii pbilosopbe, mais de celoi d*ua homme aitachd anx sens el & la chair. DUeS'-moi done, je V0Q8 prie, 6 chair, etc. » Mais il ne trioinphe pas moins des argumenta que des plaisanCeries el de I'irouie de Gassendi* Sa r^poQse est admirable de force, de precision et de bon sens; tous les grands prioeipes des Miditations y sonl de nouveau ^claireis et conSrrote, et dans cette luUe des deux plus grands repr^seoUnts du spiritualisme et du mat^rialisme, le spiritualisme remporte une (Sclatante yicloire. Pourquoi ne seriez-vous pas un vent, une yapeur, un corps subtil » r^p^te Gassendi. Descartes n'a-l-il done pas corrig^ cetle ima- gination du vulgaire , en montrant qu'on peat supposer qu'iln'yani vent, ni vapeur, ni corps au monde , el que toutes les choses par quoi nous nous savons pensants, n'en demeurent pas moins dans leur entier ? La marque par laquelie nous connaissons que 1' esprit diffiredu corps, est que toate I'essence de Tesprit consiste & penser, tandis que toule I' essence du corps consiste en ceque le corps n'est rien qu'un chose ^tendue. Or qa*j a-t«^il de commun entr^ la pensf^e et l*extension? Que pronve la correspondance qui existe entre I'dme et le corps, sinon seulement que le corps est Tinstru- ment de Tesprit ? De cetle correspondance^ coociure leur identiL6, ce n'est pas raisonner mieux «|ue celui qui atlribuerait & Toutil toule Tadresse et la science de Touvrier, parce que Touvrier travaille mal avec un mauvais oulil ^l Uavaille bien avec un bon ontil. A ee principe que rien n'agit sur soi-m6iae, que ro^il pe peut se voir lui-mdme, ni le doigt se frapper, par lequel Gassendi a la pretention de miner la possibility d'uoe percep** lion directe de Tesprit par lui-m^me, ne suffit-il pas de r^- pondre avec Descartes que ce n'est point ToBil qui ^e voit lui- mioiet ni le miroir, mais biw Tesprit, lequel seul connatt el 223 le miroir, et rosil, ei soi-m^me. De rn^me ne iaisse-MI sub- sister aucoo desarguments de Gassendi en favear de la maxime que (outes nos id6es viennent do dehors. Les £l6ments des id^es factices viennent dn dehors sans doute, mais elles con-^ sistent en une composition el un arrangement qui est le pro- pre de Tesprit. Quant anx id^es nalurelles, elles ne sont rien moins que des id^es gtairales, form^es par la combinaison successive d'idtes particuliires : a J*admire quevous souteniez que Tid^e de ce qu*on noipme en g^n^ral une chose, ne puisse 6tre en I'esprit, si les id^es d^un animaU d^une plante, d'une picHrre n'y sont ensemble ; comme si pour connattre que je snis une chose qui pense, je devais connattre les animaux el les plantes , pour ce que js dois connattre ce qu'on nomme one chose ou bien ce que c'est en g^n^ral qu'une chose. » II defend sartout admirablement Tid^e de Tinfini contre toutes les objections de Gassendi. Si nous ne comprenons pas rinfini, c'est qu'il n*est pas de sa nature d'etre compris. Mais si nous ne le comprenons pas, il ne suit pas qu'on ne Tentende paa, ou qu'on n'en ait pas une claire id^e. De m^me qu'on peut toucher une montagne sans Tembrasser, de m^me on peut apercevoir Tinfini sans le comprendre. Si avec la mdme id^e de FinBni tons les hommes n'ont pas les mdmes pens^es de Dieu, c'est pour la m^me raison que, tous ayant la notion de triangle, chacun n*y remarque pas dgalement autant de pro* pri^tis , el quelques-uns m^me lui en atlribuent plusieurs faussement. S^il y a un excis dans la fa^on dont Descartes entend ce coflcours de Dieu nicessaire aux creatures , il n'en refute pas moins bien eel autre exo^s de rindSpendanee dea crtolures ou incline Gassendi. II lui reproche de confondre les C9uses quant h la producUon seul^meut , et les causes quant h r^tre , oa les causes secundum fieri et les cauaes le^ cundum esse. La maison peut bien, une fois acheyte^ sutMdater 224 sans Tarchilecle , mais non pas la lamiire sans le soleil ni la creature sans le cr^ateur. Nous n*insistons pas davantage sur cette belle r^ponse de Descartes, que d^j& nous Tavons mise a pro6t dans fexposition de sa m^laphysique. La mani^re dont ii termine atl6nue un peu la duret^ du d^but. (( Jusqu'ici Tesprit a discouru avec la chair, et comme il 6tait raisonnable en beaucoup de choses, il n'a pas suivi ses sentiments ; mais maintenant je 16ve le masque , et je recon- nais que je parle k M. Gassendi , personnage aussi recbm- mandable pour Tint^grit^ de ses moeurs et la candeur de son esprit, que pour la profondeur et la snbtilitd de sa doctrine , el de qui I'amiti^ me sera toujours ch^re. » Gassendi fut nian- moins bless^ du ton de cette r^ponse et a meilleur droit que Descartes ne ravait^tSdu ton de ses objections, line rupture s^ensuivit entre ces deux philosophes, prolong^e et enveni- m^e par Sorbi^requi, pendant un voyage en Hollande, vit sou- vent Descartes , feignant d*6tre son ami , en m^me temps qu'il ^crivait k Gassendi tout ce qui pouvait nourrir et exciter son ressenUment centre lui. Gassendi r^pliqua k Descartes par des instances d'une bien plus grande ^tendue que ses pre- mieres objections, oh il se r^pand en plain tes am^res centre le ton de Descartes , son orgueil , son outrecuidance, prodiguc beaucoup d'espril et d^ironie , mais n'ajoule rien au fond et a la force de ses premiers arguments. Apr^s en avoir fait quelque temps circuler le mauuscrit h Paris , il Tenvoya en Hollande h Sorbi^re , qui y joignit les premieres objections avec la r^ponse de Descartes et le publia h Amsterdam sous le Utre de Disquisitio metaphysica seu dubitationes et instantiw adversus Renati Cartesii metaphysicam et responsa (1). Des- (1) Les premieres objections , Ics reponses de Descartes, les instances y sent entrem^lees et miscs en parallcle article par article. — Voir le 3* vol. des (^urres de Gassendi publiees a Lyon en 1658 en 6 vol. in-fol. 225 cartes ne r^pondit pas immddiatemenl aai instances de Gas- sendL G'est sealemeni deux ans plus lard qu'il en fit une r^fatatioD g^nirale, sous la forme d*Qne lettre adress^e h Cler- selier, avecun ton d'urbanit6 el de moderation bien dilTgrent de celoi de la Riponse aux Objections. Pendant un voyage que Descartes fit a Paris en 164^8, Tabb^, depuis cardinal d'Estr^es , r^concilia les deux philosophes , qui s'embrass6- rent et se s^par^rent avee les protestations d'une ^ternelle amitid (1). Tels furent les rapports de Descartes avec le plus considerable des philosophes contemporains. Les sixiimes comme les secondes objections n*ont pas de nom d'auteur. EUes ont ete faites par divers philosophes ou theologiens et riunies par le P. Mersenne. J^y remarque la provision, qu'on abusera deTautomatisme pour soutenir que tout se passe dans Thomme comme dans Tanimal, et le repro*- che de considcirer la liberty dMndifference dans I'homme comme le plus has degri de la liberty , correspondant au plus has de- gre de la connaissance , tandis que , d'un autre c6te, on I'at- tribue h Dieu. Comment rindiffi&rence pourra-t-elle subsister en Dieu avec la connaissance ciaire et parfaite, s'ilestvraiqu'une telle connaissance detruise IMndiiTerence? Descartes se tire assez ing^nieusement de cette difBculte en dislinguant la posi- tion de Thomme, d'avec celle de Dieu, par rapport 5 la vSrite. L'homme trouve dej4 la justice et la v^rite etablies et deter- minees par Dieu , voili pourquoi il n*est pas indifferent. Dieu au contraire etablit la justice el la verite par sa volonte ; aucune idee du vrai ou du bien n^est anterieure h sa volonte , voila pourquoi il est indifferent. La non indifference du franc arbitre dans Vhomme n'exclut done pas Tindifference du franc arbitre en Dieu. Comme les auteurs des secondes objections , ceui (1) Baillet, tome II, p. 142. I. 15 226 des sianemes veulent mettre en contradictioD les £crilures avec la maxime que Diea ne peut nous tromper, e( ils alliguent m^me des passages de VEccUsiaste contre rimmat^rialit^ et rimmortalil^ de I'dme. Mais Descartes declare qo'& l'a?enir il ne r^pondraplus tk des objections de celte nature. « Yuque je n'ai jamais fait proression de I'^tude de la th6ologie et que je ne m'y suis appliqu^ qu*autant que j'ai cru qu'elle ^tail d6- cessaire pour ma propre instruction , et enfin que je ne sens point d'inspiration divine qui me fasse juger capable de I'en- seigner. G*est pourquoi je fais ici ma declaration que je ne r^pondrai plus a de pa reilles objections (1). » N^anmoins il veut encore y r^pondre cette fois , pour qu'on ne croie pas qu'il s'abstienne, faule de pouvoir donner une explication assez commode b ces lieux de l'£crilure et il tdcbe de les inter- preter en un autre sens que les autenrs des Objections. L'auteur des septiemes Objections est un j^suite , le P. Bour- din , qui enseignait les math^matiques avec succis au college de Clermont , h Paris , apris y avoir enseign^ la rhetorique. Dejii quelques anh^es auparavant , le P. Bourdin avail fait attaquer la dioptrique de Descartes dans uoe th^se publiqoe. Cette nouvelle vinten Hollande afQiger et troubler Descartes, dont elle detruisait une des plus douces et des plus chores il- lusions 9 celle de se concilier la Society tout enii6re des jf- snites, et de faire par elle p^n^trer sa pbilosophie dans Ten* seignement des ecoles. Persuade que rien ne pouvait se faire dans une pareille Society qui ne fiit parfaitement concerts , il crut voir dans Tallaque du P. Bourdin une declaration de guerre de la part de la Compagnie tout entiere. Aussit6t il ecrivit au Pere Recteur du college , demandant un examen de sa doctrine, et se plaignant avec amertume d'avoir ete attaque, (1) Edit. Cousin, tome H, p. 344. saos Hr^ prtivenu el sa»s quHl lui fiit p^rmis de se d^feiidre. Apr^s avoir loujoors l^moign^ Uot d*6g«rdg pour la Compa^ gnie, n'avaii^il pas droit k plus do oidnag^meDte (1)? Le Rec^ leor rqeta la demande d^ eel examen public el official d« aa docbrioe, que soUkitail Descartes ,, et voalnt que la qaerelle deineurAtpersoQuelle entre lui el le P. Bourdin. A celle oc*- casian des leUreg tr^S'-aigreis avaient Ui ^haugies enUe les deu adver$aire6« Le P. Bourdin n^blsAt done pas dispose k beauicoup de bieuveiUania pour Descarlei quaod le mauus*- crU dafi MMUaJtiom arriva daos aes fnaina. De lb le lour aa^ sez groasjArement irooique de seaobjeotiooi. II s^eSbrcod^Mfe plaisanl, maisjcombien sa plaisaoterfce est loaxde m coopn- raisan de rironie l^g^re de Ga^uieDdi* Riau o*^gale }a loquii- cil6 du P* Bourdin, il eoiploie dix foia phia de paroles i aboyar, comma d&t Descartes , contre le aeul dau4e in cutions de la phiiosophie, c'est un fire Garasse du prolestan* tisme. II se fit le champion de toutes les anciennes docfarioea ; avant d'attaqner les cart^siens, il s^itait Hevi avee la plus (1) Ne en 1593, professeur dc theologie e% de langues Qrientalos k I'aca- demie d'Utrecht. Independanunent de ses ecrits contre Descartes, il a compose une foule d'ouvrages theologiques. l\ est mort en 1685. (2) Voici le portrait qu en fait Descartes dans sa Lettre au P. Dinet : (( C'est un homme qui passe dans le monde pour theologien , pour prediea- teur et pour un homme de controverse et de dispute, lequel s'est acquis un grand credit parmi la populace , de ce que declamant tantot contre la reli- I gion romaine, tantot contre les autres qui sont di£Ferentes de la sienne , et tantot invectivant contre les puissances du siecle , il fait ^elater on sale ar- dent et libre pour la religion , entrem^lant aussi quelquefois dans aes cps- cours des paroles de raillerie qui gagnent ForeiHe du menu people. » 1^^* Cousin, tome IX, p. 34. i i43 grande Yiotence cootre celui qui , ie premier, dan^ rUniver** A\6f avait tnmgn6 la circulation da sang* VintiiH de I'ttal, de r^cole et de Vigliaet la perSdia, la violence oo^^ie , te Ihisea^ les pamphletet 1^ ddwocialions it iUniversitd et aox milgislraU^ (oat lui fui bon paur p^df^ DeacarKa* DiSga il (vait ioaioud et r^pandu raocu^atiw d'attuiisiiie daoa 4tB m^ sur ralbii^me, w il d6signait» $'il m Ie o^iatniii pas, DescArtea* II aemble qu'eoire tou3 lea pbiloi9<»pbe$, Deacartea ddt k jamais iSlre i Tabri d*upe ielie acoaiatfon « mais eUe ^1 1^119 propre que toate autre h Mtq jukpreaateti 9iir to eapriia , el c'est elle que YoMiiis cultfva de prdStrenoe* Eo m6me temps que ralb^iame, et aan^ beauooof) le aouoif r de coDcilier euaemble ces deu^ acmaatieMi il reprocbait i Des^ carlea la religion de SM paya^ i\ 1% reprtseotail aottine un tikn^f UP ami^^n e^pidu des j^uiies, un miiofoaiit j^sailey/aaof- taUer ^d^ngerm pour lea loiaei la feligionde la Holla nde (1). C'ealaJoai qu*»l^erobait h eiciier lea eaprita caolre la fUlko*- wpbie uon¥el)e el cootre Deacartei^ Maia, aYant de a'aAla^aer a Deacartea iui-^m^met il voulul Ie frailer daria la personne de aoq diaeiple. Anlk6seadeReghia,tt enoppoaad'autres od il felsaitsoa- tenpr que ie mouvement de la terre eat ^videmmeiH eontraire k r£orilafe aainie, que la physique qui rejette les formes aubatanlieiles, ne peut s'aceorder avec Mofse, qne Tepfnion de €601 qui enaeignent que rhouime compose d6 Tdme et du (1) Neanmoins ce saint reforme, comme Tappelle Descartes, ne s*etaitpas fait scrnpule d'ecrire k an moine catholique (au P. Mersenne) pour lui pro- poser de faire cause commune avec lui centre Descartes , comme centre Tennemi commun de toute religion. Mais il s'etait mal adresse, ne connais- sant pa5 3aQS dovfte I'amitiedu P. Mersenne pour D^soarles. he P. Mei^senne envoya la lettre de Voetiu» a PescartettaquaieDt pas seulemeDt les doctrines mais aussi la personne da Descartes. PiempiuSy professeur de midecine h ruoiversil^ de Louvain, le reprisente comme uii mani^queet uo sauvage ; il le compare k D^mocrile, non seolement pour sa, physique, mais aussi pour sa mapi^jre de yivre ; il racoute* DOD sans une sorte d*borreur, qu'il Ta connu h Amsterdam fuyanl la soci^t^ des hommes, miditaut sans cesse^ ue lisant jamais, diss^quant des- animaux (2). Si Plempius le compare il D^mocrite, Scboockius, non moins ridiculement, mais avec plus de m^chancet^, en un pays protestant, imagine de le comparer h Ignace de Loyola. II ne salt* diHU pricis^mept, k quelle occasion il a commence de philosopher ; mais il lui semble qu'il est n& sous Tastre de Loyola. De m6me que celui- ci n'a commqnc^ a jeter les foudement3 de sa secte supersti- lieuse que, lorsque 6tapt estropid, il a ddsespi^r^ d'obteuir a. la guerre une couronue uavale ou auirale, de m^me celui-16, apr^s un apprentissage militaire de courte dur^e^ d^sesp^rant d*ol>ieiiir le bdton de mar^chai^ mit k profit quelques con- naissances math^matiques pour s'ouvrir k la gloire un che- min nouveau par une pbilosophie nouvelle. Sans doute aussi il aurait cberch6 k se faire un troph^e avec la superstition, s'il ne a'^tait d^fl^ de sa faiblesse, et s'il n'avait craint qu*un godit effr^n^ pour la d^bauche ne trabit son hypocrisie (3). C*est ainsi que les p^ripat^liciens et les platoniciens du XY^ si6- cle inventaient les plus noires calomnjes centre la vie et les (1) Voir dans les CNSuvres de Locke les Lettres a Limborch. (9) FundatnenUi medicina, praef., m-4<>. Lov., 1654* (8) Martinua Schooekius. AdmUgfemda m»ihofhn imvop philMophia R$»iUi Dit$€arte$, in-12, 1644. Utrecht. (Prfief.} 264 mcBurs de Platon ou d'Aristote, afin de discr^diter leurs doc-* (rines et leurs disciples. Que d'inin telligence, de subtilit^ ou de mauvaise Toi dans leurs objections el leurs accusations contre sa doctrine ! lis traves*- tissent a plaisir le doute m^lhodique, pour accuser Descartes, d'enseigner quMI faut douter de tout, ou mfime que Dieu est un imposteur. Encore mieux cependant peut-on concevoircette ri- dicule accusation de scepticisme que cellenon moins prodigute d'ath^isme. Eng^n^raljcsanti-cart^siensrejettentla preuvede I'exislence de Dieu par Tid^ede Tinfini, pour n'admettre que les preuves physiques ou la r6v61ation. G'est, selon Pierre de Maeslricht, vouloir 6riger les id^es en vice-Dieu, que de fon- der I'existence de Dieu sur Tid^e que nous en avons. Mais les plus violents non contents de reprocher h Des- cartes d*avoir mal prouv^ Texistence de Dieu, Taccusent de I'avoir ni^e, en le comparant aVanini. N'est-ce pas par les m^mes artifices qu*il travaille a Clever dans Tdme des faibles le tr6ne de Tath^isme ? II se dit chr^tien, mais Yanini ne le disait-il pas aussi? II a donn6 des preuves de Texistence de Dieu, mais n'6tait*ce pas aussi une ruse de Yanini (1) ? Pour avoir recommand^ d^^lever Tdme au-dessus des sens, il est accuse de pousser ses disciples i la fr^n^sie et k la folie , de faire des fous et des maniaques. La distinction de Tdme etdu corps, la pens^e essence de Tdme, Ti^tendue essentielle et les id^es inn^es sont des textes non moins f^conds d'attaques et d'objections. Gerard de Yries, professeur de philosophie dans r university d'Dtrecht, a compost contre Descartes un traits special ou il soulient quMln*y a pas dMd^es inn^es, que Tesprit (1) Nulla injuria Rcnato fit quando cum sublilissimo atheismi .patrouo GcBsare Vanini comparatur , iisdem enim' artibus in imperitonim animis atheismi thronum crigere laborat. (Schoockius, Admiranda methodus noi^a* philosopfiia:.) 265 est cause de ses id^es, ei que les idies des choses mal^rielles soDt prodttiles par des esp6ces sensibles (1). Les objections contre la physique ne sont pas moios vives que contre la m^taphysique. Bon noipbre de th^ologiens r^ formes lancent contre elle I'anathimey la Bible a la main. En faveur des formes subslantielles, devenues comme le palladium et le bouclierde Fancienne philosophie, ils trouventmoyen de faire intervenir la Gen6se , accusant ceux qui les nient de se mettreen contradiction avecMoIse. lis tie traitentpas mieux Tid^e de Tind^Bnit^ de Tunivers et de la plurality des mondes* Maresius fail un crime (1) k Burmann et k WiltichiuS) au point de vue de la redemption, d*avoir avanc6 que dans la lune il y a des hommes semblables k nous. Mais, aux yeux des th^ologiens antl-cart^siens de la Hollande, le grand sacrilege de la physique de Descartes, c'est la doctrine du mouvement de la terre, et il faut avouerque c*est un point sur lequel les th^logiens catholiques et les j^suites eux-m6me& se soni montri^s de meilleure composition. De part et d*autre on publia un nombre incroyable de disser- tations pour et contre le mouvementdela terre,etsurla confor- mity ou la non-^onformit6 de cette doctrine avec TEcriture. Dans les discussions qu'eut k soutenirlecart^sianisme enHol- lande^rincompatibilite du mouvement de la terre avec la Bible joue le m^me r61e que rincompatibilit^ de la doctrine de I'es- sence de la matifere avec le concile de Trente, en France et dans les pays catholiques. C'est IJi^dit Pierre de Itfaestricht, le (1) Exercitationes rationales de Deo divinisque perfectionibus , nee non philosophcmata miscellanea, editio nova ad quam accedit prster alia , dia- tribe singularis genuina, altera de cogitatione ipsa mente , altera de ideis rentm innatis, in-4o , 1695. — 11 est aussi Tauteur d'un autre ouvrage : Dc Renati Cartesii Meditationibus a Petro Gassendo impugnatis dissertatiuncuia historico>philosophica. Utrecht, 1691, in-8. (2) De abusu philosophise cartesianse. 266 ^f(&roy -^suS^ag qui a.pou6s£ k la doclrin^ impie q/ie c^osL aux philosophes h interpreter les passages physiques de I'Ecri-r lure« Pour repousser les attaques des p^ripal^ticieas^ quelques carl^iaeDs imagiD^rent de prouver que Descartes 6tait daua Arisiote, de Ik plusieurs essais de philQ$o{>hie p^ripal^tico- cart^ienne. S'il ^tait utile de chercher a moutrer que Desr- carles avait p^ipat^s^r il retail plus encore de chercher k moatrer qu'il ^tail d*accard avec la Bibie, el m^iue quil avail Iii06albs^« Cartesius Mosdizans. , tel est le tilre de Touvrage d'un cartfeieo de Groningue, Joannes Amerpool qui pretend demoDlrejr la complete id^lit^ de rhypolh6se des tourbillons livedo r^cil de la Gen6se(l). Mais, pour prQuvercetaccord,^ ilfailait que le sens titieral Mt sacrifie au sens figure el que la Bible el la theologie fasseut plus ou noroins soumises si des expUcatioAS ratioualiates. Aussitous les philosophes, el meme les theologiens eariesiens, tendenlHils h subordonner I'lnterpretation der£critnrea uuereglesuperieure de philo- sopUe ou de raison, el h modifier la theologie de mauiere a la concilier aveo k philosophie uouvelle. Bientei la tbeologie re- formee^ en Hollande^ fut de toules parts envahie et oienacee par le cartesianisme. D'un autre c^^te, on vit dte rorigine presqae tous les Ibeo- ( 1 ; In-1 2 . Lcwarden, 1 669 . Amerpool n'est pas le seu! qui ait pretendu trou- ver Moise et la Ctenese dans Deseartos. Sehm Schotatius, si Descartes a redait a six le nombre des Meditations, c'esta cause des six jours dela creation. Le desir dc justiiler Descartes contre les theologiens a aussi entraine, en France, qu«lc[ues-uns de ses partisans dans les meraes exagerations. Le P. Daniel au oownieiicement de son Vogage de Descartes cite en se moquant un ouvrage sous forme de lettre : Lettre ecrite a un savant jSsuite , ou Tauteur montre C|ue c'cst le monde de Descartes qui est decrit dans le premier livre de la Genese. II cite encore I'auteur de Vfjifluence des astres qui pretend expli- ^uer par I'h ypothese dc Descartes la fin du mondc. 267 logiens disside&to qui inclinarent, mdme absUaclion faile de toate philosophie, k une inierpr^Uanf plus libre des £cri-- tares y et k accorder uAe pari plus graade h la raison el k la liberie, faive cause commnoe avee le earl^anisme ou da Boins sympalhisec avec lau Les arminieos eties socinienas'ap- payaient volontiers sur la philosophie nouvelle. De Ik il arriva que les tb^ologiens orlhodoxes, dans leurs anathfemes, eonfon- dkeal le cari^sianisme avec toules les secies religieuses dissi-* denies qui (entaienl d'ibranler Taulorit^ des £critures el des synodes. La seete religieuse qui agitail alors le plus vivemenl laHollande^lail le cocctianisme. Elle avail pour chef Jean Coc- cims^ professeur de langues orienlaies k Franik&re, puis a Leyde, qui avail imaging une explicalion nouvelle el symbo- iique des fcriluresy par laquelle il s'icartail de Tex^gfeseel des dogmesgto^ralemenladopl^sdansr^giise r^form^e. Non seu- lemenl GocG^iilB ne s^^laii pas lui-xodme occupy de philosophic^ mai»m£me il s'^lail moulr^ peu favorable h la philosophie dc Descarles, dans I'universil^de Leyde. Mais comme les cocc^iens el les caorlteiensavaienl k luUer conlre les roftmes ennemls, les cocc6ieii8 £lanl accuse de carMsranisnae, landis que les Ihio- logiens carl^siens ilaienl accuse de cocctianisme (1], il se fil DftlureUemeni enUe euz une in^vilable alliance centre les voSliens. On 6lail done nicessairemenl k la fois cocc^ieii el cart&sien en HoUande, comme en France jansinisle el car- Itoiea. L'accusalion^ plus grave eoqore, de socinianisme ne fal pas ^iiargn^e aux th^ologiens cartesiens qui (entaienl d*accommoder la foi avec la raison. Presque tons les Ih^ologiens et lesphilosophes cartesiens de la Hollandeont 6cril surle (exle de Taccord de la raispnet dela foi, presque tons out entrepris de d^montrer la conformity do (1) Disscrtatio d^ cartcsianisino et cocceiimismo Belgio infensU, par Val. Albertiis theologus Lipsiensis. lipsioB, 1678, in-4''. 268 TuDe avec Taulre. Pendant le feu des disputes carl^sienhes, ceUe question agita d'une manifere particuli6re certaines uni- versit^s,parmi lesquellesje citerai celle de Fran^k^re.En 1686, les ralionalistes y firent souleuir la Ihise suivante qui eut le plus grand retentissement : ceux-1^ se trompent qui disenf que si la raison nous dictait quelque chose d'oppos^ h r£cri- ture, it faudrait plut6t en croire r£criture, comme si l'£cri- tureet la raison pouvaient 6tre oppos^es, on que deux choses contraires pusseni 6tre toutes deux vraies, ou, comme sice qui est contraire k la raison pouvait 6tre veritable. Ges ten- tatives pour accorder la raison et la foi engendr6rent de grandes liardiesses ralionalistes. Quelques-uns , tels que Meyer et Balthazar Bekker, os6rent ^lablir cet accord, a Ta vantage de la raison et au prejudice de la foi (1). Dans r^cole carl^sienne hollandaise, les ant^cMents n'ont pas nianqu6 au Tractaius theologico-politicus de Spinoza. II ne faut done pas s*elonner si les Ih^ologiens orthodoxes poussent des cris d'alarme, accusent les cart^siens de vouloir abolir le magisterium iheologicBinphilosophiam^ et s'ils prodi- guent les accusations d'impi^t^ et de socinianisme. Sous leur influence, des synodes se rassemblenl et s'efforcent d'arr^ter cet envahissement dela th^ologie par la philosophie. En 1656, un synode de Dordrecht di^cr^te : que la philosophie sera s^par^e de la th^ologie et que les th^ologiens devront se garder d*em- ployer les raisonnements de Descartes, soit dans leurs Merits, soit dans leurs lefons, soit dans les theses publiques. La m^me decision est renouvel^e Tann^e suivante dans le synode (1) DispuUtio philosophica inauguralis de recta ratiocinatione quam pu- blice defendendam proponit Duker. — Voir dans le tome VI de la Bibliothi- fue universelle de Lcclerc I'histoire de cette dispute toiichant les moyons de connaitre la divinite des Ecritures , dans laquelle intervicnnent Alexandre Roell, Riiardus Andala cl Gerard de Vries d*Utrecht, 269 de Delfl qai declare en outre que nulle chaire ou dignity ec- clisiastiqae ne sera accord6e& quiconqoe ferait profession de cartisiaDisme (1). Plas lard , soas le rectorat de Pierre Bur- manOy professenrde Ihiologiecarlisien, les ministres d'Utrecht avertissent les families, par und^creten langue flamande, de se garder , sous peine de leur salut iternel , d'envoyer leurs enfants dans cette acaddmie ou r6gne la philosophie de Des- cartes, source infect^e de mat^rialisme et d'athiisme (2). Aprte la publication dn theologico-politicus , la faction vo6* lienne rftussit h provoquer de nouveaux dicrets de proscription dans les universit^s de Leyde et d'Utrecht. De toutes parts les anti-cart^siens font retomber sur Descartes la responsabilit^ des doctrines de Spinoza (3). Mais tons ces d^crets sont impuissants h arr^ter les progris du cart^sianisme. L^ ou ils ont le plusde force, on les ilude en s*ab»tenanl de prononcer le nom de Descartes, tout en continuant d'enseigner sa doctrine. Geux des synodes ne s'adressent qu'aux th^ologiens, ceux des universitis n'ont qu'une autorit^ locale et ne s'itendent pas jusqu'ii Funiver- sit6 voisine. En outre on pent leur opposer des dicrets con- traires d'autres synodes, d'autres universitis, et quelquefois des monies universit^s. Aussi sous une forme ou sous une autre, avec plus ou moins de reserve, le cart6sianisme conti- (1) Bnicker, tome V, p. 265. — Buhle, tome III, p. 314. (2) Gommentatio de R. Cartesii commercio cum philosophis beJgicis deque pfailosophiae illius tcmporis in nostra patria ratione , petit in-4o. Ce travail qui a remporte le prix sur cette question mise au concours en 1827 par Tacademie de Louvain, est malheureuscment fort incomplet et ne nous a foumi que bien pen de renseignements. (3) Joh. Regii Cartesius verus Spinozismi arcbitectus. Lf warden, 1718. Ruardus Andala repondit par : Cartesius verus spinozismi cversor et phy sics experimentalis architcctus. Franeft., 1719. 270 Dua-t-il k ^r^enseigii^ dans preiqae tonies leg «iiimriit<&s de la Hollander NoQ9 pouvons tfUesrter ceUe impiiissauce des «fr6U par46s contre la philosoptiie de Descartes, en HoIla;iK|ie, par iia ^r^ad nambre de l^inoigniB^es de s^ amis et^e ses enoerob. Des- cartes, dit Bekker, d'abord paftoui pq^oussd comoie no enne- mi peride, est nujoard^hai reconna comnfee un «iBi •at de tous les cftt£s «cefteilli. II y a trenle aos, ditnl eocore, oa u'eQA pas trouv^ un seul de nos (Mologieiis qui ne fdt plete de mi^pris pour ceite inauvaJse pfailasophk de Desearteis, 1e(on6 cardfeteDoes n'eu conltiaueat pas moiKis telles que par Ie pasa^. L'acad^mie de fianderwick, qui s'^tait sigit^e par 9m z6lt Godtre Descartes, vieot d*^lever au professorat nm ^ihilosapfae cart^ien. Dtiasf^ole illusire de Nimdgae, Yitticliius, laftlgni aen ftHacbement bien goduq h Descartes, n*a« nans apprend qne Wittiehtiis flit &^r^ an concile de Giieldres poor eaose de ses opinions tktoiogfqiies et eart^sieniiea et qu'ii y fut absous avec honneur, aprds Irois ansdedtscussiens. line aos^ tela- tanle absolutioQ d^troisit sansdoateTeffet de toutes les con- damnations anMrieiires qae d'antves synodes ataient pu por- ter centre le carl^ianisme. D'aatres oavrages de Wtttichius ne fnrent poUKs qa'api!&s sa niort. Gomme Glaaberg et comme taat d'aatrescartteicM, il a annoti les MidiiaHims de Desoartes (1). Ges notes Irds- conrtes se boment h ^daireir et 6 eipliqaer qitelquefois seii- temenfl le sens grammatical do traie, et d^ailleors a'ajontant rien k la doctrine. WittieUns avait aussi entrepris une r6fo- tation de Spinoza , qui n'a ^t^ poblito i)o*apr6s sa uMNrt , et c*est par lii q«'il est le pins conno dans Thistoire de la phifa^- sophie (2). L'Mitevr anonyme ae plaint, dans la preface, de renvahissement des doctrines deSpinaza^ et nous ap- prend que Wittiehius «*a pas en le temps 4e meUne la der- fiifere main k son eavrage. Cette r^fiitaliafi «al une des phis consciencieuses et des pl«s considerables qui soient.sortmde I'teole de Descartes. II est impossible d^dtre plus exact , plus (1) Christ. WUtichn annotationes ad RefiaM Descartes MediUiikmes. 1688, petit in-40. (2) Anti-Spmoza sive Examen Ethkes BenedieH de Spmoza et G^mmm ■ tariu» de Deo el epu attrHnUis, 1 vol. in-4<>, 16dO. 275 rigomreosement mithodique. Wittiehius |>feiid ei eriiique les anes aprte les autres les dMttilions et les pvoposUiona d9 Spinoza. Mais sowenl sa erUiqne est ptiitOt foinatieiise que prefande. On s'tigare dans leadfilails eidwM les oontradiciiUons qii'i fihaqne instant il prMend relevtr, tandis qu'an perd de me les ttces fondaaaentaax du sysL^me. Le commentaire sor Dieii et ses i^ttpil>ats» qui acicompagoe cette critiqae, el qhII oppose i ladoetrine d€ SpinQaae9( digoe de rcmafqne et d'dloge. WittioUQs d6diiit les a(lrit»utii de Dieo de ee prinoipe, que tout cse qu'il y a de fiel dans le monde doit se retroover en Dieo , moins les homes. II se s^pare de Bes^ cartesau snjetde la liberty d'indiff6reDce en Dieu eipreod parti pour I'iminatabiliM des volonMs divines. A Tappqi de eeUe opi-- nioD ileitel'aalorit^ de pkisieurs thtelogief^s n&formis favora* Ues ft De8car4es,et enlre autres deMsresins. Par ss double s«- toril6 ccNnine phMosophe et comme Ihtologien, par lesocc^ et Ttelat de soa enseigvenuHkl, par ses efforto pour nieiotenir la philoaophie de Descartes dans sa purely » pour la dJBtjiigue^ du splno^israe, aim leqnel ses adversaires aSeelajent de le oonfondre, Wittiehiiis, plus que tout autre* a cootribu^ h son ^tablissement e4 ^ ses triompbe dans les uniYersit^s de la Hollaude. Clauberg n*a pas rendu de plus grands services que Witti- ehius h la cause du cart^sianisme , mais sa doctrine par le diveloppement original de certains principes de Descartes m^rite de nous arr6ter plus longtemps. N6, en 1622, a SoliQg«u,eo Wc^tphalie* Clauberg est alleiUAnd; quoique alle- mand, nousnecroyoiispasdevoir cependanUe s^parer des car- t^siens hollandais, parce qu'il a 616 initio par eux a Descartes, parce qu'il a eu i combattre les m^mes adversaires, et en- So paripe qu'il a profess^ , sinon en HoIIande , au moins dans des UQiversit^s voisines de la Holl^nde et enlrafn^es dans le no^ne mouvemeut philosophique. l\ fui^levd par ses parents 276 dans la religion r^form^e et dans une grande pi^t^ (1). Gomme Wittichius ^ il fit ses Eludes d'abord k Br^e , puis h Gronin- gue. A Groningue , il se lia d'amiti^ avec Tobie Andr6 , qui fut son p6re en Descartes. Ses ^todes achev^es , il va faire an voyage en France ou ii visita , comme il le dit Iui-m6me, les lumi6res de la religion r^form^e. Mais il n'y rechercba pas moins les Inmiferes de la pbilosophie de Descartes, ei il forma des relations d'amiti^ avec Glerselier, da Boure; de la Forge* Nomm^ professenr de pbilosophie h Herborn, h son retour en Hollande , avant de prendre possession de sa cbaire , par le conseil de Tobie Andr6 , il va & Leyde aapr6s de de BsBy se perfectionner dans la physique de Descartes. Toate sa vie il a gard6 la pins profonde reconnaissance poor les deux mattres qui Tavaient initio k Descartes. II a d^di^ sa physique k de Bsey et sa logique h Tobie Andr6. Dans la dMicace de sa physique, il se f^licite d*avoir pu , par la grdce de la divine Providence , enseigner le cart^sianisme en Allemagne avant de Baey Iui-m6me en Hollande (2). Dans la dMicace de sa logique , il remercie Tobie Andr^ d*avoir ouvert ses yeux k la lumifere nouvelle et de lui avoir fait connattre de B»y , celui qui , d'apr^s Descartes Iui--m6me , enseignail le mieux sa pbilosophie (3). Apr6s les livres divins, Glauberg disait qa'il (1) Voir la Biographic de GlauLcrg, parHenricus Christianus Henninius, en t^ie del'edition dc ses OEuvres completes, en un gros vol. in-4<>. Armt.^ 1691. (2) Abs te igitur non state quidem , sed ingenio et profectu impar i in- stauratse hoc sseculo philosophise initiatus in Germaniffln superiorem ap* puli, ubi mihi priusquam tibi in Belgio, earn publico docerc singulari numi- nis providentia, datum est. (3) Sed tu quemadmodum etate, cruditione multisque aliis partibus ma- jor me, ita hoc etiam felicior quod prior cam vidisti, mihique comiter viam ad eamdem monstrasti philosophiam Renati Descartes, serio atque diligenter ut examinarem hortatus. Qaamobrem tuum secutus consilium contuli me 277 n'en estimait point au-dessus de ceux de Descarles. II a tra- vaill^ k les rdpaadre, a les conimenler, k les ^claircir, k les meltre h I'abri de loule objection avec un ardeur. incompa- rable. 11 a ii^ cartteien avec pi6t6 et enthousiasme. Sa sant^ avait tottjours M6 faible, et il mourut jeone encore, en 1665. Nomm^ professeur de th^ologie et de philosopKie k Her- born par ledac de Nassau , il y enseigna pendant deux ans le cart^sianisme avec le plus grand succ^s. Son biographe Henninins yante la m^thodeet la Claris de son enseignement, la nettet^ el r^l^gance deson Elocution. Bientdt il fut enlev^ h Herborn par Tuniversit^ plus considerable de Duisbourg . et les magistrals de la viUe le chargerent de la direction du gymnase en in^me temps que de la chaire de.philosophie. 11 y enseigna pendant treize ans, jusqu'a la fin de sa vie, non sans avoir k soutenir de vivos et nombreuses lutles pour la cause de Descartes. Ses principaui adversaires sont : Revius que nous retrouvons partout ou il y a un cart^sien h combat- tre , et Gyriacus Lentulus , son collogue h Tuniversit^ d'Her- born (1). Il a compost centre eux une apoiogie de Descarles, Defeusio cartesiana (2). II s'y plaint que Revius et Lenlulus Lugdunum-Batavorum, ubi non sine insigni studiorum emolumcnto, cogni- tus mihi communis amicus Joannes de Roey. (1) Cyriacus Lentulus a ecrit contre Descartes, Nova Renati Descartes sapientia facilidri quam ante hoc methodo detecta. Deja nous avons cite les ouvrages de Revius. (2) Defensio cartesiana adversus Jacobum Revium theologum leidensem et CwHacum Lentulum professorem kerbonensem, in-12, 1652. — Use glorific dans la preface d'etre un des premiers a defendre publiquement Descartes par ses ecrits. Ilsait bienque, danstoute FEurope, sont repandus des cartesiens plus profondsque lui. Mais, tandis qu'il leur a ete accorde par la divine Providence de philosopher en paix , lui, plus malheureux , il est trouble dans I'etude de la sagesse, il est provoque au combat par la hainc ct Ten vie d'un collcgue. 278 altaquent ploHM le Dinamn de la Miihode^ qui est ua OHvrage exoliriqae , que les UidUaHom , qui soat un ouvrage aeroa- matique v et qu'ils prennent en un sens absolu ce que Des- cartes n'y donne que comme exemple M exprime d'onefnQOD populaire (1). II defend ensuite les prloctpes du I>i$OMrs de la MHhade , les pr6ceptes , les opinions , les mceurs et le ca- ract6re de Descartes eontre toutes les calomnies de Revius et de Lentulns, mais il ren voie k un autre oufrage la rMitation de leurs objections eontre la quatriftme partie du IHictmrs de ta Mithode, qui est comme un abr6g6 des MiditaHans. Glanberg a anssi compost un traits special pour la defense du doute mi- thodique (2) eontre ce mdrae Bevius, qui , dans un pamphlet intitule Furiomm nugamentum , aocusait DescatCes d'ensei- gner qu'il 6lait avantageux pour un temps de nier Dien el de le ehasser de sa pens^. Les adversaires de Descartes faisaient partout du doute cart^ien un objet de scandale , an texte d*accusation de scepticisme et d*impi6i6. De lA Timportance de l*ouvrage de Glauberg. II jnstifie le doute m^hodique par vingt-cinq arguments oil sont comprises toutes les bonnes raisons , mats oifi s'en troufent beaucoup qui sont soperflnes, minutieuses ou en dehors de la question. A la suite de ce pe- tit traits est un commentaire de la quatriime partie du DU- cours de la MMiode , de la premiere Meditation et des huit premiers articles des Principes , commentaire presque mot a mot, oil chaque phrase du lexle est reproduce ei comments. II a compost d'apr^s le m^me plan une paraphrase des Mi^ (1) H appeile aussi Ics Meditations, Scriplum primarium cl maximc clabo- ratum, el le Disconrs de la Methode , Scriptum secundarium el minus po- litum. (2) Iniiiatio philosophi, sivc Dubitatio cartesiana ad moiaphystcam 001*11- tudincm viam apcricns. 279 diiaium$ (1) , on ti cile (out le (eite de Descartes e4 le OQm- meiite piirasi par pbrase. Ge eommentaire est clair et eiact , it moiilre reacbatnemeot des propositions et 6tablit toajears le frai sens de Taaleiir, mais il renierme awsi beauooup d'ex^ plicaliom superOues. If aia Glauberg n'est pas ub simple apologisle et comaseii-- lalenr de Deacartes. II a voolu combler una lacane de sa philasophte en oomposant one logique, et fl a poassd h des coD8i6q«enoes nouvelies qiielqiies*ans de ses principes mdta- physiiiiies. Dans sa logiqne ii se propose d'aUier les prtoples des anciens avec ceux des modernes, de \k le titre qa'il tad a denii^ : Logica vttvs ti myiia vtl ncfcan^wi. II y m6le Aris*- toCd avec Bacon et Descartes. Gette logiqne est remarqnaUe par l*Mendue du plan, la m6thodet la clart6, le boD sens pra- tique des prteeptes et des exemples. On y trouve beanconp de ohoses nouvelles, utiles et ingteienses sar le langage> sur Tart d'enseigner et d'apprendre ; eependant, il auralt pu hire mieux enoore, dit-^il Ini-m^me dans la pr6&ce , s*il ne se fdl propose de combiner les anciens ayec les modernes^ Glauberg pent passer ponr un 6rndit an sein de I'^cote cart^** sienne, caril cile sans cesse, avec Bacon et Descartes, les prin- cipaux pbilosophes de Tantiquit^ el da moyen-Age , Arislole, Platon 9 Plotin , saint Augustin , saint Thomas , Harsile Fidn. Telle qn'elle est cette logiqne est nn des meillenrs antecedents de VAn depenserie Port-Royal, qui Ta miae ft profit. (t) ParaphraMt m Renati Desccurtes MediUitione* de prima phUosophia. — Get ouvrage est dedie au chancelier Seguier. II le loue dans ceite dedicace du magnifique privilege donl il a honore les oeuvres de Descartes, ct d'avoir suivi les traces de sou aieul Pierre Seguier, president a mortier du parltuiient de Paris sous Henri II el Cliarlcs IX, qui avait laisse en heritage a scs cnfanis un ouvrage intitule : Rudimcnta cognitionis Dei ct sui. 280 La question des rapports de I'dme el du corps, et des rap-' ports des creatures avec Dien^est celieou Glaubergpousse k des cons^aiences Doavelles la doctrine de Descartes. II traitela question de 1' union de V^me etdu corps dans un Trait6 par- ticulier intitule : Corporii it animcB in homine conjunciio (1). Selon Clauberg, le corps ne peut 6tre uni k V^me ni comme un corps k un corps, ni comme une dme k une toe. La seule union possible est dans leurs actions ou passions relatives, et non dans leur substance absolue. S'il admet Taction r6cipro- que de Tdme et du corps, c'est comme un miracle de la vo- lont6 de Dieu, et non comme Teffet d'une loi naturelle. II fail r^me cause morale et non physique des mouveknents du corps, par ou il entend qu'elle ne produit pas le mbuyemeot, mais seulement le dirige, semblable, suivant la comparaison de Descartes, au cocher qui n'est que la cause morale du mou- vement du char, tandis que la cause physique est le cheval qu'il dirige k soil gr6. JusquMci Clauberg suit fidilement Descartes, mais il le d^passe ou Texagire en ce qui conceme les rapports du corps avec I'dme. En effet, partant de ce prin- cipe, que Tefifet ne saurait ^tre plus noble que la cause, il nie qu*on puisse attribuer aux mouvements du corps la production d'un seul mouvement de Tdme. Les mouvements du corps ne sont que des causes proeaiar cliques^ c*est-liHlire, donnent seu- lement occasion k la cause principale, qui est Tdme, de pro- dutre telle ou telle id^e qu'elle contient en puissance (2). Ainsi, s*il admet, par un miracle de Dieu, Taction de Tdme sur (1) Ce traite se trouve dans les C£uvres completes a la page 209, a la suite de la Physique. (2) Corporis nostri motus tantummodo sunt causae procatarcticse qua* menti tanquam causae principali occasionem dant , has illasve ideas quas virtute quidem semper in sc habet , hoc potius tempore quam alio ex se elieiendi ac vim cogitandi in actum educendi (cap. 16}. 281 le corps, il n'admel pas r^ciproquement I'acdoD du corps sar TAme, m6me par an miracle, el il ne consid^re ies roouve- menls corporals que comma des causes occasionnelles 5 regard des monvements de I'dme. Nous trouvons done d^j^ dans Clauberg la doclrine des causes occasionnelles, sinon dans le rapport de I'dme avec le corps, au moins daiis celui du corps avec r^me. Hais, en derniire analyse, sur celle question de la communication de VAme at du corps, Clauberg se r^fugie dans la volenti de Dieu, auquel il a plu qu*il en (At ainsi. II Itti semble qu'absurde partoui ailleurs, cette r^ponse est ici la seule qui coovienne. Pourquoi Dieu qui a imprimd Ies traces de tontes ses autres perfections sur Ies choses, n'y au- rait-il pas mis la marque da sa liberty? II d^v^eloppe le mtoie sentiment dans la Connaissance de Dieu ei de soi^mime (1) , le plus important de ses ouvrages, ou il traite dans cent exercUationes Ies principales questions de la philosophie de Descartes relatives h Dieu et k I'dme hu- maine. La connaissance naturelle de Dieu y est pos^e comme le principa, le milieu et la fin de la philosophie. Clauberg insiste sur la preuva de Texistence de Dieu par I'idte de Tin- fini. 11 fait voir, comme Descartes, que loin d'etre negative et obscure, cette id^e de Tinfini est la plus positive et la plus claire des id^es. Mais il d^veloppe et exag^re la doctrine de la creation continue. Autant il nous est facile de concevoir comment cessent d'etre Ies id^es de notre esprit, autant il lui semble facile de concevoir Tan^antissement des creatures , si Dieu, un seul instant, cessait dei Ies cr^er, assimilant ainsi le rapport des creatures avec Dieu et le rapport de nos pens^es avec notra esprit. (1) De GOgnitione Dei et nostri quatenus naturali rationis iumine secun- dum veram phiiosophiam potest comparari, exercitationes centum. 1656, in-12. 282 ■ Eneore aggrave-t-il ce(leeoinparaison,en ajoulanl que les creatures soot motns par rapport k Dies qae nos pen^des par rapport h noire esprit. Nous ne sornmes pas matlres (te nos pens^es ; il en est qui se prSsentent h nous malgr^ nous, landts que Dieu est tellement mattre de toutes ses crAatu- rcSf qu'il iui suffit de relirer d'une d*6lles, un seui instant, sa pensie pour les replonger dans le n^ant (i). A ta suite de ce passage, il cite ces paroles de saint Paul , dont Spi- noza et Malebranche s'empareront aussi , chaeun dans tear sens : DomintM non longe M ab uMquoque Ms- trum^ in ipso enim vivimiUy movemur et sumus. On voit done combien d^d, chez Glauberg, la tendance est forte ii conyertir les creatures en de purs ph^nomdnes, et k les absorber au sein de Dieu. II y 6tait port^ non seulement par les principes de Descartes, mais aussi par la vivacity du sentiment reli^ux dont son dme dtail p6n6tr6e, et qui sonvent allait jusqu*i Textase, & ce que rapporte Leibnitz. Gomme Wiltichius, il a soulenn la th6se de la conformity de la raison et de la foi, el pour prouver cette conformity il a compost un grand nombre de dissertations th^ologiques. II enl ^i6 encore plus hardi, dit son biographe , car il pensait que beaocoup de choses en tb^ologie pouvaient 6tre eipos^es d'une mani^re plus eiacle el plus simple, sans Tamour de la paix qui le tenait dans nne grande reserve. Done Glauberg , de m^me que Wittichios , sans rompreavec Torlhodoxie, (end h rationaliser la foi. Dans (1) Tantum igitur abest ut luagnifice sentiendi occasioncm ullam habea- mus ut potius maximam habcamus c contrario judicandi nos erga Deum idem esse quod cogitationes nostra; sunt erga mentem nostram , ct sdhuc aliquid minus, quoniam dantur nonnulla quae nobis etiam invitis sese offerunt, quae causa fuit Themistocii ut artcm potius oblivionis quam memorise sibi opia- ret. Sed Deus suarum creaturarum adco dominus est ut voluntati sue rcsis- tere minime valeant, ct ab co tam strictc dependent ut si scmcl ab iis cogi- tationem suam averterct, statim in nihilum rcdigerentur. (Exercitatio 28.) 283 sa m^taphysique nous avons signal^ un premier pas vers les causes occasionnelles, et cetle comparaison des creatures par rapport k Dieu, k nos penst^espar rapports noire esprit. Or, que sont les pens^es de noire esprit^ sinon de simples pbtoo- m^nes qui apparaissent et disparaissenl? Ainsi d&jh se mon- trent les consequences de la doctrine de la passivet^ des crea- tures au sein de la philosophie cart^sienne hollandaise. (l) Nous allons voir des successeurs et m^roe des conlempo- rains de Glauberg les dSvelopper encore davantage, et aller plus avant que lui dans la voie gilssante et dangereuse qui conduit h Spinoza, (1) Clauberg a, en outre, ecrit deux traites en allemand, Tun sur la diife- renee de la philosophie cartesienne et de la philosophie vulgaire, Tautrc sur les langues. Qiioiqu'il ccrivit el pu'lat tr^-bien le latin, il faisait grand cas de la loogue allemande et gemissait de Tabandon ou la laissaient les theo- logieas et les philosophes. Get abandon devait durer jnsqu'a Rant , malgre la protestation de Clauberg. CHAPITRE XIV. Geulincx. — Savie. — Professeur a l*iiniversite catholique de Louvain, puis a Tuniversite protestante de Leydc. — Causes de sa fuite a Leyde. — Principe que Dieu seul est veritable cause, pousse a ses extremes conse- quences. — Negation de toute action reciproque entre I'^me et le corps. — Le corps et Tame , instruments que Dieu met en harmonie I'un avec I'autre. — Doctrine des causes occasionnelles. — L'homme spectateur impuissant de tout ce qui se passe dans le monde et dans son corps. — Etemite et immutabilite des verites naturelles. — Tons les corps parti- culiers modes du corps en soi, et les esprits modes particuliers de I'esprit universcl. — Principe de la morale dc Geulincx , amour de la raison. — Pieux et hardi rationalisme. — Rapport de sa morale avec sa metaphy- sique. — William Deurho£F pousse encore davantage la doctrine de Geulincx au spinozisme. — Gartesiens precurseurs du Trotctatus 'theologice sa vie ot de sa persoirae. — Education cartesieime. — Rupture avec la $ynagof;ue. -^Metier pour gaguer sa vie. — Amour dela retraite. — Meditation des choses etemelles. — Sobriete, desinteressement, tolerance. — De ses ouvrages. — Principes de Descartes exposes sous forme geome- trique. — Cogitata metaphysica. — Tendance a excedersur certains points la pensee de Descartes. — Lettres et correspondants de Spinoza. — Discus- sions et eclaireissements de quelques principes de YAthique ei du Tracta tus thtologic»^liHc»9. — Pourquoi il n'a pas fiait imprimerr^llAi^tM. — Sa mort. -^ Divers temoi^ages qu*II invoque en faveurdesa philosophic. — he De emendatione intellectus est le Discovrs de la Methode el la logique de Spinoza. — La morale but de Spinoza. — Seul vrai bien de I'lime dans Tamour de ce qui ne passe pas. — Vain effort de Spinoza pour concilier la recherche d'un vrai bien avec une necessite universelle et avec ]a negation d'une distinction absoluc entre lo bien et le mal. — La connaissanee de k nature, I'union de Tame avec elle , but ou nous devons tendrc et poiisser nos semblables. — Morale par provision. — Reforme de I'en- tendement. — Quatre modes de perceptions. — Unique mode donnant la verite et le bonheur. — Idee pure de la raison, point de depart de toute sa methode. — Certitude des idees claires. — Dedain pour les sceptiques. — Regies pour distinguer les idees vraies des idees feintes, fausses ou dou- teuses. — Confirmation de I'idee claire ou vraie par la deduction de cc qu'elle enferme. — Conformite de I'ordre de nos deductions avec I'ordre de la nature. — Direction dc I'esprit sous la loi de Tetre absolument par- fait, seule methode parfaite. — Difference entre la methode dc Spinoza et celle de Descartes. De lous les philosophes suscit^s en Hollandc par le mou- vement carl^sien, le plus grand el le plus iMustre , mais 300 non le plas exact el le plus 6d61e, est Spinoza. Qaelles vives et contraires passions ce nom n^a-t-il pas excit^es et n'excite-t-il pas m^me encore aujoord^hoi ! Qael philosophe fat jamais convert de plus d^impr^cations, mais aussi lou^ avec plus d'enlhousiasme ! Pour les uns, c'est un monstre execrable d*impi^t6 et d'ath^isme, pour les autres, le phi- losophe par excellence, un saint anini6 de Tesprit de Dieu. Uobscurit^ de certaines parties de sa doctrine est, avec Tesprit de parti, une des causes de la diversity de ces jugements. La tdche de T^claircir et de la juger sainemenl nous est rendue plus facile par de longues et consciencieuses etudes qui en onl ^t^ failes (1), depuis que nous en avons parl6 pour la premiere fois (2). Spinoza est n^ k Amsterdam en 1633. Ses parents 6taient juifs et d^origine portugaise ; sa peau brune, ses cheveux el ses sourcils noirs (^taient Tindice de cette origine ro^ridio— nale. II 6lail d*une laille mediocre et d'une physionomie agr^able (1). Un c^l^bre rabbin , Morleira , iui enseigna Tbibreu ou il fit de grands progr^s. A quinze ans il discutait les £critures de mani^re h erabarrasser son maitre et tous les rabbins de la synagogue. Non content des lettres h^bral- ques, il s*adressa <^ un mattre Chretien pour apprendre le grec et le latin. Ge maitre ^tail un mMecin appel^ Van den Ende qui tenait ^cole h Amsterdam. En m6me temps que le grec et le latin, il enseigna h Spinoza la physique ct la g^o- m6trie et Tinitia h la philosophic de Descartes, qui fit brilier (1] Nous citerons VHUtoire de la philosophie du XVII^ sihcle par M. Da- miron, la traduction des OEuvres de Spinoza et rexcellenlc introduction qui la precede, par M. Saisset. Dans nos citations nous nous sommcs aide de la traduction de M Saisset. (2) HUtoire et critique de la revolution cartettienne,^ in- 8. Paris, 1843. (3) Vie de Saint-ikfremont, par Desmaizoaux. 301 aux yeax de Spinoza une lumi^re noavelle, et lui r6v6la sa Yocalion philosophique. Quelque grandes qu'aient M ses infid61it(^s'et ses erreurS) la philosophie de Descartes fot son poiDl de depart, el de son propre aveu« c^esl dans Descartes qu*il avail pur&6 loutes ses connaissances en philosophie. Yan den Ende et ie carl^sianisme, dont il avail surlout godt^ celte maxime, qu*il ne faut rien recevoir pour vrai que ce qui est Evident, achev^rent d'^manciper son esprit. II osa Tappliquer non seulemenl h la philosophie, mais aux £cri- tures, aux v^rit^s r^v^l^es enseign^es par les rabbins, et de eel examen bienl6l ii lira la conclusion que leurs principes ne pou- vaient 6tre admis par un homme de sens. D6s-lors il fuii leur commerce el s'abstienl de paraltre aux c6r6monies de la synagogue. Alarm ^s du scandale de cette defection, les rabbins mirenl en oeuvre loutes les sMuctions et loutes les menaces pour ramener Spinoza h la synagogue ; mais n^ayanl pu r^ussir ft T^branler, ils se d^cid^rent k prononcer contra lui Texcommunication solennelle. « A la bonne heure, r^pondil Spinoza a celui qui lui en porta la nouveile, on ne me force h rien que je n^eusse fait de moi-m6me, si je n'eusse craint Ie scandale. Mais, puisqu'on le veut de la sorte, j'entre avec joie dans le chemin qui m*est ouvert, et j'ai cette consolation que ma sortie sera plus innocenle que celle des H^breux bors de I'Egypte, quoique ma subsistance ne soil pas mieux as- sur^e que la leur. » Peu de temps apr^s, un juif fanatiqae le frappa d*un coup de poignard. Spinoza fut pr^serv^ par son manteau qu'il garda toute sa vie, en souvenir de eel acte de fanatisme et du danger qu'il avail couru. Les rabbins ne pouvaient de leur propre autorit^ le chasser de la ville comme de la synagogue, mais h force d'intrigues ils mirent de leur parti les ministres r^formSs. lis firent valoir que leur cause 6tail commune, qu'il s'agissait de punir un blaspb^mateur de Mofse et des £critures, et par les ministres r^form^s ils 302 obliorefil des magistrals de la ville un arr^t qui lui interdisail de sojourner plus loogtemps h Amsterdam. Get exil ne fit aucune peine k Spinoza qui, ayant appris a Amsterdam, tout ce qu'il d^sirait savoir des sciences humaines, n*aspirait plus qu'& one retraite profonde ou il pdt mMiter en paix. Sans patrimoine et sans fortune, il sui o^6tre pas moins ind(^pendant que Descartes, et 6viter comme lui T^cueil de renseignement public. Gonform^ment au pr^cepte d'ancieos docteurs jttifs, il avait appris un art m^canique pour y gagner, k tout ^vinemeut, de quoi subsister. Get art mteam'que ^tait la taille des verres de lunettes d^approdie, oil il devint telle- menthabile, qn*on s'adressait h lui de tous c6t^ pour acbe- ter^ et qu'il put se suffire k Iui-m6me, tout enconsacrant la plus grande partie de son temps i la philosophie. Exil^ d* Amster- dam, il habita quelque temps dans le voisinage de Leyde, puis dans celui de La Haye et enfin dans la ville m£me de La Haye. II y loua une modeste cbambre, ou il passa les cinq derni^res ann^es de sa vie. Arr^ons-nous pour contempler un moment cette vie si retiree el si pure, ou il semble que Tesprit soil tout, et que le corps ne tienne point de place. Tout le bien que nous avoQS di4 de Spinoza , tout le bien que nous en dirons en- core, il faut le croire^ puisque nous le rapportons d'apr^s le Itoioignage d*un ennemi, du pasteur Golems, qui avait pr6ch6 en chaire contre lui, et qui le maudit comme un impie et un damns. Ge que Spinoza raconte et present sur la re- cherche du vrai bien dans le dSbut du de Emendations intel- kctuSflai'mime il Ta mis admirablemeut en pradque.II a reJetS tous les soucis des choses de ce monde, toutes les agitations que donne la recherche de la gloire , des richesses, des plaisirs el de toutes les choses pSrissables, pour placer son amour dans quelque chose d'Sternel et d*in6ni, qui seul donne k VAme le calme et le bonheur. G'est la pens6e de I'infini ou de Dieu 303 qai seul^ a rempli loule sa vie. Dans cetle poursuile et cede meditation de ce qui ne passe pas, aacuoe passion sembie ne I'avoir trouble. Jamais il ne se laissa emporler par la joie, ni abattre par la douleur. Son humeur 6lail toujoars douce et caime. « II n'eul pdnl de sanl£ parfaite de toute sa vie, dil un de ses biographes, il avait appris k souffrir dis sa plus tendre jeanesse » aussi jamais n'entendit-on mieuK cetle science si rare et pourtant si n^cessaire. » Sa vie ^tail celle d'on anachorfele. Quelqu^es pelits comptes de manage trouvis apr^s sa mort t^moignent de son incroyable sobriety. Avec qaelques sous de beurre et de lait, avec un pot de bi^re, il vivait plusieurs jours. Content de gagner au jour le jour de quoi vivre par son Industrie, il ne recherchaii p«s I'argeot et fit preuve en plusieurs circonstances du plus rare d^sinl^ressemel. Ainsi il refusa deux mille flortos qu'un de ses amis, Simon de Yries, voulait lui donner, et il ne consenlit pas h ce que ce m^me ami fit son testament en sa faveur au detriment de sa familie. N'ayant pu lui faire accepter Th^ritage de tous ses biens, Simon de Yries chargea ses h^ritiers naturels de lui faire une pension de 500 florins que Spinosa lui-^m^me voulut r^duire a 300. Gomme on lui apprenait un jour qu'un de ses d^biteurs lui avait fait faillile, il r^pondit : « Je relrancherai de mon ordinaire pour r^parer cette perte, mais k ce prix j^ach^te la fermet^. » II n'avait de fanatisme ni d'aveugle prevention conlre au- cune secte religieuse. Loin de detourner de leur religion ceux qui Tentouraient, il les exhortail k la suivre fid^le- ment. II avertissait les enfants de son hOte d'etre soumis k leurs parents et d^assister au service divin. II consolait les gens de la maison dans leurs afQictions el dans leurs mala- dies, les engageant k souffrir des maux qui eiaienl comme un partage que Dieu leur avait assign^. II avail, dil Goierus, une grande estime pour mon predecesseur, il en faisail Teioge et 304 allait Teniendre pr^eher. Un jour, son h6tesse loi ayant de- mands s^l croyaii qu'elle pdt 6tre sauv^e dans sa religion, il lai r^pondil : « Voire religion est bonne, vous ne deyez pas en chercher d'aulre, ni douter que vous n'y fassiez voire sa- lut, pourvu qu'atlach^e a la pi^l6, vous meniez une vie calme et tranquille. » Dans la preface du Theologico-politicuSy il se fiilicile de vivre en un pays, ou chactin est libre de penser comme il lui platl, pourvu qu'il ne (rouble pas la paix public que. « Uberrima est respublica vestra, lui 6crit un de ses cor- respondants, liberrime in ea philosophandum.» Spinoza ne s^en fit pas faute,et cependant, depuis son exil d* Amsterdam, ilv6- cutcn paix. Au sein m^medecetle relraite profonde, son savoir, sa modestie,sond^sinl6ressement iefaisaienl eslimerde toutes les personnes d'esprit qui ^(aient h La Haye (1). Deux tbis^par offres brillantes, il fut invito u quitter la Hollande et deux fois il eut la sagesse de refuser. Le prince de Gond6, avide de la soci^t^ et de la conversa- tion de tons les horomes extraordinaires, de tous les grands esprits, quelles que fussent leur palrie et leurs doctrines, eiAt voulu conKrer avec lui et Tattirer h Ghanlilly, comme Male- branche et Bossuel. Pendant la campague de Hollande, en 1673, il lui donna rendez-vous h Ctrecht. Spinoza y vint mais n*y trouva pas le prince de Gond6 qu*avait appel6 ail- leurs un ordre du roi. II fut regu , au nom du prince, par le mar^chal de Luxembourg qui, de sa part, Tinvila h venir en France , lui promettant une pension du roi , pourvu qu'il lui dedidt quelque ouvrage. Mais Spinoza refusa, donnant pour pr^texte qu'il n^ avail aucun ouvrage dont ij pill faire la d^dicace. A son relour k La Haye, il y eut une cerlaine Amotion contre lui dans la populace qui Taccusail {\) Vie de Saivt-livretn/)nU par Desmaizeaux. 305 d*6tre un espion des Francis, el son hdle alarms craignit de voir sa maison pill^e. Mais Spinoza Tassara quMi n*avait rien d craindre k son 6gard et qu'il lai ^tail ais6 de se jas- ti6er: « Quoi qu'il en soit, aussitdl que la populace fera le moindre bruit k voire porle, je sortirai el irai droit k eux, quand its devraient me faire le m^rne traitement qu'ils onl fait aux pauvres MM. de Will. Je suis bon r^publicain, et n^ai jamais eu en vue que la gloire et Tavantage de T^tat. » La m^me ann6e , on lui offrail , de la part de T^lecteur palalin, la chaire de professeur ordinaire de philosophie dans Tacad^mie d'Heideiberg, avec le droit de philosopher en tonle liberie , sous la seule condition de ne pas troubler la religion itablie (1). Spinoza pr£f(&ra son repos el sa liberty au dan- gereux 6ciat d'un enseignement public. II refusa par ces deiix motifs, que les soins donnte k Tinstruction de la jeu- nesse remp6cheraient d*avancer lui-m6me en philosophie , et qu'il ignorait quelles seraient les limites de cette liberty de philosopher, sous la condition de ne pas troubler la religion ^tablie. Enfin, il ajoutait que ce n'est pas I'esp^rance d^un sort plus brillant qui diterminait son refus, mais Tamour de la tranquillity, a bien prteieux dont je ne crois pouvoir me flatter de Jouirqu il condition de renoncer & toute espece de lemons publiques (2).i> Spinoza demeura done dans sa relraite et dans son ind^- pendance el continua jusqu^au bout k librement philosopher, n'^tant retenu par aucun engagement, par aucuoe consid^-- ration de religion ou de politique , et se confirmant (oujours de plus en plus dans la \M\A de sa doctrine. Voici un pas- sage de sa riponse b Albert Burgh, ou il exprime , avec une remarquable ^nergie , sa foi absolue en ses principes : lre liberty, qui place la r^ompense de la vertu dans la vertu elle-m^me, comme a^asai dans la folie etle-m^me le chdtiment de rimpuissance et de ta folie , qui recommande k tout homme d*aimer son proehaiA et d'ob^ir aux d^crels du souverain (1)? )> Que de vigueui! et de verve dans sa r^ponsa aux fanatiques dtelamatioi^. 4oa( Albert Burgh, dans la ferveur de sa coBversion r^centdy pr6<* lend Taccabler ! Les principes de la philosophie de Bescartfes exposis sous forme geomdtrique et le Tractatus theologico-poUticus soni les seuls ouvrages que Spinoza ait publics pendant sa vie. Ses oeuvres posthumes Mitc^es par Meyer, Tannte m^me de sa mort, contiennent Vtlthique^ les Lettres el dieux ouvrages inachev6S; leDeEmatidatione intellectus eile Tractatus poKri- cus. Je ferai connattre le Tractatus theologico-^olitieusei tons (1) Ep. 59. 307 ses aatres oavrages daos rexposUion i^ «a doetriDe , mais id je dini qnelqees; mots, pour n'y plus reyenir, $ar c«t(e expo«« sition des prineipea de Deacartes ei aor sa oocrespondanoe. EDtre tOBtes le$ nogibreasea exposiliooa d^ la philoaopbie de Descartet qni out M faitea en Hoitaiide, c^ de Spinoza, se distingue par aa forme g^am^lriqne e( par rint^llig^yice approfondie de la phlloeophi« de De^carles (1)< Dfalbeurenae^ ment elle est inachev^e, et s'arr^te au commeDe^nmei^t d^ (^ troin^me pariie, qui devait eiposer lea cona^quences des prin^ eipes g^D^ranx de la nature. Descartes, dans sa rdponse anx deuxttmes objectiena^ avail lui^mteAe dopn^ un es^ai d'np^ plication de la forme g6og»6trique ji sa do^ine« et Spinc^a a ins^r^ cet essal tont enlier, k pen pr^ textuettwieiiftt, i%m son propre ouvrage. II ne feudrail pas le prendre pour Y^%^ preasion d'aine pliase de la penste pbijosopbique d^ Spin^i^a, el eroire qa'i la dale de sa pablieation , en 166^ , ^-^ iKHsa fdt mi por etfid^e oarl^ien* II Tarait compost poiir w ^I^ve, anqnel i\ enseignaii la phllosopbie de DescarteSt et Tayant p«bli6> i la pfi6re de^^elqnesp^iis, il Tonl^tqu^Aleyer, qw en fet I'Mtleur, annongdldaos la preface qne ce livre con*- teftail les pmsies de Descartes* mais non pas les siennes. £n effet, d6ih denx sm^ auparavant^ il avaii commence a ferire YEthique. Qnoique son dessein fiU de faire une expoi- sitiea exacte et fidiUe t il diait imposable qui I n'appnyAt pas daf antage sur les prtneipes qnj lui parajssajeoi favoriser sa propre doetrusie, el qu'en certains points il n'all^rdt pas on 4bi moins n'exc^dM pas la pens^e de Descartes. Ainsi^ dans une scbolie i^la propoaitjon neavifeme de la premiere partie^ il (1) Rcnati Descartes pi^ncipiorum philosophise pars I et II more geome- trico demonstratse per Bencdictum Spinozam. Accessenintejusdem cogitata metapfaysica, in qaibus diffieiliores quse tam In paH« metaphysie^ geninii quaiii speeiaK occo^ruiit, qusestiafics liiimf^r osq^lkaiitav. Amtt., 1668. 308 avance que Dieu , quoiqae incorporel , doit cependant 61re entendu comme contenant en lui toutes les perfections qui sent dans r^tendue. F^neldn et.Malebranchelediront, mais Descartes ne Ta pas dit. Je remarque encore ce eorollaire de la douzi^me proposition , que Dieu cr^ateur de toutes choses, non seulement ne pent sentir, mais ne peut pas proprement percevoir; proposition que Descartes n'edt cer- tainement pas admise. On volt la m6me tendance dans les Cogitatametaphysica^ qui ont ii& publics h la suite de cette exposition , et qui sont comme des ^claircissements sur diff^rents points de la m^ta* physique cart^sienne. Tout en suivant Descartes, ily iaisse ap- paraftr^ncore davantage sespropres principes , et pour n'en citer qu'un exemple , il dit que Tordre , le bon , le vrai , ne sont que des denominations extrins^ques des choses qui ne peuvent leur ^tre attributes que dans la langue des rithori- ciens. Par cette publication , il voulait sans doute preparer insensiblement les esprits h une philosophie plus bardie. La correspondance de Spinoza , publiie dans ses oeuvres posthumes , n^a ni la m6me ^tendue , ni la m^me importance que celle de Descartes. Elle ne contient que soixante-quatorze lettres^ en comptant celles de ses correspondants , moins il- lustres que ceux de Descartes. Les plus connus sont Meyer, I'auteur du Philosophia ScripturoB interpres^ I'^dileur de ses oeuvres posthumes et Oldenburg. Oldenburg , secretaire de la Society royale des sciences de Londres , est plus calibre par ses relations ayec les savants et les philosophes, par son zile h leur servir d'tnterm^diaire que par ses propres travaux. QueK- ques letlres ont pour objet les mathematiqnes , la chimie , Toptique et la taille des verres , mais la plupart trailent de la philosophie ou de Tinterpretation des £critures. La ppl^mique porle non seulement sur les Cogitata meiaphyHca et sur le Tpoetatui theologicofoliticus , mais aussi sur les premieres 309 parties de VSthique , que Spinoza avail communiqa^es k Ta- vance k quelqaes amis. On voit par ces leltres que Vtlthique , d^ja Gommenc^e en 1661 , 6tail achevte d6s Tann^e 1665 « et on y trouve des ^claircissements sur quelques-unes de ses plus obscures propositions. Les consequences de la negation de la liberie par rapport k la morale, el son mode d'inler- pretation des £crilures par rapports la theologie, voil& les points sur lesqueU Spinoza est le plus vivemenl pressi. Parmi ses correspondanls , quelques-uns s'indignent et se reorient d'horreur, telsque Guillaume de BIyenberg et Albert Burgh ; d*autres , lels qu'Oldenburg , d'une humeur plus bienveil- lante et plus moderee, ne voient pas bien Tabime qui les se- pare , et toujours demandent et espirenl de lui des explica- tions qui rassurent leur conscience ; d'autres en6n , lels que Meyer^ se declarent les partisans de sa doctrine. Dans les Leltres , pas plus que dans le Tractatus theologico-polUicus , Spinoza ne rejette les £critures , mais il les interpreie k sa fa^on, elil etend m^me son syslime d'interpretation jusqu'^ la personne du Christ. S*il n^en parte pas d'une mani&re or- Ihodoxe 9 assurement il en parle beaucoup mieux qu'on ne pourrait Tatleudre d*un juif, caril le represenlecomme la plus haute manifestation de la sagesse de Dieu en ce monde (1). Spinoza s'etait repent! de la publication du Theologico'-pih- liticus^ k cause de Forage excite conlre lui , ct il eul voulu empecher qu*il fdt traduilen hollandais.Gependant,en 1675, il fit le voyage d'Amsterdam pour livrer k Timpression r£- thiquCf dej5 achevee depuis plusieurs annees. II esperait qu'un ouvrage de pure el obscure metaphysique n*aurait pas le meme retentissemenl. Mais iuforme que dejii les theologiens lui tendaient des embtiches et faisaient courir le bruit qu'it (1) Ep. 21. «10 allBit fKiMter uti gros livre fHHir prouver q^'fl n'y a point de Bieo , i1 revint ^ La Haye avee son mannserit* On voit que s^fl 6tait hard! dans la sp^olation , il ne manquait pas de prudenee da^s ta condfrite de la vfe , oonform^iiient k tes i^ gles provisoires de condnile c(a*U recotnmaiide , b rexempie de Descartes , dans son TraM sm la r^^rtiM ife Vientende-- fnent. Depttis plusienrs ann^s , il^taii malade de ta poitrme^ ot il Vafffdiblissftit encore par des veiHes pr6long6eself des iddes fauss6s ei des id&e8 douteoaes? Spiooaa dimoBitre d^abord que noas De risquoos pas de prendre les fie- lions ponr la v6rtt6, lorsque nous comprenons une chose da!- rement et disiinctement. La fiction ne pent s^exercer que daaa lea Umiles de la connaissance obscure et oonfiisd , et sur les choaes €ompos6es et contingentes. Avec la faealt6 de com- prendre crott et dtminae la faculty de feindre. L'eSipril ne peat riea feindre sur ee qu'il conooif clairemMt Supposez nn 6tre omniscient ; pour un tel Mre toiile fiction sera ioipo^ sible. L'existence on Tessenee d'nn objet^ voil& le aeul ebamp possible ouvert k la fiction. Or, par rapport k Vexistence, jl est impossible de rkn feindre touchant les cboaes ndcessairos at impossibles, ou les v^ril^s ^ternelles. A regard d'une Y6rit6 non ^teroeUe, il suffirait de comparer sou existence k son e$* sence, et de consid^rer Tordre de la nature pour s'assurer (pi'elle n'est pas une fiction. Quant h Tessence des choses , tonte fiction sera confuse, parce qu'eile porte sur des obje^ composes, que Tespfil ne considfere pas dans leur entier, et dans lesquete il ne distbigue pas le eonnu de rinconnii« De m6me quHl ne pent 7 avoir de fiction sur Texistence des dioses ^ternelles, de mtene il ne pait y en avoir sur I'essence des choses simples. La perception des choses simptes est n6oes«- saurement elaire; une cbose simple est eu enti^rement ineen^ nue, ou entidrement connue ; elle est done n^cessairement une yif\i& et non une fiction. Done toute fiction est (ri^seure et confuse, tandis que Tid^e vraie est daire et dUstincte ; toute fiction porte sur des essences contingentes et compoa^es, toute Hie vraie sur des essences simples et ^ternelles* La rigle pour se preserver des id^es fausses est la m6me que pour ies iddes feintes, dont elles ne diffi&rent que par I'assentiment que leur donne Tesprit. La fausset^ cousiste en ce qu*on affirme une chose d*une autre. Par cons^qnent les 319 id^es simples en elted-mAoie ne pearenl ^Ire fan^ses Don plus que feintes, et les id^ claires ne seront janiaid faaned, Mant simples on susceplibles d'etre raittenies h des iddes simpler. Or, qa'une idde simple ne puisse pas 6fre fansse, cbaoon, se- en Spinoza, le comprendra pourvu qu'il saehe ce que e^est que (e vrai et le faux. Notre ratelfigenee peul done sans scrn-- pn)e et sans (Stainte de se Iromper former ^ son gr^ des ist >8oil aolivil6 infinie, passaoi ptrtonles les formes possibles de r^xistence, ei se dfireloppaiH^ Vnt~ 'fihi, suivant des iois n^cessaires. En effef, 6tre iibce, cutest agir d'apr^s <6S ^iiles Iois de sa propre nabire , sviwpl la d^fifiitton qu'eo dohne Spinoza, au eommeocement de VSthique : Ea res libera dioetur qutB es6 «oIa iuee natmra na- cessiUUe exi$tiiy et a se sola ad agendutn deterniinatur. De- finition non moins arbitraire et noii moins fwise qne celle de la substance, qui lout d'abord et sans dtoonstration en- l&ve aui crtotures, jusqu'ao nom nKftme de la libertfi, et dfins 4e cr^leur lui*^in<^3(ie n*en laisse sobsifler que le nom# En effet la liberty n'esl-elle pas ^upprim^e lovl anssi bieo p^r ie fatum dn dedans ^ue par le/alnrndu dehors? Peu imparte d'ou vienne la n^cessiid, pen imporle qu'elte soit ialeroe on externe, elle n'en exclut pas nm9s la ltberte> Elle s^mble piOme, quand elle est in^rne, Tes/cl^re plus Tadicaleineiit iaacore, et dans aon essence mfime. Diiw done* selon Spi- noza , est sQuverainemei^l lihre , en ce sens C|ue riep^ en dehors 4elw, ne conlrarie fe ddvelq^emeat nioessair^ df s Iois de sa nature^ mais non pas en /pe sens qu'tt iigissie pur une libre volontd. m Spinoza semble se cooiplatre h ddyieiopperle fnUlMfoe dia^s toule sa rigueur , soit au regard de Dieu, soit au regaivd de I'homme. II aime h redire que tout ce que Dieu fait suit ntees- sairement de sa nature, coninie r^galit^ des trois an|;les d'un triangle h deux droits de la nature du triangle, quece qui est dans le monde n'a pu 61re en une autre fagon, ni m6me en nn autre ordre. Pour concevoir, qu*en une seule de ses parties, runivers soil autre quMI n*est, et que Dieu puisse vouloir au- 339 tre chose quei^e qui e^U il feui Gonof^vair q^^e lniHBndme cbaiige de Qfllureip^r 9Qita deTid^QtUiidqsa volants ^i i^ son e^sw^ Le9d^9(ftdQ Dienaoi^td^ to« (2) BiA., part I, prdp. 21. (3) Introduction a la traduction dcs OEuvres dc Spinoza, p. 87. 347 premier degr^, le mottvemeDt e( le repos, e! dn second degr6, la fdcede toutrttfiivers, qdi dem^nre (oojours la tn^e, malgrd rinQottft dedchangementft qui s'y prdduisefii^l). Mais n^atta^ chonfi pas plus d*iifiponance a ce poim tibseiir de sa 4oclrine, qtie Spidelle conscience d'elle-m6me? G'est en Dieu que Spinoza va chercher la conscience que Tdme a d'elle-mtoie, comme la eonnaissance des corps. Au fait primiUf de la conscience, il n'arrive que par une dMuclion lointaine des aitribuls de Dieu, et ne tenant nul compte de son immMiale et irresistible ^vi- dence> il pretend en donner une demonstration. LMd^e de Tdme humaine est en Dieu , qui conlient Tid^e de tous les modes de I'attribot de la pens^e. Mais Tid^e de Tdme humaine est I'idee de Vid&e du corps humain, suivant la definition qui en a ete donnee. Or comme Tordre des jdees esile m6me que celui des choses, Tidee de Tidee du corps humain doit etre unie k son objet, qui est Tdme humaine, comme Tidee de Tdme est unie elle-meme k son objetqui est le corps. L'idee de Tdme et I'^me 8on4 done aussi une seule et m^me chose, sous un seul et mdme uttribut, la pens^e, et ainsi la conscience est demontree (1). Mais les affections immediates produites par les corps etran- gers ne cessent pas avee la presence de ces corps. Elles per- sistenl^ tant que persiste la modification qu'ils ont faite sur noire corps, et jusqu'^ ce qu'elles soient exckiespar unemo^ dification nouvelle. Telle est la source de i'imagination et de Tassociation des idees, dont Spinoza donne les principales lois. Lorsque Tdme a ete affectee par deux corps 5 la fois, die ne peut se rappeler Tun sans se rappelcr Tautre en (1) Elh., 2« pmtio, prop. 20 el 21, schol. 358 fn6ine tettip^. Gttr le rappel n*ft Ken qa'£i U conditlOA de la repetition did raffection , qui ^tftnt dooble, renferiii^ o^c^s- sairenidtit la tiDlion des dent torp9 qa\ Tout pr^uite. L'as- sociatioti des idAes est le fondement indme de la mAmoire que Spinoia d6finit : un certain enehatoement d*ld6es expri- mant la nature des ehoses qui sont en dehors du corps ha- main^ endiatnemeiit qui seproduit dans r^me, sulfunt Tordre e( reiich^tnement des afl^dions du corps humain (t). Tels sont les divers modes de ia pens6e que Spinoza dMgne par le nbm d'erpArience Vague tnu coiftiaissance du preiuier genre. Taut que Vitm s'-abaudonne passivement au conrs exldrienr de la nature, elle n^ pent 8*6i6ver aU'^-d^sus de cetl^ oonnais- sance confuse^ inatKquate et m^lto d'erreuri Mais si toutes les id^es sotit des mod^s de Dieu^ les id^s inaddquates et fausses de I'eutendenieBt humain ne derront- elles passe retrourer dans la pens^e infiniede Dieu ? Spiuoata se tire decette d!fficuU<6 en fais^nt de Terreur uue sifnpte pri- vation. Ni en Dieli, ni bors de Dieu, il n*est possible de conce- voir un modepositif quelconquede Terreur et de ta faussetA des id6es. Yoioi quelques exemples dont il se sert pour prouver que Terreur est une simple privation de connaissance. Les hommes peuseni^re libres et ne le sont pas« D'du vient eelte erreur ? Uniquement de Tignorance oil ils sont des causes qui les poussent ii agir. Quand nous contemplons le soleil, il nous semble h deux cents pieds de nous. Selon Tappa- rence et rimagination, il est en effet situA h cette distance, et nous contlnuons de Ty voir, lors m6me que I'astrouomie nous a instruils de sa grandeur et de sa distance r^eltes. L'erreur ne cousiste que dans le dtfaut de ^application du raisonne- ment k rinterpr^tation de cette distance apparente. Nos id^s ne sont done pas fausses et inad^quates en elles-mfimes, mais (1) Eth.y 2« pari., prop. 18, schol. 369 seuiement ao regard de felie ou telle dme pftrticoliire, et tOQtes «onl vrates au regard de Diea (1). li n'y a en Dieu d'kUes ined^qoates, qu^autaot qa'on le eonsid^re exclusive* meiit sons le point de voe de telle ou telle parlie de son d6- yeloppemeiit, par eienipIe,soas le point de vue de telle ou teHe dme partieuli^re, mais dans son essence infinie et dans k totality de ses d^veloppements, toutes les id^es ronvien-^ neni Bfet leur objet , se conapl^ent les ones les autres, et tOQtes sont ad^^uetes. L'inad^quation n'est qu'au regard des dtres particuliers on de Dieu parlieliensent consid^r^; mais en Dieo lui-m^me il n'y a et il ne peut y avoir qu^a- d^qjOjaJtion, v^rite et lamiire absolues (2). Hajs r^iroe o'est pa^ ni^cessairement enferm^e dans le cer«^ cLe 4^ QeijLeconnaissance obscure et confuse ; il lui est donoi d'en sprUr el de converdr en id^es claires et ad&quates ses idies joad^quates et ccM^fuses. Au-^dessus de i'opinion et de rimagioation il y a la raison ; au-dessus de la sphere de la connaissaoce obswre et imparMte, il y a Ia$pb6redela con- naissance daire et parfaite (3). L*imagination nous montre les cbose^ sous le faax jour de la conlingence, et la raison sous le jour vrai de la n6cessit6 et de r^ternit^. Udme s'^live h cette sphere en ramenant ^ Tunijl^ la diversity de ses per- ceptions. G'est le propre de toute id^e parttcu^^re, d'6^re con- fuse et inadequate, parce que les id^es de testes lesparties^ de loutesles {Kropri^^s, de (ous les rapports de son objet ne sont pas contenues en Dieu, en tant qu'il constitue T^me correspon- dante h cet objet. Le gi^n^ral et le simple, ce qui esit comnoiun k chaque cbose, cequi est Sgalement dans le tout el dans la partie, voila Tobjet unique de la counaissance claire el ad^- (1) Eth., part. 2, prop. 35 et schol. (2) Eth., part. 2, prop. 32. (3) Eth., part. 2, prop. 40, schol. 2. 360 quate. Poar avoir Tid^e adequate d'une propri^t^ telle que r^tendue, commune h (outes les parlies du corps, et existaut toul enti^re en chacune d'elles, il suffira de la connaissance d'une seule des parties, laquelle sera n^cessairement lout eu- ti6re en Dieu, en tant qu'il constitue la nature humaine. Que Tdme qui aspire a sorlir de la confusion et de Terreur tra- vaille done 5 se detacher du particulier pour s'^Iever an g6- n^rah Qu'elle recherche ce qui est commun k toutes choses et ne fait Tessence d'aucune en particulier, en un mot, qu*elle consuUe non rimagination et Topinion , mais la rai- son (1). On arrive de deux mani^res au g6n£ral, soil par la voie du raisonnement ou des generalisations mediates qui partent de Tobservation, soil par Tintuition et par des generalisations tmmediates. Ge dernier mode est le troisieme et le plus parfaitdegre de la connaissance. L'dme, qui y est parvenue, voit dans chaque chose parliculiere, comme par une sorte d'illumination, Tessence adequate des atlributsde Dieu ; elle voit dans chaque corps Tetendue divine, dans chaque idee la pensee divine, et dans chacun de ses attributs I'essence infi- nie de Dieu. En chaque chose elle contemple la substance infinie, et sa connaissance se confond avec celle de I'enten- dement infini de Dieu lui-meme (2). Nous verrons dans la morale de Spinoza comment ce plus haul degre de la con- naissance est aussi le degre supreme de la vertu et du bon- heur. Ainsi r^me , quoique n'ayant d^autres affections que celles du corps, pent s'eiever a cette hauteur ou elle n'a plus d'autre objetde sa pensee que Dieu lui-meme, parceque le corps, son (1) Eth., part. 2, pr. 44, coroll. 2. (2) ^«/i., pari. 2, pr. 46. 361 unique objet, exprime fessence deDieu. Telle e»i la thiorie de la connaissance d^duilepar Spinoza des premisses du premier livre de Vtlthique. Elle a pour veritable sujetet pour centre noo paste mai, mats la pens^e in6niedeDieu. Ge n'estpas Tdniehu- maine qui pense et qui connate, c'est Dieu seul qui pense et qui connaU len elle, et Tactivil^ par laquelle elle s'^l^ve jasqu'li Dieu, n'est encore que Tactivit^ de Dieu lui-mdme. De m^e qu'il a ni6 la liberty en Dieu, Spinoza nie la li- berty dans rhomme. Jamais philosophe n'a exdu la liberty a vec pins de resolution et, k ce qu'il semble, avec plus de convic- tion que Spinoza. Groire que Tdme, mode de la pens^ divine* a le pouvoir de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose, de parler ou de se taire, c*est, dit-il, r^ver les yeux ouverts* II ne distingue pas I'entendement et Tid^e de la volition ; il confond vouloiravec afBrmerou nier (1). Tout en attribuant k la volonte la fonction d'affirmer oude nier, Descartes n'avait pas cependant enti^rement confondu la volenti avec Tenten- dement. On se rappelle qu'il fait la volont^ plus vaste que I'entendement, et qu'il admel le pouvoir de suspendre le ju- gement. Spinoza le combat sur I'un et Tautre point. Si par entendement on comprend seulement les id^es claires, la vo- lonte, c'est-a-dire I'afGrmation ou la negation, d^passe en efiet Tentendement. Mais si par entendement on comprend toutes les id^es, soit claires, soil obscures, la volenti ne pent le d^passer , car jamais on n'af6rme ou ne nie que ce dont on a Tid^e. Descartes dit que la volonlc^ peut s'appliquer h une foule d'acles autres que cenx qu'elle execute; mais n'en astHl pas de m^me de la perception ? Ne peut-elle pas aussi embrasser une foule d'objets autres que ceux qu'elle em- brasse ? Ici Spinoza a raison centre Descartes ; mais it a tort (1) KM., part. 2, pr. 49. 362 quand il traite de chitii6re le pouvoir de soflpendre le jage- i&ieiit. Ge qu'Ofi appelle suspendre ie jagement n'est que s'a- perceToir qa'<^n ne connatl pas une chose d'ane mani^re ad^ (paate, selon Spinoza ; done, une suspension de jogement n*esl qu'une simple perception ? II se rit des philosophes qui ont considir^ t'homme comme formant an empire h part dans la natare, qui, en sa favenr, ont voiilu faire mie exception aux \iAs g6n^ra1es du itoonde, fmaginant pour liii, an sein de ta fitee8Sit6 untfers^Ile, une petite sphere de liberty et d'in- d^pendance. II n*y a pars d«ui: mondes'dans Tunivers, celai de la n<6ees^t6 et celui de la nbert^. T^ut dans rhoinme, comme iiors delui, se produil par des lofs universelles et n^ cessaires. Ildisfingue, au regard de I'dme, la passion et faction, mais 41 ftit eonsisler toule la diGRSrence entre ^gir et pdtir, dans le plus ou molns de dart^ avec lequel nous connaissons la cause de notre action. L'dme agit quand etie con^oit clairement oe qui ristitte de sa nature , etelle pdtit quand elle ne le connatt que 'confus^ment. Toutes les actions d^ooulent d'id^es ad^- qnates, el toutes les passions ^*id6es tnad^quates, ou plntot, puisqu'il n^y a dans Tdme que des modes de la pens^e, les actions et les passions ne se distinguent pas, soit des id^es ad^quates, soit des id6es inad^uates elles-m^mes. Dans Tac* 'Son, f dme esl d6lerm1n6e par la n^cessll^ de sa propre na- 'inre, et dans la passion par ta n^cessit^ de la nature ext6- rienre ; mais dans Tune eomme dans Tautre, elle^t toojours n£cessairement d^termin^e. Pour Spinoza, lafoi universelle du genre humain h la liberty n^est done qu^une illusion, qu*il expllque h sa mani^re. Par- mi les causes qui concourent h chacnne de nos actions, et qui font partie de la cbalne n^cessaire et infinie de causes et d'effets dont le monde se compose , il en est que nous connaissons clairement et que nous prenons pour les motifs de notre ac- 363 (ion ; d'autf 68 qfae nous m connaissons qa'obscitrdtnent et qai ti'en out pas moitis eiercd une decisive Influence* Or^ dans notre ignorance de ces dernl^res eausets > dans rimufiBsairce de celleB qui noits Bont eonnuefr, h rendre compte de notre Mtermination, dans noire vanHd, moua nons iaaginons qoe e'^t nons qui, ind^pendamment des motifs, noos d^terfni- nons par notre propine pnissanee. De Ik, sdoa Spinoza, I'iliu- liton dn tibre arlrilne, illusion d'enCantet d'lvoninie jvre. Celui qni ^'imagine dire libre n'est pes mosns digne de risite que ia pfenre qui se persuademit qo^elle tombe parce qu'ii lai ptatt de totnber (1). Nous aomoves nvdc mains de Dien comme Targite , que >e potier piittit indiStrenitiest poar les pins nobles oo les phia vRa usages (&). Tonie t'impvfiSBdnoe da patitliiiisnie ai^«raft dam oe vain eflbrt du (^^nie de Spi(nmee( la puissance, iofinio^e^t ^up^deure 5 la ndtrei^ des causea^^^^- rieure^ qui les produisent en nous« L'bomme, simple pacti^ de |a iHaturev d6peodapte de toutes les autres, qe peut dUre la cause adequate, mais seulement partielle;()es changements qui survi^npent en lui. De 1^ la n^cessit^ des id^es confu;ses et des passions (1). Pour ^tre exempt ^e tp^t d^sir et de toute passion , il faudrait que Thomme n'eilt que des id^es ad^quates , qull fut infini comme Dieu (2). Done Thomme , (1) Eth., part. 4, pp. 2, 3 el 4. (2) Eth., part. 5, pr. 17. 372 toujoors nicessaireroent soamis aux passions , suit Tordre commun de la oature, contraint d*y oMir, aatant qne I'exige la nature des choses (1). II n'y a qu'une passion contraire et plus forte, qui puisse corobattre et d^truire una autre passion. La connaissanee du bien et du mal ne peut emf^ cher aucune passion , si ce n'est comme 6tant eile-mdme une passion engendr^e par la conscience de la joie ou de la tristesse (2). Dans la lutte contre les passions, Spinoza ne Toit que la lulle de deux forces fatales ou la plus grande Temporte sur Tautre. U 6num6re ensuite les principales circonslances tiroes de la nature de Tobjet , de son rapport avec nous dansle temps, de sa contingence, de sa possibility ou de sa n^cessit^, qui aug- mentent ou diroinuent la puissance de la passion. Toules choses ^gales d*ailleurs, plus forte est la passion dont Tima- gination nous repr^ente I'objet present, que celle dont Timagination nous repr^senle I'objet pass^. L'objet que nous imaginons comme n^cessaire excitera en nous une passion plus vive qu'un objet possible ou contingent, parce qu'ft regard du premier I'imagination ne reprisente rien qui exclue Texistence. Une foule de d^sirs, dont la force est ac- crue par cescircoustances, Temporteront surle d^sir, en ap- parence plus puissant, qui natt de la connaissanee vraie do bien el du mah Par exemple, si cette connaissanee regarde Tavenir, elle sera facilement 6touff(6e par le d^sir d'un bien actuel. YoiU pourquoi les plus mauvaises passions Tempor- tent si souvent sur la connaissanee du bien et du mal , voili pourquoi le pofete a eu raison de dire : Video meliora proboque, Deteriora sequor. (1) Eth., part, k, prop. 5, corol. (2) Eth., part. 4, prop. 14. 2. 373 Mais ce cri de la conscience universelle en faveur de la liberty, n*est , pour Spinoza , que la d^faite nicessaire d'une passion plus faible par une passion plus forte, d'un d^sir par un autre d^sir. Tel est Tempire des passions, telles sonl les causes de Tinconstance et de Timpuissance des horomes h suivreles pr^ceples de la raison. Quels sont ces pr^ceples de la raison, et quelles sont, en consequence, les passions bonnes ou mauvaises ? Nous voici arrives k la morale de Spinoza, qui est le but de toute V£thique. Gettc morale ne pr^senle pas un caract^re . moins extraordinaire que la th^orie de la conuaissance. De la m^me maniire on dirait qu^elle m^le ensemble, par cer- tains c6i^s^ Tempirisme ie plus grossier et Fid^alisme le 'plus por. TantOtoncroirait entendre Hobbes el tantOt Halebran- che, tant6t un^picurien ettantOt un auteur presque asc^tique. Pour suivre la raison, il n'est pas n^cessaire de nous mettre en guerre avec nous-m^mes, parce qu'elle ne nous present rien qui nesoit conforme h notre nature. S'aimer soi-m^me , chercher cequi nous est ?6ritablement utile, et faire effort pour conser- verson^tre, autant qu'il est en nous, en un mot chercher le bien et fuir le mal, voil&, selon Spinoza, toutce que la raison nous commande. II d^finit le bien , comme Hobbes, tout ce que noussavons certainement devoir nous 6tre utile, etle mal, ce qui emp^che le bien , ce qui est avantageux ou contraire k la conservation de notre 6tre , ou , en d'autres termes, ce qui augmente ou diminue notre puissance d'agir. Non settlement la raison present k chacun de se conserver , mais de ne se conserver que pour soi-m6me et par tons les moyens pos* sibles. Plus un homme travaille k conserver et a d^velopper son^tre, et plus il est vertueux, car plus il a de puissance et de perfection. Plus, au contraire, il neglige le soinde sa con- servation et plus il est impuissant , car il ne pent le n^gliger que vaincu par les passions et par Taction des causes ext^-^ 874 rieures. Gel eflfort deV^the., pour pers^v^rer dans son 4tre, est la verlu supr^ttie ; il esl impossible d*en concevoir una autre qtiiiai soil ^n4^rteQfe(l). Jusqu'ici la morale de Spinoza pa- raft exclusiveiment mKirqu^e au coin de r^picur^isme. Mais, suivant sa recominandatidn, ne nous batons pas de voir dans cetle maxime, qae chacun est tenu de rechercher ce qui lui est utile, un principe d'impi^t^, au li^u d'un principe de pi^t6 el de vertu. En effel, par une interpretation plus vaste el plus ^Iev6e de V&ite , il va liii donner un nouvel aspect, el mtoe aboiitir a des cons^quefices que n*eussent d^savou^es ni F^nelon , tii M^Iebrailche. Par 6lre, Hobbes n'ehlend que le corps el la mali^re, landis que Spinoza entend la pens^e, qui est i^essence de T^me humaine, de 1^ une diversity profonde dabs led consequences, malgre fapparenle ideiilite des prin- cipes. De Ik , dand la connaissance , daus la contempialion et I'amour de DieU , la conclusion supreme de celle morale, qui a ))our unique poinl de depart, le principe de la conservation d^ soi-meme pour doiHueme et Tidehtite du bien avec notre inieret p^opl-e. En ettei , si rbommeest line idee de Dieu, si la pens&e est 9ota essence, pout obeir aux preceptes de la raison, c^esl la I^nsee qii'il doit ain^er en lui , e^^^l la pensee que, de tous ses efforts, il doit travailler h conserver el k developper eh Ini. Pour conserverel accrotlre la realite de la perfection de notre etrte, il faul done cotiserver et accrolire la realite et la perfec- tion de nOs idees, o'^st-i^ire, ilfaut travailler h transformer ^os idees inadequates elconfuses, d'ou decoulent toutes lespas- sions, en des idees Claires el adequates,^u sein desquellesseu- lemenl Tdme peul trouver toute verite, toule perfection, toute paix el tout bonheur veritables. Mais comment Tdme reduira- (1) Elh., part. 4, prop. 23. 375 l-elle les passions au silence et n'ob^ira-t-elle qu*aux pr6- ceples de la raison ? N^cessairement soumise aux passions, cominenl s^en affranchira-t-elle, et 6tanl d^pourvae de (oute liberty, h quoi bon Ini adresser des pr<^ceples? Sans doute il n'y a pas de vraie morale, pas de m^rite et de d^m^rite sans r^l^ment essentiel de la liberty. Aussi Spinoza condamne-t-il le remords et le repenlir, et n'a-t-il pas la pretention de donner li ses pr^ceptesun caractere imp^ratif ct obligatoire, ni de faire une morale semblable h cetle que con^oivent d*au- tres philosophes, d^accord avecle genre humain. II ne fant pas l^girement impater k un si ferme logicien une aussi grossi6re contradiction. Qa'on ne s'arrdte pas aux formes ext^rieures du langage, qu^on aille au fond des choses, et, dans ces pr^ tendus pr^ceptes de la morale de Spinoza, on ne verra que la description des diff^rents degr^s de perfectionnement , aux- quels Thomme pent s*6lever, mais par des causes qui ne de- pendent pas de lui. La puissance de Tdme sur les passions que Spinoza va d^crire, est empreinte du m^me caract^re de fi6- cessite que la puissance des passions sur T^me, avec cette sieule difference, qu'elle est interne au lieu d'etre externe. Absolvons done la logique de Spinoza pour condamner plus sev^rement encore sa doctrine. C'est par la connaissance et non par la liberie quMI donne k Tdme prise sur les passions, etil place dans le seulentende- ment toute la puissance dont Thomme dispose pour contenir ses mauvaises passions (1). Mieux une passion nous est connue, plus elle est en notre dependance, plus Tdme devient active et cesse d'etre passive. Or, comme toute passion est Tidee d'une affection du corps, et enveloppe quelque chose de commun et de general qui pent devenir Tobjet d'une (1) Eth., part. 5, prop. 42. 376 id^e adequate, loule passion eslsascepUble d'etre converlie en une id^e claire eldislincle, el ainsi, en nous connaissant de plus en plus clairemenl nous-m^mes, pou?on$-nous arriver it diminuer en nous T^l^menl de la passively. Tel est le but auquel nous devons (endre, et tel est Femploi que nous devons faire, contre le d^riglement des passions, de la puis- sance de noire dme, qui ne consiste qvi'k penser et h trans- former des id^es inad^quates en id^es ad^quates. Par cetle transformation, Tdme sera d^termin^e k alter, de la passion qui Taffecte, h la pens^e d^objets qu*elle permit clairement et distinctement et ou elle trouve le parfait repos. D^tach^s de leur cause exl^rieureet rapport^s & despen- s^es vraies, disparatlront bien(6t ou du moins s^aGTaibliront la haine« Tamour et toutes les autres passions (1). Parroi les remides indiqu^s par Spinoza, nous citerons encore la re-* commandation de bien p^n^trer son esprit du caractfere de n6cessit6 des choses. Plus Tdme congoit toutes choses comme n^cessaires, et plus elle a sur ses passions une grande puis- sance. L'exp^rience de tons les jours eonfirme la v^rit^ de celte loi. Gombien ne s'adoucit pas la douleur de la perte d'un bien quelconque, quand nous sommes persuades qu*il n'y avait aucun moyen de le sauver, et combien est moindre noire Amotion au regard de tout ce que nous avons jug6 naturel et n^cessaire (2) ! L*homme qui n'a pas encore cette connaissance accomplie des passions et de la n^cessit^ des choses, ne peut faire mieux que de d^poser dans sa ro^moire une rigle de conduite dict^e par la raison, et d*en p^n^trer son imagination, de telle sorte que, par une association n^cessaire , chaque fois elle revienne k Tesprit en m^me temps que la passion. Ainsi la raison (1) Eth., part. 5, pr. 4, schol. (2) Eth., part. 5, pr. 6. 377 prescrit de vaincre la baine, non par la haine, mats par Ta- moor et la g6o6rosit6, d'opposer k la crainle le sentiment de la bravoure, d'ordlnaire le plas siir, en mdme temps que le plus glorieui. Si nous associons fortement ensemble les images et les motifs de ces sentiments contralres, ils pourront produire une passion contraire plus forte, qui triomphera de la haine et de la crainle (1). Sans entrer plus avant dans les details, cette grande rigle, de Iravailler k convertir en id^es ad^quates ses id^es inad^quates, est la rfeglefondamentaledela morale comme de la logique de Spinoza. A tons les tourments de r^me, il donne pour origine Taltachement aux objets mobiles et p^rissables, qui sans cesse lui ^chappent et la font passer par toutes les alternatives de la crainte, de Tesp^- ranee et du d^sespoir. Mais la paix succidera au trouble des passions, si de ces choses passag^res et p^rissables, elle s^6- live, par les idies ad^quates , jusqu*aui choses ^ternelles et imp^rissables, jusqu'^ Dieu lui'mfime. L'^ternil^ est Tessence m^me de Dieu enveloppant Texistence n^cessaire; concevoir les choses comme ^ternelles, c'est done les concevoir dans leur rapport avec Tessence de Dieu. De Ih ce remarquable thtor6me de Spinoza : notre dme en lant qu'elle connati son corps et soi-m^me, sous le caracl^re de I'^ternit^, poss^de n^cessairement la connaissance de Dieu, et salt qu'elle est en Dieu et qu'elle est con^ae par Dieu (2). Que Tdme s*6l6ve jusqu'^ ce degr^ supreme de la connaissance, qu^elle arrive k contempler en toutes choses Tessence ^ternelle et infinie de Dieu, et cette contemplation sera pour elle une intaris- sable source de paix et de bonheur. La connaissance de Dieu, sans qui rien ne peut ^tre congu, et I'amour intellectuel qui accompagne cette connaissance, voilu, selon Spinoza, le but (1) Eth,, part. 5, prop. 10, schol. (2) Eth., part. 5, pr. 30. ' 378 el le bieti snprdme de I'dttie hamaiDe. Hors de eel aiuour elle ne (fDurera nulle part la paix parfaile, le bonhetar et la li- berty (1). Quelle chose pourra disormais apporler en elle le trouble et la trislesse, lorsqae ioute chose lui rappellera I'es- sence infinie de DIeu? La douleur m^me, dii Spinoza, de- vient de la joie ()uand nous concevons Dieu comme cause de la douleur. YoWh un langage qu^on prendrait pour celui du mystique Chretien le plus pur, si bient6i par des maximes d'un genre tout oppose, Spinoza ne d^lruisait cette illusion. De m^me qu'il a fait sortir Taroour de Dieu du principe bien entendu de la conservation de soi-m^me pour soi-m6roe, de m^me il en fait sortir aussi Tamour des autres hommes. En suivant la voie qui m6ne au bien supreme, rhomme tra- vaiile au bien des autres. en m^me temps quMI travaille i son propre bien. Le vrai bien , sans se diminuer , se par- tage en Ire tons, il est commun h tons les hommes, et ne peut exciter ni la jalousie ni Tenvie. Notre enlendement serait moins parfait si Tdme ^tail Isolde, et ne comprenait rien qu'elle-m^me. Mais parmi les choses du dehors, nulles ne sonl plus utiles et plus desirables que celles qui sont identi- ques 5 notre nature. Que deux individus de m^me nature viennent h se joindre, ils composeront un individu deux fois plus puissant que chacun d^eux en particulier. G'est pourquoi rien n'esl plus utile h Thomme que Thomme lui-mdme, quand il vit selon la raison. Plus chacun recherche ce qui lui est vraiment utile, et plus il sert les autres hommes, parce qu'il agit, conform^ment aux lois dc la nature humaine, qui s^ac- corde n^cessairement avec la nature de tous les autres hom- mes. c( Les hommes, dit encore tris-bien Spinoza, ne peu- vent rien souhaiter de mieux pour la conservation de leur (1) Eth., part. 4, pr. 28 ct part. 5, pr. 27. — Voir aussi le commence- ment du de Emendatione intellectus. 379 ^Ire que cet amour de tous en toutes choses, qui fait que toutes les Ames et tous les corps, ne forment, pour aiusi dire, qu'une seule droe et qu*un seul corps, de telle fagon, que tous 8*efforcent de conserver leur propre 61re et de rechercher en m6nie temps ce qui pent idtre utile h tous (1). » Mais cet amour des faommes, en quelques beaui termes qu^en parle Spinoza, est uniquement fond^ sur Tutilit^ que nous en re- tirons pour la conservation de notre 6tre, et n'a rien de d^s- int^ress^. L'amour intellectnel de Vdmepour Dieu, selon Spinoza, comme selon Malebranche, est une derivation de Tamour intellectnel de Dieu pour lui-m6me. Dieu, en tant qu^il s^aime lui-m(^me, aime aussi les horomes qui sont dcis modes de ses attribuls. L'amour de Tdme pour Dieu est une partie de Tamour infini de Dieu m^me pour sa perfection in- finie, c'est Tamour que Dieu a pour lui-m^me, en tantquMi constitue T^me humaine. L' amour deDieu pour les hommes, et Tamour des hommes pour Dieu ne sont qu'une seule et m^me chose. Si la purete et r^l^vation de ces consequences inattendues avaient pu nous faire oublier un moment Je vice fonda- mental de la morale de Spinoza, nous serious brusque- ment desillusionnSs par les jugements qui suivent sur les passions bonnes ou mauvaises. II approuve comme bonnes toutes les passions qui naissent de la joie, il condamne comme mauvaises toutes celles qui naissent de la tristesse, quelles que soient leurs causes, quelle que soit la puret^ou la perversity des motifs, par cette raison, que les premieres favorisent et augmentent la puissance d'action du corps; tandis que les se- condes la contrarient et la diminuent. Regime par la loi de (1) Eth., part. 4, prop. 18, srhol., pr. 35, 36, 37. 380 noire veritable inl^r^t, ia joie ne peul jamais 6lre maavaise, ^tant le seDtiroent de noire passage h une perfection plus grande. G'est la superstition qui de ia trislesse veut faire le bien et du bieu le mal. Mais comment Dieu prendrait-il plaisir au spectacle de notre faiblesse, et nous ferait-il un m^rite des larmes, des sanglots, de la crainte, signes de notre impuissance. Spinoza qui, tout h Theure, inclisait au mysticisme, semble maintenant ici aller jusqu^& T^picur^isme. c( Plus nous avons de joie, dit-il, et plus nous acqu^rons de perfection... II est done d'un ho^ime sage d*user des choses de la vie et d'en jouir autant que possible, pourvu qu'il n'aillepasjusqu*au d^godt, car alors il ne jouit plus. Oui, il est d'un homme sage de r^parer ses forces par une nour- riture rhod^r^e et agr^able, de charmer ses sens du parfum et de r^clat des fleurs, d'orner m^me ses v^tements, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tons les diver- tissements que chacun pent se donner sans nuire k per- Sonne (1). » Assur^ment parmi les passions issues de la tristesse, il en est un bon uombre , telles que la haine et les passions qui en d^rivent, que Spinoza a raison de condamner comme mau- vaises. Mais combien n*est-on pas surpris de le voir condamner aussi la piti6 , Thumilit^, le repentir. II repousse la piti^ comme mauvaise, sous le pr^texte qu'elle est une sorte de trislesse, et qu'elle ne nous porte h aucun bien que la raison elle-m^me ne nous porte k faire avec plus de discernement. Gelui done qui vit selon la raison, s'efforcera, autant qu'il est en lui, de ne pas se laisser toucher par la piti^. Ajoutons pour ne pas faire la proposition de Spinoza plus odieuse qu'elle ne Test en effet, qu'il ne condamne la piti^ qu*en (1) Eth., part. 4, prop. 45, schol, 381 celui qui vit suivant la raison, mais qu'il Tapprouve, aa d^faut de la raison : « car, si un homme n'esl jamais conduit ni par ia raison ni par la piti6 h venir au secours d^autrui, il n'a plus rien d'humain (1). » II Iraite encore plas mal rhumilitft et le repenlir que la pi(i6. Qu'est-ce qae rhumilit^? Un sentiment de tristesse qui vient du spectacle de notre impuissance* Mais Thomme qui se eonnaft par la raison, comprend son essence, la puissance par laquelle il est et il agit« et non pas son im- puissance. Deux fois miserable et impuissant est celui qui se repent, ose dire Spinoza^ d'abord, parce qu'il se laisse vaincre par la tristesse, et ensuite, parce qu'il attribue, par ignorance, k son libre arbitre, ce qui est Teffet de la nicessit^ des lois de la nature (2). Mais, tout en d^savouant ces deux sentiments, au nom de la raison, il en reconnatt Tutilit^, au regard de ceux qui agissent par la passion et non par la raison. Sans le repentir et la crainte qui Taccompagne, comment les tenir en bride ? « Le vulgaire devient terrible d6s qu il ne craint plus (3). » II n'en est pas moins vrai qu'il condamne impi- toyablement, au nom de son systfeme, des sentiments approu- v£s par la conscience du genre humain, et qui sont les plus utiles auxiliaires de la raison et de la vertu. Quelle preuve meilleure que Spinoza a 6t6 logicien jusqu'au bout, et qu'il n'a pas r^^tabli en morale le libre arbitre qu'il a ni£ en m6<- taphysique ! II conclut toule sa morale par un portrait de Thomme libre, tel qu'il le congoit dans son systime. Celui qui est entratn^ par les passions, yoWk I'homme faible, maiheureux et esclave ; (1) Eth., part. 4, pr. 50. (2) Eth,, part. 4, pr. 33, 54. (3) Eth., part. 4, pr. 54, schol. 382 celui qui ^coute la voix de la raison, voilii rhomme forU heu- reux et libre. Le premier, qu'il le veuille oa noo, agit sans savoir ce qu^ii fait, le second n'ob6it qu'5 lai-mdme et De fait rien qu'en sacbant ce qn'il y a de mieux k faire dans la vie, et ce quMi doit d^sirer le plas. L'homme libre, ou celui qui vitsuivant la raison, est exempt d^agitation etde crainte; ii ne soDge k rien moinsqa'^ la mort, car ilne songe qu'ii vivi-e, h agir et h conserver son 6tre, d'apr^s la r^gle de son iiit6r6t propre. En effet, la sagesse est une meditation de la vie, et DOD de la mort. Get homme vraiment libre sail ^galement contenir en lui Taudace et la crainte ; il sait ^viter ou recher- chef le combat avec une ^gale presence d'espril. II tdche de se soustraire aux bienfaits des ignoranls pour ^viler leur haioe, ei ne pas se soumettre h leurs d^sirs aveugies. Toujoore il agit de bonne foi ; il n*est pas perfide, m^me pour conserver son fitre, caril n'ob^it qu^^ la raison, et si la raison toi con- seillait, m^me en ce cas, la per&die, ellela conseillerait it toa« les hommes, c'est-&-dire, elle leur conseillerait k lou^ ce qu| est absurde, de n'unir leurs forces que par p^rfidie, et de n'a^ vx>ir pas de droit commun. Au milieu d^ la society, et, sous la loi commune, il se sentira plus libre que dans jia solitude ou il n'obiirait qu*^ Iui-m6me ; car il n'ob^it pas h la loi pur la crainte, mais par la raison, et, en travaillanti conserver mp etre suivant la raison, il se trouve agir conform^ment k U rigle de la vie et de Tutilit^ commune. II a en partage la bravoure et la force d'dme. Exempt de baine, de colore, d*en-> vie, de mipris, il ne se laisse ni abattre par la tristesse, oi exalter par Torgueil. Mais il puise surtont la force et la paix dans cette persuasion, que toutescbosessuiventdela n^cessit^ de la nature divine. Au sein de cette id^e claire et dislincte, r^me trouve unes^rinit^ parfaite. Que peuld^irer la raison, si ce n*est ce qui est conforme k Tordre nftcessaire des cboses? Ainsi la meilleure parlie de nous-m6mes se trouve d*ac- 383 cord avec la nature (1). La paix de VAme par la coDlempla- lion de ce qui est ^ternel et nteessaire, par la couDaissance de notre union avec la nature et de la n^cesaite nniverselle de$ choses, voili done le but moral auquel Spinoza prMend faire aboulir toute sa doctrioet mi van t ce qu*tl s'est propose dans le Traits sur la Riforme d% V efUen&ement. Si tels sent dans la vie pr6sente les fruits de la connaissance Claire des passions el de la conversion des id^es confuses el inad^quates en id^es claires et ad^quates, ils ne sont pas moins grands par rapport k la vie future. La m6me voie qui nous conduit h la perfection et au bonheur, nous conduit aussi & rimmortaIil6. Dans les derni^res pages de Vtlthiquty Spinoza, apr^ avoir termini cequi concerne la vie pr^sente, veul consi- di^rer I'dme dans sadur^e, indipendamment du corps. Mais comment consid6rera-t*il Tdme ind^pendamment du corps, dont il a d^montr^ la connexion n^cessaire ? Ou prendra-t-il le fondement non seulement de rimmorlalit^ morale, mais m^me de rimmortalit^ m^tapbysique , puisqu'il a sup- prim^ toule notion de m^rile et de d^m^rile^ el change r^me humaine en une collection dMd^es ? Spinoza pretend D^anmoins faire une part h rimmortalit^, et la tb^orie qu'il en donne a un certain m^rite d'originalit^ et de gran- deur. L'^me, il est vrai, ne pent subsister sans son objet qui est le corps ; avec les modes du corps acluel p^rissent Timagina- tion, la m^moire, et toutes les passions qui en dependent. Mais cependant quelque chose demeure dans le corp3, qui ne p^rit pas, h savoir I'^tendue divine, qui est son essence, le su- jet et le principe de tons ses modes ; et c'est parce quMI y a quelque chose d'^ternel dans le corps, qu'il y a aussi quelque (1) Eth,, part. 4, prop. 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73 et appendix. 384 chose d*6ternel dansT^me hamaine. Gelteid^ede notre toe, qui exprime Tessence da corps sous le caracl6re de l*6terDit6, est an mode d^termin^ de la pens^e, qui est n^cessairemenl ^ternely el qui se (rouve en Dieu, en (ant qu'il constitue Tes- sence de VAme bumaine. Toutes les pens^es qui n'ont pas Dieu poor objet, sont du domaine de la mort ; toutes celles qui ont Dieu pour objet, sont du domaine der^ternil^. Yoil^, selon Spinoza, le fondement de rimmortalit^ ^ laquelle par la rai- son nous pouvons nous Clever, et qui sera d'autant plus graode que nous aurons donn^ un objet ^ternel k an plus grand nombre de nos pens^es. La meilleure partie de noas-mtoes est done ^ternelle, et ce que notre dme perd par la dissoIutioD du corps pent n*6tre qu*un n^ant, en comparaison de ce qu'elle conserve ^(ernellement. Aussi, quoique nous n'ayons aacan souvenir d'avoir exists avant le corps, senlons-nous el^prou- vons-nous que nous sommes ^ternels (1). MalgrS le d^dain qu*il affecte pour les croyances communes, Spinoza invoqae ici cependant la croyance g^n^rale h rimmortalit^ : a Exa- minez, dit-il, Topinion des hommes, et vous verrez qu'ils ont conscience de rimmortalit^ de leur ^me. » Mais il leur reproche de confondre cette ^ternit^ avec la dur^e, de se la repr^enter par Timagination et par la m^moire, comme si la m^moire et I'imaginalion pouvaient survivre au corps (2). G'est done une immortality sans m^moire, sans conscience d'identit^ personnelle, que Spinoza propose h I'homme comme le but el la recompense de ses efforts vers la perfection. Mais aa regard de Thomme, une immortality qui 8*ignore n'^quivaul- elle pas au n^ant ? L'immorlalite de Spinoza n'^lant qu'au prix de la concep- (1) Eth., part. 5, pr. 23, schol. (2) Eth.^ part. 5, pr. 34, schol. 385 lion de ce qui est ^ternel dans le corps humain, (ous les hommes n'auront pas la m^me pari d'imtnorlalil^. Gette part diminoe ou aagmeDle, selon qae Tdme se d^lache plas ou moiDS des cboses p^rissabies pour les choses ^ternelles, scion qu*elle a plus ou moins d'id^es inad^quates ou ad^quales. Les idies ci^s et ad^uates sont ^lernelles comme leur objet. DoQC, plQ» r^me aura d'id^es ad^uates, et plus eile aura d'idies qui survivrool u^cessaireioent au corps, et plus grande sera sa part d^iminortaliti. Mais celle-1^ Temporlera sur tou- teslesautres dmes en immortaliti^, dans la vie future, comme ea perfection et en bonbeur dans la vie pr^sente, qui, par Teffort supreme de Tentendement et de la vertu, sera par- venue h la contemplation de Tessence immMiate de Dieu en toutes cboses. Comme il n^est rien qu*une telle dme ne con- volve sous le caraclire de r^ternit^, ce qui p^rira d*elle avec le corps, ne sera d*aucun prix en comparaison de cequi en survivra apr^s la mort (i). 11 y a une apparence d'^l^valion dans cetle doctrine qui fait de Timmortalit^ notre oeuvre et notre recompense, qui la met au prix de la conception de ce qui est 6ternel , h la condi- tion de fixer notre entendement el notre coeur sur ce qui ne passe pas. Sans doute ce sonl 1^ des conditions de Timmor- talit6 bienheureuse et du salut ; mais elles ne suffisenl pas h fonder I'immortalite elle-m^me, qui, d'ailleurs, ne peut avoir aucun fondement substantiel dans la doctrine deSpinoza,ou la seule representation du rapport constant de la proportion des parties du corps fait seule toute Tindividualite de Tdme bu- maine. Avec le corps, cette ombre dlndividualiie doit done elleHmdme n^cessairement s'evanouir* Si les id^es eternelles survivent, ce sera sans aucune trace de Tentendement parti- (1) Eth,, paft. 5, pr. 58, schol. 1. i 386 cttlier 4oBi eUes faisaienl parlie pendant ceUe Tie. Spinoza n^a done nullenient prouv^ I'imfnortaUti^ de Tdme humaine, nials seolement {^existence des id^es ^iernelles an sein de I'enten- dement divin. An reste, il semble lui-*ni6me ne pas ailacher one grande valeur h cette demonstration, car il s'empresse d^tff^Bter, que i'immortalitd est de nuUe importance pour la mditFle ei la re- ligion, et qu'il importe peu, pour la conduile de la vie et pour Tautorite des pr6eeptes de ia raison, que VAme soit mortelle on immortelle. La raison ne nous prescrtvant que ce qui est le plus conforme h notre int^r^t propre, qu^ont t)esoln ses pr^ceptes d'etre sanctionn^s par resp^ranee ou par la crainle d'une vie future (1) ? Spinoza salt bien que ie grand nombre des hommes se guidentpar ces motifs, sans lesquels lis s'aban- donneraient k toutes les passions; mais ils lui semblent toot aussi d^pourvus de l)on sens, que eelui qui se remplirait le corps d^aliments pernicieux etempoisonn^s pendant cette vie, par cette raison, qu*il ne doit pas jouir d'tine bonne nour- riiure pendant r^t^roitS. Tel est le degr6 supreme de la morale do Spinoea et telle est la conclusion de V$thique. Fondle sur |e principe ^o&te de la conservatioQ de notre 6trp, nous ovoqs vh cette morale sipguli^re prendre ni^anmoins tout d'un coup un caractbre d' elevation et de spirituality, en v^rtq d^ Tidentit^de Tdtreet de la pens^e. Mqis, sops oes belles apparauoes, on retrouve toujours la trace et |e vic^ (]u principe igoiste de iiotre copservation individuelle etde notre utility prppre. Pourquoi faut-il ob^ir a la raison ; pQu^quoi faut-^il ain^er Dieu el ks hommes? Uniquement, selon Spinozfi , paree qu9 Hious y trouvons notre int^r^t. D'ailleiirfi, c^Ue morale ne repose que sur une double illusion, illusion relativement & Texistence (1) Eth., part. 5, pr. 41. 387 d'un vrai bien, illasion relalivement aupouvoir de Tdme d'y tendre librement. En r6alit^, pour Spinoza, il ne pent y avoir de vrai bien; ii rejette toate distinction absolue da bien el do mal, et ii professe q^'aii sein de l^ordre aniversel des choses tout est dgalement bon et parfait. N*a-t-iJ pas dit dans le Traits de la riforme de I'entendement^ que si nous con- cevons an vrai bien, une nature sup^rieure ^ la nOtre, uo id^^) dq I9 nature hqmainei, c^esl, $^uLemeiU eo, raisw de natre ignairaiice tie I'ordre univeisel et iii6ee6s*iffe 4e8 cljioMfty et qneainoos croyons poavoiry atteindfe, e*^est seutement par Hj^orance des obstacles? Quels sont ces dius quf parvien- nent b la plus grande part d'immortalili? Qe ne $oat p^s les hQmmt^ de bonqe vo1q«i$, oiais cqu^ (kwt le coirps e$ll pf gjpfce au ftm gpaod nombre; de foncilioBS. Du plus ou moim gvaod nMibpe de fbnetions doni le corps hufiMin est oapabte, il fait d^pendre la conscience de soi, la connaissance de Dteu etdes choses, et en consequence la vie ^lernelle (1). Spinoza ne s'eal dQmc pw qpatredit. En oi.orale CQiprpe ^p m^^physicjue, r$m^ q'6«( pcmr lui qu'mi ^ulom^te dont il d^rit ^a^aiofliApt left reMort9. Anas! sa HM>rale, dipoarvue de Fidte dii nitrite el da ddmdrfte , manqfie*-l-<-elle de sanction ; mais, poar en ^clairer le vr^l caractftre, ne sufBt-il pas de ces dem maximes: qae Q^Iai qui Tenfreint n^est pas qoqpable, Qt qw, celi^ul, qui se T^ymi ^ Tavoir ewfreinte, est dj^m (6i»- pMi«^At>Ni ? (1) Eth^^ part. 5, pr. 39. I CHAPITRE XIX. De la politique de Spinoza. —Son rapport avec la morale et la metaphysique — M^mc principe, mais autres consequences que dans Hobbes. — Identite du droit naturel et de la puissance de I'individu. — Droit de Tetat de faire tout ce qu'il pent. — Inter^t de Tetat de suivre les preceptes de la raison et dc laisser aux citoyens la plus grande liberte possible. — La liberte, fin de I'etat. — Manx aifreux qu'entraine la contrainte des opinions et la compression des consciences. — Consequences dc la negation d'une justice absolue. — Conciliation de la liberte de penser avec la loi divine et aveclapaix de I'etat. — But du Trctctatus theologico-polUicus. — Defense de la lumiere naturelle contrc la superstition. — Ricn dans Ics Ecritures au-dessus de la connaissancc philosophique. — Caractere de la connais- sancc prophetique. — Superiorite de la connaissancc philosophique. — La piete et nonla science, but de TEcriturc. — Essence et articles de foi de la religion universelle. — But secondaire et accessoire des ceremonies de la tradition historique. — Negation des miracles. — Tout antagonisme im- possible entre la philosophic et la iheologie. — Spinoza, pere des har- diesses dc la nouvelle exegese biblique allemande. — Prejudice porte a la philosophic dc Descartes par Spinoza. — Attaqucs dcscartesiens.-:— Juge- ments severes de Baylc et de Voltaire. — Apologies de Spinoza souslo voile des refutations. >—Lc comtc dc Boulainvilliers. — Tnnombrables ad- versaires de Spinoza. — De la valeur et du vice des refutations cartesieo- nes.— Ce vice est corrige par Leibnitz.— Refutation dc Wolf . — Reaction en AUemagne en faveur de Spinoza. — Lessing, Jacobi. — Enthousiasme dc Schleicrmacher. — Influence sur la poesie. — Novalis, Goethe. — In- fluence sur la philosophic. — Fichte, Hegel, Schelling. •— Coup-d'ceil sur les destinecs de la philosophic hollandaise apres Spinoza. De la morale passons in la politique. La politique de Spi- noza n'esl pas contenue dans VSthique , niais dans le Trac- I 389 tatus politicus el dans les derniers chapitres du Theologic(h- politicus. Elle d^coule de sa morale el, par la morale, se rajltachjB ^(roitement h sa m^lapbysique. De m^iiie que la (hiprie de la connaissance el de la morale , elle pari de prin- cipes semblables h ceux de Hobbes , mais elle n'aboulil pas aux m^mes consequences. Si tous les hommes ob^issaienl k la voix de la raison, c'esl-^-dire, se guidaieni suivanl leur inl^r^t veritable , ils n^auraienl besoin ni de lois ni de gou- vernemenl pour malnteuir enlre eux la paix el Tharmonie. Mais les passions, les id^es confuses les agilent, les aveuglenl et les emp^chent de suivre la raison. De 1^ des divisions , des guerres conlinuelles et la lulle du droit nalurel de chacun contre le droit nalurel de lous. De Tidenlit^ du droit et de la puissance en Dieu , Spinoza d^duil la m6me identity dans Tindividu, qui eslun mode de Dieu. Essence detouteschoses, Dieu a droit sur toules choses. De 1^ chacun aussi a le droit de faire tout ce qu*ii pent, sans aulres limitesque celles de sa puissance. Les passions sont des motifs d^action qui font par- lie de la puissance d^un individu lout comme la raison. Hors de la society , tout individu agit non moins 16gilime- ment suivanl les passions que suivanl la raison. Mais dans un tel etat, il n'y a m repos ni liberie, m silret^ pour per- sonne. Selon Spinoza , comme selon Hobbes, T^tat de na- ture est r^tat de guerre , d'ou ii faul sorlir h tout prix. Tous comprenuent le besoin de se r^unir et de former un gouver- nement, qui assure h chacun le repos et la liberie de tendre vers la fin de sa nature. G'esl pourquoi chacun se r6signe, afin de sauver le resle , k c^der une parlie de son droit na- lurel. De la Torigine des soci^t^s et des gouvernemenls. H(^ritier du droit nalurel de Findividu, Taat lui-m^me n'aura pas d'autre mesure de son droit que sa puissance. II peul opprimer toules les liberies , violer loules les lois , rompre lous les pacles , soil h regard des ciloyens , soil 390 k V4^Ti ides ^autries gtMivepiieiiitoto. Qboi qu'ii Afise , il «e blesberarpas la jastke, car hii seal par'sa voImU dMdede ce qei est jcrtte ou injmte. La desk fifiute Aral ii pui^e se tcmdre ooiipable^ est leelle 4e B'affaiUir e( d« ipr^rer sa rniiiei Qoafil 4iu!x ciioyens , ils 4oiveDt lODjolura obtir, m^nie Ji te qd'ilB ja- g^t d^aisoMiaUe., cviifemM^iBent «q ipp<;teeple soprtaie ute la raiftra , de'se ntenir en soci^^ e( dVd>6ir(aiit orlreft del'^M. Spinoza chercfae^^ ressurer les dtoyeiifi siif tes suites d'lin lei ponvioir. L'Met n'en fontm jamis oi bemieoap mi tetig- idaujfs abiMer, olnr'Wfi>droH p6rK«vec sa tpuissaiiie^, «t ibi0t)t6l «a .puMMince p^iL» ts'JI en «6e fioirr priesSYitii des dioses ab^ aardes. On ne peut mtaiedire que dams cet^Mat les'dtojr^s iseroni escltiveft. Oeloi^U tM escltfve >qQi dbdit dans Titiftir^t dn mattre, UMisaon pas celoi qui n'obiil^o^ daivs aoo|Mropre fiil6r6t. EdSd t qaelqub absolo que soil le |X)Qi^ir de I'Mat , le ioitoyen ne sera jamais tout Mtier sous sa iddponctonce. II iui i^ebappera par la pmsiit , par la eotisciekiee , par le senti- naent^ par tout 6e >qui^iAiai^pe ii lia pei^e i^t ft ta rteoiopetMe. Mais ce qui doit surtrat raasurer les ciioyens, t\isX qito 8i TMil a le droit deloat Mre,soiiint^r6t lut t^onseille de ne Mre que ee qui 6^ conforme & la raisou. Josqulci SpiDOza a fidiloment march^ sur les traces de Hobbes , m^is ti va im Pearler par la fnatiifere do(At jl m- l)eiidl'iiil^nftiV^ritttbleder^t^>Loin qfue la despot&stM iibsalu ^soU son id^al.coimne on aarait pn lecroirie Jilfc Afeoliere ta plus tmautalse et la plus dangerefuae forme degoirf^rnemeni.'LiiiMser aux cfloyens la ptosgrandeiibert^ possible, voilk eti effel ice que la rliisdn,selonSpitioBa , consdlte ^ T^tat dans t*int6i^ de sa poisaance etde sa stabilHi^. 11 ^don^ne ni^e la liberty conaine la ttn^de r^tal. Assurer la libbrt^de tous les ciioyens, les mettrea l^bri'delouleslesinqui^itdes, de toutes les iretigeances et de tmites tes haines, leur donoer h (ous les moyeufi d'atteindre le but deia nature, voil6 1'usage que T^lat doil faire de son droitet i 391 desa puissance. S*il est n^ssaire qoeleponivoird'agir soit re- mis ioul entier el exclusivement aux mains de T^tal, il n^en est pes de m^me du poavoir de penser ,de parler et d'^erire. Spinoza se proDonce en faveur de la plus grande liberty possible de la presse et d'une liberty religieuse convplite. B6pres^ sion des actes ^ impunity pour les paroles y voiU sa ma- xirae. II met eependant h la liberty de la presse cette Umite, qu'elle ne prdcbe pas la r^votte et qu'elle n'attaque pas le pacte social. Gbaqae citoyen a le droit de proposer des iois nottvelles el des r^formes dans T^tat, pouryn qu'en attendant il se conforme aux Iois stabiles. Spinoza 6tend aux ehoses religieuses elles-m^es cette liberty de discussion. Aux md- gistrats seals appartient de decider ce qui est pi^t6 ou impi6t6 corome ce qui est justice ou injustice ; mais, pou^ garder ce droit le mieux possible et conserver la tranquillity de I'^tal , ils doivent permetCre h chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense. line telle liberty est Tunique priservatif centre les discordes et tes seditions. Spinoza ne veul done point de religion d^^tat. Ge n'esi pas T^tat, ce sont les citoyens de chaqiue eoromunion qui doivent Clever leu^rs temples k leurs frais, e4 entretenir les ministres de leur culte. Sans doute , ees liberies ont des incony^nients , mais quelle chose n'a pas les siens? Le meiileur ^tat sera celui ou , malgr^ la diversity et la liberty des opinions, chacun Tivra en paix. Gemme exemple et comme tiimoignage en faveur de cette libert^^ il cite la Hollande, sa patrie , et la ville d'Amsterdam. Quelle peinture ^nergique trace Spinoza des maux ordi^ naires qui suiveni la contrainte des opinions et la compression des consciences! On peut forcer les bommes ^ se taire, mais non h penser autrement, et par 1^ on encourage la dissimula- tion et Tbypocrisie ; mais on ne r^ussit pas m^me h les forcer de se taire. Plus la violence est grande et plus la resistance est opinidlre. En t^le, sonl les citoyens les plus honn^les et 392 les plus veirtaeux , el la sMition prend le caraci^re de la g^- n^rosii^ et de l^h^rol'sme. Quoi de plus deplorable que de voir tratn^s en exil ou conduits h r^cbafaud des bommes donl tout le crime est d*avoir des opinions, qui ne sont pas celles de tout le monde et de ne pas savoir les dissimuler? lis meu- rent avec courage et avec gloire , parce qu'ils n'onl la con- science d'aucune mauvaise action. Leur exemple entratne les autres , loin de les retenir , et leur sang enfante de nouveaui martyrs. Apr^s avoir traits du droit naturel et du droit de T^tat, de la fin de la soci6t6 el de tout ce qui esl ind^pendant de la forme de I'^tat, Spinoza enlre dans Tanalyse des difi^rentes formes de gouvernement. II repousse la monarcbie absolue , il veul que le roi soil oblige d'agir suivant rint^r^l g^n^ral ; il donne un plan de monarcbie representative, cades vues fausses et bizarres ou les tristes consequences de la negation d^une justice absolue se rencontrent trop souvent a cdtede qiiel- ques vues sages et eievees (1). Ainsi considere-t-il les etals, dans leurs rapports les uns avec les autres, comme des indi- vidus dans I'etal naturel el leur donne-l-il le droit d*enlre- prendre Tun conlre Fautre toutce que leur conscille Tinteret de leur securite ou de leur ambition , el de rompre un paete quelconque, quand il leur platt, sans aucun souci du droit el de la justice. Le caractere liberal de quelques parlies de la politique de Spinoza ne doit pas nous faire illusion sur la faussete el le danger des principes; d'ailleurs, ces liberies donl il plaidc si eioquemmenl la cause, manquenl de toute garantie. II pst sans doutc de Tinteret , mais il est aussi du devoir des etats, comme des individui$,d'obeir a la rai- (1) Spinoza distingue trois formes de gouvernement , la monai'chie, I'a- ristocratie et la democratic. Mais le traite inacheve s'arretc apres I'analyse de la forme aristocratique. 393 son et de respecler la liberie. De la pour les citoyens des droits sacr^s et imprescriplibles, qui ne dependent en rien de la fa^n dont il platl aax gouvernants d'entendre lear int^rdt ni de lent bon plaislr. Apris avoir montr^ que la liberty de la pensie se concilie avec la paix et le salut de T^lat » il veut montrer qu'elle se concilie aussi avec la loi divine et r6v61^e. Tel est le but prin- cipal du Traclatus theologico-'politicus (1). II se propose avanl tout de combattre la superstition , fiUe de I'ignorance et de la crainte, de distingner la parole divine de la parole hu- maine, lacridulitide la foi, et de remettreen honneur la lu- mi^re naturelle , miprisie et maudite par plusieurs, comme la source de toutes les impi^tis. Pour discrMiter la lumiire naturelle, on lui oppose une parole pr^tendue divine, au nom de laquelle on la condamne au silence. De Ift les controverses qui tronblent T^glise et Titat, qui engendrent de toutes parts les haines et les discordes. Les saintes Ventures sont impo- s^es comme Torgane et la preuve de ce principe sup^rieur k la raison. Spinoza Veut done montrer, par un eiamenimpar- tiaU qu'elles ne contieunent aucune connaissance qui d^passe les limites de la connaissance philosophique. De toutes les tentatives pour prouver la conformity de la raison et de la foi , de toutes les interpretations rationalisles suscit^es par le mouvement cart^sien, voici la plus profonde et la plus bardie. Malgr6 sa hardiesse , cette critique se distingue de la plupart de celles des philosophes incridules du XYIIP siicle par le calme, la gravity et m^me le respect. Tout y est expliqu6 par les lois fondamentales de Tesprit humain^ et rien par la fraude et par Timposture. (1) En voici le litre complet : Tractatus theologico^oliticus continens dis- sei'tationes aliquot quibus attendUur libertaiem philosophandi non tantum salva pietate et reipublicw ptice posse concedi , sed eamdem nisi cum pace, reipublicce ipsaquc pietate tolli non posse. 39h II n'j a rien de surnalarel dans les propMiies, danft fi'- leclion du people jaif el dans les miracles , il n*y a rien d'es- sentiel daoft les Iraditions bistoriques el dans les cdrdmonles de la loi , toutes les £critures ne sont qu*Un enseign^ment d^oMissance et de pi6(d, proportionn^ par les propMtes e( les apCtres k ceux auxquels il ^tail adress^ ^ voili ce que Spinoza veal dfimonlrer* D'abord il ^tablil le n*i caract6re de la con- naissanoe proph^tique. Qaels sont ces hommes que les £criUH- r^ nous reprisentent comme des interprdles el des r^v^laleors des codseils de Dieu ? IH sent sbp^rieors aax autres homiAae^ par riniaginalion, mais non par Tintelligence. Ne voif-on pas par les ficrilnres, que soavenl le don de propb^lie tombaiten parlage 2i des hommes el h des femmes slins instruction? Anssi reprfeenlenl *- lis tonics cboses et Dieu Iut-m6ttie sous des formes corporelles. lis lui donnent une figure hu-- maine, des mainSf des pieds^ des orelHes, nnegdoche el une drof le. L'un le ¥oit assis et Tautre debout ; il en est qui d^cri* vent jusqu^a la forme el k la couleni' de son v^c^ment. lis M allribnent non seulemenl les formes, mais les passions bnmai- neS) telles que la jalousie^ la vengeance, l» compassion el le re* pentir. Si on compare les proph^lesenlreeox, on voit que ces pri^tendosorganesfdeDf^ parlenlchacnn selon son caract6re« ses pr^Bgte el la nature de son imagination. Geox qn ont une imagination sombre etm^lancolique n'aper^?enU dans tears sanglantes Tisions, que goerres et combats.Des iriom- phes et des fi^tes splendides apparaissenl, an contraire, i eenx dont rimaginalioH est plus douce ei plus riante.Plus ou moins instruits on ignorants 9 ils font parler Dieu en plus on m<>rns mauvais langage el lui font commetlre des erreurs sclenUfi- ques plus ou moins grossi^res [i), Hommes dimaginalion et (1) Truciatus theologico-poUlknt, cap. 1 el 2. 395 noil lie riiBOo, lesj^oph^lospeuveni feire anionic eiicc qnf coftteme la noraie et la praliqtie de la vi^^ mais noti en ce ^«i cobo^ne la cdnnaisMnce do monde et de Dku* Aiitaiii ilinagtDttfan est av^ddssonsde la raisoti^ aulaol i« cokiAats^ saace propMltlqiie est au^^esioQs de ta eonnaissanoe niMatAy^ sique. D^ailleurs , le don de proph^lie n'a pas 61^ un don |)airticidter h la race h^arque ; d*epr6s le iimoigDage mdme des J^Scrittres^ il y a ea des prophiles cbeiies Gentlb. Geca* iTBcMfre 4Jte gtitiiftraliti ach6va de proover qo'eile est ia cons^^ qicKiee^'ufie loi gdn^rate de I'esprit hninain , et que Dieu , toamie le dit Mtol Paul ^ ii*est pas aeolement le Dieci dc JMfs , mrift le Dieo de tMles ies naiions. H en est des ficriliires en g^n^ral, comme de la propMUe en pafti(»dier. II ne fliat y cherdier aucane v6rit6 m^tai^by- siqM, aucane id^e daire et adequate* Spinoza se moqae de ees litierprMea qui prenmnt des rdves de lear cerveau^ ilrAs de Platofi et d'Aristote, ponr des profondenrs m^laphysiqaes , des Kitm 'saerfe. L'^eritnre ne parte jamais qn'one langae ijpffbptii^ M tvlgaine, elle vi'a pas pour but de dotiner la titienee mt hoittttes, mais de lelfr inspirer rob6iasanee h DIM. Or, eile etiseigue datrement qne, pour ob^ir ft Dien , ii fattt I'aimer el aimer notre prochain. Les prophdties, ie^ mirades , tes myst^es , les e^6nionies ne sont que des nioyefis de reeommender fortement aux hommes rob^issanee eikitertu. Connattre de Dieu tout ce Tadmiration et Tamour. 3^ II est present partout , il voit tout ; si on ne le croyait pas, on douterait de la perfection de sa justice , on ignorerait sa justice m^me. 4® II a sur toules choses un droit et une autorit^ supr^mes, il n*obeit jamais h une autorit^ ^Irang^re, il agit toujours eo vertu de son bon plaisir absoln, tons les hommes sont tenus absolument de lui obdiryetyiui, il n'est tenu d'ob^ir ^ personne. 5^ Le culte de Dieu el Tob^issance qu'on lui doit ne consi- stent que dans la justice et dans la charity. 6^^ Geux qui vivent ainsi » ob^issent & Dieu et sont sauv^Si tandis que ceux qui vivent dans la volupt^, sont perdus. 7^ Dieu remet ieurs picb^s & ceux qui se repenlent. Si nous n'avions cette foi, comme cbacun ptehe , cbacun tomberait dans le d^ses- poir et nous ne pourrions pas croire k la mis<&ricorde de Dieu. Ges articles de foi d^couient de la nature mdme de rhomme ; ils sont universels. line telle foi se suffit enliire- ment h elle-m^me, et renferme sa recompense, qui est la connaissance et Tamour de Dieu, et son ch4timent , qui est la privation de Tamour et de la connaissance de Dieu. Elle 397 n'a qae faire des c^rimonies, de la Iradilion hislorique el des miracles. Les cirimonies de la religion h^bralfque i\*avaienl, seloh Spinoza, qu*un but secondaire, celui du maintien de T^lat politique, el les c^r^inonies de la religion chr^tienne ne sont que des signes visibles de r£glise univer* selie. La tradition hislorique n'est pas plus essentielle que les c6r6monies. Elle na qu'une utility relative, elle per- suade, par des exemples el des ricits, ceui qui ne compren- draienl rien aux definitions el aux raisonnements el demeu- reraient, sans son secours, dans Tignorance des v^rit^s essentielles h la religion. Quant aux miracles , Spinoza les Die. Ge que les anciens ont pris pour des miracles, ce sont des ivfenements dont ils ignoraienl les causes. L'ignorance est la m6re des miracles. Un vrai miracle serait une perturbation de Tordre g^niral du monde, il obscurcirait. au lieu d'^clairer Tid^e de la provi- dence, que noire raison con^oitcomme la cause defordre du monde. Le monde esl r^gi par des lois g^n^rales, el ces lois generates dicoulent de Tessence m6me de Dieu. Tout ph6- nomtoe esl un terme d'une s^rie infinie de causes secondes, dans cette sine, pas un terme ne pent 6lre change sans que Tunivers tout entier ne soil boulevers^, el Tunivers lui-m^me ne peu^ changer, sans qu^en m^me temps soil chang^e Tessence de Dieu dont il esl Texpression, Done il n'y a jamais eu el il n'y aura jamais un seul vrai miracle. La loi divine, conclul Spinoza, ne consiste done ni dans les c^rimonies, ni dans les traditions, ni dans les«miracles, mais elle subsiste par eHe- m6me el dicoule de la raison humaine , de la science et de la philosophie. Tout ce que nous savons de Dieu et de ses attributs, nous le Savons par la speculation m^taphysique. II n'y a done aucun antagonisme possible entre la religion et la philosophie. Elles n^ont rien h d^m^ler Tune avec Tautre, parce qu*elles n'onl 3^8 ni le ndroe but , ni te rn^me objel. La pkiiosophie nt se propose que la reeherche de la T^rite, el la leligton ressoi** gnement de roUisaance e( de la piil^. La ^htologie m'esl pas plas la servante de la raison, qae la raison de la tbtologje (i). Cbacune est soaveraiDe absaloe dam sen donaine. La IMo- logie a'appuie snr des dggnies, maia elle ne les eonsiddre qoe par le c6t6 oil ib aont propres k inspirer la piihi et Fohti^ sance, DtterniMier avec pr^ision le sets ei la virile qii'ila renferment , est ToeiiTre de la raison , stiile vraie lumi^, en dehors de laqoelie il n'y a que songes et (tefebres^ Spi-* noza a done dimonlr^, ce qu'il avait avancd en cominoR* (ant, que la libertd de la pens^e , non seeletnent ae cookie avec la pidt^, eonine avec la patx deFMat, maiaenooi^eqa'eUe en est Tindispensable condition (2)* Tel est le livre qui, bien pkis que V£thique^ a souiev^ eontve Spinoza les anath^mes de lous lea tMologiena. Les imitattons, pas plus que le^ anticMenIs, n'onl manqu^ h ee livre, qtri a ouvert les i^oies h une foole d^ trayaux analogues anr les £crtture8. Si Spinoza eat le pi? e dea syst^mes panth^isles qni, un si^lepkis tard, onl rdgn^ et r^gnent encore en Alleniagne, il est aossi lepire decette 9x^68ebiblii|tt0 9a?anle et bardie, qui, il la m^me 6poque, 7 a fSait de si grands progris. Le c6Kbre doeteor Pauius , dans la preface de son Mition des oeuvresde Spiooza, dit que le TfHWtatus iheologio^^otiHem non seulement en avait prMit , mais m^e dijii ddpontr^ la plnpart des r^soltats. Nous admettons ai^ec Spinoza t'ind^endanee dela oomiais* (t) Tract, theol.-polit., cap. 1^. (2) Le ThifologicQ-politieiu contient en outre des chapitres du plui grand inter^t sur Tinterpretation et Tauthenticite des iScritures, que nous passons sous silence , parce qu'ils n'ont pas de rapport avec la philo- ^phie. 399 sance philosophique , mais pon pas la separation absolue de la religion et de la philosophie. Comment la religion serait-elle indiffdrente k la v6rit6 et k Iafausset6 des dogmes qa'^lle en*- seigne? Si un dogme fanx ponvait, pendant quelque temps* r6ussir h inspirer la vraie pi6ti, an jour vi^ndrait, oji la raison , en T^branlant , ^branlerait aiissi les sentiments de piet6 , d'ob^isisance et d'amour anxquels il servait de fon<^ dement. Ge n'e&t pas par I'indiffirence h regard de la v^rit^ ou de la fausset^ du dogme, ni par le fond de ce qu'elie enseigne, mais par la forme et par la m^thode qoe la religion se distingue de la philosopbie. La philosophie ddmontre el ne s*adresse qu'^ la raison, la religion ne d^montre pas, elle propose et impose sea oroyanoes k Tadk^sion instinctive du grand nombre, elle s'adresse an sentiment et h Timagi nation en m6me temps qvCk h raison* Par des symboles, des r^oits, des exenEiples, elle ioucKe et persuade oeux que, par le raisonnement, elle nepourrail con- vaificre.Li^ philosophie parle a quelquesHuns, la religion parle k tous. De \k la ii^oessitA de Tune et de Taulre, de Ik aussi la diversity de leurs m^thodes, quoique loutes deux doivent vivre d'une mdme v^rild, et s^^clairop d'une m^me lumidre. Tel est Tensemble et 1^ lien des docirinea oontenues dans le Die Em0niiUi0ne inUllectus^ dans V$lkique et dans le Theolo- gicQ-poUticus, Le retentissernent o'en fat favorable i| laphilo** Sophie de Deieartes, ni en Hollaivle ni tn Franee. Tons les adversaires de Descartes, ne manquferenl pas de le reodre re»^ ponsaUe des erreurs de Spinoza. A Tocoasion da TkeologU^ politicus et de VEthiqm^ les attaques eon ire le cart^sianisme devinrent plus vives, et d^anciens arrets de proscription furent renouvel^s ou de nouveaux furent rendus dans plusieurs universitdsdeHollande. D'^bord, SpinQz^paratt uoiverselle- m^nt d^Qri^en SollaQde, qq France et m AlliacftdgB«, p^cjbnt pr^sd'un siicle. II n'est gu^re mieux traiM par les pbilosophea 400 incridules du XVlli® si^cle que par les carl^siens ou par les th^ologiens eux-m^mes. Bayle el Voltaire r^p^tenl les accu- satioDS d'alh^isme et de mat^rialisme. Bayle affecte la plus saiDte horreur pour le Theologico-polilicus el pour Ytlthique : a Le Theologic(hpoliticu8 esl> dil-il, un livre detestable oil il fit giisser les semences de ralh^isme qui se voit k dteou— verl dans ses Opera poslhuma (1). » Apr^s Bayle el Yollaire, tout le XYIIP slide semble confondre le spinozisme avec rathiisnoe el le matirialisme. En France, avant le XIX® si6- cle, je ne connais que Tabbd de Lignac qui traite le systime de Spinoza avec plus d'imparlialili el de viriti : « Spiuoza, dil-il, n'ilait point un alhie, comme on le croil commun^— menl, mais un spirilualisle outri, il ne reconnaissail qae Dieu; le monde, les creatures mal^rielles itaient pour lai des songes de la divinity (2). » Quoique tellement dicrii, Spinoza n*en aurait pas moins exerci de grands ravages en Hollande et en France, si nous en croyons la pluparl de ceux qui prirent la plume pour le rifuter. Mais peul-6tre exagirent-ils un pen le mal qu'ils se proposenl de comballre. Si Spinoza eut d'abord beaucoup d'admirateurs et de disciples, ce soot des admirateurs secrets, des disciples obscurs el ignores. Les plus calibres sont Meyer donl nous avons dija parli , el Abraham Gufaeler, qui fit une logique pour dimontrer et justifier les principales tb6* ses du spinozisme (3). La pluparl n*auraient sans doute pas os6, m^me en Hollande, avoner haulement une doctrine aussi universellement riprouvie. Un ministre hollandais, nommi LeenhofT, fut condamni en 1704. par le synode (1) Dictionnaire critique, art. Spinoza. (2) Temoignage dusens intime, 2« partic, chap. 8. (3) Specimen artis ratiocinandi naturalis et artifidalis eui pantosophtw pHncipiamanuducens. Amst., 1684, 401 d*Aicmaer el exclu du ininisl^re pour un livre saspecl de spinozisme, iatilui^ le del sur terre (1). li fit amende ho- norable el signa des artieuli satis factorii (2). Mais s'il y eol des accasalions vraies dc spinozisme, alors, comme aujourd'hoi, il y en eul nn plus grand nombre qui n'avaienl rien de fond6. On ^lail spinoziste pour pea qu'on s*6cartdl des opinions recues. Gependanl comme il ^lait dan- gereai de le paratlre, quelques-uns deceuxqui r^taientr^el- lemenl, imagin^renl de divulguer sa doctrine, sous lepr^texte de la r^futer. Nous citerons, d*apr6s Tennemann, Francois Cuper, auleur d*une pr^lendue refutation intitul^e, Funda-- menta spinozismi eversa. Telle futaussi^plus i^videmment en- core, la tactique ducomle de Boulainviiliers, calibre par ses paradoxes hisloriques, qui, sous le litre de Refutation ies er- reurs de Benoit Spinoza^ publia uneexposilioudesa doctrine, ou il s'efforcede rendre Spinoza plus clair el plus plausible. Au lieu de la forme g^om^triquet ^ Texemple de Descartes dans les- Meditations, il prend celle d'un philosophe qui pense tout haul h la recherche de la v^rit^. II aflecte m^me de partir du Je pense^ done je suis^ mais c'esl pour en relirer imm^dia- lement I'id^ede T^tre universel, el s'attacher ensuite aux traces de Spinoza. En Iravaillanl ainsi h rendre Spinoza plus clair et plus accessible, il pretend qu'il n'a pas d^aulre but que d'exciter dans Ies aulres une indignation pareille a la sienne, et d'engager h le r^fuler un plus habile que lui (3). (1) Calum in terra seu deacripiio vera UetUice. (2) Hietoria spinozismi Leenhofiani publica in Belgio auctoriicLte ftovis- aime damnati a Gottlob Friderieo Jenichen. Lcipsiee, 1707, 1 vol. in-12. (3) <( Dans Tcspoir dc combattre moi-memc quelque jour Ic plus dange- reux livre qui ait ete ecrit conire la religion, ou du moins dans Tesperance d'engager un plus habile metaph^sicien que moi ^ le refuter , j'ai cntrcpris de Ic depouiller dc cette secheresse mathematique qui en rend la lecture impenetrable memc a la moitie des savants, afin qne Ic systemo rendu dans T. 26 I 402 Si ies disciples avou^s sonl rares el obscurs, ii n'en esl pas de inline des adversaires. Tous Ies cart^siens de France et de Hoilande, presque sans exceplion, fonl la guerre k Spinoza. Tous n*en on( pas fail une r^fulation sp6ciaie, comme WilUchius , Poirel , Nieuwenlyl , R6gis , Frangois Lami, mais lous Taltaquenl directemenl ou indireclemenl dans leurs Perils, d'aulanl plus ardenls a le combatlre, gu'ils onl h d^fendre la philosophie de Descartes con Ire Taccusa- lion redoulablede conduire ^ la philosophie de Spinoza. Quefle est la valeur de toules ces r^fulalions carl^siennes ? Tonles sonl bonnes au fond, parce que loutes, avec plus oli moins de rigueur, signalenl, comme nous Tavons faiU le vice fon- damenlal du tissu g^om^trique de la doclrine de Spinoza. II en esl m6me qui portenl uniquemenl sur celle definition de la substance, ou, comme nous Tavons d6monlr6, esl conle- nue lout enli^re Terreur de Spinoza (1). Tous Ies adversaires de Spinoza sonl unanimes h lui reprocher de n'avoir pas di- monlr^, ce qui esl le fondement de son sysl^me, que Texis* tence par soi, caracl^re essenliel de Pexislence premiere, esl aussi le caracl^re essenliel de loule substance. lis lui oppo* seat, d'apr^s Descartes, que le mot de substance n'esi pas univoque au regard de Dieu et des creatures, el que le ca- une langue commuDe et reduit a des expressions ordinaires , put etre en etat d'exciter une indignation pareille 4 la mienne, et procurer par ce moyen de veritables cnnemis k de si peniicieuxprincipes...J'aim^mepousse la sincerite jusqu'li soutenir Ies sophismcs evidents dont son livre contient un grand nombre, par Ies moyens Ies plus plausibles que j'ai pu decouvrir dans la logique naturelle oii je suis instruit, etc. » L'abbe Lenglct-Dufrte- noy , sur la foi du titre, a public Touvrage de Boulainvilliers en compagnic des Refutations sinceres et serieuscs de Fenelon et du P. FVan^ois Lami (1 vol. in-12, Bruxelles, 1730). (1) Examen philosophicum sexice definUionis partis prinuB Ethicet Bene- dicti de Spinoza, 1 vol. in-4«, 1698, par Jcnsius, m^dccin de Dordrecht. 403 ract^re g^iM&ral de (oute substance est d'exitiler eu sot et noo d^exisler par soi. Mais voiei le d^fa^jU g^i^gral de» rifalajioos parement ctrltoieones. Tout ep pla^imt des suh^Uoc^ secovdes enire la sobstaiice pr9mi^e et ^es .sjipples p(i6^ noro^oes, elles ne donnent k ces substances jsecondes m coasistanoe propre, ni force essentielle. Or, comme nous ra- yons Qionlrg .dans la mi^taphysique de P^scarte^, ]a logique pousse 5 absorber dans la substance premiere ces substances d^pouiU^es de lout caractere propre de fixit6 et d*activit6, r^uoies ou plut6t jcoafondues par le caractere commun de pasfiivel^t qui les rend semblables h de simples ph^nomines. Un princ^^ d^iodividuation, voil^ ce qui manque aux refu- tations cart&iennes pour maintenir et d^fendre victorieuse- ment, conlre Spinoza, la distinction donn^e par DescarteS; confojcpn^ment k Texp^rience et au sens commun. A Leibnitz revieoi Tbojinear d'avoir complete la refutation de Spinoza ; il ,a Irouve ce princ|pe d'individuation qui manquait aux cart^siens, dans ces forces simples et irr^ductibles, dans ces liaoQades, qui sont les elements de tous les etres de I'univers. Anilines d'une force et d'une activity essentielles, elles r^sis- teot ou succon^balent les substances passives de Descartes, el ei^s ffe ^e lais^ent pas plus absorber par la substance pre- miere, 4^e confopdre avec de simples phenomenes. Mais Leibiritz avait refute Spinoza d'une manj^re in^iriecle pintdt quedirecieet par la seule opposition de ses propres priflcipes. C'est Wolf qui, avec les principes de L^nitz, fit de ^S^inoza une rtfutation ditailiee et sjstematique. 3elon^ Wolf, i!idee d'etr^e Siii n'excliit pas c^lle de substantiali.te, et parlout oil quelque chose persevere sous un changement, il faut admettre une substance (1). Au jugement de Tenne- (1) Tfieologianaluralis, lomo II, § 671-710. 404 niann et de Fichle le fils (1), c'esl la plus profonde et la plus complete critique qui jamais ail H^ faitede Spinoza. Elle parnt tenement decisive que Tinfluence immediate de Spinoza futan^antieen Allemagne, ou pendant longlemps il demeura oubli^ et d^cri^. Aussi y eut-il en Allemagne une sorte de scandale quand Jacobi, h la fin du XVIIP si^cle, dans ses Lettres h Mendel- sohn, r^vi^la lout a coup que la devise de Lessing ^tait h xae ic&y et que, dans ses derni^res ann^es, il avail vou^ un cuite secret h Spinoza (2). Adversaire de Spinoza, Jacobi conlribue n^anmoins, lui aussi, h relever sa doctrine, en la defendant contre certains pr^jugis, el en s'appiiquant k montrer qu'an- cune autre philosophie ne T^gale en force et en rigueur, a6n d'en tirer la condamnalion de toute philosophie demonstra- tive ou fondle sur la raison. D'ailleurs, Jacobi se monlre loujours plein d^admiration pour le g^nie et la personne de Spinoza. « Sois b6ni, dit-il, dans une de ses Lettres sur Spi- noza, 6 grand et saint Baruch ! lu as pu, en m^ditant sur la na- ture de r£tre-Supr6me, t'^gacer par les mots ; mais la v^rit^ divine ^tait dans ton dme, Tamour de Dieu faisait toute ta vie ! » Avec un enthousiasme plus grand encore que celui de Jacobi, le Ihtologien Schleiermacher s'^crie: « Sacrifiez avec moi une boucle de cheveux aux mdnes de Spinoza saint et proscrit. L'esprit de Tunivers le p^n^lrait, Tinfini dtait son commencement et sa fin, Tuniversel son unique et ^teroel amour. II itait plein de religion et de TEsprit saint, voiU pourquoi il estdemeur^ seul, et sans avcir ^t^ jamais ^aU, mattre dans son art, bien ^lev^ au-dessus de la foule profane, (1) Beitrage zur ckarakteristik derneuei'en Philosophie, s. 447. (2) Ueber die Lehre des Spinoza in Briefen an Hni Moses Mendelsohn von F.-H. Jacobi, 1 vol. in-12. Breslau, 1785. 405 sans disciples el sans droit de cil6 (l). » G^est ainsi qu'£rasine, daiisses colloqoes,canonisail etinvoquaitSocrale elReuchlin : saioi Socrate, saint Reachlin, priez pour nous (2) ! Les pontes se passionnent aussi pour Spinoza , et pui- sent dans sa doctrine de hardies et poitiques inspirations. Us chanteut le Dieu nature ; ils animent, ils d^ifient la na- ture enU6re, partout ils sentent son souffle et sa vie. Parrai eux se distingue Novalis, qui a dit de Spinoza, que c^^tait un homme enivr^de Dieu. Vtlthique ^taitla lecture favorite de Goethe : « Je me r^fugiai, dit-il quelque part, dans VElhique raon antique asile (3). » Ailleurs ii raconte quelle impression profonde a faite sur lui cette lecture : « Le grand esprit qui agit si puissamment sur le mien et qui a exerc6 une si grande influence sur toutes mes opinions, est celui de Spinoza. Apr^s avoir vainement jet6 les yeux autour de moi sur le monde, pour ^claircir T^trange ^nigme de mon 6lre moral, je tombai enfin sur V£thique de cet homme. Ge que je jus dans cet ou- vrage ou ce que je crus y lire, je ne puis en rendre compte ; mais j'y trouvai le calme de mes passions, et il me sembia qu'il m*ouvrait une large et libre vue sur le monde sensible et moraU Mais ce qui m'enchatna surtout, c'est co d^sint^resse- ment sans limites qui rayonnait autour de chacune de ses pens^es. Gette s^r^nii^ de Spinoza qui calmait et 6galisait tout, contrastait avec la v^b^mence de mon Ame qui remuait el agi- tait tout, et sa precision math^matique avec ma mani^re habi- tuelle dMmaginer et de sentir (4). » De toutes parts on le traduit , on T^dite. Le docteur Paulus en donne , en 1802 , (1) Ueber die Heligian Lehren, s. 47. (2) Apotheosis Capnionis et convivium religiosutn . (3) Voir rintroduction de M. Saisset a la traduciion des Ofiuvres do J pi- noza. V (4) DkhluHij und Wahrcit^\s. 14. ^ 406 unb (Edition complfele. Toul ce (jo'a 6icrll I& pitime de Spinoza prehd un pri* irifini, el on s'empreSise de pnblier jusqu*aiix noles marginales et sitix plu^ tni^igntfiahtes vailahte^ d^ ses manuscrits. Mais Tinfluence de Spinoza est surtoiil manife^te dhrid toiite la derniire p^riode de U ilhliosbt)hie allemande, h pat-lit* de Fichte. Selon un jagement c6l6briede Fichle, Fe sy^ffeme de Spi- noza seraitranique philosophic cons6quenle, si le droit de s'6- lever au-dessas du moi 6tait d uo jeDs^nisaie mouis exeefr- sif, et laissant eneore one part k la raison et k la aeience humatne , devait a'accomisod^ mieui de la philosopbie de Deseaiies que de toate autre philosophies k cause de sea aaa* logies aveo saint Aagmtiii el de la tendance Gommane t an^aottr rhomme sous la main de Dien. Les cartesieos font de Dieu rmrique cause efficienle, le seol aetewr qai agit en nous. Les jans^nistes donnent tout h la grtee qui op6re tout en nous sans noua, voitii, pour ainsi dire, le fohii de tangence entre ie jansAnisme ct le cartSsianisnie, que le P. Boursier nous semMe avoir mis bors de toute conleslalioo, d«ns son livre De faction ds Dieu sur ks eriaturet^ A la raison de cette r^eUe affinity daus la doelrine, ajoutons celle, non moins poissante, de la commune per- secution que les uns et les autres eurent k souflfrir de la part des m6mes adversaires. Les plus violenis ennemis de Port-Royal, comme de Descartes, n'6taient-ils pas les J^suites ? Aussi les Jans^nistes persecutes se nKmlri- rent-ils en general favo rabies au parti de Descartes. Les tbeologiens de Flandres, amis ou disciples de Jao- senius, de mftme que ceui de France, se declarirent en sa ' faveur centre Aristote et ses partisans (1). D*ailleurs, quel (1) « Les gens de Port-Royal qui son! en toutes cboses les antipodes des jesaites ont pris aussi fortement le parii de Descartes.... et en effet cette philosophic s'accommodc bien mieux avec leurs bons sentiments que cellc dc I'Ecole. Vous n*ignorez pas avec quelle chaleur les thcologiens de Flan- dres, amis ou disciples de Jansenius, se sont declares centre Aristote et ses partisans.)) (BibHotheque critique attribuie a Rieftard Simon , 4 vol. in-12. BUle, 1709, 4«yol., Icttre 12.) 415 puissant patronage le cart^sianisme n'eut-ii pas, a Port- Royal, dans Arnauld el Nicole? Arnauld el Nicole sont les plus illustres, mais non pas les seals qui, dans le sein de Port- Royal, h Tamour de saint Augustin, unirentplas ouVnoins celui de Descartes. Les Mimoires de Fontaine nous montrent les pieut solitaires employant leurs recreations k des discas- sions et ft des experiences cartesiennes, et meme diss^quant sans pitie des animaux vivants, sur la Foi de Tautomatisme. Qui fat plus attache h Port-Royal que le due de Luynes, k; traductear en frangais des Uiditalions? Absorbe par la iheo- logie, de Sacy n'etait pas tres-favorable h Tetude des sciences profanes ni k la philosopbie, el cependant il ne peat s'empecher d'approuver le plus carieslen de tous les ecrils d'Arnauld, VExamen d'un traili sur Vessence du corps par un adver- saire de Descartes, Lemoinne, doyen de Yitre. a II a lu, ^M" il, avec beaucoup de satisfaction recrit contre Tanti-cartesien, et il a eie bien aise que ce philosophe ait dorine occasion u M. Arnauld de trailer plusieurs belles choses. » II est vraf qa'il ajoute qu'etant moins philosophe que H. son oncle, il soahaiterail, qu'en defendant la philosophie, il en parldl en theologien (1). De Sacy ne condamnait done pas Descartes, mais il craignait que sa philosopbie ne fit negliger la theo- logie. En dehors de Port-Royal^ le successeur d^Arnauld comme chef du jansenisme, le P. Quesnel , et apres lui le P. Boursier, nous fournira encore une uouvelle preuve de Talliauce naturelle des doctrines de Jansenins avec celles de Descartes. EnGn les sympathies cartesiennes de Port-Royal etaient tellemenl connues, que Jurieu se croil en droit de les accuser de n*avoir pas moins d^attacbemeni pour le carte- sianisme que pour le christianisme lui-meme (9). Aiusi done, (1) Preface historique el critique des Cffiuvrcs philosophiqucs d'Arnauld. (2) PolUique du clerge de France, p. 107. 416 malgr^ les exceptions, pla^ons Porl-Boyal imm^dialement apr^s rOratoire parmi les soci^l^s religieuses qui ont adopts et propag^ Descartes. Nou^ trouverons aussi plus d*un cart^sien dans la savanle congregation des B^n^dictins qui, de m^me que celle de I'Ora- toire, ne fut point ennemie des nouveaut^s, et avait tou- jours montr^ fort peu d^attachemeni pour Aristote et la scho- lastique. Yoici ce que nous apprend sur ses tendances philoso- phiques an de ses membres les plus distingu^s, Dom Robert Desgabets : « lis 6taient rest^s fiddles k cette mani^re noble et plalonicienne dont nos p^res ont expliqu^ les myst^res de la foi. Us avaient peu cultiv6 les subtilit^s inutiles ou dange- reuses, les vains raffinements qui, de la scholastique, passent dans la th^ologie et Talt^rent (1). » Non seulement, dans son Traiti des itudes monastiqueSy Mabillon recommande T^tude de la philosophie, mais il laisse assez ouvertement percer ses predilections pour celle de Descartes. II n*approuve pasqu*on s^en tienne k Aristote ou m^me k Platon, quoiqu'il melle Platon bien au-dessus d' Aristote : « Un veritable philosophe ne s'arrete, dil-il, ni k Tautorite des auteurs ni k ses pr^ju— g^s. II remonte toujours jusqa*^ ce qu^il ait trouv^ un prin— cipe de lumi^re naturelle et une v^rite si claire qu^il ne puisse la r^voquer en doute (2). » Les auteurs cart^siens do- minent parmi ceui dont il recommande aux professeurs de philosophie de faire des extraits et des lectures dans leurs cours, et s'il y place aussi la censure de Huet, ce n'est qu'en compagnie de la r^ponse de Regis. Desgabets, Le Gallois, (1) Notice sur les CEwores philosophiqites du cardinal de Retz, par Ame- dee Hennequin. Paris, 1842. (2) Traite des etudes monastiques. Paris, 1696, 2 vol. in- 12, chap. 9 et 10. — II recommande de suivre la metaphysique de M. Cally, cartesien, qui est accommodee a la forme scholastique. 417 Frangois Lami, esprils libres et indipendanis, plus ou moius cart^siens et malebranchisles , appartiennent k Tordre des B6n6dicUns. L'ordre moins important des Gdnov^fins se fit aassi remar- qaer par ses sympathies pour Descartes. Huet, .dans une de scs lettres, plaisante les G^nov^fins, aasujet de leur attachement pour Descartes : « II y a longtemps, dit-il, que la congr^-- gation de sainte Genevieve s*est d^clar^e cart^sienne. lis out cru canoniser cette doctrine, depuis qu'ils ont regu le corps de M. Descartes aupr6s de sainte Genevieve (1). x> A cet ordre appartiennent Pierre L'AIIemant, qui avait 6t6 choisi pour pronoHcer Toraison fdn^bre de Descartes , R6n6 le Bossu qui s'est applique Sk concilier la philosophie ancienne avec la nouvelle en faveur de Descartes, dans son ParalleU des principes de la physique d*Aristote et de celle de Des- cartes (2). Chez les Minimes , nous pouvons citer le P6re Mersenne, Tami intime de Descartes , et le P6re Maignan , adversaire de la philosophie de r£cole,qui a la pretention de fonder one philosophie originate, mais qui, en plus d'un point, fait des emprunts k Descartes (3). La philosophie de Descartes rencontra aussi des protec- teurs et des disciples dans tons les rangs du clerg^ s^culier, et parmi les pr^lats les plus renomm^s par leur pi^t^ et leur savoir. II faut citer le cardinal Pierre de B^rulle qui fit ii Descartes unc affaire de conscience de la prompte execu- tion de son projet de r^forme philosophique ; le cardinal d'Estr^es qui le r^concilia avec Gassendi , et m6me le cardinal de Retz qui, sur la Gn de sa vie, retire du monde (i) Lettre du 15 aoiit 1700 au P. Martin, citee parM. Bartholmes dans sa these sur Huet. (2) ln-12, 1674. (3) Curatig philosophicus Magnani^ 4 vol. in-8, 1652. I. 27 418 et de la politique, preside des conferences cart^siennes dans son chateau de Gommercy et y defend les ?raies prln- cipes de Descartes contre les hdr^sies da b^n^ictin Desga- bets. Quels plus grands 6v6ques et quels plus grands carl^^ siens que F^nelon et Bossuetl Nous citerons encore dans le XYIIP si^cle deux illustres cart6siens et malebranchistes , Polignac el Gerdil. Tons les plus grands th^ologiens du XVII^ si^cle se montrent attaches k Descartes, k cause du secours qu'ils esp^rent de sa philosophie contre le libertinage et Tath^isme. Les cart^siens sont nombreui dans la magistrature comme dans le clerg^. Au banquet qui suivil les fun^railles de Des- cartes, les menabres du parlement et du barreau sont en ma- jority. On y remarquait Fleury, alors avocat , qui depuis fut Tabb^ Fleury , sous-protecteur des dues de Bourgogne et d'Anjou y Gordemoy, Glers<{lier, qui ^talent aussi avocats aa parlement de Paris , d'Ormesson , Gu6dreville , Habert de Montmort, mattres des requites. Habert de Sfontmort, de m^me que d*Alibert , tr^sorier de France, portait le z^le en faveur de la philosophie nouvelle jusqu'^ proposer a Des- cartes, ^qui la refusa, une partie de sa fortune pour faire des experiences. II avail entrepris de la c^l^brer dans un po6me latin De Natura rerum, irnit^ de Lucr6ce, qu*il n'a pas public, mais dont Sorbi^re, qui dit Tavoir lu tout entier, fait le plus grand ^loge. Le chancelier Siguier accorda aux oeuvres de Descartes un magnifique privilege, ce qui lui vaut les louanges de Glauberg el la d^dicace de sa paraphrase des lUidita- {torn. Au XYIIPsi^cIe, un autre chancelier, plus illu^tre en- core, Daguesseau professa hautement le cart^sianisme , et en fit Tapplication aux principes de la jurisprudence. Non seulement les th^ologiens, les magistrals^ les acad6- miciens , mais aussi les gens du monde et les femmes elles- m6mes se passionn^rent pour cette philosophie engageante et 419 hardie (1). On vit la philosophie de Descartes agiter les cha- teaux et les salons, de m^me que les cloftres, la Sorbonne el les academies. A la ville et h la cour, ^ Paris et dans la pro^ viDce» il 7 avail des carl^siens. Nul ne pouvait prendre rang paroai les beaux esprits qui ne se m^idt un peu de la phi^ losophie de Descartes. Au premier rjang desprolecleursetdes amateurs de carl^sianisme meltons le prince de Gond^, aussi grand par Tesprit que par le courage, curieux des nouvelles doctrines, et se plaisant aux entretiens des phiiosophes les plus illttstres de son temps. II s*inslruisait de la philosophie de Descartes avec R^gis ; il ne pouvait, disail^il , ne pas croire ce qu*il lui expliquait si clairement. II retenait trois jours M.alebranche h Ghantilly pour Tentendre causer de Dieu , il enlretenait uo commerce de letlres avec lui et lisait ses ouvrages. On volt Arnauld, dansune de ses lettres, s'in- qui6te;r fortdu jugement que portera le prince sur sa contro- verse avec Malebranche^ et d^sirer qu'on metle, sous ses yeux, ses r^ponses en regard de celles de son adversaire pour qu'il Use les unes et les autres. L*6diteur des Entretiens de phi-^ losophie de Rohault les lui d^die, et le loue « d*avoir accords Thonn^ur de sa protection k Tilluslre philosophe dont la doc- trine est expos^e dans cet ouvrage. )> D^ja nous avons dit qu'il efll voulu atlirer aupr^s de lui Spinoza Iui-m6me, et qu'il lui fit offrir une pension de la part de Louis XIV, pour s'en- trelenir libremenl avec lui dans les allies de Ghantilly, comme avec Bossuel ou Malebranche. Des grands seigneurs, lels i\ne les dues de Nevers et de Yivonne disputaienl R^gis au prince de Cond^ pour Tentendre exposer la m^taphysique ou la phy- sique de Descartes dans des soirees philosophiques (2). Le (1) Lafontaine, Fableden dmix Rai$y du Renard et de VOEuf. (2) Lettre de I'abbe Genest it Regis, a la suite de ses PHncipe* de philo- Mophie en rers. 420 marqais de Vardes, beau-p6re du due de Rohan , remm^oe avec lui dans son gouvernement d^Aigues-Mortes, pour^tu- dier la philosophie dc Descartes, e( , par son testament , char- ge le due de Rohan de lui payer une pension. Le chateau da duede Luynes £tait une sorte d'acad^mie cart^sienne oil on ne s'occupait que du nonveau sysl^me du monde de Des- cartes (1). Les Lettres de M"*'' de S^vignS nous montrent Tagitation produite par le cart^sianisme dans les salons etparmi tousles beaux esprits. W°^ de S6vign6 se m6le peu de m^taphysique, elle n^est pas cart^sienne pour son propre compte, mats elle Test un peu pour celui de sa Glle, qu'elle veut pouvoir entretenir de tout. Elle n'a d'autre ambition que d'en savoir ce qui est n^cessaire , non pas pour jouer, mais pour voir jouer. (( Gorbinelli et Lamousse parlent assez souvent de votre P6re Descartes. lis ont entrepris de me rendre capable d^entendre ce qu'ils disent, j'en suis ravie, afin de n*6tre point comme une solle b^te, quand ils vous tiendront ici. Je lear dis que je veux apprendre cette science comme I'hombre, non pas pour jouer, mais pour voir jouer (2). » M™** de Grignan n'6taitpas seulement une spirituelle et charmante, mais en- core une Tort habile cart^sienne, au t^moignage de Gorbinelli, qui dit qu'elle sait h miracle la philosophie de Descartes et en parle divinement (3). G*est Gorbinelli, gentilhomme origi- (1) Fontaine , M^oires pour servir a Vhistoire de Port-Royal. Utrecht, 1736, tome 2, p. 59, (!^) Edition de 1818. Lettre 315. (3) M«n« de Grignan est I'auteur d'un Resume de la 'doctrine de Fenelon sur I'amour de Dieu. (Tome IX de I'edition des Lettres de J!f«« de Shigne, par M. de Montmerque). Descartes condamne, elle cerit qu'elle n'est nul- lement disposee k abjurer. « II arrive, dit-elle, des revolutions dans les opi- nions comme dans les modes, ct j'espere que les siennes triompheront un 421 naire d*Itaiie, ami el qaelqaefois secretaire de W^^ de S^vi- gn^, qui avail inlroduil dans sa maison el dans sa Tamille la pbilosophie nouveile. Plein de vivacity, d'espril el de verve, parioot il defend Descartes de la parole el de la plume, mais M°^^ de S^vign^ el ses amis se plaignenl qu'il n*ach6ve el ne public rien (1). M'"® de S6vign6 ^crit done h sa fille toul ce qu*elle a vu ou entendu autour d*elle qui puisse inl^resser une carl^sienne, sans toulefois s*abslenir de quelques I6g6res plaisanteries sur son allachemenl filial pour Descartes et sur certains dogmes cartesiens qui choquent son bon sens. Non seulement, pour Tamour de sa fille, M"'® de S^vign^ aime un peu Descartes, maiselie^lend cette sympalhie jusque sur les ueveux el nieces du grand philosophe qu'elle rencontre dans le Tond de la Brelagoe : a Je ris quelquefois de ramili^ que j*ai pour W^^ Descartes, je me lourne naturellemenl de son c6t<^ , j'ai toujours des affaires k elle , il me semble qu*elle vous est quelque cbose du c6te palernel de M. Descartes, el d^s lit, je liens un pelil morceau de ma fille (2). » Ailleurs, elle raconle jour el couronaeroul raa perseverance. » (Ed. dcs Letlres de M"^^ de Sevigne de 1818. Leltre 564 a Bussy.) (1) (( Gorbinelli repond a M. de Soissons (Huet) pour Descartes , il raon- tre tout ce qu'il fait a M™*^ de Goulanges qui en est fort contente. Plusieurs cartesiens le prient de continuer , il ne veut pas. Vous le connaissez , il briile tout ce qu'il a griffonne. » Lettres de ^f™« de Sivigne^ edit, de 1818, lettrcllOl.) (2) Edit, de 1818. Lettre 1067. — Flechier, eveque de Nimes, dans une lettre de 1705 a M™e de Marbeuf , presidente a Rennes, fait cet eloge dc ]P« Descartes : « Son nom, son esprit, sa vertu la mettent a convert de tout oubli, ct toutes les fois que je me souviens d'avoir ete en Bretagne , jc songc que je i'ai vue et que vous y etiez. » Elle faisait des vers qui lui ont valu une place dans le Pamasse francais de Titon Du Tillet. Dans le Hecueil devers choisis du P. Bouhours on trouve une relation edifiantc de la mort de Descartes moitie en prose, moitieon vers, qui est de M'l<^ Descartes. 422 qa'elle a assists h an dtiier de beaux esprits, « qui discooru- rent apr^s dtner fort agr^ablemenl sur la philosophie de votre Vkre Descartes. Gela me divertissail et me faisait souvenir grossi^rement de ma ch^re petite cart6sienne que j^6tais si aise d'entendre, quolque indigne (1). » Ses Lettres sont par* sem^es d'allusions badines ou ironiques aux doctrines de Des- cartes: pense^ doncje suiSy je pense h vous avec tendresse, doncje vous aime (3). r> Le sentiment de Descarles qui , en apparence, die les couleurs aux objets, pour les placer dans Tdme , lui est mati^re k plaisanterie sur la couleur de Tdme : a Enfin, apr^s avoir bien tourn^, votre dme est verte (4). » Nous avons d^]k dit qu*avec La Fontaine, elle se raillait des b6tes^machines« et qu'ellene pouvait consentiri croire que sa chienne Marphyse n'edt point d*Ame. Tout autour de 111°''' de S^vign^, aux Rochers en Bretagne, k rh6tel Garnavalet k Paris, on discutait avec une grande vi- vacity pour ou contre Descartes. Tantdt c*est Tabb^ de la Mousse qui disserte sur les petites parlies avec T^v^que de L^on W^^ deLau- nay, dans ses Mimoires^ dit de cette princesse : « Son ca- t^chisme et la phiiosophie de Descartes sont deux sysl^mes qu'elle entend ^galement... Elle croit en elle de la mdme mani^re qu^en Dieu et en Descartes (2). x> M'^® de Launay elle-m^me, sa confidente, n'^tait pas moins attach^e k Des- cartes et h Malebranche pour lequel elta^nous raconte qu^elle s'^tait passionn^e, d^s le couvent, en Sudiant la Recherche de la VMU (3). (i) Fr(igment9 de phiiosophie cartesienne. Rapport du cartesiunisme et du »pinozisme. Voir aussi I'articlc qu'il lui a consacre dans la Revue des Deux- Mondes du l*' Janvier 1854. (2) Ces passages sont extraits d'un portrait de la duchesse du Maine qui avail ete supprime dans les premieres editions des Memoiresde Af^^ Delaunay. La Harpe le premier Fa signale et cite dans sa Correspondance Utteraire. (3) « M}^^ de Silly m'ouvrit un nouveau champ. Elle faisait une especc d'etudc dc la phiiosophie de Descartes. Je mc livrai avec un extreme plaisir 425 Les femroes carl^siennesabondent aa XYIl* sitele. On vit h Toalouse une dame de la ville soulenir publiqnement, ei avec le plus grand succis une th6se cartisienne, sous les au- spices de R^gls (1). M}^^ Dupr^ , ni^ce de Desmaret Saint- Sorlin, savante en grec el en latin e( auteur de quelques poesies, avail re(u le surnom de cart^ienne, lanl elle metlail d*ar- deur ^ 6ludier et h d^fendre Descartes. M"^ de La Yigne, autre femme pofele, n'^tail pas moins connue pour son car- t^sianisme. Dans le Reeueil de vers du P. Bouhours, il y a one pi^ceoii Tombre de Descartes remercie W^^ de La Yigne de son z6le pour sa philosophie, el des disciples qu*elle lui gagne parses grAces et son esprit. En parlanl k rimagination, au coeur^ h la pi^t^, Malebranche r^pandit encore davantage, parmi les femmes, le goiit de la philosophie de Descartes. G*est one femme, M^^^ de Wailly, sa parente, qui pr^sidail chaque semaine ft des conferences oil se rendaienf les plus z^l^s malebranchistes, pour cxpliquer et d^rendre lesouvrages de leur roatlre. Dans lesLettres du P. Andri, il est souvenl question de dames malebranchistes. Parmi toutes les femmes un pen lettrtes, la philosophie el le cart^sianismo ^taient devenus une sorte de mode don I le P. Daniel plaisante dans son Voyage du mandede Descartes. II fait dire par Aristole k Descartes, que la mode d'etre philo- sophe ne serait pas plus durable, parmi les dames fran^aises, que toutes les aulres modes, et qu'il n'y a rien de plus com* mun dans les ruelles que le paralldle de M. d'Ypres el de Molina, d' Aristole et de Descartes. Au limolgnage du P.Daniel, ajoutons celui de Moli^re. Qui sonl ees femmes sa- a cette entreprise. Je lus encore avcc elle la Recherche de la verite el mc passionnai du sysUme de raiitciir. » Memoires^ 3 vol. in-12. Londrcs, 1755, tome I, p. 19. (i) Memoir es duP. .Yiceron, art. Rrxis. 426 vaiilcsdontil sail sibien se moquer? Sans doule, commeles Pricieuses Ridicules^ elles aiment les petils vers el le beau laogage, roais elles visenl plus haut , h la physiqae et k la m^taphysique ; elles parlent des tourbillons, de la sabslance ^lendue, elles Iraitenl le corps degueaille, en un mol, ce soot des carl^siennes que Moli^re tourne en ridicule. £n fauUil da- vantage pour atiester k quel poiDl le cart^sianisme 6tait alors la preoccupation universelle, non seulemeot des esprils d*6iite, mais de toutes les intelligences un peu cuUivtes. Jamais peut-^tre , k aucune <^poque de son histoire, pas plus aujourd'hui qu*aux temps passes, la philosophie propremeot dite n'a compt6 autant de proselytes , ni autant de curieux et d^amateurs parmi les hommes du monde et tons les esprits cultiv6sde toutes les classes de la socieie. La cartesianisme se ripandait partout en France par d'excellents livres k Tusage du monde, par les academies, et par les conferences particuliires des plus habiles cart^siens ou se pressait une foule d' elite. Une foule de traites de philosophie en langue fran^aise r^sumaient , edaircissaient et meltaient k la poriee des gens du monde les principes de la philoso- phie de Descartes. Tandis que les Hollandais publient des lee- tiones^ des Exercitationes^ des theses accommodees a la forme scholastique en usage dans les universites, de longs commen** taires en latin, des catechismes par demandeset par reponses« les cartesiens de France publient en frangais des expositions^ des abreges clairs et elegants , des entretiens , des dialogues, des meditations , qui nes'adressent pas seulement aux doctes et aux etudiants , mais aux gens du monde. Par la methode et par la clarte , par reiegance et Teievation , par la gr^ce et par Tesprit , plusieurs de ces ouvrages doivent avoir leur place dans Thistoire de notre litterature : citons les Discours sur le discernement de V&me et du corps de Corderooy , les Entretiens de physique de Rohault , le J 4S7 Systime de philosophie de B^is , VArt de penser de Port- Royal , le Train de Fexistence de Dieu de F^nelon , la Connaissance de Dieu el de soi-'tnime de Bossoet , la Re- cherche de la VMti de Malebranche , les Dialogues eur la pluraliti des mondes de Fontenelle. Quelqaes-uns , niais sans sacc^s , imagin^rent m^me de metlre en vers frangais la phi- losophie de Descartes. Je citerai Le Labourear, bailly de Mont- morency , qui , dans un po6me sur Charlemagne , fait d^biler le cart^sianisme par un angc (1) , et I'abb^ Genest , qui a mis en rimes plutdt qn'en vers les Prineipes de Descartes. Dans la premiere partie du XVII® si6cle , de toutes parts commencent h se former des reunions scientiflques partica- ]i6res qui soni^comme les avant-coureursdeTAcad^mie des sciences , fondle en 1666. L'Mileur des travaui d'une de ces soci^t^s savantes qui se r^unissait, toutes les ^maines, obex rabb6 Bourdelot, en mentionne jusqu'ii dix ou douze autres dans Paris seulement (2) , vers 1660. Or, toutes ces reunions de savants, fondles plus ou moins en opposition avec fesprit ancien et avec la science immobile de r£cole , ^taient en g^- nSral favorables i Descartes. On y faisait des experiences pour confirmer les principes de sa physique, on y discutait el r6fu- tail les objections contre sa doctrine. Non contents de ces reu- nions entre savants, les cart^siens instituirent des conferences publiques ou ils demootraient le cartesianisme aux gens du mondeet,pourainsi dire, h lout venant. Bohault tenait dans sa maison des conferences philosophiques, une fois. par se- raaine, adesheures et k des jours regies, etchacun pouvail librement y assister. Glerselier nous apprend (3) qu*^ ces con- (1) Ce poeme a ete public en 1664. Boileau le tourne en ridicule k la fin de sa IX« Epitre. (2) Conversatioru academiquet de VcuMdimie de M. Vabb6 Bourdelot, pu- bliees par le sieur Le Gallois en forme d*entretiens. (3) Preface des OEuvrcs posthumes dc Rohaull . 428 fences on voyail des'pr^ials , des abb^s, des courlisans, des docteurs , des ni^decins , des philosophes , des g^omelres, des riigenls, des^coliers, des provinciaax , des strangers, des artisans , en un mot des personnes de toat dge, de toat sexe et de toute profession. Baillet donne h Rohault le litre de chef des ^coles cart^siennes , ce qui semble indiquer que d'aulres conrs ou conferences avaient^t^ institu6s sous sa di- rection. R^gis fut le disciple et le successenr de Rohault. Avant d*6tre appel^ h enseigner le cart^sianlsme h Paris , il Tavait enseign^ en province. Charge d'une sorte de mission cart^sienne dans le midi de la France, ii excita k Montpellier et h Toulouse un veritable enthousiasme pour la philosophic nouvelle. A son relour h Paris , il ouvrit des conG^rences pu- bliques dans la maison de L^mery qui eurent un aussi grand succis que celles de Rohault, et Fontenelle nous apprend qu*il fallait y venir longtemps h Tavance pour s* assurer d*UDe place (1) . Mais c'esl TAcad^mie des Sciences qui, en faisant triompher les m^thodes nouvelles de Descartes en g^om^trie et ses prin- cipes en physique, eut la plus grande part au succ^s d^fi- nitif de sa philosophic. Descartes est Tauteur de la nouvelle philosophic, dil Tabb^ Terrasson., mais elle ne doit son ^ta- blissement dans le royaume qu^a TAcad^mie des Sciences (2). Lam6meacad<^mie lui portera, auXYIIPsi^cle, uncoup mor- tel en faisant triompher Taltraction de Newton. En France , comme en Hollande, ces innombrables cart^- siens n*ont pas tons la m^me physionomie , lis se distingueut aussi les uns des autres , soit par leur predilection pour telle ou telle partie du vaste ensemble des doctrines de Descartes, (1) Eloge de RSgis. (2) PMlosophie applicable a tous les objcts de I'esprU et de la raison 1 vol. in-12. Paris, 1754. k^9 soil par one tendance plus ou moins idialiste, selon la fagon dont ils lesinterpritent , et selon qu'ils serattachent plus ou moins ^ Malebranche , dont la philosophie inlroduisit parroi eux des divisions profondes. Quelqnes-uns negligent ou m^nie repoussent la m^laphysique de Descartes et ne sont guire cart^siens que pour la physique , comme Desgabets ou Fon- lenelle , tandis que d'autres s'occupent plutdt de la m^la- physique que de la physique. Quelques-uns, tels qu'ArnanId et R^gis, poussent, en Talt^rant plus ou moins, la doctrine de Des- cartes versun certain empirisme ; d^autres, tels surtout que les cart^siens de TOratoire, Malebranche en t^te, plus ou moins suivis par F6neIon , Bossuet et Nicole , la d^veloppent dans un sens oppose , el lui donnenl un degr^ d'id^alisme que n*aYait pas connu Descartes , en le commentant avec saint Augustin. Enfin il y a des cart^siens non seutement plus ou moins complets, mais aussi plus ou moins avou^s : les uns ne craignent pas de professer le nom en m^me temps que les doctrines de leur mattre; d'autres intimid^s et par Tarr^t du conseil du roi contre sa philosophie et surtout par les defenses sp^ciales des universit6s ou des ordres religieux dont ils font partie, se contentent de reproduire son esprit et ses doctrines sans le nommer, ou en les attribuant, par des interpretations plus ou moins forcies, b quelques auteurs anciens et approu- v^s 9 ^ Plalon , k saint Augustin , h Aristote lui-m6me. Di- sons roaintenant les accusations contre lesquelles il eut k se d^fendre, les obstacles et la persecution dont il triompha. CHAPITRE XXI. Accusations politiques et rcligieuses centre les cartesiensfrancait. — Diver- site des accusations religieuses en HoUande et en France. — Accusation d'incompatibilite avec TEucharistie. — Importance de ce debat pour I'his- toire du cartesianisme. — Exposition de la question.— Deux grandes dif- ficultes theologiques resultant du sentiment de Descartes sur la maticre. — Indistinction de la sid)stance et des accidents, indistinction du corps ct de Textension locale. — Comment resolucs par Descartes, la premiere dans la reponsc a Amauld, la seconde dans les deux lettres au P. Mesland. — Vaines recommandations de silence et de discretion touchant cette se- conde explication. — Histoire, texte complet, doctrine des lettres au P. Mesland. — Zele aveuglc de Clerselier, Desgabets et autres, k les pro- pager, commenter et k provoquer les discussions des theologiens. — Pro- testations dc quelques cartesions centre ces dangercuses temerites. — Principales objections des theologiens. — Gondamnation qu'cn porte Bos- suet tout en s'efFor9ant de justifier Descartes et sa philosophic. — Dissei^ tation de I'abbe.Duguet centre ees nouvelles explications. — Redouble- mentdes accusations d'impictie centre le cartesianisme. — Apologies, pro- testations des cartesiens en favour de leur foi et de celle de Descartes. — Gertificat de la reine Ghnstine. — Tactique et intervention perfide des protestants dans la querelle. — Disgr&ces attirees sur leurs auteurs et sur TEcolietout entiere par ces essais de philosophic eucharistique.— La doc- trine de I'etendue essentielle au premier rang des propositions cartesien- nes cendamnees. De in^me que les cartesiens de HoUande, ceux de France D*enreDt pas seulement h se dtfendre contre des objections philosopbiques , roais contre des accusations politiques et 431 religieuses. Dansles deux pays se sont k peu prte les m^mes objections philosophiques contre le doute m^thodique , VM- dence, la distinction de I'dme et da corps , les id^es inn^es , les preuves de Texistence de Dieu , Tessence de Fdme et de la mali^re, Tinfinil^ de Tanivers qui alimentent la pol^miqae des adversaires de Descartes. Mais les accasations politiques et religieuses varient, suivant les diffi^rencesdu goavernement et de la religion en Hollande et en France. En Hollande, on les accasait de ne pas ^tre favorables h Tautorit^ du stathouder, e(, en France, il ne ful pas difficile de les rendre saspects h un monarqae absolu, par la nouveaut^ de leurs opinions, leur roaxime de T^vidence et leur esprit de libre examen. C*«st {'ac- cusation de jans^nisme qui joue en France le rdle de celle du cocc^ianisme en Hollande, etqui n'estpas moins arbilrairement prodigu^e, pour les rendre suspects d*une double r^volte contre r£glise et contre r^tat. En Hollande, nous avons vu des th^o- logiens fanatiques comparer Descartes h Vanini, et Taccuser de connivence avec les fils de Loyola : en France, il courra plus grand risque encore par les comparaisons avec Luther et Calvin. En Hollande, c*est au nom de la Bible et du synode de Dordrecht ; en France, c*est au nom du concile de Trenle quele cart^sianisme est accuse d'impi^t^. Dans les deux pays, il faut se d^fendre au sujet de Tinfinit^du mondeetdu mou* vement de la terre. Rendons cependant cette justice aux th^o- logiens catholiques qu'ils font moins de bruit contre le mou- vement de la terre que les th^ologiens r^form^s. La rupture de la vieille alliance entre le p^ripat^tisme et la Ih^ologie ne pouvait pas ne pas mspirer quelques alarroes h des th^ologiens habitues h regarder Aristote comme le sou- tien de la foi. Ges alarmes se manifestent, surtout au sujet de TEucharistie. Incompatibility avec TEucharistie, telle qu'elle a 6t6 d^finie par le concile de Trente , voil^ Taccusation qui, en France et dans les pays catholiques , passa avant toutes les 432 aulres et mil dans le plus grand p^ril la philosophie carl^- sienne. Le p^ril s*accrut par ia divulgation imprudente d*ei- plications confldentielles propos^es par Descartes , par racial et le d^veloppement que leur donnirent quelques-uns de ses disciples , qui s'imagin^rent follement fermer la bouche aux th^ologiens en leur opposant des demonstrations cart^ienes de TEucbaristie, au lieu de se r^fugier derri^re Tincompr^-^ hensibilite du myst^re. II n'est pas besoin de dire que la force des pr^jug^s , que les alarmes de Tamour-propre s'ajont^- rent aux alarmes sinc^res de la foi. La vivacity et Timpor- tance de ce d^bat dans Thisloire de la philosophie de Des- cartes, la place qu'il occupe dans la plupart des ouvrages de philosophie de T^poque , les persecutions dont il fut le pretexte centre un certain nombre de cart^siens et contre la philosophie de Descartes, nous obligent h ne pas le passer sous silence 9 quoiqu'il soit plutdt du domaine de la theologie que de celui de la philosophie. Nous ne toucherons h cette subtile et delicate matiire qu'autant qu*il est n^cessaire pour rbistoire. Nous nous bornerons k rapporter sans discuter ni juger, ou du moins nous ne porterons pas d^ autre jugement que celui de la vanite de toutes les tentatives, soit de l'£cole, soit des cariesiens pour expliquer la transsubstantiation par des principes de physique. Donnons-nous done le spectacle des etranges , vaines et dangereuses subtilites ou s'^garferent, il faut le dire , h la suite de Descartes lui-meme , un certain nombre de cartesiens et qui compromirent le succ^s de la phi- losophie nouvelle. L'£glise tient pour article de foi que la substance du pain etant 6tee du pain eucharistiquepourfaire place au corps de Je- sus-Christ, les seuls accidents y demeurent, qui sont Tetendue, la flgure , la couleur, I'odeur, la saveur et les autres qualites sensibles. La physique scholastique avec les formes substan- tielles distinctes de la matiere, avec les accidents absolus qui 433 se peuveni concevoir ind^peDdamment de leursojet, avail para offrir quelquesfacilit^s pour rintelligencedece inyst6re, tandto qa*il parut impossible de le conctlier avec la pbysiqae cart^ sieDne qui Die les formes subslanlielleS) las accidents absolus, idenlifie le corps et T^leudue et change toutes ies qualit^s seo- sibles en pures modifications de T^tendue. Indistinction de la substance et des accidents, indistinction du corps etde Texten* sion locale, voili lesdenx grandes diSicuUis qu'un certain nom- brede tbtologiens6lev6renlcoDtre le carl^ianisme toucbant rEucharisUe. B&jh nous avons vu Descartes s'expliquer sur la premi6re, dans sa r^ponse aui objections d*Arnauld, et entrer dans une voie pleine de dangers, pour loi-m^me et encore plus pour ses disciples , moins riservfe et moins retenus que le matlre. a II edt bien vouiu sans doute , dit Baillet , se dis- penser de remuercettematiiredela transsubstaatiation, mais, apr6s Tobjection d' Arnauld, il ne lui 6tait plus permis de de- meurer dans le silence. 11 lui fallul s'eipliquer, au moins pas* sablement , sur Texlension du corps de Jisus-Christ dans le sacrement , conform6ment aux principes de T^teodue essen- tielle^^sans avoir recours aux accidents absolus. Cependanl celte explication, la seule que Descartes ait pu- blic, n*allait pas encore au fond des cboses, et si elle r^pondait h Tobjection de rindistinction de la substance et des attributs, elle laissait subsisler celle de rindisUnction du corps et de Tex* tension locale, essentielle h la physique de Descartes. Long* lemps Descartes dvita de toucher i ce second point, plus d6li- cat encore que le premier. Souvent, dit Baillet h Toccaslon de cetle seconde explication , on lui avait entendu r^piter ce quMl 6crit dans une de ses lettres, que si les hommes itaient plus accoutum^s qu'ils ne le sunt a sa maniire de philosopher, il pourrait leur faire entendre une autre explication qui fer- merait la bouche aux impies (1). Un de ceux qui le press^rent (t) C'est cetlc prnmiere explication qui, iivee quclques legers chaiige- I. 28 434 ie plus de s'expliquer mr ce sojet, fut le P. Mesland , d6j5 (ris^persuad^ que rexplicalion doimte k Arnaaid, ^tail pour l6 rooms aussi botine que telle de r£cole. GMant k ses soUi- citations , Descartes lui dcrivit deux leltres , oil 1^ lui propo- sailcette explication, maisi la condition, s'it la connnuniquait k d'auireSy de ne pas lui en attribuer Tinvention el de ne la eoairouniquer k personne s'il ne la jugieait pas confonn^ it ce ^ui a«l6 d^termin^par Tfiglise (1). Baillet«piiySansabsoudreenti6remenl Descartes, cherehe k i'exGuser^ losisle avec raison sur cetle recommandation de Deseartes au P. Mesland. a 11 edt 6^j ditnl , ie premier h s*aconser de X^mMtik s'il $vait jamais eu la pens^e de rendre cette explication publiqne. La erainle que ses ennemis ne pnssent abuser de cette expticaiion lui faisait souhaiter qu'elle demeurit supprim^e , it isoins qu^elte ne fQt appro«v^ par r£gli8e.** Au lieu de leiote eelte circonspection , il serai C mieux k d^sirer qQ*il eAt reconnu de bonne foi et sans detour rimpossibilit^ morale ou ser ont tmifours les philosophes de d^montrer la transsubstantiatioa par les prinoipes de la phy*- sique* Mais ce fait n*6tant plosduaombre des theses cac^^fes de sa vie, les lois de Tbisloire ne m'ont pas permis de ie dis- simuler. » Quelque fiteheuses qu'afrat ^U les suites , nous somaaes, comme Baillet, dispose & t'indatgfetice pour Des- tavtes, et.uo^s ne le rendrotis pas respoosable des ihdiscr^ tioos et des l^m^ritds de qaelqaes disciples qui pubHerent ce ^u'il avail i^ommand^ de lenir aecirei , etdonD^rent, cotmne uAe demonstration g6om6trique, e&quMl n^avatt fait que mo^ destemeot iarinuer* metfUi a ete rcproduite parte P. Maignan dana plqsievrs de ses oQTrageaet par Rohault dans ses Entretiens dephilosophie. (1) Lettre d un Pere /^«ut^e.— Edit. Gamier, tome IV, p. 148. 435 Pfeu de temps aprt^ celle tellre , I'e P. MeshfAd ^rt^oyd dans les missions cher les S8uvag69 , peaMtre eh raison dc son goiil tro[i vif potrr to pHitosopMe noavefle' , 6crivit h Descartes tfii touchanl ^t gternel ardl^ (1). Mai^ saDs doute, avan-t de partir , satisfatt de I'e^plicatioii noiiiTelfe , sauf quefques dtfficult^s que r^smit' Descartes^, dat^ une $econde l^ttre, H s'ifttail enJpress^, dans to cantfeUrde saphifo- soflbie ei de ^at foi, de la ccftomuniquer Ji d'autres, et ne s*<^tait pais fait scrupcife d'en irdmikHEfr^ Tiaiiileiir ; peuMlre IMlscfai»(es lai'-niMe efif fiMI queVqftte^ conficfences h des ami^ etdtes disfcif^les ; ce qu'il* y a dexe^laWi , c'esi qiSi'clles pffss^renl! entre les mafins" de CteseHer, H est vrai qu'/i la suite d'une conf6ren(ie avee I'at^Bev^tie dte Paris , il n*osa ies* ins^rari dans' sob Mitieii des^ lettres de* Descarle^ ; mAii^ V9ffi de csli acBord^ prdteodo enUe la |riij^i(|ne eari^ stoiiffie'eCj ^EucHdDfati^^ it b|i^ oesial IahIci srd Yfe de its divu^ goen el de le» diifeiKire &uA ias letlresi et lfaifa&» ma-- nwcrils* C'esft parincipfttetiBnit at sDA zHe' pen £olaIp6 qtrHl fsmt^at'lnbQCflr k'^eUateUIe^iifeUftniyKisckBCiii fttehttixdes letUes a»P. MeBiand* GltvseSery ali ajM hiif D6sga];>el»\ PoiMnl les premiers a^Ievnetlre eiifoeqiure'f eieti rtpMidikreiit fine fottio do'caifflmenliiresr' y sakiH eser lem fair^ imprinater. @n mamiaoiit de la biUioibiqite idlpMiile^ {S^-. ocMMHeoA ptaskMirs m^pttircB oi| diSMCtattoiiS; deCtoirsiriier ^ dab^ les- qads il' dtvetopEpei e( jniiUfie les lleUliei^) aii< P. Me^laiid, el»nftpK)nd ailK 0bj4Cli9nBela(iix4>ffi€uM8;drun'UielttliUi nKM-^ bre^de^tMotQgiens (a^^ QuelqUies-^uoesrd^ oes diffiouiU^ sciiit attributes k Arnauld qui, sans donte, ne gotita pas aussi (!)• Voif'plu^ h«B>fai conubencem^ot 4&I9 secoyid^lattooaiti P. Mesland. (9) C^sin-l^, v^ 3068. (3) Ges objections sont de M. Pastel, medecin en Auvcrgnc ; de ]Ml. Ter^ son , savant ministre convcrti au catholicisme ; du P. Viogue ; de Maleval, tiieologien de Marseille ; d'Honore Fabri. 436 bien cette seconde explication que la premiere. On y (roave aussi un extrait d^^crils dicl^s en latin sur cette m^ine ques- tion, en 1663, par Desgabets qui se jeta dans cette pol^mique, avec encore plus d'imprudence et d*ardeur que son ami Glerse- lier. Gependant Desgabets pretend ici ne parler qu'aa nom ; de Glerselier, dont il se dit Tami parliculier, sans vouloir rien afBrmer en son propre nom. Enfin ce m^nie manuscrit contient les deux lettres au P. Mesland qu'on suppose ^crites en 1645 ou environ, et donl il est dit : « Ges deux lettres ont servi de fondement k tout cet ouvrage. Et c'est aussi 1^-dessus que se sont r^gli^s tons ceux qui depuis ont ^crit de cette mati^re , suivant les pens^es de M. Descartes , ensuite de la communi- cation qu*iis ont eue de ces lettres. » Ainsi, diverses copies des lettres au P. Mesland circulaient parmi les cart^siens, qui en tiraient la substance et le fond de toutesleurs explications eucharisttqu^. Baillet les a eues sous les yeux et en cite un fragment. Elles furent longtemps entre les mains de Pourchot , c616bre professeur de philosophie de Tuniversit^ de Paris, vers la fin duXYIP et le commencement du XVIIP si^e , qui en a fait passer la substance dans son cours de philosophie (1). Bossuet apprend que des lettres ind- dites de Descartes sur TEucharistie sont entre les mains de Pourchot, il s'en inquiSte et veut les connattre; mais les ayant lues , il les condamne et recommande qu*on se garde de les publier, dans Tint^r^t de la philosophie de Descartes (2). Elles ^taient oubli^es depuis longtemps et on pouvait les croire perdues quand,pour la premiere fois, Tabb^ l6!mery les a tex- (1) InsHtutiones philosophies, 5 vol. iii-12, edit. quarU. Lugd., 1733. Parsprixna, physic. Sect. 1, cap. 1.— Quid de corporis physici sentiaDt na- lura phiiosophi. [2) Voir le chap, sur Bossuet. 437 tuellement publiSes dans ses Pensies sur Descartes (1), non qu'il en approove la doctrine , maisparce qu*elle est, dit*il, d^s6rmais sans danger, ^(ant ii]k divulgate en plus de vingt oQvrages de th^ologie on de philosophie. Gependant on voit qu'il y inclirre, avec une naivete qui rappelle celle de Clerselier et de Desgabets, par Tindulgenceavec laquelle il la Iraite et les esp^rances qu^il en congoil. G*est, dit-il, an sysl6me plus hard! el plus complel que la premiere explication pour faire dispa- rattre les difficult^s de la transsubstantiation , quoique regu moins favorablcment par les catholiques. Mais il le croit sus- ceptible de modifications etdeperfectionnements qui le ren- denl avantageux 5 la foi. D^j6 un deces perfectionnements lui semble avoir ^16 introduit par le g^om^tre Yarignon , grand ami de Malebranche. Quoi qu*il en soil, voici la substance de Texplication de Descartes. Le mot de corps est Equivoque, tantdt on lui fail signifier une quantity d^lermin^e de mali^re , el tant6t seu- lemenl la portion de mali^re anim^e par Tdme d'un homme. G'esl en ce second sens qu'il faulle prendre dans le sacremenl de rEucharislie.Qnellesque soienl la quantity, la quality ou la figure de la mati^re, pourvu qu*elle soil unie ^ la m^me dme, nous la tenons pour le corps du m^me homme. Ge point 6ta- bli, dans rassimiiation des aliments du corps deTbomme par la nutrition. , Descartes croil voir T^emple d^une Irans- subslanliation sans miracle* Les particules de pain el de vin que nous mangeous se dissolvenl dans Testomac , circulent dans le sang, deviennenl partie de noire corps el se Iranssub- stanlienl nalurellemenl. Gependanl , si nous avions la vue assez subtile, nous les verrions dans le sang, les m^mes qu'elles ^laienl avanl el nous pourrions les nommer telles, si ce n'est (1) Pensccs de Descartes sur la religion ef la morale. Paris, 1811, in- 8. m par mpport k Tanlon qu'elles oni avec I'toe. Or, de m6m^ pieuMn i>enser que 4oi;it )e «iiracle de la Iraciwd^ptaAtiii^ien GQO^iste, en ce qu*aa Ue« que les parlies da pain M du vin auraient dil se iD^Ier avec le sang de J6su8-Chris4 ppar q^'elles 9^tini8seQt naturellemeni avecsoq Aiua^et deviepo^ij^on ooi:p$, cela se fail.par la seule vertudes paroles di^ la cons^cratiop; et qu'au lieu que rimede J^sus^Cbristnepourrait D.atarell^meQt demearer jopole ^ cbaciiQe de ces parties, 4 moios qu*eUe8 ne Gassent assemblies, de manii&re h former tousks or^anes &6- cessaires h h vie, elle dei^eure if^[e k cbacune d^elles qu^d on les ^^pare. On trouve une (^xpo^ition parJTaitement cUire deThypolb^se de De^c^rles, attribute ^ Malebranche , dans UD recu^il de pieces sur celte quesiion imprim^ k Geneve par le minisire Vernel (1). Je pense qu*on sera bien aise de retrouver ici ie lexte de ces deux lettres qui ne figurent encore dans apcune ^ditijOin des (Euvres ou des lellres de Descartes. II en existe diverses copies qui pr^senlent quelques l^gi^res variantes ; je les repro- duis d'apr^s le manuscrit de la Bibliolb^que imp^riale. Voici la premiere : Voire lettre du 22 octobre ne m'a ete rendue que depuis buit jonrs, et ce qid e^ cause que je n'ai pu vous t^moigner plus tdt combien je me ressens yotre oblig^, non pas de ce que vous avez pris la peine de foe et d'examiner mes Miditations, car n'ayant point ete ai^f^aravant conau de \bus, je yeux ovoire que e'Mira Ste la matiere seule qm tous y a kwite, ai aussi de oe que ¥0us les a^'ez digepee^ de h faeon que fous avet 6it ; car Je oe sui^ pas si (1) Pieces fugitives sur VEueharistie, in-8. Geoeve, 1730. « fl y a lieu, dit I'editeur, de croire que cette piece est de Malcbranche ; Clcrselier la communiqua a un curieux en 1678 en passant par Caen. » Nous ne sommes pas en mesure de decider si cette piece est en cffct de Malebranche. II n*y a d'aillcurs rien ay remarquer, sinon unc expression tres-nette et tres-pre- cise du sentiment de Descartes. 439 vam ^a» de penaer que vous VayeE feit a mon sujet, et j'ai assez^ boofte opinion 4e mes vaisomiemeots pour croire que tous aurez jug^ qu'ils merUaieBt d'etre rendus intelligibles a plusieurs ; a quo! ia nowrelie forme que vous leur aves donnee peut beaueoup servir ; mm de ce qu*en le$ expliquaat, \om avez eu soin de les feire pariHre dans toute leur foree, et d'tnterpreter a mon avantage plusietETs ehoses qui auraient pu ^tre penrerties ou dissimulees par d*autres , c*est en quoi je reconnais particulierement votre fraochise et vois que vous m'avez voulu lavoriser. Je n'ai trouve pas un m^t dans Fecrtt qu*il vous a plu de me communiquer au- gud je ne souscrive eiiiierement ; et bien qu'il y ait plusieurspen^ sees qui ne soat point en mes Meditations^ ou du moins qui n'y sOnt pas deduites en m6me sorte, il n'y en a toutefois aueune que je ne voulusse bien avoir pour mienne. Aussi n'a-^ee pas ete de oeux qui ont examine mes ecrits oomme vous que j*ai parle dans k Diioours 4^ la M4thode, quand j*sU dit que je ue reeonnaissass pas les ^Bsees quHIs m'attribuaient, maia seuleraent de ceux qui les aik'ai^t reeueiUies de mes discours, etant en conversation femi* liere. Qi&ant a Foocasion du Saint-Sacrement, je parle de la supers ficie qui est moyenne entre deu:^ corps, a savoir entre le pain (ou bien le corps de Jesus-Christ apres la fa*anssubfitantiation)et Tair qui Tepvironne, par ce mot de superficie je n'entends point quel- que substanoe ou nature reelle, qui puisae (itre detruvte par la toiUe-puassance de Dieu ; mais seulemcnt un mode ou une faeoo d'etre, laquelle ne peut 4tre changee sans le changemeait d^ ee en quoi^m par quoi elle existe ; comme il im^pUqve contradicition que la figure carree d'un morceau d^ cire lui soit dtee? et que juean- moins aucune des parties de cette eire ne change pas. Or, cette supei^cie moyenne entre Tair et le pain ne difiere pas reellemeiit de la superficie du pain, ni aussi de ceUe de Tair qui touelie I0 pain, miis ces trois superficies ne sont en effet quHme m^me ohose, et different seulement au regard de notre pesisee ; c'est a^^aitoiir, quand nous la nommons la superficie du pain, nous entendoasqua bien que Fair qui environne ce pain soit change, elle demeure toujpurs eadem numero, pendant que le pain ne change point, mais qMe.s^'il change, elle change aussi ^ et quand nous la nommons la 440 superficie de l*air qui environne le pain, nous entendons qu*elie change avec Fair et non avec le pain. Enfin quand nous la noin- mons la superficie moyenne entre Tair et le pain, nous entendons qu*elle ne change ni avec Fun ni avec rautre, mais seulement ayec la figure des dimensions qui separe Tun de Fautre ; si bien qu'en ce sens'la, c'est par cette seule figure qu*elle existe 5 car le corps de Jesus-Christ etant mis en la place du pain, et venant .4'autre air en la place de celui qui environnait ce pain, la superficie qui est entre cet air et le corps de Jesus-Christ demeure eadem nu- mero qui etaitauparavant entre d'autre air etle pain, parce qu'elle ne prend pas son identite numerique de Fldentite des corps dans iesquels elle existe, mais seulement de Fidentite ou ressemblance des dimensions ; comme nous pouvons dire que la Loire est la m^me riviere qui etait, il y a dix ans, bien que ce ne soit plus la m^me eau, et peut-etre aussi qu'il nV ait plus aucune partie de la m^me terre qui environne cette «au. Pour la facon dont on pent concevoir que le corps de Jesus-Christ est au Saint-Sacrement, je crois que ce n'est pas a moi a Fexpliquer, apres avoir appris du Concilc de Trente qu'il y est, ea existendi raHone quam '&4rbi$ ex- primere vix posmmus ; Iesquels mots j'ai cites a dessein a la fin de ma repouse aux quatriemes objections, afin de m'exempter d*en dire davantage. Et aussi, parce que n*etant point theologien de profession, j*avais peur que les choses que j'en pourrais ecrire, fussent moins bien re9ues de moi que d'un autre. Toutefois, puis- que le Concile ne determine pas que verbis exprimere mm possu- mu8, mais seulement que vix possumus, je me hasarderai ici de vous dire en confidence une fa^on qui me semble assez commode et tres-utile pour eviter la calomnie des heretiques qui nous ob- jectent que nous croyons en cela une chose qui est entierement incomprehensible, et qui implique contradiction ; mais c'est, s'il vous plait, ii condition que, si vous la communiquez a d'autres, ce sera sans m'en attribuer Finvention, el m^me que vous ne la com- muniquerez a personne, si vous jugez qu'elle ne soit pas entiere- ment conforme a ce qui a ete determine par FEglise. i'* ie consi- dere ce que c'est que le corps d'un homrae, et je trouve que ce mot de corps est fort equivoque , car quand nous parlons d'un 4.41 corps en general , nous entendons une partie determinee de la nature, et ensemble de la quantite dont runiversest compose, en sorte qu'on he saurait oter tant soit peu de cette quantite que nous ne jugions incontinent que le corps est moiiidre et qu'il n'est plus entier; ni changer aucune particule de cette matiere, que nous ne pensions que le corps u'est plus par apres totalement le meme ou idem numero, Mais quand nous parlons du corps d'un homme^ nous n'entendons point une partie determinee de matiere, ni qui ait une grandeur determinee , mais nous entendons seule- ment la matiere qui est ensemble unie avec I'^me de cet homme, en sorte que bien que cette matiere change et sa quantite augmente ou diminue, nous croyons toujours que c'est le meme c6rps idem numeroy pendant qu'il demeure joint et uni substantiellement a la m^me Ame, et nous croyons que ce corps est tout entier, pendant qu'il a en soi toutes les dispositions requises pour conserver cette union ; car il n'y a personne qui ne croie que nous avons le m^me corps que nous avons eu des notre enfance, bien que leur quan- tite soit de beaucoup augmentee, et que, selon I'opinion commune des medecins , et sans doute , selon la verite , il n'y ait plus en eux aucune partie de la matiere qui y etnit alors , et meme qu'ils n'aient plus la meme figure , en sorte qu'ils ne sont eadem numero qu'4 cause qu'ils sont informes de lam6me kme. Pour moi qui ai examine la circulation du sang, et qui crois que la nutrition ne se fait que par une continuelle expulsion des particules de notre corps qui sont chassees de leur place par d'autres qui y entrent, je ne pense pas qu'il y ait aucune particule de nos membres qui demeure la mdme numero un seul moment ^ encore que notre corps en tant que corps humain soit toujours le m^me numero pendant qu'il est uni avec la m^me kme'y et meme en ce sens, il est indivisible ; car si Ton coupe un bras ou une jambe a un homme, nous pensons bien que son corps est divise en prenant le motde corps en la pre- miere signification , mais non en le prenant en la seconde ; et nous ne pensons pas que celui qui a un bras ouune jambe coupee soit moins homme qu'un autre. Etifin quelque matiere que ce soit, et de quelque quantite ou figure qu'elle puisse etre, pourvu qu'elle soit unie avec la m^me kme raisonnable, nous la prenons toujours U2 })Our le eorj^ du m^me honme, et pour son corps iout entier, si eUe n'a pM besdn d*^la*e aceomp&gnee d'autre matiere pour de- lueurer joiute k oette 4me. De plus, je cdnsidere que iorsque nous mangeons du pain et buvons du yin, les petites parties de ee pain et ee vtn se dissolvant dans notre eslomac, eool^st incontiiient de la dans nos veines, et par cela seul qu'elles s'y ni61ent ared le sang, eiles se tri^nssubstantient natureilement etdeviennent par- ties de notre eorps , bien que si nous avions ia vue assez subtile pour les distinguer d'avec les autres particulesdu sang^ musvet^ rions qn'eHes sont encore les memes numere qui compesaient au- paravant le pain let le yin ; en sorte que si nouB n'avions point de garde a rtrnion qu'elles ont ayec Time, nous les pournons nom- mer pain et ika comme deyant. Or, oette transaubstantiation se &it sans miracle. Mais, a soo exemple, je neyois point de cBfficidte a pernor que tout le mirade de la tranesnbstantiation, qui so fsiit au Saint^Saerement, consiste en ee qu'au Ueu que les paitieules du pmn el du yiu anriiient du se m^kar ayec le sang de Jesus^ihrist et Vy diQK>ser en eertaines fa^oos partioulieres^ afin que son lime les ka^onakt natureilement , elle les tiifi^rme san^ cela par la f(R*ce des paroles de la consecration ; et au lieu que cette ime de Jesus- Christ Re pourrait demeurer naturelltaaaeilt jokite ayec cfaaeiine deiQesparticules'depainet de yin, sieeh'estqu'einesl^isfienia^- sembleeis ayec phisieurs autres qui composassc&t toiia les organes du c(H[*p6 huitiain n^cessaires a la yie, elle demeure^oiale suioMh IjiureUement a chacune d'etles, encore qu'on les separe. De ceUe fa^on, il est ais^ a entendre oonmient le corps de Jesus-Christ n'estqu'une fois en toule Thostie quandelle n'est point diyisee; et neantuoins qu'il est tout entier en diacune de ^&s parties quaod elle Test ; parce que toute la matiere tant grande>on petite qu'elle soit, qui est ensemble linfomiee de la m^me ame hiunaine, est pme pour un corps ihumafin tout entier. Cette explication eboquera sans doute d'albord ceux qui sont aecoutumes a eroire qu'afiii que le corps de Jesus-Christ soit en ITuebaristie, il fautque tons ses memhres y soient avee la m^me quantite et figure, et la m^oie matiere numero dont ils ont ete eomposes quand il est monte au eiel, Uais ils se dalivreront aisement de ces diflficuites, s'ils con&i- 443 d^r^ui «{u']'l n'y a rmst de cela gui soU deteraiiQe par TEglise, ei que tous te;»xaf4a))iws exterieurs et l^ur niuaotite £t joiatiere, Uie $o;Qtpoipjt neces$aire$ a I'iatQgritc du eorps bumain» ^i ne soot en rien utiles et ce^yeidables a ce sacrement, ou r&me de Jesus-Chriat ioforme la maUier^ de TEucbaf istie^ afia d'etre re^ue par le* bom- mes et de s'^inir plus etroitement a eux ^ et mims p^h ne diini- um ea rien la veneration de ce sacrement. Et enfin, Ton doit con^iderer fpi'il e^t io^possible et qu'il semble ojanifestem^nt im* pliquer q0ntradiction -que ses membres j soient ^ car ce que n0U3 QommQniii par exemple^ le bras ou la main d'un bonune, e$t ce (pu en^ la %ure exterieure, et la graadeur et I'us^ge, en sorte que fuuol^ue ce soitque Ton puisse imagin^pr en Tbostie, pour la 99Aia av Je bras de Jesus-Christ, e'e^t faire outrage a tou§ les dic- tipnnai^es, et cbanger entiereroent J'usage des mots que de le Qomm^ bras ou main, pui^qu'il n'en a ni rextension, ni la figures, ni ('usage. )e fous aurai obligation si vous m'ap^renez votre sen- timent t^ucbant cette es^plication ; et je aouhaiterais bien ausri d'avoir celui du Reverend Pere Vatier 5 mais le teippf ne i»e per- ngiet pa$ de lui eorire. Void maintefnant la seconde teltre auP. Mesiand, ou Des* cartesTfepotid 4 qtretques difBcuU^s propos^es et ft fadlen pour Jamais que 1e P. Mesland tui adresse en partant pour les Missions : J'ai )u avec beaucoup d^emotion I'adieu pour jamais que vous avez pris la peine de m'eerire ; et tl m'aurait touebe davantage si je n'etai$ icien un pays ou je vois tons les jours pluaieurs per- sonnes qui soint revenues des antipodes. Ces exemples si ordi- naires m'emp^chent de perdre entierement I'esperance de vous revoir quelque jour en Europe j et encore que votre desscin de convertir les sauvages soit tres^genereux et tres-saint, toute&is, parce que je me persuade que pour I'executer on a seulement be- soin de zele etde patience, et non pas de beaucoup d'esprit ou de I 4U savoir , il me semble que les talents que Dieu vous a donnes , pourraient ^tre employes plus utilement en la conversion de nos athees, qui se piquent de bon esprit et ne veulent se rendre qu'a Tevidence de la raison ; ce qui me fait esperer qu'apres que vous aurez fait quelque expedition aux lieux ou vous allez, et conquis plusieurs milliers d'limes a Dieu, le m^me esprit qui vous y conduit aujourd'hui vous ramenera, et je le souhaite de tout mon coeup. Vous trouverez ici de breves reponses aux objections que vous m'avez feit la faveur de m'envoyer touchant mes Principes. Je les aurais faites plus amples, sinon que je crois assurement que la plupart des difficultes qui vous sont venues d'abord en commen- cant la lecture du livre, s*evanouiront d'elles-m^mes quand vous I'aurez acheve. Gelles que vous trouvez en Fexplication du Saint- Sacrement, me semblent aussi pouvoir facilement ^tre otees ^ car i^ comme il ne laisse pas d'etre vrai de dire que j*ai maintenant le m^me corps que j'avais, il y a dix ans, bien que la matiere dont il est compose soit changee, a cause que I'unite numerique du corps d'un homme ne depend pas de celle de sa matiere, mais de sa forme qui est Ykme. Ainsi ces paroles de notre Seigneur n'ont pas laisse d'etre veritables, hoc est corpus meum quod pro vobis tradetur , et je ne vois pas de quelle autre sorte il eut pu parler, pour signifier la transsubstantiation au.sens que je I'ai expliquee. Puis, pour ce qui est de la facon dont le corps de Jesus- Christ aurait ete en Fhostie qui aurait ete consacree pendant le temps de sa mort , je ne sache point que FEglise en ait rien de- termine, et il faut, ce me semble, bien prendre garde a distinguer les opinions determinees par TEglise d'avec celles qui sont com- munement recues par les docteurs, et fondees sur les principes d'une philosophic mal assuree. Toutefois, quand bien m^me 1'^ glise aurait determine que FAme de Jesus-Christ n'aurait pas etc unie a son corps en Fhostie qui aurait ete consacree au temps de sa mort, il suffit de dire que la matiere de cette hostie aurait pour lors ete autant disposee a ^tre unie a F4me de Jesus-Christ, que I celle de son corps qui etait dans le scpulcre, pour assurer qu'elle aurait ete veritablement son corps ; puisque la matiere qui etait dans le sepulcre n'etait alors nommee le corps de Jesus-Christ, 445 qu'a causes des dispositions qu'elle avait a recevoir son 4me. £t ii suffit aussi de dire que la matiere du pain aurait eu les dispositions du corps, sansle sang, et celle du vin les dispositions du sang sans la chair,pour assurer que le corps seul, sans le sang,aurait ete alors dans rhostie, etle sang seul dans le calice. Conune aussi ce qu'on dit que c'est seulement par concomitance que le corps de Jesus- Christ est dans le calice, se pent fort bien entendre en pensant que bien que Vkme de Jesus-Christ soit unie a la matiere contenue dans le calice, ainsi qu'a un corps humain tout entier, et par con- sequent que cette matiere soit veritablement tout le corps de Jesus-Christ, elle ne lui est toutefois unie qu'en vertu des dispo- sitions qu'a le sang k ^tre uni ayec I'^nie humaine, et non pas en vertu de celles qu'a la chair ; et ainsi je ne vois aucune difficulte en tout cela. Mais neanmoins , je me tiens tres-volontiers ayec vous aux paroles du Concile, qu'il y est, ea exUtendi ratione quam verbis vix exprimere possumiis. Telles sont les ing^nieusessubtilit^s donts'emparentuo cer- tain nombre de cart^siens qui leissubtiiisent encore davanlage, dans Tespoir de detacher la ih^ologie de la philosophie de Vi- cole et deTamenerii faire cause commune avec la nouvelie phi- losophie. Les uns se bornenl k les reproduire presque teiluelle- ment,Iesau(reslesd6veloppent,(ravaiIlenl h les perfectionner, de fa^on h se mellre mieux encore h Tabri de loutesles objec- tions. De m^me qu*a Thypothise des tourbillons, pour la roettre d'accord avec les ph^nom^nes, 11 n'est sorte de rac- commodements qu'on ne fasse subir n^rhypolh6se eucha- ristique de Descartes, pour la mellre d'accord avec le Concile de Trente. Bornons-nous h citer celui dont est Tauteur le g^omitre Yariguon, qui imagina de dire que toutes les par- ties sensiMes de rEacharlstie sont r^ellement changes en autant de corpuscules organises, lesqueis, malgr^ leur peti- tesse, sont de vrais corps humains, et tous le mdme corps I 446 en taDtq«»*«fiK i anemdme ^vm (1), afin #^tler ie reproche, eoetmni par Thypolh^se de Descarfes , de farre da corps de J6sas-*Gfarisl un corps de pah et noD one vraie chair doate d^organes.Tel est Ie perfectionnement auqoel applaudil Tabb^ Emery, et qui lui en fait esp^rer d^aulres encore. De toules parts on vit, parmi les cartesians , se produire des essai^ de philosophie euchacistique^ Quelques-uns pouss6rent T^rveu- glement jusqa'a pr^tendre ea dooaer^ dr'epr^^ DesciOirtes, une d6iDQQ3lrat.ion g^Qmetriqae {i\. II3 n'^iMeiU paa 1^ conseUft de c;art^e«& plus gravcis; ei pliiiS s^g^s^^ Veto qm B^g»s^ Ajrnaiildy Iti«olie!, Boissuel CfA pratestem ito»tte ^es dangtBt* rcUMS' Doifreamies et gtaiisseat du prdjudieei qu'elles portmr k la' pbtiMophte de Descartes^ (3). M nisf plus^ fls s>*«tigtfgerfi' dttfis eeffe voie, et ptus iis ddnnfent des anmes ft lewA {Kfveir-^ saireSy et plus ils provoquent les objections et les accasations des th^ologiens, loin de les inettre de leur parti. Le grand grief th^ologique contre rexplication au P. Mesland, c'est qu^elle laissait subsister la substance du pain et du vin, en la faisant seulement animer par Tdtne de J^us-Ghrist, sans quils fussent changes au vrai corps de Jd'sus-GKrisl. A la premiere explication de Diescartes, on avait objects que ce n'itail pas le pain qui se changeaii au corps dfe J^sus^hrist, dam VEuckqri»ti^ ^onformiment au seniifmnt (^< cathok^fuet,. On trovLve cette piece dans les Pihces fugitwes sur VEucharistie. (2) Breve opusculum quo geometrice demonstraivr poMtbilitcu pt'OBsentue corporis ChrUti. IT fui refute par IMf. David, ecel^siastique du diocesfi de Bdyeux. t^ris, 1729, ito-12. (ft) Vdtaire, dans IvPkihM^pkA i^tiatm^., se moquc d« Otis e^^knttkutf ctrieaieiines dd rCuebiuristie. « CoUu-la pr«t«nd oie Mr%. ioueher au doigt la Uanssubstantiation,' en me montrant par les lois du mouvement comment un accident pent exister sans sujet , et comment un corps peut etre en deux endroits k la fois. Je me bouche les oreilles et jc passe plus vite encore. » 447 mats son corps^en paiD^ k la seconde on objecU que e'^iail le pain qui devenaift le corps de tous^Ghrist, aans aucan^ chan- gament rteietpbysiqae,€tpar le seal fail de KuokHi avec BossMt prit ta plaaie poar combatlce oaa singttK^res ap- plieations da carldBianisKie i la Ihtokogie, dans rint^r^t non seotemeat de f orthodoxie, ma» aussi de Deseartes et de sa pllHasopbie bien etttendoe. 11 ne Tent pas ipi'uoe philosophies 49I lui est (Mre et doot il altead les pins grands arantages pour la religioB, porle la peine des t^ovtoit^ de qclelc|iies espyrits hroaillooa. U eoofestemt TolouUers t'atithetiUcit^ de» Letires an P. Meslaod, du moins dtelare-MI lenir poor sus^ peel loot ce quio Deseariea n'a pas lui*-in6iiie pubH^. En fa- vour de Descaplaa^ U fait remarquer que cetle seconde expli^ caiioo na cadne pas avee l^ prcnsidre, la seule qu^l alt avou^e, pr^cisiment en ce point essentiel qu'elle laisse sub- sister te subslaace du paki et du vin qn'll s'applique' & e«- cliwe dans sa r^oase h Arnaald, et enfiii 6ai» Itti^mdme oietlire en avani ancune de ces expHcalioins qu'il dondamne, il se eonlente de moolrer que la doetrine de Desearies sur la matitre eat sosceptiUe d'uo sens qui oe ta rend Ai pl«9 ni moins Gon»|Mat»bte qli^ tocdet outre dootrine phifosophique avec les dicisions dtt concUe de iFente (1). Apr^ Bossoet dtons taM>6 Doguet, qoi^ dans un trails tb^ologique plein de force et de bon sens , a combattu ces esptications cactteienaes fort godlAes dans FOraioire (2). II conjwo fies Graces de I'Qraloire de se metliie^ eir garde oenir^ a9e phNosopMe cacieiuie ei indocile, qui n'est propre q/a'k faire perdre la foi, en pr^ndant toai ex|dfquer, m^afie (1) Voif le chapitre sur Bbssuct. (2) DissertationB tMologiques et dogmatiques. Paris, 1727, in-12. — Voir la seoonde disseiiatioii surl'Eudiamtie. 448 les mystires. Son objecUon fondameotale contre les nou- veaus sysl^mes est la inline que celle de Bossaet ; en tons il d^coQvre ce d^faut esseotiel de ne pas conserver la T^rit^ du corps unique de J6sus-Ghrist crucifix et immol^ pour nous. i< II y a, dit-il, une barri6re insurmontable coutre les nou- veaux syst^mes, c'est que la chair de J6sas-Christ dans rEucharislie est la mdme qui est nie de la Yierge, immol^e sur la croix, etc. Ainsi se lerminent ces malheureuses recher— ches et ces funestes conciliations de nos redoutables niystferes avec une raison que Dieu ne nous a pas donn^e pour cet usage. On pose pour fondement de ces rechercbes et de ces conci- liations rid^e naturelle qu'on a de I'^tendue et de I'essence de la matifere, sans se souvenir que nos idies naturelles ne nous repr^sentent pas tout ce qui est possible h Dieu, el qu'elles sont seulement les premiers fondements d'une raison limil^e. » Par la force de ces objections thtologiques, on voit avec quelle imprudence les cartdsiens, dans cettc pol^miquev s'ex- posaient aux coups les plus redoutables de leurs adversaires et allaient, pour ainsi dire, au devant m6me de la terrible accusation contre laquelle ils voulaient se ddfendre. Incom- patibility avec TEucharistie, conformity avec les sentiments de Luther et de Calvin, voil& Tanatb^me sous leqnel les cartisiens ont failli succomber. Tons leurs plus violents ad- versaires se pr^cipitent par cette br^che, et, dans une foule de libelles, r^lament de Tautorit^ civile et eccl^siastique Tin- terdiction du cart^sianisme au nom de la foi menac6e. A leur t6le est le P. Valois. Son tivre intitule : Les sentiments de Descartes opposis a ceux de Viglise et canformes a ceux de Calvin^ en resume et en provoque une foule d'autres de m^me nature (1). On pent voir dans le Recueil de piices (1) La Philosftphie d^ M. Dfincartes contr(Mre a to foi ccUhoUqutj in-12. 449 curieuses pour servir a Vhisloire du carlisianisme , public par Bayle, l*£mo(ion causae par le livre du P. Yalois (1). Les carl^siens effray^s redoablent leurs protestalioQS de foi, de pi6l6 et de soumisston aa coociie de Trente. Pour ^carter de la philosophie nouvelle lout soupgon d'im- pi6t6, oa relive ou on imagine une foulede circonslances 6di-^ fiantes dans la vieet la mor{ de Descartes. On lui attribue m^me des conversions, et quelles conversions ? Gelle d'une reine, celle de Christine de SuMe. Des cart^siens obtinrent m^me de cette illustre convertie, qui stns doute ne dut pas prendre la chose bien au $6rieux,qu'elle leur d^Iivrdtun certificat attestant qu'apris Dieu, Descartes ilait l*auteur de sa conversion au ca- tholicisme. GommentaccuserDescartesde conformity avec Lu- ther et Calvin, en presence de ce royal timoignage etde cette glorieose conversion ? Voici ce certificat dont les cart^siens firent grand bruit et quails placirent dans la plupart de leurs apologies et de leurs prefaces : « Nous, etc., certifions que le sieur Descartes a beaucoup contribui k notre glorieuse Paris, 1682. — L'auteur anonymc donne ce livre comme le complenient de cclui du P. Valois. ' (1) Ce recueil est presque tout entier compose de pieces relatives a ce grand dehat sur FEucharistie et au livre du P. Valois ; on y trouve une de- fense de Bernier au nom dc la philosophie de Gassendi, une defense de Des- cartes et de Malcbranche par un de leurs disciples. Malebranche lui-meme a repondu au P. Valois a la fin de sa 2^ edition du Traite de la nature et de fa grdce. On voit aussi dans ce recueil de Bayle de quelle facon les calvinisies intervenaient dans le dcbat. Une fonle dc theses, de dissertations, d'ouvra- ges en sens contraire ont ete publics sur cette question * De irritis conatihus Cartesii aliorumque ad conciliandam cum philosophia transsubatantiationem, tel est le titfe d*unc these soutcnoe k Altorf en 1723. Je citcrai encore Apo- logie de C/iarles Lafont pour la philosophie nouvelle sous forme de letire. Lyon, 1673, et la Presence reelle de Vhomme en plusieurs lieux demontrte possible^ par Tabbcde Lignac. I. 29 450 conversion, et que la Providence s*est secvi delui el de noire illustre ami, le sieur Ghanut, pour nous en donner les pre- mieres Inmi^res, en sorte que sa grdce et sa misMcorde achevferent ensuite de nous faire embrasser tes v^rit^s de la religion calholique, apostolique et romaine, que le sieur Descartes a toujours constamment profess^e^ et dans laqaeile ii est mort avec toutes ies marques de la vraie pi6t6 que notre religion eiige de cent qui la professent. En foi de quoi nous avons sign^ les pr^sentes et y avons fait apposer noire sceau royal. » D*un autre cAt6, les r^form^s de France et de Hollande tra- vaillaient, non sans succ^s, a envenimer la querelie, et cber- chaient h en lirer parti contre le Goncile deTrente et la foicatho- lique. Witlichius, Glaude,Jurieu, Bayle, la plupart des minis- tres ne manquaient pas de donner raison in Descartes tonchant Tessence de la mati^re, mais aussi en mdme temps k ses adversaires toucbant rincompatibilitd de sa doctrine avec ie Goncile de Trenle. lis proclament les cart^iens vainqueurs comme philosophes, mais vaincus comme catholiques. U est clair, dit Bayle, par Descartes, que T^tendue est Tessence de la mati^re, et il n'est pas moins clair, par le P. Valois, que cette doctrine est incompatible avec la doctrine catholique ; done il est clair que le Goncile de Trente a d^id6 une fans- set6 quand il a parl^ de Tessence r^elle (1).» Jurieu, fort de cette incompalibilite vraie ou pr^tendue, 6l6ve des doutes sur la foi des th^ologiens de Port-Royal attaches k Descartes. Ges malheureux essais de philosophic eucharistique, d*a- pr6s les principes de Descartes, attir^rent sur leurs auteors et sur r^cole tout enti^re de fdcheuses disgraces, et fourni- rent le principal pr^texte d'une veritable persecution contre (1) Preface du Recueil des pihes curieusea pour servir a llmtoire du ear- tesianismr. 451 le cart^sianisme. Desgabels, Le Gallois, Cally, Maignan, d*au(res encore, furenl frapp^s de censure et soumis h des re- tractations. Qaoiqu'ii se filt born6 h d^velopper la premiere explication de Descartes, Rohault fut inqui^t^ sur son lit de mort, et contraint k faire publiqaement une profession de foi catholiqoe. Aussi, au premier rang des propositions car- t^siennes condamn^es, nous verrons Uyujours iigurer celle de r^tendue essentielle, (andis que, par opposition, les acci- dents absolus semblenl devenir le palladium de la foi. Si Ton ne connaissait ce d^bat eucharistique , il serait difficile de comprendre Timportance et la vivacity que ppend toot h coup cette question , en apparence inoffensive, de Tessence de la mati^re. Les th^ologiens durent s*alar- mer de nouveaut^s dangereuses pour la foi el surtout de ceUe pr&teotion de foire passer tou« le^ my^t^ras par te cribie des prineipes de la philosophie de Deaeartes. L*6tat, de concert avec les th6o{<»g{ens, s'alarma aussi de cet esprit dMnnovation et de libre examen qui se r6pan- dait h la suite du cart^ianisme. De Ik une persecution qui 6t UQ certain nombre de confesseurs, sinon de jcnartyrs, de Deseartes el Ae Malebraacbe. Mais, auraot d'en racontor les prtneipaax inddenis, conclnons i'hittotre de oes debate, dans lesquels le cartesianisme a sn tnalheureosement depense tant d' efforts et de subliliies d*esprit, par ces paroles de Seo^que : « Quid boni est nodos operose solvere in quos licuii nan descendere (1) ? » (1) Seller,., de Beneficiis, lib, 5, cap. 12. CHAPITRE XXri. Persecution du cartesianisme en France. -* Decret de la congregation de rindex. — Reflexions d'Amauld sur ce decret. — Defense de la cour de prononcer I'oraison funebre de Descartes. — Ordre verbal du roi declare en 1671 li TUniversite par Tarcheveque dc Paris. — Le Parlement soUknte de renouyeler contre le cartesianisme Tarr^t de 1624. — Arret burlesque de Boileau. — Memoire d'Amauld en faveur de la liberte philosophique. — ' Descartes interdit dans les universites de province comme dans celle de Paris. — Universite d' Angers. — Lettre du roi au recteur. — Appel au parlement de Paris du superieur du college de TOratoire. — Arret dii conseildu roi qui casse I'arret du parlement.— Resistance et exil de Ber- nard Lami.— Universite de Caen. — Cures et profcsseurs cartesiens exiles. —Censures des ordresreligieux.— >Benedictins. — Congregation de Sainto- Genevieve. — Formulaire theologique et philosophique impose a TOratoire par les jesuites. — Le P. Quesnel et les Oratoriens de Mons. — Renouvel- lement a diverses epoques, dans TUniversite de Paris, des avertissements contre les doctrines nouvelles.— Denonciation du P. Yalois a I'assemblec du clerge. — Censure de Huet. — - Conferences cartesiennes intcrdites. — Alarmesdes cartesiens. — Impuissance de cette persecution. Le premier coup por(6 conlre la philosophie de Descartes partit de Rome. Yiogt-trois ans apris la publication du Diicours de la Mithode^ treize ans apr6S Ta morl de Descartes, et lorsque d^ja tons ses ouvrages ^taient depuis longtemps J i 'rM-v^ /^ I.-? i.53 ripandas dans toutes les parties de I'Europe, la congregation de I'lndei s*avise da poison cachd qn'ils contiennent et les condamne avec la formule adoucie du donee corrigantur (I). A en croire Baillet , la congregation ne se serait pas avis^e de cette condamnation , et n'anrait pas plas toache h ses Merits aprfes sa mort que pendant sa vie, sans les intrigues d'un au- tear particulier qui sat adroitement faire glisser ses oovrages dans leor Index (2). Le nom de cet aatear particulier, Ar- nauld nous le donne, c^etait an J^soite, le P^re Fabry. II est impossible d'altaquer plus vivement qu'Amauld Iai-m6me cc roalheureux d6cret , et de relever avec plus de bon sens et d*ironieles contradictions de la congregation del'Index. II ne s'eionne pas« ecrit-il h M. da Yaocel (3j, de ceqa'on lui mande de Naples, que de jeunes fous sontdevenus athees par (i)yoici le texte meme de cetle coudamnation : « SacrsB Indicis congre- gationis decreto damnati , prohibit! , ac respective suspensi fuerunt infra scripti libri, ubicumque et qaocumque idiomate impressi imprimendive. — Nemo cujuscumque grados et eonditionis eos in postemm vel imprlmat, vel legal, vel retineat. Si quis interim habuerit inquisitoribus, seu locorum or- dinariis, a prsesentis decrcti notitia tradat, sub poenis in Indice librorum prohibitorum contentis : libri sunt , Renati Descartes opera sequentia donee corrigantur : De prima philosophia in qua Dei existentia , etc. — Noto! in programma qitoddam sub finem anni 1654 Hn Belgio. editum cum hoc titulo : ExpHceUio mentis humanw sive de anima rationali, ubi expUeeUur quid sit et esse possit. — Epislola ad Petrum Dvnett, societcttis Jesu. — Epistola ad celeberrimtmi virum Gisbertum Voetium. — Passiones anima:. — Ejusdemque auctoris opera philosophica. — In quorum fidcm manu et sigillo Eminent, et Reverend. DD. Gardinalis Ginetti episcopi sabinensis , supradictae congregationis praefecti , prsesens decrctum signatum et muni- turn fuit. Datum Romse in palatio apostolico quirinali , die 20 novembris 1663. » Les censeurs romainsfircnt micax encore en 1722 et mirent h Tin- dex, sans le donee corrigantur , une edition des Meditations de Descartes, d' Amsterdam, 1709. (2) Raillot, torae 2, p. 529. (3) Leltro ft60, tome 3, p, 396 dcs OEuvirs complclcs. 454 la lecture des Geuvres de Gassendi , qui a employ^ lout ce qa'il avail d^esprit ^d^truirece qae Descartes avaiUrottv6de phis fort pour prouver Texbtence de Diea et I'lmmortalil^ de rdme. « N'y a-l-il pas de qiioi admirer cepeodafil le graod jQgemeot de Messieurs les iaquisiteurs de Rome et le grancl service qu'ils rendent k I'Bglise par (ears prohibitions ? Us ont laiss^ toute liberty k ces jeuoes geas de lire Vauteur qui d^ troit » autant qu'il pent , les preuves les plus solides de Texifr- teDce de Dieu et de rimmorlaUl^ de Tdme (car il n'y a aucuD des oavrages de M. Gassendt qui soil daus Tladex), mais il ne iear a pas 6ik permis de lire ceiut qui les aurait persuades de cesv^rittet pour peu qu'ils eussent Tesprit bien fait. » Dans cetie lettre il siguale encore la m6me contradiction 6 propos du placard de Begins, qui soulient que I'dme n'est qu*une modification de la substance corporelle, etde la refutation de Descartes, a Qu'ont fait noscenseurs remains? Us n'onl rien dit du placard , et ils en oni mis la refutation dans llndex , c*esl'*>ii-^liret quails ont permis qu'on avaMt le poison et d^- fendn qu'on prtt Tantidote. II est vrai que c'est donee corri-- gantur. Mais cela ne se pouvant point faire, parce quils ne disent pas ce quMl faut corriger, c*e$l la mdme chose que si un livre etait defendu absolument. i> Les decrets de Messieurs les inquisitieursde Rome n^avaieol pas force de loi en France; n^anmoins, ils conlribuerent ky rendre suspecte la philosophie de Descartes, et fureot comma le signal des defenses et des censures qui s*y succed6rent sans interruption, presque jusqu*a la fin du siede, de la part du conseil du roi , de Tarcbeveque de Paris, des universiies et de la piupart des ordres religteux. Je me borne h rappeler qoe, cette meme ann^e, le nonce de Bruxelles d^nonga le cartesia- nisme k I'universite de Louvain. LMnterdiclion tout i!i coup sur- venue de la part de la cour, au milieu meme de la pompe fun(^bre deSainte-Gencvieve, deprononcerreio^ede Descartes^ 455 fut la premiere marque pablique de defiance contre la philoso- pbie noavelle. A celte m^me ^poqne, tons les candidats anx chaires de philosopfaie 6(aient obliges de faire leurs preiives contre la pr^tendoe nouvelle philosophie el de s*escrinier contre Descartes (l]y ee qui n'mp^che pas que sa pbilosopbiene s*in- troduisedans rUntversit^. I^ preave en est dans eel ordre verbal du roi,qui lui est d^elar^ en 1671 par I'archev^que de Paris, Frangois de Harlay : a Le roi ayant appris que certaines opi- nions que la Facnll^ de (btologie avait censur^es autrefois et que le parlement avait d^fendu d'enseigner ni depublier, se rdpandent pr^seniement^non smiementdans rUniversit^, mats aassi dans le reste de eelle ville et dans quelques aulres du royaume, soil par des Grangers, soil pardes gensdu dedans, voulant emp^cher leconrs de cetle opinion qui pourrait por- ter quelques confusions dans Texplication de nos mystires, pouss^ de son z6ie et de sa pi^t^ ordinaire, il oi'a com- mand^ de vous dire ses intentions. Le roi vous exhorte, Mes- sieurs, de faire en sorle que Ton n^enseigne point dans lesUni-- versit^s d'aulre doctrine que celle qui est port^e par les r^glements et les statu tsde rOniversil^, et que Ton n^en meltc rien dans les Ibises, et laisse k votre prudence et k votre sage condoite de prendre les voies nieessaires pour cela (2). » (1) La chaire de philosophie du college royal etanl devenue vacante en 1669, voici les sujets donnes a trailer oralemcnt a quatre candidats admis fi la disputer : De immortalitate, de motu , de prcestantia philosophies peripa- tettccn, et cnfin contre la pretend ue nouvelle philosophie de M. Descartes, qui dieius eat magis inditUisse novitcUi quam veritati. (Guy Patin, Lettres, Paris, 21 octobrc 1669) . (2) J'extrais ce texte et la plupart des autres censures de la philosophie de Descartes d'un petit in-12 (Paris, 1705) intitule : Qaosdam recentiorum philosophorum ac prassertim Cartesii propositiones damnatce et prohibitce. La plupart de ces faits ont ete deja signalcs dans I'interessant Memoire dc M. Cousin sur la pcrsecutioii du cartesianisme. 456 Toutes les Facult^s, la Faculty de th^ologieen t6(e, s'empres- sent d'ob^ir et de protester de leur z61e pour la prohibition dea opinions nonvelles. La Faculty de mMecinene semontre pas moins z^l^e que celle de thdoiogie, et, consalt^e en 1673 par TAcadftmie de m^decine de Reims sur la question de saToir si on devait discnter one th^se empreinte de cart^sia- nisme, elle fait cette r^ponse consign^ dans ses actes, qn'il ne faut pas en sonffrir la discussion et quMi faut se soumetlre respectueusement a I'arr^t du roi (1). Non contents de cet ordre verbal, les adversaires da cartdsianisme venlenl faire renouveler, par le parlemenl, Tarrdt de 1624, dont il a d6j^ ^t6 question dans cette his- toire, ou en provoquer un noureau, portant interdiction absolue centre les opinions cart^siennes , sous les peines les plus graves, dans toute T^tendue du royaume. L'Univer- sit6 pr^parait d^jii sa requite au parlemenl, afin d'interdire Descartes et de maintenir Aristote; et le premier president, La- moignon,s'entretenantfamiIi6rementavecBoileatt,avaitmtoc dit qu'il ne pourrait se dispenser de rendre un arr^t conforme a la requ6te de TUniversitd. L^-rdessus Boileau, en compagnie de Bernier et de Hacine, imagine de parodier h Tavance ce ridicule arr6t dans un arr^t burlesque qui fnl mis sous les yeux de Lamoignon. Gelte spirituelle satire 6lait dirig^e, non settlement centre les philosophes, mais aussi centre les m6- decins scholastiques qui ne voulaient entendre parler ni du quinquina, nidela circulation du sang, centre tous lesaveu- gles et fanatiques adversaires des opinions nouvelles. L'arr^t estdonn^ en faveurdes mattres-^-arts, mddecins et profes- seurs de TUniversit^ pour le maintien de la doctrine d'Ari- stote (2) , et il bannit ^ perp^tutt^ la raison des ^coles de rUniversitd. Sachons gr6 i Boileau et k Racine de cette pi- ll) Qwedam recpntm*um. etc. (2) nKwTM rfe Boileau, cd. do Saint-Marc, tonic III, p. 'i3. — L'arrcl bur- 457 quante raillerie en favear de Descartes et de la raison. D'apr6s une note de Saint-Marc (I), non sealemeni elle aurait fait rire Icsque ct Thistoirc de sa composition se trouve aussi dans les Memoires sui^ la vie de Jean Racine, par son fils. En voici quelques passages : « Vu par la cour la reqadte presentee par les regents, maitres-es-arts, docteurs et profes- seors de rUniversite, tant en leur nom que comme tuteurs et defenseurs de la doctrine de maitre Aristote, ancien professeur royal en grec dans le college du Lycee, et preccpteur du feu roi de querelleuse memoire, Alexandre dit le Grand, acquereur de I'Asie, Europe, Afrique et autres lieux, contenant que, depuis quelques annees, une inconnue, nommee la Raison, aurait entrcpris d'entrer par force dans les ecoles de ladite Universite , et pour cet e£fet , a I'aide de certains quidams factieux prenantles surnoms factieuxde cartesiens, nottveaux philosophcs, circulateurs et gassendistes , gens sans aveu , se se- rait mise en etat d'en expulscr Aristotc , ancien et paisible possesseur des- dites ecoles... Voulant assujettir ledit Aristote asubir devant elle Texamen de sa doctrine, ce qui serait directement oppose aux lois , us et coutumes de ladite Universite, ou ledit Aristotc aurait toujours ete reconnu pour juge sans appel et non comptable de ses opinions... et, non contente de cela, aurait entrepris de difhmer et de bannir des ecoles de philosophie les fonnalites, materialites, entites, identites, virtualites, ecceites, petreites, polycarpeites et autres etres imaginaires, tons enfants et ayant-cause de defunt maitre Jean Scotleurpere, ce qui causerait un prejudice notable, et causeraitla totale sub- version de la philosophie scholastique dont elles sont tout le mystere , et dont elle tire toute sa subsistancc , s*il n'y ^tait par la Cour pourvu. ... La Cour a maintenu et garde, maintient et garde Aristote en pleine ct paisible possession et jouissance desdites ecoles ; ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigne par les regents, docteurs, maitres-es-arts et professeurs en la- dite Universite, sans que pour cela ils soicnt obliges de le lire ou de savoir sa langueet ses sentiments; remet les entites, identites, etc., en leur bonne fame... bannit a perpetuite la Raison des ecoles de ladite Universite, lui fait defense d*y entrer , troubler ni inquieter ledit Aristote en la possession et jouissance d'icelles , k peine d'etre declaree janscniste et amie des nou- veautes.)) La requetc de TUnivcrsite, qui nc parut point , fut aussi toumee en ridi- cule par Rernier , k I'imitation do Tarret burlesque. Gette requetc burles- que se trouve dans le Menagiana, tome 4 , p. 27 f, ed. de 1715. (t) CEuvres de Boiieau, tome 3, p. 43. &58 ie president Lamoignon , mais plasieurs fois il aurait avoue k Boileaa qu'elieTavait emp^h^ de rendre un autre arr^t qui aurait fait rire tout le monde. Boileau lui-m^me, it la fiu de son Discours sur VOde^ n'h^site pas h attribuer h I'arr^l bur- lesque cet effet heureux d'avoir forc6 rUoiversit^ k suppri- mer sa requite el pri^venu une oondamnation du parte- men!; il cite ces vers d* Horace : Ridiculum acri Fortius ac melius magnas plerumque secat res. Mais il est permis de croire que Tarr^t burlesque n'en eut pas seul lout Phonneur. II faut faire la part des sympathies que rencontrail, dans le parlement, la philosophie de Descartes, el dcs excellentes raisons conteoues dans un M^moire qui lui All adress^t h cette m^me occasion , avec ce litre : Plusieurs raisoni pour fftnptcher la cemure ou condamnation de la philosophie de Descartes. Ge qui augmente encore pour nous rintirdt de ce M6moire, c'est que nous savons aujourd^hui , gr&ce k M. Cousin , quMI est en effet d'Arnauld , dont k Ta- vance il paraissail digne par la force du style el des peos6es(l). II traite d*abord cenx qui sollicitent cei arr^l de person- nes pen connnes pour ^tre des amis de la paix, el qui cber- chenl h renouveler les brouilleries. 11 serail impossible que cet arrdl n*en produistl pas, quand ce ne serail pas leur dessein, car il ne changera pas d'un coup Topinion des hommes qui ne secroient obliges de soumettre leur jugement k Tautorit^ (1) i( Nous avons , dit M. Cousin dans unc note, retrouve ce Menioirc attribue positivemcnt a Arnauld ct date de 1679 dans un manuscrit de la Bibliotheque royaie. » {Fragments de philosophie cartS^ienne, seance d'unc societe cartesienne.) 459 qa'en maU^Fe de foi. L'hisloire prouve que, par aacune loi , OQ ne peat contraindre les hommes a adopter telle philoso^ phie pluidt qae telle aatre et que, quand on le tente, on ne fait que commettre Tautorit^ de I'^glise et des magistrats. Arnauld en donne comroe preuve tout le fivre curieux dc de LauDojf De t^aria Arisioielis fortuna, T^dit qui parafi aujourd*hni si ridicule de Louis XI centre les nominaux^ el enfln ce fameux Mil, de 1634, interdisant, ^ peine dc vie, les opinions noovelles, iequel n'emp^cha pas Gassendi de pu- blier la in^nie ann^e ses ExereitatiofUB adversus Aristot$leos. Ge qu'on pretend faire aujonrd'hui ne peui qu'6tre pr^udi- eiable k la religion^ en donnant k penser qu'une doctrine tr6s-ripaDdnepermiles catholiques roinerEucharistie.Sera- ce done une raison de ne pas la condamner, si, en effet , elle ne s'acoorde pas avec la foi ? Mais autant, suivanl Arnauld^ en pourra-*t-on dire de toote philosophie, parce que, dans les bornes de la raison, toute phiiosophie pr^sentera toojoarsdes diiBcultte qua sembleront dioquer la foi des mystires. Aris-- totOt pas phis que Descartes, ne pent se concilier avec la foi qu'autant qn'on ne s'arrdte pas h ces difficnlt^s, et qu*on re- connaisse que la raison natareile ne peut rien faire conceroir de toutes ces choses, lesquelles nous parattraient impossibles, si nous ne oonsid^rions la puissance infinie de Dieu, qui lui per*- met de faire ce que notre raison ne saurait comprendre. Hors ce principe, noHe philosophie ne peut s'acoorder avec la foi ; avec ce principe, il n'y en a point de raisonnable qn'on n'y puisse accorder. L'arr^t de 1624, qu'il s'agit de renomeler, ne s'appliqoe k la philosophie de Descartes, qu'en tant qu'il oblige h conserver les formes substantielles* Or, les formes sobstantielles, non spirituelles, sont abandonnies ou combat- tues m6me par les partisans de Tancienne philosophie , teis que le Minime Maignan et les Pires Jtenites Bapin et Fabry. Enfin, la derni6re raison el la phivS convaincante, c'est qn'll 460 n*y a nal inconvenient h laisser les choscs comme elies sont, depuis tanl d^ann^es , el qu'il y en a ioujonrs bien davan* lage ^ remuer les sujeis de contestations et de disputes , et ^ donner occasion i ceux qai ne veulenl que brouil- ler. Mais, quoique le parlement eill fait d^faul aux adversaires fanatiqaesde la philosophic nouvelle, la persteution conire le cart^sianisme ne s'ttendit pas moins de rUnifersit^ de Paris aux Universit^s des provinces, soit par la transmission directe d'ordres du roi , soit par un empressement spontao^ k faire preave de z61e et h imiler Texemple de celle de Paris. Entre loutes les Universit^s de province,celle d' Angers s'^tait signal^ par renseignemenl cart^sien de qaelqoes-ans de ses profes- seurs. L'Oratoire avaita Angers un de ses plus importaots col- leges ;cW lit qu'Andre Martin, auteur d'une PAtfosopAia Christiana J sous le pseudonyme d* Ambrosius Victor, avait, un des premiers, profess^ le cariesianisme; c'est \k que le professait plus hardimenl encore Bernard Lami , qui lui avail succ^de dans la m6me chaire, el en6n le principal Goquery ne mon- Irait pas moins de ikle pour les opinions nouvclles. Yoici la leltre du roi adressie en 1675, aurecleurderuniversiied'An- gers : c< Nous avons ete depuis peu inform^ que, dans Tuni- versite de noire ville d* Angers, on enseignail les opinions et les sentiments de Descartes, el , comme dans la suite, cela pourrait causer k noire royaume quelque disordre , nous vous faisons celte leltre, pour vous manderel ordonner Ir6s-expre8sement, d'empdcher et faire defenses de noire part , aux professeurs de ladile Universiie , de continuer de faire lesdites legons en quelque sorte et mani^re que ce soil , tout ainsi qu'a fail par nos ordres en TUniversiie de Paris le recleur d'icelle, vous assurant que vous ferez chose qui nous sera d*9Ulani plus agreablede vous conformer k noire intention, qu'elle regarde le bien de noire service el celui du public. N*y failes done pas 461 faute, i peine de d^sob^issance, car lei est noire bon plai- sir (1). » A la reception de eel ordre, toQle TUniversil^ se r^anit el dteide que la letlre sera mise dans ses archives , qae tous les principaux de collie , lous les professeors de philosophie de rOraloire , teas les prieurs des monasl^res serojnl eonvoqu^s ponr les faire soascrire aux conclusions de TUniversil^ , que toates les ibises el lous les cahiers de philosophie seront sou- mis k la censure d'une commission de dipuli^s de rUniversili. Le principal du college d*Anjou, Goquery, seul risiste ; il ose se porler opposanl el en appeler au parlemenl de Paris conlre Tarrdl de runiversili d'Angers , dont sans doule il dic^inail la juridiclion. Le parlemenl, qui n^avail pas voulu rendre conlre le carlftsianisme Tarr^l de proscriplion qu'on lui demandail , fil droll a Tappet de ce courageux Oralorien, il cassa Tarrdl de runiversilS d* Angers el la manda d sa barre. L^opposilion de Goquery en favour de Descarles par devanl le parlemenl de Paris el le sncc6s de celle opposition consliluenl sans conlre- dil un des plus inliressants Episodes de la persecution du car- tteianisme. Mais ce succes ne pouvait dire de longue durie ; en condamnant runiversili d'Angers, le parlemenl faisait de Topposilion au roi lui-m6me, par Tordre duquel elle avail proscrit Descartes. Aussi , le 2 aoill 1675 , intervient un arr6l du conseil du roi qui met au n^anl I'opposilion de Go- query,casserarrdt du parlemenl, etordonnede nonveauau rec- leur d Vmp6cher qn'il ne soil enseigni aucune opinion fondle sur les principes de Descarles (2). Un arrdl aussi solennel el ex- (1) Qticedam recenttorum philosophorum ac prcesef^tim Cartesii opinUmes damnatcB, etc. (2) Cet arrSt est cite par M. Cousin dans son Memoir e sur la persecution dtt cnrtesia/nitme, \\ est intitule : Arret du Conseil d'etat du Roi qui confirme la condamnation du cartesianismc et qui ordonne aux Peres de TOratoire 4G2 plicite porle poor quelque temps le coop de grAce au carl6~ sianisme dans I'enseignement. Cependant Bernard Lami continnaii h Angers d*enseigner Descartes , sans autre precaution que de dissimuler plus ou moins bien ses opinions sous le nom et la forme de celles d'A- ristote, ce qui lui attire une nouTelleinjonclion^dela part du recteur et des commissaires, de revenir h la philosophie de r£cole et de renoncer h sa doctrine , « laquelle nous, recteur et commissaires ci-apr6s nomm^s, nous condamnons conjoin* tement comme contraire ^ la declaration du roi et conforme h la doctrine dudit Descartes (1). » Pour prfefenir les conse- quences tdcheuses de Popinidtrete de Goquery et de Lami pour I'Ordre tout entier, les chefs de POratoire interviennent , lis invitent Coquery h se soumettre et bldment sevirement la conduite de Lami : « S*il n'y allait , disent-ils , que de son honneur et de son repos , on pourrati prendre patience ; mais dc se soumettre aux conchisions de I'lisiyersite d' Angers , en conseqtiencc do Tordre du roi. £n voiei les ceoclusioBS : « Sa Ahjeste a caste oi casee ensemble tout ce qui s'en est suivi, a decharge et dechargc ledit recteur de ladite universite d'Angers et tous autres de I'assignation a eux donnee audit parlemeut de Paris, en consequence dudit arret ; ce faisant sa dite Majeste a ordonne et ordonne que dans qoinzaine du jour de la signification qui sera faite du present arret, tant au superiear et au principal du college d'Anjou qu'a tens autres que besoing sera, ils seronft tenus de sovicrire a ladite conclusion et deliberation , pour etre executee aelon sa forme ct tcneur, dont le recteur de ladite universite ccrtifiera sadite Majeste , la- quelle lui ordonne d*abondant d'empecher qu*il ne soit enseigne et soutenu aucunes opinions fondees sur les principes de Descartes et fait tres ex- presses defenses au dit parlement de Paris de passer outre sur ledit appel, etc. — Du 2 aout 1675, VersaUles. Signe, Daligre. » (1) Voir la prefece de Touyrage anonymc, La philosophie de If. S>eMcartes comtraire a la foi eathoUque, ou soBt rapportees les diverses candamnaiioDs on censures dent cctte philosophie a ete Tobjet. 463 il y va de celui de toule notre congr^ation, que noos sommes obliges de conserver selon tout notre poavoir , et pour y Ira- vailler de la bonne maniire , nous voos supplions de ne point sonSHr qu*il enseigneles opinions de Descartes , quelque ex- plication qu'il pr^t^nde y donner...NoQs aimons mieox voir sa classe tout-a-fait abandonn^e de mattre et d'^coiiers qne de souffrir que toule noire congregation soil humili^e danstoute la France par I'opinidtret^ et la rebellion d'un parlicolier (1).» Enfin, dans son propreint^r^t et dans celui de la congregation, pour emp^cher les choses d'aller plus loin, itsse d^cident h le frapper eux-memes , ils le snspendent de sa chaire et I'exi- lent h Satnl-Marlin-de-Misere en Dauphin^ , « sans qu'il puisse etre employ^ b la r^gence ni h la predicatiofi (2). » L'unifersite de Caen , qui , selon BayJe , etait nne des plus florissantes du royaume pour la philosophic , apris ceile de Paris ^ se prononce bient6t apr^s, de la nu^me maniire que celle d'Angers , centre Descartes. Un dicrlBt delaFacuUe de theologie , de 1677 , interdit Tesperance d*aucun grade datis la Faculty 5 qulcooque estentach^de cartesianisme, et defend k tous ceux qui i^h en font partiede Tenseignerde vive volt ou par ecrit, sous peine de perdre leurs privileges et leurs degres (3). A Caen , de mdnie qn*h Angers , il y eut aussi , k la suite de ces arrets , des suspensions , des exBs centre cem qui continuereni k montrer de Tattachement pour Descartes. Plusieurs professeurs de TUniversite, et meme des cures de la (1) La pkilosophie de If. Descartes, etc. (2) Nqus revicndrons sur Bernard Lami dans Thistoire de la philosophie de Malebranche. (3) Declaramus principia philosophic^ Renati Descartes saniori theologo- rum doctrinse contraria nobis videri, et perpetuo decreto statuimus neminem eorum qui ilia sustinere aut defendcre voluerint, ad uUumhujus sacrse Facul- tatis gradum esse dcinceps admittendum , etc. [QwBdam recentiorum, ^c). 464 ville » furent exiles oa obliges de se r^lracler, poursuivis sous la doable accusation de carlteianisme et de jans6nisme (1). Nous citerons Gaily , ancien recteur de TUniversil^ , profes- seur d'^loquence , cur6 d'une des paroisses de la ville, qui ful censure par T^v^ue de Bayeux , oblige k une amende hono- rable et exil6 pour une explication cart^sienne de rEucba- rlslie (2). De m^me que les Universitis , lapluparC des ordres reli- gieux enseignants , et surtout, les plus suspects de cartisia- nisme, prononcireot, pour d^tourner I'oraget des censures et des interdictions centre la philosophie de Descartes. En 1675 les P^res B^n^dictins de la congregation de Sainl-Manr d^ci- dent que les P^res visiteurs avertiront ceux de leurs confreres qui se deslinent h renseignement de la thtologie ou de la phi- losopbie: port da jans^nisme et du cart^ianislme , la congregation de l*Oratoire dut faire encore davantage pour d^tourner Torage qui la menagait et sauver ses colleges. En vain avait-elle abandonn^ ceux des siens qui s'^laient compromis pour Des- cartes , en vain dans un ordre h ses colleges de 1675 avail- elle interdil d'une maniire absolue le cart6sianisme, « lequel pourrait occasionner quelque d^sordre dans ie royaume , ce que le roi veut pr6venir pour le bien de son service ; » Tar- chev^que de Paris el les j^suites, ses implacablesadversaires, eiigirent encore d^elle cette supreme humiliation , d'accep- (er de leurs mains et de voter en assembi^e g^n^rale un for- mulaire thtologique et philosophique par lequel ils reniaient solennellement leurs decisions ant^rieures, leur drapeau phi- losophique et religieux pour passer sous le joug des auleurs el des doctrines des j^suites. Intimid^e par la menace d'une mine complete , Tassembl^e g^n^rale de fOratoire de 1678 adopte un concordat avec les j^suites dans lequel j central- rement h Tesprit de son instilution et a une decision de Tassembl^e pr^cMente, elle efface de ses statuls la prefe- rence pour saint Augustin et saint Thomas , sous le pretexte roenteur de rendre k quelques particuliers une liberie qu*ils ne cherchaient pas , et en meme temps enjoint de regarder avec estime et respect ceux qui se seront attaches ft des sen- timents contraires , c'esl-ii-dire Molina et ses disciples. Si la congregation de I'Oratoire est contrainle d^abandonner saint t (1) Qticednm rpceiitiorum, i'iv. I. 30 I 466 AugusUn, a plufi forte raison Descarles. En effel, dansce m^tm formi^laire il est dit que Ton v^ doit point s'dolgper de la physique d'Arislote, que Too doit enseiguer ; l"" que rextensioD actuelle et eil^rieure n'est polQl de ^essence de la maliire ; 2^ qu'en chaque corps nalarel il y a une forme subslanlielle r^ellement distingu^e dQ la maiiire ; 3^ qu'il y a des accidents r^els et absolus inh^r^nts h leur aujet, r^elle^ ment distingu^s de toute autre substance, et qui peuvent ^tre surnalurellement sans aucun sujet ; k"" que Y&me est r^^lle- menl pr^sente et unie i'tout le corps et h Louies les parlies du corps; 5f^ que la pensi&e et la connaissance ne sont pas de Tessence de Tdme raispnnable ; 6^ qu'il n'y a aucune-rdim- gnauce que Dieu puisse produire plusieurs mondes en indme temps ; 7"^ que le vide n^est pa^ impossible. Eufin on s*eiiga- geait encore k abr^ger la morale , h en traiter en philoso- phes et non en th^ologiens (1). La cour exigea. que ee for- mulaire filt transcrit sur les liyres de visile de chaque mai- son , et sign6 par tons ceux qui les composaienl. Plutdt que derenier leurs pr^dilecfions thtologiques oq phi- losophiquesetde subir un jougsi honteux de la part des J^uiles, plusieurs membres les plus distingu^s de TOratoire aim^rent mieux sortir de la congregation (2).Je citerai les PP. Duguet et Quesnel,quiquitterenten m^me temps la France et all6rent rejoindre Arnauld h Bruxelles. Quesnelfit ses adieux h sa con- gregation et h la France par une letlre d'une grande vivacity : « Pourquoi, disait-il, m'engagerais-je ^ renoncer h la raison, h revidence, h ma liberty , si je Irouve les opinions de Descartes (1) Voir ce Concordat dans le Recueil de Bayle , avec les reiiiarques dont il est accompagne. (2) Voir la Notice sur Sainte-Marthe, superieur de I'Oratoirc, I la suite dc la Vie du cardinal de Birulle, par le P. Tabaraud. 467 meilleures que les autresen philcsophie ?» Sous son influenoe, les Oratoriens de Qfons reftis&rent aussi de signer le formu- laire; lis disent dans leur protestation : « Nous Toulons ^e libres ; s*il se trouve des regents pour eoseigner & ces concfi- tions , qu'ih en usent eomme its I'entendront. Mais oUiger des pr^lres , appliques h tout autre chose , 4'asser^r tear K- bert6 et lenr raison sous un joug si ridicule, c'est dishonorer la raison humaine el la dignity de TMat sacerdolal (1). » A ces dures conditions VOratoire put continuer d'«xls(er et garder ses colleges. 11 pa rati que tous ces ordres du roi n'avaient pas sufS poor preserver entierement TuniversltS de Paris de la contagion des doctrines nouvelles. Du moins y voyops-nous encore ptos tard, h difi^rentes reprises , se renouireler les ayertissements €t tes diScisions pour le maintien des anclennes doctrines. Ainsi, en 1691 , le recteur et les professeurs 4e philosophie de r€iea- dSmie de Paris se r^unissent d*ffpr6s nn nouvel'ordre 4u roi , qui lenr est encore commoniquS par rardiev^qoe de Paris , pour condamner plusieurs propositions pr^temtues exlraites des terits de quelques professeurs de riJniversi4 comma Descartes, la seule r^forme qu'elle ait en vue est celle de Tesprit et du coBur ; Thomme qu^elle ^tudie n'est pas I'homme en society, ni sous tel ou tel gouvernement , mais Thomme en lui-mi^me, Thorn me de tons les temps et de tons les lieux , Thomme, en un mot , de la m^taphysique. Si la litt^rature du XYIP si6cle est r^servee ^ regard de la politique , plus encore Test-elle k regard de la foi et de la thtologie. Elle observe scrupuleusement la distinction des I v^rilSs de la raison etde la foi. Mais autanl, dans Tordre de i la foi , elle se montre respectueuse et soumise, autant , dans X celui de la science etde la raison, elle se montre libre et in- d^pendante. A la suite de Descartes, elle pousse m^me cette .ind^pendance jusqu*^ un injuste m^pris des anciens. Au-des- sous des grands 6crivains et des grands pontes qui ne cessment pas d'admirer les anciens et de les prendre pour modules dans reioquenceetdansia po^sie, tout en leur pr^f^rant les moder- nes pour la philosophie et la physique, il y eut des hommes de beaucoup d'esprit, mais depeu de godt« qui ^tendirent aux orateurs et aux pontes, et jusque sur Hom^re, le m^pris pour Aristoteet pour sa scholastique. Tels furent la plupart des 481 d^fenseurs des modernes dans ]a fameuse querelie des anciens et des modernes. G'estici lelieud^en monlrerle rapport aveclecart^sianisme, eldemetlre enlumi^re Torigine cart^sienne de la doctrine de la perfeclibiUtA- P^j^9 d^i3sl)^sc^>*^^s ^^ Malebranche, on trouve la trace de ce dMain, non seulemenl pour les phllosophes, mais pour les oratears et les pontes de Tantiquit^ , qui a si fort discredits les Perrault et les Lamotte. Nous avons vu Descartes hautement professer son peu d'estime du grec et da latin , nous verrons Malebranche pousser le dMain de Rome et d^AthSnes, des langues, de I'histoire et de la poSsie, jusqu'ik dire que ce serait un bien petit malheur, si le feu venait k briiler, non seulement tons les philosophes, mais en- core tons les pofetes anciqns (1). Parle-t-il d'Homfere, il n'en parte gu6re plus rSvSrencieusement que Perrault ou Lamotte. « HomSre, dit-il, dans la preface de la Recherche de la viriU, qui lone son h6ros d'etre vite a la course, edt pu s'aper- cevoir, s'il edt voulu, que c'est la louange que Ton doit donner auxchevauxet aux chiensde cbasse. » Ayonsde Tindnlgence pour ce dSfaut de justice et de goilt du cartSsianisme au re- gard de TantiquitS, car cefut la suite, h peu pr6s inevitable, de toute reaction, et en mSme temps la condition du develop- pement de TidSe de la perfectibility. II etait difficile que Tanti- quite tout enti^re ne ressentit pas le contre-coup de la chute d' Aristote, et que les dSfenseurs de la superiority des modernes ne fussent pas uu peu semblables, suivant la comparaison de La Bruyire, h ces enfanis drus et forls d'un bon lait qu ils ont suce,qui battent leur nourrice. Mais, en mSme (emps que ce mSpris de Tantiquiie, nous •escartes en latin et d*apres des frag- ments manuscrits : « Non est quod antiquis multum tribuamus propter antiquitatem, sed nos potius iis seniores dicendi. Jam enim senior est mun- dusquam tunc, majoremque habemus rerum experientiam. » Vie de Descartes^ liv. 8, chap. 10. (!^) Recherche de la virite, 2« livre. 483 toajours M les plus savanls, par cette raisoo que le norobre des Slides augmente la corruption g6n6rale de la nature hn- maine et avec ellls Taveuglement de la ralson naturelle. SI cela ^tait, il ftiudrait qu^il y edt, avanl le deluge, de plus babiles mftdecins, de plus savants g^mitres qu*Hippocrate, Archi- m6de et Pfolim^e. N'est-il done pas visible, au contraire> que les sciences bumaines se perfectionnent par le temps? Je ne daigne pas m'^tendre 1^-dessus Mais ce sont plutdl ces grands hommes de Tantiquitd pafenne qui ne sont nullement comparables , au regard des sciences naturelles, desquelles seules il s'agit ici, aux grands hommes de ces derniers temps C'est done parler en Tair et parune prevention tout k fait d^raisonnable que de pr^tendre que les philosopbes modernes ne sont pas comparables h ceux de Tantiquite (1). » Gomroe Arnauld , Nicole croit au perfectionnement successif dela raison. Aprfes avoir montr^, pour combatire le sentiment de reternite da monde, que tontesles inventions des hommes sentent la nouveaute ei dSsavouent r^ternit^, et qu'il n*y a point d'historien qui remonte au-delb de quatre milleans, il ajoule : « On voit depuis ce temps un progrisperp^tuel dn monde pareil h celui d'un homme qui sort de Tenfance et qui passe par les autres dges (2). » La Bruyire pr^sente la m^me pens^e sous la forme la plus piquante et la plus origi- nate : (c Si le monde dure seulemenl cent millions d'ann^es, il est encore dans toute sa fratcheur et ne fait presque que de commencer ; nous^mdmes nous touchons aux premiers hommes ei aux patriarches, et qui pourra ne pas nous con- (1) Examen d*un traitc de V essence des corps, ioipe 38 des QEuvrcs com- pletes. (2) IHicours contenant en abrege les preuves de VexUtenee de Dieu. et d9 VinmortaHU de VAme. fondre avec eux dans des si^cles si recalls ? Mais si I'on juge par lepass^ de Vavenir, quelles choses noavelles soot incon- nues dans ]es arts, dans les sciences et dans la nature, et j'dse dire dans I'histoire 1 Quelles d^couvertes ne fera-t-on point ! Quelles diff^rentes revolutions ne doivent pas arriver sur toute la face de la terre, dans les ^tats et les empires ! Quelle igno- rance est la n6tre, et quelle l^g^re experience est celle de cinq ou six mille ans ! » Ainsi, comme contempteurs de Tantiquite, comme d^fen- seurs de la superioriie universelle des modernes sur les an- ciens, Perrault, Lamotte, Fonlenelle, Terrasson reinvent de Descartes et de sor> ^cole , et la querelle des anciens et des modernes ful excit^e par Tesprit m^me du cartesianisme.Je ne m'attache qu^au c6ii s^rieux et philosophique de la que- relle, je ne m'arreterai pas au defaut de gotit , de sentiment poetique et d'^rudition , tant de fois et si justement reproche aux partisans des modernes. Comme contempteurs d'Hom&re, comme detracteurs aveugles et ridicules des chefs-d'ceuvre d* Ath^nes et de Rome, je les abandonne de bon CGeur h La Fon- taine, k Boileau, Racine, La Bruy6re et m^me h M^^^Dacier; mais, au milieu de toutes leurs erreurs et de lous leurs ridi- cules, il y a une grande v^rite, celle de la perfectibility, dont ils sont les interpr^tes, dont les premiers ilscherchent lafor- mule et la demonstration et dont je revendique Thonneur pour la philosophie de Descartes. Charles Perrault qui , le premier, entre hardiment en lice pour soutenir la superiority universelle des modernes sur les anciens, dans les lettres et les beaux arts, comme dans la phy- sique et les mathematiques, est, sauf quelqnes reserves, un disciple de Descartes. Le cartesianisme est un de ses argu- ments en favour de la perfectibilite. II proclame Tincompa- rable superioriie de Descartes sur Aristote et tous les philo- sophes anciens , et s*il critique quelques principes de sa m^laphysique et surlout I'automatisme, qai lui paralt de Irop dure digestion , il est entiirement cartisien pour la physique, et il declare ne pas comprendre qu'on puisse expliquer les ph6- D0in6nes aatrement que d'une maulfere m^canique (1). II d6- veloppe beureusemeot (2) la comparaison, d^j^ ancienne, de la vie de Thumanit^ avec celle de Tindividu qui crott et se per- fectionne h mesurequ'il avaoce en dge. « Figurons-nous, di(- ii, que la nature huroaine n'est qu^un seul homme, cet bomme aurait dii enfant dans I'enfance du monde, adolescent dans son adolescence, homme parfait dans la force de son dge. Nos premiers peres ne doivent-ils done pas 6tre regard^s comme les enfants et nous comme les vieillards et les v6ri- tablesanciensdumonde?» II eiplique ensuile ing^nieusement la prevention nniverselle ou I'on^est , que ceux qu'on nomme anelens sonl plus habiles que leurs successeurs , par Thabi- tude qa'ont les enfants de voir que leurs p6res et leurs grands- p^res ont plus de science qu'eut , d'ou ils s'imaginenl que leurs bisaleuls en avaient encore bien davanlage. Ainsi, at- tache-t-on insensiblement k Tdge Tid^e d*une science et d'une capacity d'autant plus grande qu'on remonte k des temps plus recalls. Gependantsi Tavantage des p^res sur les enfants Gonsiste uniquement dans Texp^rience , n'est-il pas Evident que celle des bommes qui viennent les derniersau monde doit etre plus grande que celle des hommcs qui les ont devanc(^s, car ils ont comme recueilli la succession de leurs pr^d^cesseurs, en y ajoutant de nouvelles acquisitions par leur travail et leur etude? Perraull ne se borne pas h affirmer Texistencedecette loi de perfeclionnement de Thuroanite, il entreprend de la de- montrerparun parall^le des sciences, des arts m^caniques et de Tindustrie, des mceurs, des beaux arts, des lettres e( de la (1) Voir Ic 5*5 Dialogue tin VaraUelc des anciciis et des modcrnes. (2) I" Dialogue. 486 .po^sie, chez les anciens el chez les modernes. Oiez la po^sie, r^loqoence et les beam arts, Perrault, en tool le resle, d6- montre parfaitement la pr£6mineDce des moderaes sar les aoGiens. II faudrait eocore lui donner raisoD, s^il se boroait ^ pr^tendre qae la nature a pu produire , dans noire temps , d'aussi beaux g^nies que dans Tantiquit^, et que les orateors et les pontes modernes peuvent ^aler les anciens. Sans doute ils peuvent les 6galer, m^me les surpasser^mais ils ne les sur- passent pas n^cessairement , suivant la th^se de PerrauU et de Lamotte, par cela seul qu ils sont venus aprB de Glauherg : « Apris les tivres divins, il n*en est point que j'estime davantage que €m% de riiiustre Descartes. » Dans undiscoorsi^iliminaireadress^ iiceiixqui ^tudient la philos<^ie de Descartes, illouesur lout cette pbilo- sophie de ne reposer que snr T^videiiee. Puis viennent d'aur- trjes discours g^n^raui: sur la mitapbysique, la Ih^oi^gfe naturelle etia logique des p^ripat^ticieos. La iogique deDes<- cartes est expose dans un traits k pari, ou sont rassembl^s tous les prftceptes relatj& ji la m6thode, r^andcM dans les di^ vers ouvrages de Descartes, 9t prif^ctpalement dans le Dis- cotif^ de la MHhode. Disppsj lions pour F^tude des sciencei, riigles pour les appreodre, moy^s pour s'y avancer, teUes sont les trois classes dans lesqueljes il le^divise. II ne fait que reproduire et extraire Descartes^ ^t je n'appelle railienUon sur cet auteuf ignor^, que comme sur un des premiers fiar- t^siens frangais qui aient 6crit en faveur de la pbilosophie nouvelle. Pour la science de Descartes, je ipets au-dessus de Gler- selier et de Du Roure le P. Poisspo p de rOratoiris, qui fiit aussi un des premiers k r^pandre l^s doctriqjss d6 Des- cartes en France et dans son Ordre. Math^maticien et philo- sophe, il servit ^galement la physique et la m^Capbysique cart^siennes (1). En 1668, il publia une traduction francaise du TraiU de la Mieanique de Descartes, suivi de VAbrigi de mmique avec des ^claircissements (2), et (rois ann^es plus (1) Entre k I'Oratoire en 1660, k I'age de 23 ans, le P. Poisson mourut en 1710 k Lyon, d^s la ^uuson de TOratoire. (2) Paris, 1,668, ifiL>4o. M. .Gamier, da^s $on ediiiondes OBuvres philoso- phiques de Descartes , a public un fragment de la traduction de VAbrSge de musique. 496 lard, un comment&ire exact et judicieax da Diseours de la MSlhode (1). Le P. Poisson ne m^le pas, comroe plusieurs de ses confreres de TOratoire, Descartes avec saint Auguslin, ii s'en lient Si Descartes lui-m^me. Ge n'^tait qu'un essai da commenlaire g^o^ral quMl se proposal! de faire de tootes les oeavres de Descartes, et aoquel il renon^a par crainte de compromettre davantage sa congregation, inqai^t^e et suspecle h cause de son attachement h la philosophie de Descartes. Pour la m4me raison, sans doute, il rtsista aax instances de la reine de SuMe et de Clerselier, qai Tinvitaieut ^ dcrire la vie de Descartes, et mettaient k sa disposition les mat^riaux n^cessaires. Gependant, h Voccasion de la defense port^e par le roi centre la philosophie de Descartes, il ^crivit, dem^me qa'Arnaold, une dissertation demeor^e in^dite, pour proaver qae cette defense 6tait sujelte k beaucoap d'inconv^nients (2). D'un autre c6t6, non moins iH^ k repousser tout ce qui poa- vait compromettre la philosophie de Descartes, il condamQe les explications cart^siennes de TEucharistie (3). Rohault ne trompa pas les esp^rances que son beau-p6re Glerselier avait fondtes sur lui pour Tavancement et le triom- phe du cart^sianisme en France. En reprochant aux disciples de Descartes leur sterility el ieur attachement servile k la doc- trine du matlre, Leibnitz se croit oblige de faire une exception (1) Commentaire ou Remarques sur la metfiode de Descartes , Vendomc, 1671, in-8, (2) Voir dans la Biographie universelle I'article du P. Poisson , par le P.Tabaraud. (3) Dans la liste des manuscrits de Desgabets on trouve : Objections pro- posees contre Vopinum de M. Descartes totuchant k Saint-Sacrement par le P. Poisson. 4.97 honorable en faveur de RohanU (1). Rohaalt s'altacha sur- tout h la physique, ou son goiit nalurel le portail. « La na- ture, dil Glerselier, par un avantage tout singuh'er, lui avail donn^ un esprit tout h fait m^canique, fort propre a inventer et h imaginer toute sorte d'arts et de machines, et avec cela des mains artistes et adroites pour ex^cuter tout ce que son imagination pouvait lui representor (2). » II inventait et faisaft une foule d'exp6rieoces, par ou il s'acquit la plus grande repu- tation. Les jeunes gens de premiere qus^lite venaient lui deman- der des lemons. On lui avait mis entre les mains,des leur bas dge, MM. les princes de Gonti, el il etait destine a eire le pr^cep- leur du Dauphin, pour les math^matiques et la philosopbie, aussit6t que le cours de ses etudes Tanrait conduit jusque-l^. Des professeurs eux-menies , dit encore Glerselier , n^ont point eu honte d'abandonner leurs chai res pour devenir se^ disciples. Bien plus, sa reputation s*etant etendue en pays etranger, il lui en venait de toutes parts, et en si grand nom- bre qn'il ne pouvait plus suffire 6 tons. Toulefois, il a tire sa plus grande gloire des conferences publiques qu'il faisait tons les mercredis dans sa maison. On y voyait accourir des per- sonnes de toute sorte de qualites et conditions, des preiats, des abbes, des courtisans, des roedecins, des philosophes, des ecoliers et des regents, des provinciaux, des etrangers et memo des dames qui etaient placees au premier rang (3). Yoici, d'apres Glerselier, la methode que Bohault suivait dans ces conferences. II expliquait Tune apr^s Tautre toutes les questions de physique, en commengant par Tetablissemenl de (1) Letlre aNicaise. Frtigments philosophiques de M. Cousin, 2® vol. (2) Preface de Glerselier aux QEuvres posthumes deRohault, 1 vol. in-4o. Paris, 1682. Ces oeuvres ne contiennent que quelques traites de mathema- tiques. (3) Preface de Clcrselierau second volume des Leftres de Descartes. I. 32 498 ses principes, et descendant k la preuve de ses effeU les plus parliculiers et les plus rares. D'abord il faisait ud discours d'une heure, apris quoi la dispute 6iait ouverte h tout le monde, et il r^pondait k toutes les objections avec une admi- rable neltet6. Son ouvrage le plus calibre est un traits de physique, dont le succ^s fut immense, non seuiement en France, mais h T^tranger. « Nos libraires, dit Clerselier, tA- chent partout de le contrefaire ; dans les pays strangers il sMmpriroe publiquemeht, et d^j^ on Ta Iraduit en plusienrs langues. » En Angleterre il futannot^ par Antoine Legrand, traduit en latin el en anglais par Samuel Clarke (1), et jusqu'^ Newton, il eut la fortune d'un livre classique dans plusieurs Universit^s. Quoique Bohault soit avant lout un physicien , il traite aussi des questions de m^taphysique dans un petit ouvrage intitule : Entretiens de philosophie (2). Le but principal est de mettre ses principes et ceux de Descartes k Tahri des con- damnations civiles et ecclisiastiques qui les mena^aient. Poor apaiser les partisans de l'£cole et d'Aristote, il vebt prouver Taccord de Descartes et d'Aristote, et la similitude des prin- cipes fondamentaux de la physique de Tun et de Tautre , h quoi il ne parvient qu'en alterant profond^ment le vrai sens du piripat^tisme. Puis, pour d^sarmer les th^ologiens, il vent d^montrer la conformity des principes de Descartes avec la foi en g^n^ral , et , en particuiier, avec le concile de Trente , touchant la transsubstantiation. II a son explication particn- li^re de TEucharistie, qui n*est pas tout h fait celle de Des- (1) Jacobi RofumlH physica latine vertit, recensuit , adnotcttionibus ex il- %utri88imi haact Newtoni phiiosophia mo/ximam partem haustis, amplificavit et omamt Samuel Clarke. l\ a joint aiissi a cettc tradnction des notes d'An- toinc Le grand. En pen de temps elle a eu six editions. (2) Paris, 1671, petit in-12. 4.99 cartes. Si ies qaalit^s seosibles sont de pares modifications de Tdme, il salt que Ies accidents da pain et da vin ne sont pas dans Ies choses ^ mais seulement en noos , et qo'ils aont non 3euleinent s^parables, mais s6par69. Or, avons^nons quelque diiBcuU6 h congsYoir que Dieu puisse faire, par lai*^ro^me, dans nos sens Ies m^roes impressions <)u'y faisaient le pain et le vin , sMis n^avaient pas 6t^ changes (1) ? Ainsi done le cart^sianisme , seion RohauU, noQs fait coneevoir clairement la possibility de cette separation , tandis que la philosophie de r£coie ne peut faire plus que d'^tabiir qu'on ne saurait pronrer positivement que c*est impossibte. Re«- marquons que Rohault ne touche qu'& la diffionlt^ de Tindi* slinction des accidents et de la substance , el non a celle de rindistinetioQ du corps et de Tei^tension locale qui a soulev^ Ies plu9 grands orages cotiire la philosophie de Descartes. En* fin^ Rohault prodJiit* en favenr du carl^sianisine, lefameux certiGcat de la reine Christine. Nianmoins Rohault, mnsle rapport de la foi, devinl on denusura suspect , et fat inquiM dans Ies derniers temps de sa vie. Son beau--p6re ClerseKer rapporle que son cor^ , qaoiqcie assure de sa foi , pour s'^re ptflsienrs fots entretenu avec Ini siir ce myst^re, se oral oblige, lorsqu'il lui porta le saint viatique, pour avoir des l^moins qui pussent, comme lui, en r^pondre , de I'interroger en presence de toute la compagnie qui assistait k cette friste c6r6monie , sur Ies principaux articles de notre croyance. II mourut en 1672, et son coBur fut enterr6Si Sainle-Genevifeve, avec Ies os de Des- (1) Rohault appuie cette explication do I'auiorHe du P. Madgnan. II igno- rait sans doute que le P. Maignan fut oblige de se retracter dans le chapitre general de son Ordre, mi peut-^tre cette retractation estrclle un peu posie- rieupp. ' 500 carles (1). La grande reputation doQt jouit Rohault, jiisqu*^ la fin du XYIP siicle, nous est attest^e, non seulement par le ik- moignagne de Leibnitz, mais par celui des adversaires du cart^sianisme, tels que ie P6re Valois et le P6re Lagrange de rOratoire, qui , avec plus ou moinade sinc^ril^, affectent de le mettre au-dessus de Descartes lui-mtoie. Yoici T^loge qu'en fait le P^re Lagrange : « Outre qu'il a beancoup plus de netlete d'esprit que Descartes el qu*il est plus m^thodique, il a tellemenl ajoul^ a sa doctrine et expliqu^ si amplement les plus belles questions de physique, sur lesquelles Descartes n'a dit que tris peu de choses, que ce serait conameltre une in- justice de ne le pas plus estimer que son mattre (2). » Si Rohault est le physicien par excellence du cart^stanisme en France, Louis de La Forge en est le physiologiste. N^ h Paris , au commencement du XVIP si^cle , il connut Des- cartes et eut Thonneur d'etre de ses amis. II exerga la m^de- cine h Saumur, ou« quoique catholique, on le voit prot^ger et aecueillir tous les cart^siens protestants, tels que Gousset et Ghouet , qui venaient etudier ou enseigner dans cette uni- versity, la plus calibre qu eussent alors les protestants fran- gais. II fut le collaborateur de Glerselier, dans la publication posthumedu Traiti de V Homme de Descartes. En 1666, ilfit (1) Yoici Tepitaphe que lui fit Lienard, medeein de la Faculte de Papis, son disciple et son ami, heritier de ses papiers et de sa bibliotheqiie : Quos unum doctrina facit, compingit in unum Doctaque Gartesii ossa hoc marmor corque Rohaldi. Has tanti exuvias hominis Lienardus ad aras Appendit fidi officiis cumulatus amici. (2) Les prindpts de la philosophie contre lesnouveauxphilosophes. Paris ^ 1675, in-12. 501 parattre SOD grand ouvrage sur Tdme huiname(l]. Dans one longue preface, il s^attache h montrer les points de ressemblance entre la doctrine de Descartes et celle de saint Augustin, afln d'autoriserl'oneparraQtre.L'esprit,d'abord danssa nature^pois dans ses facult^s, puis enfin dans ses rapports avec le corps > voilh i'ordre et les divisions de son ouvrage. Oomme Descartes, il met dans la seule pens^e toute Tessence de Tesprit de rhomme, d'ou il tire son immateriality el, par suite, son immortalice* Mais, ^ la diSi^rence de Descartes, se permiettant quelques conjectures sur la nature de son immortality , il croit pouvoir lui attribuer, dans unc autre vie, loutes les choses qui suivenl n^cessairement de son essence, quand on la consid^re en elle-mdme et ind^pendamment de son union avec le corps. De La Forge incline k donner une interpretation empirique aux id^es inn^es de Descartes , par lesquelles il declare n'entendre que des idees que I'esprit a naturellement la faculte de former , de la m^me fagon que Ton dit que la goutte et la gravelle sont naturelles h certaines families , quand les personnes apporlent des dispositions prochaines a ces maladies. II ne les distingue pas de la faculty m^me qu'a I'esprit de penser. II combat avec beaucoup de vivacite et d*esprit les espices corporelles, reelles Jntentionnelles, que les peripateticiens con- fondaient avec les idees elles-m^mes, ou du moins employaient pour«xpliquer la perception. II se moque de ces personnes qui imaginent leur dme, comme un petit ange loge dans leur cerveau , ou il contemple les esp^ces qui lui viennent des objets, comme autant de divers petits tableaux qui lui repr^- sentent tout ce qui se passe au dehors, k la mani^re a peu (1) Traite de fame humaine , de ses facultes et fonctions et de son union avec le corps, d'apres les principes de Descartes, 1 vol. in-4*>. Paris, 1666. La meme annec, il fut traduit en latin par Flayder. / _ 502 pris d'uD homme qui regarde dans un miroir. Les esptees corporelles ne soui pas aulre chose^ selOD de La Forge^ que le cbaDgement que les objets apportent au mouvement da eours des esprils qui sortent de la giande pio6ale, et qui sonl Foccasion, k propos de laquelle lelle ou telle pens4&e natl dans Dotre esprit (1). Yieot ensuile la question de I'udioq et des rapports de V^me et du corps (2). II distingue deux causes de Talliance entre les pensies de Tdme et les moovenients da corps, d*abord une cause g^n^raie^ la volont6 divine , et ensuite une cause particuli6re, la volont^ humaine. Dieu seul est la cause g^n^rale de cette alliance de I'dme avec le corps, doni rien ni dans le corps, ni dans TAme ne pent 6tre la caase« Cette association constanle chez teas les hommes entre les mouvements du corps et les id^s de Tesprit, a 6t6 stabile par Dieu; aussitOt que le corps a pu donner h Tesprit occasion d'avoir quelque pensie et aassit6t Tesprit a pu ex6cuter quelque [nouvement dans le corps^Mais^ h c6t6 de cette cause g^n^rale et prochaine* ii place la voloot^ de Tdme. II ne fait Dieu cause efficiente et procbaine que des rapports de Tdme el du corps qui ne dependent pas de Tdme, tandls qu'li tons les mouvements corporels , qui dependent d'actes volontaires de Tesprit, it donne pour cause directeet efficiente la volenti humaine. Si done de La Forge admet une classe de rapports involontaires entre VAme et le corps qui dependent directement de Dieu, il admet une autre classe de rapports volontaires, dont la volenti est la cause directe et efficiente. Ainsi ne va-t-il P&s aussi loin dans la voie des causes occasionnelles que Geulincx et Gordemoy, et,aa moiDS, a ne consid^rer que ses ouvrages, on ne pent , avec quelques (1) Chap. 10. Des especes corpoi'elles et des id^es ou notions inteUec- tuelles. (2) Chap. 14, 15, 16. 503 hisCorieos, le pr^seoler comme le premier auleur de la doc- Irioe des causes occasioniielles en France , sans m^connattre la part de r6aiU6 efficienle quMi conserve & la volonl^ (1). A cetle question de Tunion de Tdme etdu corps, il raltache celle du si^ge de Tdme dans les organes, qu'il place dans la glande pin^ale, comme Descartes, en fortifiant son opinion par nne foule de raisons physiologiques. La physiologie re- vient, presque h chaque page, dans le trail6 de Louis de La Forge ; il est avant lout m^decin et physiologiste, ce qui lui donne un caract^re particulier entre les autres disciples de Descartes. • Le premier qui, parmi les cart^siens de France, nia h Tdme • humaine le pouvoirde diriger le mouvement, de mdmeque celui de le produire, ne fut pas de La Forge, mais G^raud de Gordemoy, conseiller du roi et membre de TAcad^mie frangaise. II 6tait avocat au barreau de Paris, quand un dis- cours sur la distinction de Tdme et du corps, le fit connatlre de Bossuet, qui leplaga aupr^.sdu Dauphin, en quality delec- teur ordinaire. II a compost pour le jeune prince quelques ouvrages historiques, dont nous n'avons pas h nous occuper. En philosophie, il n*a ^crit que six discours qui ont dii pu- (l)Lc cartesien hollandais Jacques Goussct attribue a de La Forge d'etre Tinventcur du sentiment des causes occasionnelles. « La Forge, dit-il, avait age d'hommc , etait catholique , et exer9ait la medecine a Saumur ; j'etais jeune , puritain et etudiant en theologie, neanmoins nous liames amitie. G'etait environ en 1658 que m'etant venu voir , il m'entretint, la premiere fois, de son sentiment sur ce qu'un etre demcure dans le meme etat ou il est jusqu'a ce qu'il en soit retire ou chasse par ime cause exterieure. » (fiausa- rum primcB et secundarum realis operation etc, Lewarden, 1716.) Ce qu'il y a de certain , c'est que de La Forge va moins avant et se montre beau- coup raoins explicite dans son ouvrage que dans cette conversation avec Goussel . 504 bli^ sons le litre de Diteemement de time el du corps (1). Leg qnatre premiers traiteat des corps, de la mati^e, da mouvement , de la qnaliU , de la forme, dn moovemeDl des machines arlificielles el des machines nalurelles , de la pre- miere cause dumonvement; lesdeui demiers, de I'union de I'dme el dn corps, de lenr action r^ciproque, de ieur dislinc- lion , de leors operations el des effels de Ieur dislioclion. En toules ces questions, Gordemoy se montre excellent carUsien ; il ne se s^pare de Descartes qu'au snjet de la divisibility h I'in- fini de la matigre, pour admeltre des substances indivisibles principes des corps (2). II cherche ^ prourer, dans le Iroi- si^me discoars, que les machines arlificielles et les machines naturelles onl la m€me cause de mouvement , c'est-jk-dire , que, dans les nnes commedans les autres, tout s'eiplique par un pur m^canisme. Dans le quatri^me, il montre qu'nn corps n'en peal raouvoir nn autre et que e'est quelque esprit qui seul peal le faire moavoir. Mais quel est eel esprit ? Ce n'esl pas le nOtre, ce n'est pas noire propre votonl^. Le mouve- ment a lieUfind^pendamment de noire volont^, nous pourrions troubler I'ordre du monde en augmenlaot le mouvement qui s'y trouve, s'il d^pendait de noire volonlS d'eo produire. Eniin, si nos volOQl^ pouvaient produire des mouvemeots, elles les conserveraient, or, nous savons, par experience, qu'elles ne peuvent conserver celui dont elles souhaitent le plus ardem- (1) Paris, 1666, 1 vol, in-12. Une troisieme edition a et« publiee eji 1690 en 2 vol. in-12 , sous le litre de Dittertaliont philoenphiquei aur If dUcememenl du corjn t[ de I'dme. Dans le second ?olunic sunt tontenues deux dissertations nouvelles , Tune sur 1u parole , I'suire sur le systeme de Descartes. (2) H J'aj reconnu que Ton ne saurait concevoir tes corps que camme des substances indivisibles et que I'on lie saurait canccvoii' la niatierc que com- ine uii amas de ceii m&nes substances. )i (!"' fiiic. dei corpe tt df la ma- liire). 505 menl la dur^e. « Done s'il reste quelque lieu de dire que r^me meuve le corps, c^est au mdme sens qu on peut dire qu'un^ corps meut un corps. Gar, comme on dit qu^un corps en meut un autre, lorsqu'^ cause de leur rencontre, il arrive, quece qui mouvait le premier, vient h mouvoir le second, on peut dire qu'une dme meut un corps, lorsqu*^ cause qu'elie le souhaite , il arrive que ce qui mouvait d^j^ ce corps, vient h le mouvoir du c6t6 vers lequel cette dme veutquMi soit mu, et il faut avouer que c'est une f agon commode de s'expliquer, dans Tordinaire, que de dire qu'une dme meut un corps et qu'un corps en meut un autre , parce que, comme on ne cherche pas toujours Torigine des choses^ il est souvent plus raisonnable, suivant ce qai a d^j5 ^16 remarqu^, d*all6guer Toccasion que la cause d'un (el efiet. » Cordemoy est encore plus explicite dans le cinqui^me dis- cours sur Y Union de Vame et du corps. « A consid^rer la chose exactement , il me semble qu'on ne doit pas trouver Taction des esprits sur les corps plus inconcevable que celle des corps sur les esprits, car nous reconnaissons que , si nos Ames ne peuvent mouvoir nos corps, les corps ne peuvent aussi mouvoir d'autres corps ; et comme on doit reconnattre que la rencontre de deux corps est une occasion h la puissance qui mouvait le premier, de mouvoir le second , on ne doit point avoir de peine h concevoir que notre volontS soit une occasion h la puissance qui meut d^j^ un corps d'en dirlger lemouvement versun certain cdt6 r^pondant h cette pens^e. » AinsI , la volont^ n'est qu'une occasion , non seulement de la production, mais de la direction du mouvement, de m^me que la rencontre de deux corps n'est qu'une occasion h la puis- sance qui mouvait le premier, dc mouvoir le second; ainsi, la seule puissance capable de produire le mouvement, est aussi la seule capable de le diriger. Or, cette puissance est Dieu , seule vraie cause efficiente. II dit encore ailleurs : « II est 506 aassi impossible k nos Ames d'avoir de noovelies perceptions sans Dieu , qa'il est impossible au corps d'avoir de noaveaux mouvements sans lui (1). » Yoil^ d^Ji tout entifere la doc- trine des causes occasionnelles. Malebranche sans doute T^ta- blira avec plus de force et d*6tendiie , mais cVst Cordemoy qui, le premier en France, a tir^ciairemenlcelte consequence de la philosophie de Descartes. Nous saurons plus de gr6 ^ Cordemoy des d^veloppements parlesqnels il ^claire et fortifie, d'aprte Descartes, le discer- nement de I'toieetdu corps. En vrai cart^sien il s'appliqueft raontrer {'existence de Tdme comme plus assur^e que celle du corps, a Rien n'est, dit-il, plus clair h I'esprit que I'esprit lui-m^me. » Quant au corps, il ne se coniente pas dVn mettre, comme Descartes, la certitude au-dessous de celle de Tes- prit, il estime, devan^ant encore ici Malebranche, que la foi seule pent nous assurer de ieur existence : « Pour le corps, je dirai que j'eo ai un, parce qu'encore que cela ne me soil pas Evident par la lumi^re naturelle, il me sufBt de la foi poor m'empdcher d^en douter (2). x> (1) A la suite des DUcours sur le discemement de I'dme et du corps est le Discourt physique sur la parole. Apres avoir propose les iDoyans de se connaitre, il propose dans cct autre discours le moyen de connaitre Ics autres, qui est la parole. II cherche a prouver que la parole est le scul signe auquel uous puissions reconnaitre Texistence d'ames raisonnables dans des ames au- tres que nous. II distingue le langage naturel qui exprime la passion des signes d'institution par lesquels Tame exprime tout ce qu*elte concoit et il dis- ccnie tout ce qui dans U parole est la part de Vktne d'avec ce qui est la pari du corps. (2) Poui' achever Tenumcration des oeuvres cartesiennes de Cordemoy, mentionnons encore la Lettre au P. Cossart pour montrcrque le systeme de M. Descartes et son opinion touchant les betes n*ont rien de dangereux , et que lout ce qii'il en a ecrit semble etrc tire du premier chapilre dp In Genese. 507 Sylvain R^gis a plus fail encore que Rohaoll pour la pro- pagation de la philosophie de Descartes. Non seulement il r R^js ne fait pas m6me, comme de La Forg^, an£ exoeplion en faveur des mouvementfii et des acle^ vplootaires. II nie que la volont^ soil une cause v^rilable et rapp^te h Dieu directemenl tous les acles que nous avons couiume de rapporter k nous-mdnoies* a Je sais bien qu'on r^arde commun^ment V&me comme une chose qui se d^lerminealle- m^me, mais cetle action ou eflicacit^ de T^me n'est appuy^e que sur les pr^jug^s des sens qui font qu'on attribue k Y&me et, en g^n^ral, k toutes les causes secondes de v^ritables ac- tions, blen qu'elles n'en puissent produire aucunes qui soient telles ; car, pour produire de v^ritables actions, ii faut agir de soi-mdmeet par soi-m^me, c'est-^-direparsapropre vertu, et il est certain qu'il n'y a que Dieu qui puisse agir de la sortc. D'ou il s'ensuit qu'iin'yaque Dieu qui soit une cause v^ritablement efficiente, et que toutes les autres causes ne sont que des instruments qui agissent par la vertu de Dieu (2). » N^anihoins et contrairement, k ce qu'il me semble, aux premisses qu'il vient de poser, il laisse k Tdme le pouvoir 4e diriger le mouvement et de concourir h Taction , en di&termi- nant celui que Dieu produil en nous. It se failnidme le d^fen- seur des causes secondes et Tadversaire des ^causes o<;cai3ioD* nelles. Selon R^gis, les causes secondes ne sont pas seulement causes occasionnelles au regard de Dieu,, mais causes instru- mentales^ c'est-5-dire, qu'elles ne sont pas seulemenjt d^termi- n^esliagirparune causeprincipale, maisqu'aufisi elles modi- fient elles-m^mes Taction de la causeprincipale qui est Die|i.(3). Quelques points m^ritent d'etre signal^s dans la th6ologie nalurelle de R(igis. II n'idenlifie pas, comme Descartes, la (1) Cours de philosophie, livre 1, part. 2, chi^p. 5. (2) Ibid. (3) Uscige de la raison et de la foi, livre 1, chap. 2. 516 eonservalion (ks Mresaveo la criatlmi oonUiiiife: « La crea- tion n'esl autre chose que Taction iiktlftsible de Dien , par la4|Qrile il produit t^^tre absoki det sabstances, qni est telle que noil seiilemeni on ne Ini donne aaoime sueces»ion , mais on ne la conceit pas mdroecomme un ooipmeneement indlvt* siUe d'ane aotkm snocessive. Quant & la conservation , prise att i^rai i^na , elle n'est astre choae que I'aotion de Diea qui se iermiQe, non pas h Tdtre de la snbatance consM^r^e abso** lameiit, mats aiix modes qui diveraifient la substance par le moayement. » Dans sa refutation de Hnet , R^gis, sans aucune esp^ee d>TOba|[e, r^iielle l« cr^jHioo iwp nWto ^l TidS^ d|'ai> com- mi^cm^nt Qtt d'lioe limite qu^lcppqi^a du monde. « L.e$ G^rte^ieD3, diim » r^roieol q\i*ii a*y a rieo 4f^ moias rui^Qo-r* n«bte qq« de fljrQ que T^lrq a 616 crft6 du aeafjl, ^r q'eisl propjrepient dire qm l^ nftftut est rorigiqedia V^lr«, oe qpi r^- PQg[pe plu» qqe d(^ dire que le^ t^n^bres soql ii^ priRi^ipe et rpHglfle ^^ l?i Iwnaiirer » Nan aeutemenHa TO«Hfere «'e9t pft3 Mt^^ dp Oi^dol, ntaiji elte n'a p»8 i^Qnin^^^nc^ d^ri^ 1^ tamps i d'w cepepd^Pt U w r^^W^ pa3 qu*elle ^jt eierp^U^^ car ^qIa $^^l e^t eternej, q^i exisla en lui^-w^m^ ^t par lai-rw^me. (Je ipod^e f^m coj^mem^rpdnt ^t qussi i^i^ai^ Un^ite^r ^\o^ Vi^Hf De9^priQ$ a pris ^t dd pr^ndr^ 1^$ mot d'indefini d9(^$ l^aeos qwe le iponfle pa ppjpl de bor^es ^ p«iriam q»'|l e^t y^rliabtevpept inQnli ^^ qnapd il $e a^rt du mot ind^i^pj, c'e^t qp'il parle aeul€tm?«t de quelqpp piirlje de runi- Sor la que^an 4e |a IjberW d^ Pieu et d« Ja prpyidepce , qpi etaii »li?ra si viy^iepi agiifee, R6gi^ sefpWi? i(?}iercher up ipilieu enlre Malebrapcbe et si^s adv^r^sair^s. II admel la li- (1) Reponse au livre qui a pour titre : Cciisura philosophise cartesianie. 1 vol. in-f2. Paris, 1691. r: 516 bertS d'indiffi&rence en Dieu , en ce 8en» que Dieu a la pro- pri^t^ d'agir aa dehors, sans 6tre ni d^termin^, ni contraiDl par ane cause ext^rieure. Mais s'il n'est d^terminfi k agir par aucune cause ext^rieare, il est tris d^iermin^ h agir par lui'- m6me et par sa propre volonU. L'indiff(&rence de la liberty huroaine est toutopposte i celle de Dieuet incompatible avec sa perfection. L'indifiiirence de Dieu est extrinsfeqoe, I'in- difC^rence de la liberty de rbomme est intrinsique. On voit qu'au fond cette liberty d'indiS6rence de B^s pour- rait se concilier avec les doctrines de Malebrancbe et de Leibnitz. De la m^me mani^re, il cberche iise placer entre les parti- sans des volont^s g^n^rales et ceux des volont^s particuli^res. Les unes et les autres lui semblent incompatibles avec la per- fection infinie de Dieu. Par volont^s g^n^rales , en tend-on qu'il ne vent les choses que par rapport au g^n^ral , eomme un roi qui n^a pas le loisir d'aviser anx details, c'^est supposer en lui une certaine impuissance ; entend-on au contraire que les volont6s divines sont de soi ind^termin^e, et que Dieu ne veut aucune chose, sans y dtre d^termin^ par qnelque occasion ou par quelque agent particulier, c'est porter atteinte k la simplicity et ^ Tactualit^ divines. II d^montre ensurte, de la m^roe fa(on que Malebrancbe , que les volenti particuliires sont indignes de lui, d'ou il conclut que la seule volenti qui convienne k Dieu, c'est une volontd simple, ^ternelle , im* muable , laquelle embrasse indivisiblement , et par un seul acte , tout ce qui est et tout ce qui sera , les choses les plus diverses et les plus oppos^es , la pluie et le beau temps , la sant6 et la maladie, etc. (1). Au fond, R6gis n'exclut que les volont^s particuli^res, pour leur snbstituer une volont6 gto^- (1) Vtage de la raison et de la foi, liv. 1 . 517 rale^ simple, immuabre , qui ne diffibre que par les termes de la doctrine de Malebranche. Ge que Dieu produi t par celte volonti g^o^rale el immuable est ce qu*il y a (]e meilleur. Tout en demeuranl bien au- dessous de Toptimisme de Malebranche et de Leibnitz, R^gis a cependant donn^ quelques d^veloppemenls k Toptimisme de Descartes. Un chapitre de sa mStaphysique est intuit :£«5 facultis que Dieu a donnies a Vhomme sont les plus excel- lentes qu'elks puissent itre suivant Vordre gHiiral de la na-- ture (1). « A ne consid^rer que la puissance de Dieu et la nature de rhomme en elles-mdmes , il est tr^s-facile de con- cevoir que Dieu a pu rendre Thomme plus parfait qa*il n'est; mais si Ton veut consid^rer rhomme , non en lui-m^me et sipar^ment du reste des creatures , mais comme un membre de Tunivers et une partie qui est soumise aux Jois g^n^rales dtt mouvement , on sera oblige de reconnattre que I'homme ei^ aussi parfait qu'il a pu 6tre. )> Le mal m6me qui est dans le mondecontribue , selon R6gis , & la beauts et a la perfec- tion de Tensemble. S'il y a des choses qui passent pour im- parfaites, ce n'est pas k regard du monde , mais k regard des parlies du monde. Quant aux rapports de la raison et de la foi , R^gis eslime les objets si disproportionn^s qu'il est impossible d'expliquer les uns par les autres. La raison est infaillible dans Tordre de la nature et la foi dans Tordre de la grdce. Mais si elles ne pen vent s'expliquer Tune par T autre , elles ne peuvent se contredire. Jamais il ne faut sacrifier la raison k la foi , ni la foi h la raison , parce que la raison et la foi ne peuvent rien avoir d' oppose et que la contradiction qui paralt entre elles n'est jamais qu'apparente. Un chr^tien doit rendre compte (i) Cours de phihtophie, liv. 2, part. 2, chap. 29. 518 de sa foi , mw non pas de§ mystires* II bMne les lentatives des scholasliqaes et des philoflophes ituMMrnite « entrei ailtrta da DasgabeU pour etpiiquer le mystdre de i'Eiicharistie par las priDcipea das scienoes nitureitel^ En g^niral ^ I'essai de cooeiliatioii da Bigis etiire III i*aiion el la foi, le fedommande par beaucottp de mod^raiion ei de sagesse , mais na se dl9«» titigue ni par la hardieMe de quelques oartteiaikft bollandaili , ai par Toriginalitd at la pfofendenr de Itlalabraiialie on de LeibAila. A la saita de ce( oiivrage, §e irour^ tme r^fotalion d^ Tofi*- nioii de Spioofli toachant reiisledoe et la nature de Dieu. B^gia se borae k la ori(k|iie des dMailions , des axidmes el das proposilioos qoi se rapporteal k reiisteneede Dieu, d'ou depend tout le reste da systdine* II relive tr6s-*'bian le viae de la d^nilioo de la substance et le paralogisma da Spitiosa. Existar ea soi , mais noa axister par soi est le caraotire conl- moD de toat ce qui est substance* Spinoiaaonfirme^ dit B^gis, tout oe que nous avons dit de la nature et de Texistenoa de Dieu , k savoir que Dieu est utie pensAe parfaila « li&e ^ infi- nie» ^ternelle, etC4» Bfiais il n'a nallemant d6mon4r6 qu'il n^y a dans la nature qu'une seule substance qui eli Dieu. Pour plus de dStails^ il renveie k VAihlisme rtnverii de Frauf^is Lami» A Bdgis revient encore rbofmeur da lal plus ferine el de la meilleure rMatalion de la Censure de Huait dent ilsara questioii k ToccasioD de Hdet (1)^ Je passe de BAgis k deux thtologieas , GaHy eC Desgabeia, dont les noms se retrouvant dans la plupArt dea tavrages, des discOQFs et des censures de cette prami^ piriode da carl^ slanisme* Gaily , professenr de phil6sophia et d'Aloquence a runiversiti de Caen « est Uo des thgelogiens qui iH0«tr6rent (1) Nous joindrons la polemique de Regis conire Malcbranche a ccllc d'Arnauld. Si9 en France le plos d'ftUaehemeiit pour la philosophie nonvelle. D'ardent p6ripat6tioieii qii'il avait t^ d*abord , il deyint ear- thier) Don moins ardeoU Ge qo'il y a de plus cnrieux dans la oonveraicfn philotopbiqiie de Cally , c'esl qu'elie fat op^rte par Mn ami Huel , partiaan z6l6 de Descartes avant d'eit^tre le plus violenl et le plus daogereux ennemi , diez lequel se teoaient alors des conferences carlMiennes. Lorsqne Huet fit defection eft publia la Cemure^ Gaily rompit aussitdt les relatiooa d'amitie que pendant longtemps il ayait eaes avec liii, De mdme qu*Anioine Legrand, Gaily a voutu faire p^- n&trer la philosopbie de Descartes dans tes teotes en Ini don* nant une forme acholastiqne. Tel es4 le but d'tin grand on- vrage de philosophie AidH k Bos^met et) intitule : VnimrM phUOiophicB imtitutio (1). Mabillony dans son TraiU de$ itUi$B . monas^ique^ , recommande aux professenrs de philosophie cte s*ali|M^her de preference h cet ouvrage de Gaily. Gaily divise la philos<^ie en cinq parties , logique , sdeilce generate , physique, Uieologie]natarelle et theologie morale. En logique, il suil YAfi de pmser et il refute de la meme maniere la propo- sition qu^ toutesnos idee) viennent des sens. Qoant i la fa$on de concevoir la nature des idees , il combat Malebranche et veut s*ra tenir a Descartes. 11 deiinit Tidee une vrai^ image dea cboses talles qu'elie^ sont , Vira imago materia ribi sub^ jectcB. Mais on pent lui reprocher d*intervertir les principesde la methode de Descartes en plagant dans les regies de la con- naissance de la verite,la veracite divine avant Tevidence. Dans le second livre sur la science generate, Gaily traite des essences et, comme Descartes, les fait dependre de la yolonte de Dieu. D'apres Descartes aussi, il place Tessence de la matiere dans la seule etendue. II repousse les formes substantielles , les (1) 2 vol. in-40. Caen, 1695. 520 accidents absolus > et il ^ntreprend de dimontrer la compa-* tibilildde celle doctrine avec la transsnbstantiation (1). II a mfime consacr^ a cette question anouvrage spicialy in- titule : Durand commenti^ ou r accord de la thiologie avec laphilosophie touchant la transsubstantiation de FEucharis- tie (2). Sous pr^texte de commenter Durand qui a Iui-ni6me donn£ de I'Eucharistie une explication analogue k celle de Descartes, il y d^veloppait et justifiait la doctrine des lettres an P. Mesland. II eut jndme Timprudence de provoquer contre lui tons les thSologiens de r£cole en osant rgtorquer centre eux la th6se du P. Valois. Le P. Yalois avail accuse ceux qui nient, avec Descartes, les accidents absolus, d'avoir des sentiments conformes h ceux de Luther et de Calvin. A son tour, Gaily accuse la doctrine des accidents absolus d'etre oppos^e k celle de r£glise et confer me aux erreurs de Lather sur le sujet de rEucharistie , ce qui lui valut d'etre censuri par r^v^que de Bayeux le 30 mars 1701 et condamn6 k faire une retractation publique. Quelques anuses auparavant, Gaily , accuse de cartesianisme et de jansenisme , avait ete prive de sa chaire h TUniversite, de la cure d'une paroisse de la ville , et pendant quelque temps reiegue k Montdidier (3). Huet , dans seslilf^motres, fait allusion a ces persecutions de son ancien ami, et, dans sa haine contre le cartesianisme , (i)nditn'avoirpas traiie lestrois dernieres divisions indiquees au debut de son ouvrage, la physique, la theologic naturelle et la theologie morale, par cette raison, que ce qu'il en a donnc dans TEcole ne lui parait pas assez tra- vaiUe pour ctre rendu public. (2) Cologne, 1700. (3) « On vient de m'ecrire que M. Gaily, Cure de Saint-Martin de Caen , M. Malouin , cure de Saint-Etienne de la memc ville et celui do Saint-Sau- veur ont ete relegues, le premier a Montdidier, le deuxicme a Moulins, le troisieme k Pontorson, et que c*est a cause du cartesianisme ct du janse- nisme. » (Bayle, Republiquedes Lettres, Janvier 1687). 521 semble y appIaadir(l).|Bo8sael, au contraire, iotervient poor les adoQcir. GodsuU6 par r^T^qoe de Bayeux sur le livre de Gaily , loot en condamnant la doctrine , il lui recommande de trailer avec b^nignil^ la personne de ce bon et digne cur^ qui se soumet par avance k sa censure. II lui envoie en m£me temps un module de jugement , od il &y\ie toute allusion k la doctrine de Descartes (3). Par I'ardeur de ses opinions philosophiques , par ia t£mi«- rit4 de ses innovations en philosophie et en thtologie » Dom Robert Desgabels fit encore plus de bruit et souleva de plus vifes oppositions que Gaily, soit au sein ni6me, soit en dehors du cart^sianisme (3). Robert Desgabets, n6 en Lorraine, d'une famille noble , entra jeune encore , en 1636, dans I'Ordre des Bin^dictins* Supirieur, visiteur, d^finiteur, il remplit tons les principaux emplois de I'Ordre, el dans tons se signala par son z61e pour les etudes , par son amour des libres dis- cussions, et par son opposition k la philosophie de r£cole,qui jamais n*avait iti en grand bonneur chez les Bin^dictins (1) Aprcs avoir raconte sa conversion au cartesianisme, il ajoute : Tam- que vehemenU ad earn studio exarsit, ut tradita a sc tot annos prascepta et dogmata palam ejuraret, nee aliud quidquam creparet , vel in publicis leo- tionibus, vel in privatis colloquiis quam Cartcsium. Quod et tarn inconside- rate, tamque lieenter ab eo factum est , ut cum rerum sacrarum attingeret doctrinam , minime temperaret , sibi quin earn quoque cartesianis commen- tis corrumperet. Atquc id ipsi demum noxs et dcdecori fuit. Comment., p. 387. (2) Lettre 247 , tome xi, p. 249, ed. Lefevre. (3) Voir, sur Desgabets, une notice d'Amedee Hennequin, sur les OEuvres philosophiques du cardinal de Retz,d'apres les manuscrits de la Bibliotheque d'Epinal, Paris, 1842. Et dans les Fragments de philosophie cartesienne de M. Cousin, in-12, Paris, 1845, les deux Memoircs sur une seance d'unc so- ciete cartesienne et sur Ic cardinal de Retz, cartcsien. — DesgabeU est mort en 1678. 9St Efifoyi par la cdngtiigBtion , ett (|Udlit6 de procureur geni- tal , i Park , il s'y Ra tfv^t; fous led principanx cartdriens , avee Qerselief , R6gl9 , Hohanlt , le P. Poisson et Male- branehet dont il prit la dtfense contre I'abb^ Fooche^, dans le sefnl ouvrag'e qtfU ait faiUmprimer (1). Mais il a laiss^nti grand nottibre de maMscrifs sur la lh6ologle et sur la philosophie conserves h la biblioth^que d'fpinaL Ccrrieux de (oales les doctrines et de toutes les exp^ences noavelles , il en fma- giM et ^ fit Itii-^6me an certain nombre, parmi lesquelies c^lle de la transfusfM du sang dont, le premier, il paratt avoir eu rid^e. Mais di Desgabets est an cart^sien , ce n'est cpi'nn ciirt^siefn fort infidile et fort incomplel , et qai setnble avoir voaltt embrasser, dans le plas singalier ^cleclisme , Descartes et Gassendi. Apr^s avoir de bonne heare adopts la philosophie noovelle , bt^ntOt il s'eti s6para sar nne fbnle de points es- sentids en m^taphysiqtie et ne lai demeara gn6re fld6Ie qu*en physiqae. L'activiti et la hardiesse de son esprit , la vivacity de son imagination , ses innovations hasardeases en philoso- phie et en th^ologie lai firent une grande reputation et m6me des disciples 9 dans son Ordre et dans le monde. R^gis Tap- m pelte no des plos grands m^taphysicieDS da sitele (2). Une lettre de Dom Claade Paqain joinie aax manuscrlts de Des- gabets nous apprend que R^gis avait 6ii tr6s-li6 avec loi » et ayait beaucoup profits de ses Iumi6res et de sa m^thode (3). Peut-^tre Desgabets a-t-il contriba6 h pousser R^gis da cdl^ de I'empirisme. Mais Tempirisme de R^gis demeure contenu dans certaines (1] Mtiqw de la eritique de la Recherche de la viritS, oh Ton decouvre le chemin qui conduit mix eonnaissances solides pour servir de reponse i la lettre d'dn acad^micien. Paris, 1675, in-lS. (2 ) Usage de la Fot et de la Aowon, liv. 3, chap. 17. (3) Notice deM. Amedce Hennequin. 538 bornes , et n*entre oavertemeni en hitle cooire aucun des grands prfncipes de Descartes. DesgdbMs , ao con Ir aire , fail la gtM^rre an spiriftialisttie de Descartes el r^prend pour sou cofnpte la plupan des argtinienls de C^^etidi. Ge qa'il afme sorlont daHs Descartes , Mais il reprocb^ h Descartes de ee^^er trop MUvent d^^re carte^ieti , par indd^litd ft sfed propres principe^. Desgttbels d^pioie la pins grande ardetir A rufner tons les fonMdients de ia distittc- t!6k) de TAme el du corps 6(ftbll^ ptur Descartes, et 6 Obi^curcir, siiion k iiier, la spiriltialild de Vitad. II ittsiste snr I* d«p4fti- dance hteessiiire d^ rfifnd et da corpi^, de tell^ fa^oA qn^il tte pent pdsl ne pAs 6tre ^d^pect de tetidre k 1^ coilfotidre. Totti ce qae OasseAdf ariiit objects ti Detcart^d ponr pronver qne cette d6pendattce 6st absdln^, II le reproduit, sinon arec plus de force , dti moins dvec de tvoovelles subtilitM. Mafs son principal argument , auquel il revient sans cesse , est Or^ de la dUrte que Descartes a quetque part attribute h totttes nos peti^efl. Or, ^elon De^bets , la dar^e signifie succession , mouvenient , la dur^e est une appartenanCe et d^p^ttdance du corpd, elle est quelque chose de materiel, d'oiSt il strft que rtoos n'avons jamais aucune pens6e que d6pendamment du corps. II est au^^i clair que notre p^hs^e eotmife^ce, se con- tinue et finit qu'il est Clair que nou$ pensons ; nous pontotts mes^rer notre pensAe h Thorloge comrae le drap k Faune ; done , chacone de nos pens^es porte ^vMemm^ nvec elle la d^pendance qn'eile a du cort» , et nous ne pouYods en ton^ Mttre une settle sans Mivoir en tatitne tenkps qu^elle a une saceessiott , on tnouvtimeM , des paf ties, ^'est^ii-^dire qu'elle est inseparable du corporeh Toutefois il recommande de prendre garde que tout cela ne convient pas a la pensee par 524. idenlil^ de nalure , mais seulement par son union avec le corps. Desgabets se croit done en droit de faire k Descarles ce singulier reproche , d^^lre celui de lous les hommes qui a davantage corporifii lesesprits, lout en prilendant s^parer I'dme du corps , parce qu^il a le plus insists sur la dur^e des substances. II veut aussi tirer parti de ce qu*il appelle la fameuse d^- couverte de Descartes, au sujet des qualit^s sensibles qui ap- partiennent k I'dme , non au corps, pour insiuuer que Tdme, en qui ces qualit^s sensibles resident , est le vrai objet des sens. Mais quoi de plus strange et de plus l^gitimement sus- pect de mat^rialisme que le passage suivant, cit6 par M. Cou- sin ! a Le nom d'objet des sens pris k la rigueur, Dieu m^me, les choses spiriluelles, et surtout Tdtne, et toutes nos pens^es sont le propre objet des sens. Le doute et toute peuste hu- maine doit aussi passer pour une chose sensible , parce que , tout ainsi que rhomme est compost d'dme et de corps, toute penste est compos^e de ni. , (2} Ne a yirc, en 1624, enirc a Toratoire, a Vltge de dix-neuf ans, Dtthamcl ett solvit &(u iHHit de dix ans, pouretre euro de Neiiilly-siir-Manie.Il9*^ait atUre.la v^en^rotion et Tamour detous ses paroiasiens. Nomme par GoUiert s^eretaire de TAefwleBue des sciences) en 1666, ohikque annee, pendant toate sa vie, il alia leur faire une visite {Eloge de Fontenelle). • - ' ' ...V^ 536 Platen avec Aristote, la philosophie ancienne avec la philoso- phie moderne, pour en former une noufeile philosophie k Vmage des ^coles. Tel est le hut de deux ouvrages, Fun inlitui^ : De consensu veteris et novce philosophic^ (1), Tau- tre : Philosophia loetus et nova ai mum scholce accommo- data (2). Ge dernier ouvrage, compost k la recommandation de Colbert, eut un grand succfes et de nombrenses Editions. Buhamel est aussi I'auteur de plusieurs trail^s de physique, sous forme de dialogues (3) entre trois personnages : Thto- pbile, grand z^lateur des anciens, M^nandre, cart^si^n pas- sionn^, et Simplicius indifferent entre tous les partis et cher- chant partout le meilleur. « On lui reprocha, dit Fontenelle, d'avoir 6te peufavorable eu grand Descartes, si dignedu respect de tous les philosophes, m^me de ceux qui ne le suivent pas. Eneffel, Th^opbile le traite quelqnefois assez mal. M. Du- hamel r^pondit que c'^Cait Th^ophile, ent6t6 de Tantiquil^, incapable de godter aucun moderne et que janaais Simplicius ii>en avait mal parie. II disait rrai; cependant, c'itait au foad Simplicius qui faisait parler Th^ophile. » II ne faot pas con- fondre ce Duhamel avec un autre Duhamel, professeur 6m£- rite de TUniversite, auteur de Riflexions critiques contre le systems de RigiSy ou sont ramass^s les arguments mis en usage par presque tous les adversaires de Descartes (4). (1) Paris, 1663,in-4«>. (2) Paris, 1678, 4 vol. in-13. — De mente humana^ Paris, 1673, in-12. (3) AMtronomia physiea, 1659, in-4<>. — De meteorU et fo98%Ubu$, 1652 Paris, in-4». (4) RS flexions crittqnet 9ur le eyethne cartisien de la philosophie de Jlf^a^^, Paris, 1692, i&*12. — * Ge mime Duhamel est I'auteur d'un eours de philosophie intitule : PkUosophia universalis^ sioe eommentanus m urn- versam Aristotelis pkUosophiam , ad usum scholm'^m eomparatam ^ 5 ro\. in-12. Paris, 1705. 537 Jelons mainlenant un coap-d'oeil sur les gassendistes. Avec les philosophes de Fi^cole, tls ont de coniman le prin- cipe,qu'il nyn rien dans renCendement qui n'aitpass^ par le sens, el avec les carttoiens, Tamour de la Ubert^ philo- sopbique, ia haine du joug de T^cole. lis continuent la guerre faite par Gassendi au spirituatisme de Dbscartes, el s*ils n'o- sen( professer ouvertement le mal^rialisme, lis rinsinuent assez clairement. La plupart sont des mMecins. Je citerai d'abord le c^Kbre Guy Patin, grand ami el adniiraleur de Gassendi. Ses lellres sont reroplies d*61oges de la personne el de la philosophie du 6on M. Gaisendi. Yoici en quels ternies ii annonce sa morl : a Noire bon homme, &I. Gas- sendi^ esimortle dimanche S& octobre, Hg^ de soixante- cinq ans, vdili one grande perle pour la r^publique des bonnes lellres. J'aimerais mieux que dit cardinaux de Ronnie fussenl morls, elc (1). » Par conlre il est oppose k Descarles et ^ la pr^lendue nouvelle philosophie, el il se moqne fori do Tabbd- m^decin Bourdelot, pour avoir dit qu'il n'y a jamais eu de pbiloaophe pareil i M. Descarles, II gimil sur la morl de Plempins, professeur en ni^ecine de Louvain,, que i6}k nous avons signal^ comnoKd un des plus violaols adversaires de la philosophie de Descarles, a Adieu, s'6crie-l«il, la bonne doclrine en ce pays-IJi ! Descarles el les chimisles ignoranls Mchenl de loul gdler, lanl en philosophie qu*en bonne mMecine (2). » Guy Palin no fail pas un moins grand 6loge de La Gharo- bre, (( un des premiers el des plus ^minents de TAcad^mie frangaise , en raison de sa doclrine , qui n*6lail pas com^ (1) Lcttre du !•' novembrc 1656, Paris, (2) Lettre de Janvier 1672, Paris. 538 mmke (1), ^, De La Ghambre 6iaU mi^imvk die U>m UV, el sa doctoine si van tee par Gay Palin e^ anssi eelle de GasseudU On ea recpniM^tt Te^prit ei les prinofpes dans to divers ouvrai^es de philogepbie doni il eat . faiil^Qr^. Ckmiiie Gasaeodi* H a ima^iti^ uine sorte de kaofiacUon pip ott moin» sincere enire te ma^i^atisnie e( le. $pArijlaiilJ9ine« U ye«iA 4iie Tdtfie aoil ane substance dtenduie qui se ment Siapa qn'ialle ^oit divisible et iifial^ieUe , sQoa . y^^ieito cpi^e ceUe esiensio^ii n'a rten de comodup ayeo Ja nature niAiif telle (21). G*€3t: de I.a Cbaod^^e que Gopdem^ ^lOio- bah sans le nodnner , dafis seS JMs««f^t(Mi^ pAjIbsopAj* 4Me^ atif hMaeernement de V&me «t du corp$^im il diasipa cette grossidre^onCuiaionde ee qui esi eisea^tielau ci»rps ^vee ee qui est essentiel k VAtne. Be La Ghwabpe a attasi eooapod^ deux oui^rages conlre Descafles en faveur de rintlsUigeDee des bdtes (3). BerAier, ^live et afnl de Gasseiidi, abrevfateur de sa fAiilosoplii^ f4), mais pibs ci&I£fbre ehcdre comme voyageur ^ue cotnn^e )[>hil6$ophe;, est inlefvenu daifis tes quereltes du cart^sildtllsnie aii sujet de rEu^haristie, par uu petit ^K intitute : tldairdssemefiits sur le Hvre de M. Delaville (5). Les attaques do P. Yaloi^ cohtre J'i^lehdUfe e^s^liell<; (1) Lettre du 10 octobre 1669, Paris. C'est Tannee de la in6rl'^ La Chambre. r (2) Art de connaitre Vhomme. — Systenie de Vdme. (3) Discours de la haine et de Vamitie qui se trouvent entre les animaiux. Paris, 1667, iti-8. — Traite de la connaissance des animaux. Paris , l"6i52, in- 40. (4) Abrege de la philosophie de Ga^sendi. Lyon, 1684, 7 vol. in-12. (5) Cette Reponse au P. Valois se trouve dans la 2® edition dc V Abrege de la philosophie de Gassendi, 3« vol. Lyon, 1684 ct dans le Recueil de pie- ces pour servir a Vhistoire du rarfesianismej par Bayle. 539 s'^teqdaicfil flu aeiMimeoA de jSraswoadi ei mriM% i oelui de .Ber«iep« V0m k» d^lpurner , .Bi^rnver Jopiagim uvie dbtiDcliOift xeMre fdev» sQft^. 4'6t0ndi]|e , Vnm uppqreoAe , llanlrel .riSelie^ d^otc il pr^lend Eavre r^uller we cwai'* Ikiiioit faoUe ar«c les.d^crets duceaeile de TreQ^e- SelcMi Betoi^r, eeff'Q^tjptaa.d^n^r^kQadiie^ maia dapftln^^oliditg 61 IfnlipteitlfiabHiW^ d'^Mft suit J'ilendo^^ que Gii99rad« aorait idai^ ross^fie de to ruati^re, Qt epcQre» ne iCqn^d^rQr les pb<)6eS'j[}im«j3loo l6»lai».deila paiuee. II . repcoebe. dOiU:^ w f.i yaroisd^.ne^pi^s disUfigiierdiBiyafitag^ ep(rfi.)e» dMpI^)^ defiaasttidietr^as de IKiscarjM^^.qiiQiqi^rapiniQndies pfQ- mien 90it. h^Mifeoap mom$:irao'eh^0.(|U6 c^le deBi^ecoodfl^et ff eolPe^RQBd m^w^ de f rQqvfir parniijparaM^Ie.peii eiati^t e4 {fidijLc.g^Febxy en 4(e.ienip» de per^^j^u^iop oan^re/le aarM-*- tfiBQtoe^ qm^te gi^seiidi9m^;^'fi^^)9om^Qde biep,Q9te»,avec li£gii«» ei I9 Qweile dp .frjiniei « ,ll .wmqiiin ()H «Rajte» qil'oq fafin^e des qartisjeps ^ftl .^ q«'9» v^irai^ c* 9b d^Morja {«^t viiTH^eiKt D^t^e qaeii90A9f-uws de hmt^ decKHifi^v pow W^x fake M paix4 dfi ; regie ajF^aat AaiaoA .4e raMf^n dp Qiaiadre qu'on Tai^oiisit i'tai^ri^je ai^ fuj^ deJatrapisisubsUP- liaMen^ il faUice qa!il! peut popr bieo faire ^oniMttre spn Jpr QQeefi^e. >^ Ciependaol Berqier a djaulant moiAsje d^oU .de cbef<;ber Ai^e.faireinfiaceiiU a.ui>di4peo» des cact^siem, qpe tauHnadlne il aba^dooiie Ga^seadi (oachaqt rei,UleAGe d'up espif^e e( d'on (eipps abseliiiSidJfiMncts d^Bch^ses^, peur-fCQib- ftRadi*e .l/efiy)aGe i9i:^^ le ee^ps e4 (eilemps atrec la sfieqe^aiop dea phtaQe8cartes et de son ^ale. Contre le doutle miMio- diqde, centre Tautorit^ refuse au t^naoignage des sens, conire la distinction ^rofonde de PAme el do coi^t)S, contre rdfme plus claire et plus certaine que le corps, Bfoli^re a des traits qu'tl semble avoir etaprunt^s & Gassendi. Panerace dans le Mdriage /br^^, le mattre de pbibsophie dans le Bourgeois gentilhomme sont h Tadres^ de ta^ph]lo«- sophie de T^coie. Quoi de plus connique que la fureur de Panerace centre le mis^able qui a os6 dire la forme au lieu de la figure d'un chiapeau, et centre les magistrats qui to- l^reiftt un pareil s^andale? « Ah ! sefgiieur^sinsirelle, tout est renversi^ atijourd'hui, et le monde est tomb^ dans une corritplion g^n^ale. tFT>e licence 6poiivantable r^^e partout, et ies magistrats, qui sont ^ablis pour'marntenir Tordre dans un ^tat, devraient fnourir de honte en souffrant un scandate aussi itttoMrable que dellif dont je vieui parleri... N^estH^e pas une chose horrible, une chose qui crie'Vehgeance'afn-tliel La pale est au jasmin en blancbeur comparable, , La noire a fairc peur une brune adorable, La maigre a de la taille et de la liberte. La grasse est dans soti port pleine de majesty, etc. Ces vers sont une imitation d'un passage du IV* chant do Lucrece, V. 1146. que d'endurer qu'on dise publiquemenl la forme d'un cha- peau ? Je souUeos qu'il faui dire la figure d*un chapeaa et iron pas la forme. » A qui MoUere en veuMl par celte bur- lesque d^clamalion de Pancrace conlre les magislmts qui souffrent un pareil scandale, sioon k ces p6ripat6ticiens fa- natiques qui invoquaienl k grands cris le tr6ne et rauCel, les arrets du conseil du roi et du parlement en faveur d'Aris-^ (ole ? Que d'autres Pancraces^ depuis Moli^re, n'avons-rDous pas entendus ! Moli^re se platl h lourner en ridicule les distinctions et les subtilit^s de cette phiiosophie schola^iique , dont il parail avoir fail quelque 6tude. « Yous voulez peut-* <^lre savoir , dit Pancrace k Sganarelle , si la substance el Taccidenl sent termes synonymes ou Equivoques a re- gard de r^tre ? si la logique est un art ou une science , si elle a pour objet les trois operations ou la lroi»i6me seu- lement, s'il y a dix cat<^gories ou s*il n^y en a qu'ttne, si la conclusion est de Tessence du syllogistme, si Tessence da bien est mise dans rappElibililE ou dans la convenance, si le bien se r^ciproque avec la fin, si la fin nous peut Emouvoir par son 6tre r^el ou par son 6lre intentionnel. » Le mattre de phiiosophie du Bourgeois gentilhomme n'esl pas ffloins expert que Pancrace en phiiosophie scholastique. II proposed HI. Jourdain de lui.enseigner a la logique qui Iraile des trois operations de I'espril qui sonl la premiere, la se- conde et la troisiime. La premiere eat de bien concevoir par le moyen des universaux, la seconde de bien juger par le moyen des categories, et la troisieme de bien tirer une con- sequence par le moyen des figures, barbara,.celarent, Darii, etc. » Si toute celle legou de phiiosophie si faslueusemenl annoucee se reduit h apprendre 6 M. Jourdain qu'il fait de la prose sans le savoir, et ce qu'il fait quand il dit u, n'est-ce pas en derision du vide et de la futiliie de renscignement 54.5 scholaslique ? « L' opium fail dormir parce qu'il a une verlu dormitive » est un trail du Malade imaginaire contre la'phy- sique de r£cole el les formes substantielles. Qu'estime le plils Diafoiros en son fils : c< G'esl qu'il s'altache aveugl^menl aax opinions de nos anciens el que jamais ii n'a voulu compren- dre ni ^couter les raisons el les experiences des pr^tendues d^couvertes de noire si6cle touchant la circulation du sang et aulres opinions de mdme farine. )> Yoilli qui regarde encore les partisans del'^cole , et leur respect aveugle pour Tanti- quite. Yoyons maintenant les traits lances par Sfoli^re centre la metaphysique de Descartes. Apr^s Pancrace dans le Manage forci^ voici venir Mar- phurius donl le risible sceplicisme me semble une parodie du doute methodique de Descartes mal inlerpreie, en m^me temps qu'une reminiscence de Rabelais. A Sganarelle qui lui demande conseil pour une petite aGfaire, et qui dit etre venu pour cela, Marphurius fail ainsi la legon : « Changez, s*il vous platl, celte fagon de parler. Notre philosophie or- donne de ne point enoncer de proposition decisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours noire juge- ment; el par celte raison vous ne devez pas dire : je suis venu, mais il me semble que je suis venu... II vous apparatt que vous etes Iky mais il n'est pas assure que cela soil. » Ge sceplicisme obstine cede cependant aux coups de bdtdn de Sganarelle. Le philosophe ainsi refute pousse les hauls cris et se plaint d'avoir ete battu, mais Sganarelle 5 son tour le reprend et lui enseigne qn*il ne faut pas dire : « que je vous ai battu, mais qu'il vous semble que je vous ai battu. )> Ne dirait-on pas les grosses plaisanteries du P. Bourdin contre le doute meihodique transportees sur la scene et mises en action ? Dans les Femmes savantes, Moliere semble s'etre ressou- venu et inspire de Tironie de Gassendi centre le spiritua- I. 35 546 lisme de Descartes. Je conviens que Pbilaminle est un peu perdae dans le moiide de I'esprit, niais il Taut m'accorder que le bonhomme Ghrysale Test ud peu trop dans celqi de la matiire? Selon Philaminte: Le corps, cettc gueniile, est-il d'une importance, D*un prix a meriter seulement qu*on y pense ? Mais, selon Ghrysale : Mod corps c'est moi-meme et jVeu tcux prendre soin ; Gueniile, si Ton veut, ma gueniile m'est chere. N^est-ce pas Tantith^se ironique , 6 esprit , 6 chair, des objections de Gassendi et de la r^ponse de Descartes ? M6me antilh^se dans la descripllon du parfait amour par Armande et dans la r^ponse de Glitandre. Selon Armande, on doit , dans le parfait amour, tenir la pens^e Du commerce des sens nctte et debarrassee. Ce n'est qu'a I'esprit seul que vont tous les transports £t Ton ne s'apercoit jamais qu'on ait un corps. Gette dme qui ne s'apergoit pas du corps , pour qui le corps est comme s'il n*exislait pas, voil^ aussi le sujet fScpod de plaisanteries de moins bon goiit, de la part des J^uites,.et surtout du P. Daniel et de Huet, centre le splritualisme cart^sien. Mais Glitandre n'est pas de Tavis d' Armande : Pour moi, par malheur, je m'aper^ois, Madame, Que j'ai, ne vous deplaise, un corps tout comme une dme ; 547 Je sens qu'il y tient trop pour le Uisser a part. De ces detachcments je ne connais point Tart, Le Giel m'a denie cette philosophic £t nion ime et nron corps marehent etc compagfYic (f). Nous serons moins sAv^res que Rousseau pour le ilftfaii^ thrope, Non, apris avoir fait la guerre aux auires ridicules, Molifere n'a pas voulu s'attaquer au ridicule de la vertu (2). II ne veut, sans doute, que nous faire rire aux d^pens des tra- vers d'un hdimme vertuent et non de la vertuf ; mais souvent il oppose h ces travers une cer(aine sagesse ou nous recon-* naissons, h plus d'un trait, la morale de la prudence et de Tint^rdt, c'est-&-dire, la morale de Gassendi. Sans doute, il place haul le caract^re d^AIceste, mais qui osera dire qu'il ne veuifle monfrer les inconvMtettts dans te mondie d'une franchise ^ tonte ^preuve et d^nnef trop griande tightitd mo*- rale? N'est'^il done pas Evident que le sage de la pi6ce est Philinte et non pas Alcesie ? Si Aleeste est un pea bourru k regard dm vets d'Orosto, que dire d» PMIiate qui pense comme Alceste e( qui me taffft pas en protestatims^ d'admi- ration et d'enlhoasiasme, Cout en protesiant qd'H ne flatle point ? Je suis deja charme de cc petit morceau... Ah ! qti*en termes galants ces choses-la sont tiiist^ ! . . . La chute en est jolie, amoureuse, admirable... ie n'ai jamais ohT de vers si bien tournes. (1) Grimafest, dans ses Additions a la Vie de MoUkre , ra«otlt« qa*it tu- rarl fini par abandomler la phy6it{tt^; de OaMsendi pour celle de De^cartec;. Dans Taneedotc dn bateau d'Auteuil , Moliere defead contre Chapelle la phygique de Descartes, et ne trouve ji louer dans Gassendi que la morale. (2) Letire sur les speetaeles. 548 Qui a raison, dans la sc^ne des portraits, de Philinte qui applaudit aux (raits malins de I'esprit de G^lim^ne ou d'Al- ceste qui s*indigne? Alceste a-t-il done tort aussi de ne vou- loir qu'aucun juge soil par lui visits, et de s'en 6er k son bon droit, k T^quit^? Sans doute il faut savoir bon gr^ k Moli^re de le faire parler avec tant de chaleur et d'^loquence contre la brigue et la fourberie : Je veux qu'on soit sincere et qu'en homme d'honneur On nc lache aucun mot qui ne vienne du coeur. Ce me sont de mortelles blessures De voir qu'avec le vice on garde des mesures. Mais^ne semble-t-il done pas donner la pr6f6rence aux maximes opposes deiPhilinte ? Je veux que Von solt sage avec sobriete..., Je prends tout doucement les hommes comme ils sont. . . J'accoutume mon ame a souffrir ce qu'ils font. . . Oui, je vois ces defauts dont votre ame murmure , Comme vices unis a I'humaine nature ; Et mon esprit enfin n'est pas plus offense De voir un homme fourbe, injuste, interesse, Que de voir des vautours aflfames de carnage, Des singes malfaisants et des loups pleins de rage. Done, selon Philinle, il est naturel i rhomme d'etre in- juste, fourbe, int6ress6; le sage ne doit pas en murmurer; et s'il faut 6lre sage, il ne faut T^lre qu'avee sobri6t6. Qu'est-ce que celle sobri6t6 dans la sagesse, sinon la prudence, mire de loules les vertus, dans la doctrine morale de Gassendi ? Ainsi le Philinle de Molifere est-il en d^faut non seulemenl sur les peliles, mais sur les grandes choses de la morale ; 549 aiDsi Moli^re a-l-il gard^ la trace des legons du plus grand des adversaires de Descartes. La philosophie d'£picure et de Gassendi a compt^ an certain nombre de disciples an milieu m^me du XYIP si6cle et du triomphe du cart^ianisme. Mais ces disciples furent plus cali- bres par Icur amour des plaisirs que par celui de la sagesse, plus propres h d^crier qu'^ accriditer la philosophie de leur maitre, h cause du libertinage de leurs opinions et de leurs moeurs. Tel fut, par exemple, Ghapelle, ce joyeux et spiri- tuel convive qui, le dernier a table, enseignait le verre en main, la philosophie d'£picure au mattre d'hdtel et aux la- quais. Tel ful aussi Cyrano de Bergerac, autre il6ve de Gassendi, qui s'acquit une certaine renommie par sa turbu- lence, ses coups d'Spie, sa verve et $a burlesque audace. Gitons encore Saint-£vremon(, Bachaumont, Desbarreaux, I'abbi de Gbaulieu, le marquis de La Fare, les salons de Ninon de Lenclos et la soci^ti du Temple ou la philosophie d'£picure itait profess^e et pratiquie (1). Effac6e par la fortune el par la grandeur du cartisianisme , impuissante h triompher de la forte tendance spiritualiste imprimie k tout le siicle par la philosophie de Descartes, la philosophie de Gassendi n'a fait, au XVIP siicle , qu'une bien pe- tite icole, elle n*a r^n6 que dans quelques salons suspects de libertinage d'esprit et de moeurs. Mais dans le slide suivant, sous une autre forme, et placie sous le patronage de Bacon, de Locke et de Newton, ceite mime phil6sophie prendra, pour ainsi dire, sa revanche ; elle iciipsera h son tour le.car- tisianisme , elle lui succidera dans la domination des in- telligences, dans la faveur et I'empire. De Moliire je passe k an autre grand ginie du WIV sii- (1) Voir dans VEncyclopcdie I'arliclc EpicuiitisMBj par Didcrol. 580 cle, h Pascal, qui ftit aussi, k an toat aatre point de vue, an adversaire de Descartes. Mais que dire snr Pascal qui dbjk n'ait m parfaitement dit par M. Cousin dans deux admira- bles prefaces (1) et par M. Havet dans son 6(ude et son corn- men taire sur les Pemtes? Je serai done sur Pascal aussi court que possible, me bomant h le reprfisenter dans son op- position h Descartes. D^s sa jeunesse, il s'itait plntdt occupy de math^matfques et de physique que de philosophic, n'ayant d'autre lecture favorite que celle de Montaigne. Quand la philosophic de Descartes commenga a se r^pandre, son esprit 6tait d^Jb form^, comme celui de Gassendi, de Her- senne et d'autres qui demeurirent en dehors de i'^cole car^ t6sienne. Pent-^tre en ftat«^il encore 6Ioign6 par une assez Vive querelle d^amour-propre qu'il eut avec Descartes lui- in^me, au sujetdsla fameuse experience du Puy-de-Ddme, et par la society qu'ii fr^quentait, ou dominalent les ennemis deDescarteSy Roberval ft leur t6te. Nianmeinsil n'a pu com- ply t^mentse soustraire k son influence, au mof ns avant le temps que la grdce jans^niste se fdt empar ^ede son Ame tout enti^re. L'esprit et la m^thode de Descartes se manifestent dans des fknagments on opuscules d'une 6poque ant^rieure k sa con- vension et alors qu'il ^tait encore tout oceup^ de ^physique et de raatb^matiques. Les auteurs de la Logique de Port-^Roydl ont mis k pro6t les deux fragments auxquels ils donoent le litre oommuQ de VEsprU giomitrique^ et qui plus tard out 6t6 pufoU6es par Bossut , sous ces deux titres sAparts , de RiflecDions sur la giamiffie en gin^al et de I'Ari de pereuader. Mais ou Pascal se montre le plus animd de Tesprit cart^sien, c'est dans la pr^fiace d'un traits do vide qu*il n'a point achev^ (2). Qui a plus fortement ^tabli les (1) DesPenseesde Pascal, 2« editiou, in-8. (2) Cc fragment est publie en tete de Tedition de fiossut sous ce tilre : De VautoriU en matihre de philosophie. 551 droits de la raison, qui mieox a fait justice da respect super- stitieox pour les anciens et pour I'autorit^ en mati6re de phi- losophie natureile, que Pascal dans cet admirable fragment ! Quelle foi dans les progrte sans Gn de la raison ! Quelle belle comparaison de la suite des hommes ou de I'homme uni- versel avec un seul homme qui ne cesse de crottre en raison et en sagesse ! Qui parle id ? Est-ce done ie m^me homme qui, dans les Pensies, dira de cette m6me raison ^qu'elle est sqtte i Toutefois, dans les Pensies elles-m^mes, je d^couvre encore quelques traces de cart^sianisme. Ainsi il arrive k Pascal, oubliant un moment son scepticisme, d'animer des plus beaux mouvements, de rev^tir des plus brillantes cou- lears les arguments mitaphysiques par oti Descartes distin- gue TAme du corps et place dans la seule pens6e Tessence et la dignity de I'bomme. « Je puis bien, dit-il, concevoir un homme sans mains, sans pieds, je le concevrais m6me sans t6te, si Texp^rlence ne m'apprenait que c'est par Ik qu'it pense ? C'est done la pens^e qui fait Tdtre de I'homme et sans quoi on ne peat le concevoir. Qa'est-ce qui sent du plaisir en nous ? Est-ce la main ? Est-^ce le bras ? Est-ce la ebair?Est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quel* que chose d'immat^riel (1).» Qui ne se rappelle la magnifique comparaison du roseau pensant avec I'univers qui ne pense pas? Uais par quelle contradiction, apr6s avoir plac6 si (1) Edit. Havet, art. 1*^, pag. IB. M. Havet rapproche cette pensee d'un passage presqiie identique d'un dialogue posthume de Descartes, sur la Re- cherche de la vcriU par les lumieres naturelles, public en latin, en 1701, et traduit en f ran^ais parM. Cousin : « II m'a ete necessaire, pour me consi- derer simplemcnttel que je me sais etre, de rejeter toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c'est-a-dire, il a fallu que je me considerasse sans bras, sans jambesj sans tete, en un mot sans corps, etc. » {(JEnvres de Detcartes^ edit. Cousin, xi« vol., p. 364). 552 haul la dignity de la pensiie, voudra-l-ii, le moment d'apr^s, la placer si bas et si profond^menl riiamilier? Pascal enfin 6lail aussi du sentiment de Descartes sur Tautomate, d*apr6s le t^moignage de Marguerite P^rier. Mais> d'ailleurs, s'il est ennemi de Descartes, il Test aussi \ de toule phiiosophie. II estime que toute la philosophie ne I vaut pas une heure de peine ; que vraiment philosopher, c'est se moquer de la philosophie, et sans doute il aurait raison^ si, comme il le dit, le pyrrhonisme est le vrai. Dans la philo- Sophie de Descartes il ne voit qu'orgueil et impuissance ; il ne lui ^pargne pas les plus singuliers comme les plusinjusles reproches. II fait allusion a Descartes, quand il metau m^me rang, pour le faste et Torgueil, ces titres si ordinaires , de prineipes des choses , de principes de la philosophie , et cet autre qui cr6ve lesyeux, De omni scibili (1). Au dire de Ni- cole, Pascal 6tait si fort 61oign<^ des principes de Descartes, sur la mati^re et sur Tespace, qu'il avait coutume de les don- ner comme exemple d'une reverie qui ne pouvait ^tre approu- . v^e que par ent6tement (2). II ne pouvait, dit Marguerite P^rier, sonffrir la matiire subtile. On s'^tonne davantage de ce bizarre reproche contre la physique de Descartes : « li faut dire en gros, cela se fait par figure et par mouvement, car cela est vrai ; mais de dire quels, et composer la machine^ cela est ridicule, car cela est inutile et incertain et p^nible. » Et c'est Ih qu'il ajoute : « Et quand cela serait vrai, nous n'es- timons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine (3). » Accorder h Descartes que tout le monde se fait par figure et par mouvement, c'est assur^ment lui accorder beaucoup, car c'est le principe m^me de toule sa physique. (1) Edit. Havct, art. 1, p. 10. (2) Lettres de Nicole, tome 1", lettrc 83, 2 vol. in-12. Lille, 1718. (3) Edit. Havel, art. 34, p. 355. 553 Mais comment le bldmer d'en avoir fait rapplication aax ph^nom^nes; comment dire que cela est ridicule et vain, h moins de pr^tendre quMI faille s'en tenir dans la physique h des hypotheses g^n^rales, sans les v^riGer par Texp^rience, et sans en descendre pour I'explication des faits ? N*est-ce done pas condamner la physique tout enti^re, y compris la fameuse experience sur le vide ? Mais voici une accusiation tout aotrement grave et non moins fausse de Pascal contre Descartes. II ne pouvait souf- frir, rapporte Marguerite Purler dans ses Mimoires, sa ma- nifere d'expliquer la formation de toutes choses, et il disait tr6s-souvent : « Je ne puis pardonner h Descartes ; il aurait bien vouin dans toute sa philosophie pouvoir se passer de Dieu, mats il n^a pa s*empdcher de lui faire donner une chi- quenaude pour mettre le monde en raouvement (1). '» On est confondu d'entendre Pascal porter cette odieuse accusation contre la philosophie qui tend h faire de Dieu Tunique cause eflBciente> qui identifie la conservation avec la creation con- tinu^e, et qui d^duit de la perfection in6nie de Dieu jes prin- cipes fondamentaux de la physique et de la m^canique. Ar* nauld n^a-t-il pas raison de dire des cart^siens: « Toute leur physique est tellement appuy^e sur Texistence de Dieu, qui en est, pour ainsi dire, comme la cl6 de voAte, que la supposition du contraire est le renversement de tout leur systtoie (2). » D'une mani^re indirecte, Malebranche r^pond aussi a Pascal : « Descartes ayant prouv^ qu'il n'y a que Dieu qui donne le mouvement h la mati^re, et que le mou- vement produit dans tons les corps toutes les diffi&rentes for- mes dont ils sont rev^tus , e'en etait assez pour 6ler aux (1) Edit. Havct, art. 24, p. 355. (2) Examen du Traite dc icssencc des corps , lome 38 des OEuvrcs com- pletes. I '•<> libertiM lout pr^texte de iirer aucuD avaniage de son sys- t^me (1). » Pascal n'est ni plus indulgent ni plus juste pour la m^ta- physique de Descartes. 11 ne lui sail mdine ancnn gr£, h la difference d'Aroanld, de Bossuet et deiFenelon, d'avoir telairci et popularise cette verity essentielle de la q[>iritttalite de Tdme, que Iui-m6me il a plus d'une fois exprim^e avec tantde force en s'inspirant des MidiUxlions. Yoici, sans nul doute, h I'a- dresse de Descartes, ce qu'il pense des preuyes metaphysiques de Texistence de Dieu : « EUes.sont si eioign^es du raison- jnensent des hommes et si impliqoees qu^elles frappent peu. Quand oela servirait h quelques-uns, ce ne serait que pendant Tinstant qu'ils voient cette demonstration ; mais, une heure apres, lis craignent de s'etre troropes (3). » Mais plus mal encore Iraite-t-il les preuves tiroes de la nature, du cours de la lune ou des planetes, comme n'etant propres qu^^ exciter le raepris dans Tesprit des incredules (3). Par ou done la raison s'eievera-t-elle jusqu'ii Dieu ? En d^pit de tons ses efforts, selon Pascal, elle ne pent y atteindre. S'il yaun Dieu, il est pour nous infiniment incomprehensible, et nous sommes incapables de connattre ni ce qu'il est ni meme s'il est (k). La raison connatt-^Ile ses forces et ses limites, elle rejetle Dieu que la seule lumiere de la foi pent nous reveler. C'est II ce que Pascal exprtme avec une singuliere hardiesse: a Atheisme, marque de force et d'esprit, mais jusqu'l un certain point (5). » Comment done amener ii Dieu celui qui (1) Recherche de La veritCj 6« livre, 2« partie, chap. 4. (2) Edition Havet, art. 10, p. 157. (3) Ibid., art. 22, p. 268. (4) Ibid., art. 10, p. 145. (5) Ibid., art. 24, p. 355. 555 n'a pas encore la foi, et qael sera enlre lui et nous le poinl commun da raisonnement? Id paratt, avec une andaceplus grande eneore, le scepticisme de Pascal. A d^faut de toute i autre preure, tir6e de la nature ou de la raison, c'est au | calcul des probabililAs que Pascal va demander un argument en faveur de Texistence de DIeu, et laissant de c0t6 la v6rit6 qui nous est inaccessible, il va montrer que nous avons un plus grand intir^t h parier pour qu'&parier centre I'existence de IMeu. Dieu est ou n*est pas ; il est en jeu, II est h pile ou face. De quel cCt6 faut-11 parier? car s'abstenir et ne pas jouer est impossible. Par une iongue et minutieuse application de la rkglt des partis, et avec an luie de terraes techniques, dont Temploi en pareiile question fait presque Teflet d'un sacri- lege, ii prouve que le plus grand avantage est ft parier pour Dieu. Yoil^ ou le scepticisme conduit Pascal ; voilft ce qu'il met h la place de ces preuves, tiroes de I'ordre de Funivers dofit il se moque, et des arguments de Descartes et de saint Anselme. Mais quelle est la consequence extreme du pyrrhonisme, devant laquelle Pascal ait recuie, soit dans la morale, soit dans la speculation, toujours preoccupe de terrasser la raison et de ne laisser debout que la grdce et la foi? II est inutile de rappeier des pensees tristement ceiebres centre Texistence d'une justice absolue. On comprend qu'Arnauld et Nicole aient juge insoutenables un certain nombre de pensees, et que, dans Tinteretde I'edification des dmes, its aient cherche ft les dissimuler. Mais , apres le texte restaure des Pensies par M. Cousin , le scepticisme de Pascal ne pent plus etre mis en question , et ceux qui s'obstinent ^ le nier, temoi- gnent clairement qu ils n'ont saisi ni le plan , ni le but , ni la methode de demonstration des Pemies , ni cet exces du jansenisme qui caracterise et distingue Pascal, meme au sein de Port-Royal. Non seulement Pascal est pyrrhonien 556 contre la raison ; mais il se sert du doate, et c'est Ih ce qui fait son originality, comine d'une demonstration directe de la foi telle quMI Tentend, Ne croyez pas Tembarrasser par les doutes, les t^n^bres, les contradictions, car loin de Ih ce sont des armes que vous lui donnez, et il Iransforme, avec une merveilleuse hardiesse, Tobjection en irresistible preuve de la chute, de la necessity de la grdce, du terrible aveuglement des r^prouves, et de la predestination des eius (1). Le pyr-i>- rhonisme, rimpossibilite Ges paroles seepliques, auxquelies il applauditde tout son ccBur, servent de conclusion k son Voyage du monde de Deseartes. AvoH* appris combien ce qu'on sail le mieux eslni^ld d'obscu* ritd et d'incertitudc, voilii, seion le F« Bapiii>, te plus grand fruit qu'on puisse lirerde la^flosophie (S^). Ce* ton' soeptique est celui de tons les beaux esprits et philosophes de la Com- pagnie. Ite aont les adversaires d^cid^a de la dartS de I'kito de r^me et de celle de Dteu ; quelques-uns, comme le P« Du- tertre, y ajouteni m6me celle de corps (3). Que pesle-t<-il done qui ue soil da domaine des t^nibfes et de Tiiicertitude ? lis inclinent au probabtiisme en mMaphysique comme leurs casuistes au probabilisme eu morale, ou plutdt letfr probabi- lisme en morale n*est qu'une consequence de teur probabi- lisme en m^taphysiquor Nous verronsHnet^ Th^le, Fami des Jteuiles; et qu'on ne pent en s6parer, pousser eetle tendance. (1) Voyage du monde de Descartes, (2) CEuvres diverses, 3 vol. in- 12. La Haye, 1725. (3) RSfutation de Malebrcmche, !'« parti e, 4 vol. in-12. Paris, 1715. — Observations sur la profession de foi du P. Andr^ {Iniroduction a tew CEu- vres philosophiqtieSi par M. Gousiny) 560 d^ja marquee dans ia Censure de la philosophie de Descartes jusqu'au plus outrci pyrrhonisme dans le TraiU de la faiblesse de Vesprit humam^ qui fit un si grand scandale, et dont un J^suile seul, ie P. Baltus, osa faire Tapologie. Grdce aux in- trigues des J^uites k Rome, Descartes est mis a I'index, tandisque Gassendi est 6pargn6. Le philosophe est condamne qui n'avait travaill^ qu'5 ^tablir profond^ment dans les esprils la spirituality et la divinity, tandis que celui-l£i est approuv^ qui n'avait travaillS qu'^ les obscurciret k les ^branler. Sui- vant la renoiarque d'Arnauld, le poison 6tait permis, mais non le contre-poison, Jusque dans leurs appreciations des divers ouvrages de Descartes , on pent reconnaftre les inclinations philosophi- ques des J^suites. Le TraiU des Passions, tel est, selon le P. Daniel et Huet, le meilleur ou le moins mauvais des ou- vrages de Descartes, sans doute parce que la physiologie tend k y absorber la psychologie, tandis que tons deux s'accordent k raettre au dernier rang les Meditations, ou sont si admi- rablement dSmontr^es la spirituality de YAme et Texistence de Dieu. Id^es inn^es, id^e de Tinfini, v^rit^s ^ternelles, rai- son universelle et divine, toutes les traces de Dieu en notre intelligence, voil^ ce qui semble plus particuli^rement anli- pathique aux philosophes de la Gompagnie. lis s*obstiuent a n'y voir que r^ves et chim^res, folie et fanatisme. Je ne veux pas dire que jamais ils n'aient raison dans leurs critiques contre Tid^alisme, et surtout contre la vision en Dieu de Ma- lebranche. A la suite d'Arnauld. sou vent ils rencontrent jusle dans leurs attaques et leurs railleries ; mais ils ne savent le combaltre qu*en tombant eux-m^mes dans toutes les erreurs de Tempirisme. Avec quelle chaleur, Huet, dans la Censure, ne d6fend-il pas le grand principe de la philosophie de la sensation ! On croirait entendre Epicure ou Gassendi. Dans sa refutation officielle de Malebranche, le P. Dulertre comme 561 Locke, pretend rameDer toutes les idtes a la sensation et i^ la reflexion. Phisieors foni k Descartes le reproche de penser comine £picbre sor la formatioR du monde (1) ; ne peut-on done leur renvoyer Taccasation plus grave et mieux fondto, de penser comme ^picare sar Tdme hamaine? Un des membres ies plus dislingais et les plas savants de la Gompagnie , le P. Tonrnemine , dans la preface qu'il mit en t6te de la premiere parlie da Traiie de VExistence de Dieu , pnblide k Tinsu de F^neion , ne lone que la demons- tration tirte de Tart de la nature , et bldme ^ an moins d'ane mani^re indirecte, celles tiroes des id^es intellectuelles oa des v^rit^s absolnes de laraison. II imagine charitabiemenl de les repr^senter, non comme des prcuves aniverselles et pro- pres i lout le monde , mais comme des preuves particuliires respectives, des arguments ad hominem^ fond^s sur les prin- cipes regus par les adversaires que F^nelon combat. Ge sont, dit-ii , des d^monstraiions pour les cart^siens et les male- branchistes , que Tauteur n'a pas dii oubiier. On con(oil que Ftoelon n^ait pas ilk tr^s^satisfaii de cetle singuliire introduc- tion , qui d^naturait si profond^ment le vrai sens de sa philo- sopbie. On ne pent s'emp^her de croire que le P. Tournemine s'abuseici unpeu volontairement parle d^sir d'enlever^ ses adversairesen philosophierautorit6deF6nelon. Non seulement Ftoelon croit d'une mani^re absolue h la v6rit6 de ces preuves, mais, en veritable carl6sien et malebranchiste » il declare le5 mettre bien au-dessus des preuves physiques. Ghose Strange ! ces grandes v^rit^s de Tid^alisme , enseign^es non seulement par Descartes et Malebranche , mais par lous les plus c6- (1) Leitre d^un philosophe a un cartesien de aea amis^ petit in- 12. Paris, 1672. Gette]ettre, signec des initiates R. P., est du P. Rapin , Jesuitc, comme le conjecture M. Cousin ; cette conjecture est confirmee par un pas- sage du Memoite d'Arnauld au Parlement de Paris. I. 36 562 I6bres el les pLos Y6n6rte philosopher des temps aneieas el des lemps modemes , par Plalon , sauil AnfasUa , saiot Anselme , par les Pteea les plas iUoilres de l'£^ise , et par left plus grands (hMogiens , oes viritto , qai sont le foDde- ment de la oerlilude , de la morale el de la religioD , b'obI jamais reneanM , mdma aa XYIU^ sitele , d*adf ersairea plus vifs el de raiUeurs pku achamte qoe les Jisuitea. Aq moiDS sembleraient-Hls devoir respeeter le spiritaalisme de Descartes. Blinfstresd'une religion dont Tabsolae separation de Fdme el da corps, apris eelte vie, est tin dogme fendaraen- tal , avec quelle faveur n'aaraieDt-ils pas dA Kaccaeillir, dans Fint^r^t de la foi I Alors m6me que le spiritaalisme car- t^sien anrait en quelqae chose d'eioessif, etail^» done k eax d^en faire an si grand crime k Desoar les, et n'eassenMIs pas du plal6t r^server lears coups et leors sarcasmes centre une phi- losophie qui tcndait b eonfondre \*&me el le corps, an liea de tropless6parer? Ne poavaient-ils pas chercber aiiteurs ma- ti^re i plaisanter et & rire? Mais, loin qu'Hs aient ceCte sa- gesse, tout au contraire , on dirait qu'avant toot ils ont k CQBur de tourner en ridicule la distinction carMsienne de r^me et da corps et d'6branler la demonstration sar laqaelle elie repose. Us s'obslinent k n*y voir qa'on paratogisme. A la fa- (on dont its renouent les liens enlre I'dmo et le corps , ils semblent les croire etles faire indissolobles. Gassendi , dans ses objections , feint d'avoir affaire k an homme sans corps pour se moquer duspiritualisme de Descartes, et s'ecrie, d esprit, o mens, ce qui lui vaut , on se le rappelle , ceUe dure el meritee r^plique , 6 chair, o caro. Les J6sailes se plaisent singulierement k divelopper, k reprodaire soas toutes les formes , k metire en action cette ironie de Gas- sendi. Des Ames qui , en vertu des merveilleuses recettes de Descartes , prennent , d^s cette vie , congi de leurs corps , 563 ei qaand il leur platl ; vollii le fond d« leurs romang et de leoro satires cootre le oarl6si«msme , voilii la fable imaginde piir le P« DaBicd dans son Yotfog^ du monde de Ducartes (1). Poor savour k quoi s*efl teair sur ce monde , objet des rap«- ports les plus contradicioires ^ son h^ros va troaver un vieil- lard ifai a 616 Tanri de Descartes* Ge vieillard lai eonfie que Descartes i»*esi pas mori , mais que les mMecins de Stockolm ont dDterrg son corps< pendanique son dme en 6tail sortie, powr une coorte absence^ et qii'ii tient de lui^m^e ce secret merveilleux de meltre momen landmen t Tdme en liberty do corps^ m^e pendant cetto vie* CoflMBC il n^esl rien de tel que de voir de ses propres yeax^ il lui propose d'en user. Les voilft done tons denx qui mettent leurs corps de c6t6 et s'envoleol dans les espaces vers I'dme de Desearles occupde dans le troislinie eiel^ fteonstruire avec la matiire ininie on monde conG»rnii6fneot k ses principesi Je ne conlesie pas que, dans ce Voyage du monde de Descartes, il n'y ail deTesprit, quelques critiques justes el fines et mdme une certaine moderation relalive, puisque le P* Daniel n^'approuve pas qu'on accuse Descartes d'ath^isme ; maiis^ to cadre et h plnpart des prindpei trahiss^t ^idetn^ itteni Te^rit et les tettdanfces ie Gassefidi . On retroure d^ (iclions el des plai^drtteries ai^alo^e^, Sitnfs U m6me tttodiS^ ration, dans les Nouveaux Mimoires pour servir a thistoire du cartisianisme , dont Huet est Tauleur (2). Blais Huet , (1) N« a aouen , ea 1649, morta Paris, en 1728. II a publie, en 1690, le V&^€kge 4fUk monde de Descartes ; en 1693, Lettres d'lm piripatetieien a Vau- teur d^un voyctge de Beecartee^ touchwit la conndiesance des bites,^ et, en 1724, un Traite de la nature du mouvement dans lequel il attaque les catuei occasionnelles. Ges ouvrages se trouvent dans le pi^mier volume de ses oeuvrcs theologiques et philosophiqiies. 3 vol. in-4o, i^'aris, l'T24. (2) Puisque nous en sommes aux tomaois contre la philosophic de Descartes, 564 comme hoas leverronsplastard.seconoipromet encore davan* lage par son JE^Ie k fairevaloir loos les arguments da ihat^rialisme , sans autre p^icanlion que de les mettre dans la bouche d'un disciple d'£picure. Le P* Tournemine lui- mdrne, qui a adress6 ft Voltaire une eicellente leltr^ snr riininortalil^ de V&me , dans ses Conjectures siir Vunion de V&me et du corps , paraft incliner, en opposition am causes occasioonelles et k rharmonie prMtablie , h fahre de r^n^e la forme du corps , suivant la doctrine p6ripat6ti- cienne (1). II n^est pas un J^suite qui pardonne h Descartes d*a?oir mis la clart^ et la certitude de YAme au-dessus de celle da corps. De toutes les opinions philosophiquesqu'emprunte h Malebranche leP. Andr£, la seule qu'approuvenl ses sup^rieurs, c*esteelle de la connaissance obscure de I'dme, mais ils le bidment de n'a- voir pas vu qu'il en est de m^me de la connaissance de Dieu (2). nous citcrons encore , VHistoire de la conjuration faite a Stockholm eontre la philosophie de M, Descartes. G'est une satire et une fiction, quelqae- fois assez ingemeuse,contre la philosophie de Descartes. Les conjures sent les accidents reels, les qualites sensibles, les^formes substantielles si maltraitees par Descartes, lis s'en vengent en decidant unanimementsa mort, ctla cha- leur, chargec d'cxecuter sa sentence, excite un transport dans son cerveau, dont il meurt. On a attribuc ce badinage au P. Daniel ; mais, d'apres I'abbe Trublet {Mimoires sur Fontenelle)^ il est d'un M. Gervais de Montpellier, d'abord protestant , puis ensuite prStre catholiquc. (1) Le P. Tournemine est nc4Rcnnes, en 1661, et mort a Paris, en 1739. Ses Conjectures sur Vunion de Vdme et du corps sont dans les Uemoires de Trivowx^ mai 1703. SaLettre sur Timmortalite de I'&me, en reponse a Vol- taire, qui I'avait prie de rcsoudre ses doutcs, se trouvc dans le torn, ix de la Collection des demonstrations ivangSliques. Paris, 1843. (2) Voir la deuxicme partie de la Refutation du P. Dutertre ; *ei les re- marques de la Gompagnie sur la profession de foi du P. Andre dans Tin- troduction de M. Cousin. II sera plus spccialement question du P. Dutertre parmi les adversaires de Malebranche. 565 Leor thiologie rationnelle est empreinte da indme empiris- ineque leur doctrine de Tdme humaine. Tout ce qa'a imaging Gassendi contre Tidte de Tinfini , ils le r^p^tent. Gomme la demonstration de la distinction de I'dme et du corps, les preu- ves cart^siennes de Tetistence de Dieu ne sont pour eux qae paralogismes et chimires ; ils ne font qaelque eslime qae des preuves physiques. Le P. Bapin reproche li Descartes d'a- voir n^gligg ces preuves physiques pour la d^roonstralion de Texistence de Dieu , et d'avoir ainsi plutdt prouvg la beauts de son esprit que I'existence de Dieu. Les philosophes de la Gompagnie ne peuvent supporter qu*on fasse de Dieu T^tre des etresy la virit6, Tordre , le bien en soi, et, dans leur su- perficielle m^taphysique, ils ne craignent pas de rompre toute esp^ce de lien entrc Dieu et la creature. Dutertre et Har- douin souliennent contre M alebranche que Dieu est un 6tre tout particulier, tris-singulier, quoique dou6 d'une verlu in-> finie. Selon le P. Dutertre , chaque 6tre particulier ne parti- cipe pas plus k T^tre divin qu^h T^tre d*aucune autre crea- ture. Tel est le point de vue d'ou le P. Hardouin d^couvre des ath^es dans Descartes et dans M alebranche lui-meme , et dans bien d'autres qu*avant lui nul n'avait soupgonnis. II a encore assez d'^quite pour pr^venir qu*il ne donne pas le nom d^athee ^ celui qui nie qu'il y a un Dieu pour s*abandonner a tons les vices , mais ii ceux qui ne reconnaissant aucune vraie divinite , font n^anmoins profession de r^gler leur vie et leurs mceurs sur la r6gle de la vertu et de la loi naturelle , qu'ils prennent pour Dieu. Alapreuve par I'infini, Hardouin reproche de ne donner que le genre supreme de I'dtre , ens in genere , id est omne genus entis , au lieu du vrai Dieu singulier, personnel. Quelath^e, selon Hardouin, ne s'ac- coromoderait de cette demonstration , d'ou Ton ne peut faire sortir que Tuniversel, d'abord dans le chaos , puis la forme actuelle du monde ? II ne faul done pas s'etonner que dans 566 ses Athei deteeti (1) il melte au nombre des ath^es Descartes, Nalebranche, Arnauld, Pascal lui-m6roe , mais plutdt qQ*il n'y ail pas mis saint Augoslin , en t6te d'an certain nombre de Pires de TEglise , manifestement conpables des mftmes doctrines. Qneces tendances philosoptiiques de la Soci^t^ sc r^vilent Iristement dans la longue persecution qa'elle fit supporter ^ un des plus airoables et des plus beaux espritsdont elle puisse se vanter, au P. Andr^ , pour cause d'altachement k Tid^a- lisme de Platon et de saint Augustin , h Descartes et h Male- branche ! C*esl la que se montre en tout son jour la philoso- phic ofScielle de TOrdre, soitdans les r^ponses des sup^rieurs h ses eioquentes et courageuses apologies de Malebranche et de Descartes , soit dans le Formulaire philosophique , qu*on Toblige h signer et k dieter h ses ^l^ves. Gombien ch^rement le P. Andre n'expia-t-il pas le contraste de son id^alisme avec Pempirisme de son Ordre, et quelle aveugle fatality Ta- vait jete dans les rangs des J^stiites , lui dont la place £tait k rOratoire ! Pans leur emportement centre la philosopbie nquvelle ^ les supgrfeurs da P. Andre traitent BlalebraDQbe de fanali- que , de vjsionnaire et de fou et assitaailent Descartes k Calvio. « Vous ne pouvez ignorer, fecrit le P, Guioaood , provincial , 5 Andre eo 1704 r qw te P* general et le3 siuperieurs la de- fendent (la doctrine de Descartes),, que la Gompagnie pre- tend qqe non aeulemeiit on ne Tapprouve point, mais encore qu*on la coipbatte , ainsi qu'gn qombatlait celle de Galvin avant le Goncile. Gomprene^* je vous prie » que dire que voos lesestimez et qu'ils ont des opinions raisouoables , c^est conune qui dirait : j'ai de Testinie pour Calvin et il a des opi- (t) Opera vaHa, in-fol. Amst., 1739. 5eT Didns {»h$ raisonoables. On eit r^soltt de ne poiot Mmffrir dans ia Comp^gnie non seuleteeot eettii (|tii snivent ces aa- tenrs oti qui les loa^nt , mais c^iix qtti tie 1^ Moment pas e( n'ont pas de zk\e centre lenr doclrine. i» En effet , ie g6n6* ral Ml^he^Ange Tamburini (1) venait d'interdire h (otit mem-^ bre de la Socidt^ d'enseigner trenie propositions oil de troti- vent compris la f)lnpart des prineipes de Deseafies el de MdM)ranche , et de soiiteriir , mdme cotitme line simple hj- potM»e , Ie sy^^me de Descartes (a)« Mais si les J^sUites ne dftdaignent pas d'einployer contre Descartes des artnes phitosophiqties, ils se plaisent sartont k se setvir des artnes religiedse^. Us Spirent atolr meilleor compte dn cartManlsme par la dtoonciation de cotttpKtitd avec Calvin et Jans^nin^^ que par la diseos^M philosophic qne. IIS retiennofil done sans ces^e A rargnmetit d€i ria^oifii-)^ patibilitft aTee la foi et snrtout avec rEacharistie» eompataiit Descartes h Calvin, commeVo^t Ie comparait h Yanlni. Eillre tons se signalele P. Yalois, qui en 1680, sousle pseudonyiiie deDelaville, adresse i tons les £v^nes de France nn oiivrage (3) oik il d^nonee solennellement Desicarles, comme fiinlenr du (1) Elu eu 1706, mort en 1730. (2) Yoici quelques-unes de ces propositions qu'il est interdit dc soutenir a tout membre de la Societe : a Mens humana de omnibus dubitare potest ac debet, prssterquam quod eogitet adeoque existaft. — Essentia m«terifl6 con- sistit in extcnsione externa. — Mtmdi exien^o indefinita est in scipsa. -^ Solus Deus est qui raovere possit corpora. — Belluae sunt mera automata. — Mens apprehendendo nullatenus agit , sed est facultas mere passiva. — Nullse sunt formse substantialcs corporese a materia distinctae. — Nulla sunt accidentia ahsoluta. — Systema Cartesii defendi potest tan^uam hypo- thesis. » (3) Sentiments de M. Descartes touchant I'essence et les propHetes des corps opposes a la doctrine de Vtlglise et conformes atix erreurs dc C«?t'in siir le sujet de VEucharislie. Paris, 1680, in-12. 568 calvinisme et les somme en quelqae sorte, par I'exemple da roi, de proscrire sa doctrine. Qu'on en juge par ce dibut : « Messeigneurs, je cite devant vous M. Descartes et ses plus fanieux seclatears ; je les accuse d'etre d'accord avec Calvin et les calvinistes sur des principes de philosopbie conlraires h la doctrine de r£glise, etc. » Le P. Valois veut d^montrer rincompatibilit^ des principes de Descartes avec TEucha- ristie. Son oavrage est divis^ en trois parties. Dans la pre-* injure, il expose et r^tablit conlre ceux qui, pour ichapper k forage^ eussent voulu la dissimuler, la vraie doctrine de Descartes et de ses disciples sur la mati^re. Descartes fait consister la mati^re dans T^tendue, il ne met rien dans le corps que la pure ^tendue ; il a pour principe que les parties de la substance corporelle sonl absolument imp^n^trables et qu*un corps ne pent jamais ^tre r^duit k un plus petit.es- pace que celui qu*il occupe nalurellement. Cest ainsi que les adversaires de Descartes ont toujours interpr^t^ sa doc- trine, et qu^elle a m profess^e par ses disciples les plus accridit^s, telsque Glerselier, de La Forge, Rohault, Gaily, Antoine*le-Grand et Malebranche (1). Or, dans la seconde partie, il d^montre que cette definition de la mati^re est inconciiiable avec la doctrine du concile de Trente sur TEu- charistie, et il refute les arguments par lesquels Ics cart6- siens ont essays de prouver le contraire. Enfin, dans la troi- si^me partie, il pretend montrer Tidentit^ de ces principes avec ceux de Calvin. Calvin , selon le P. Valois, se serait fondi sur cette notion de la mati6re pour nier que J^sus- Ghrist puisse 6tre dans TEucharistie comme I'entend r£glise romaine. D^s-lors il devint k la mode parmi les J^suites (1) U (lit dc Malebranche : « Manifestemcnt cartesien en plusieurs f hoses, mais particulicremcnt sur le point de Tcssence de la matierc. » 569 d'associer ensemble, comme le fait le P. Goiroood, les noms de Descartes et de Calvin, comme aassi de Jans^nius, afin d'attirer les mdmes riguenrs sar les partisans des uns et des autres (1). Le livre du P. Yalois excita une vive pol^mique entre les carl^siens et lears ad?ersaires, entre les protestanls et les catholiques, dans laquelle intervinrent Arnauld, Ma- lebranche et Bayle en fa?ear de Descartes, el Bernier en fa- veur de Gassendi (2). Arnauld repousse avec indignation Tac- cusation da P. Yalois contre le cartesian isme. II lui reproche u d'y porter lui-m6me un bien plus grand prejudice, en ce que ne se contentant pas de ce que r£glise nous oblige de croire de ce mysl^re, il nous voudrait faire passer pour de nouveaux articles de foi ce qui n'a ^{^ d^fini dans aucun concile, et ce qui ne peut se prouver ni par r£crilure ni par la tradition (3). » II dit encore : « G*est donner un grand avantage aux hir^tiques qui prennent occasion de faire (1) A cote de l*ouvrage du P. Valois , nous en citerons un autre intitule : La philosophie de M, Descartes cotUraire a la foi cathoHque, petit in-12, Paris, 1682. — L*auteur qui garde ranonyme se propose de completer la Refutation du P. Valois. L'ouvrage tout entier a pour objet Tessence de la matiere et les accidents reels dans leurs rapports avec TEucharistie. (2) Dissertation de Bayle : « Ou on defend contre les pcripateticiens les raisonspar lesquelles quelques cartesiens ont prouve que I'essence du corps consiste dans Tetendue. (Dans les oeuvres diverses, 5 vol. in-fol.. LaHaye, 1731.) Eelaircissement sw le livre de M, DeUwille, par M. Bernier. — Defense de Vautew de la Reclierche de la verite contre Vaccusaiion du sieur Delaville. Rotterdam, 1684, a la suite de la deuxiemc edition De la nature et de la grace. — Reponse de M... k un de ses amis touchant un livre qui a pour titre : Sentiments, etc. ( dans le recueil, public par Bayle, de pieces curieuses concemant la philosophie de Descartes). Gette reponse, accompa- gnee d'un memoire sur la possibilitc dc la transsubstantiation, n'est pas de Malebranchc, mais d'un ami de Malcbranchc. (3) Apologiepour les cathtdiqnas^ torn. 2, chap. 5. 570 croire qa'il y a un grand nombre de catholiques qui sont cal- vinisles dans le cceur, quoiqaMis ne Tosent pas dire (1). » En effet, comme d^j^ nous l*avons dit , Bayle, Poiret, Wit- Uchius , un grand nombre de ministres proteslanls, et surtout Jurieu, prennenlacte decetle pr^lendue demonstration pour accuser de mauvaise foi Arnauld et les th^ologiens cart^siens qui ^crivent en faveur de la transsubstantiation (2). Les J^snites ne maniirent pas d*une fa(on moins dange- reuse et moins perfide contre les cart^siens T accusation de jans^nisme, ^ laquelle ils r^ussirent k donner plus de cr^ance, etpar laquelle Jls accablirent ceux quMls ne purent perdre par la seule accusation de carl^sianisme. II leur fallut assQcier Tune avec Tautre pour encbatner et humilier TOra- toire. Yoici le d^but solennel et plein d'horreur des Athei de- tecti du P. Hardouin : « Afin de tout metlre en ceuvre contre la foi et de la d^truire, s'il ^lait possible, Tenfer a imaging de donner pour auxiliaire ix la th^ologie nouvellet c^est-ii- dtre au jans^nisme^ la philosopbie nouvelle complice de tous ses desseins. x> La hainc des J^suites contre la pbilosophie de Descartes s'etend plus oa moins sur les grands philosophes, sur les grands tbiologiens , et m^me sur les P^res de T^glise , qui se rattachent a la tradition id^aliste , et dont les carli- sieos invoquaient rautorit6« Ils font remonter leurs atlaqoes jusqu'ir Platon, ils n'^pargnent pas saiiit AugusCin Itti^-m^iBe. Dans toos leurs parall61es d'Aristote et de Ptaton, c'est Platon qu^on voit toujours sacriB^ k Aristote, Le P. Hardouin traiCe (1) Lettre415, torn. *l^ des OEuvres completes, p. 245. (2) Etprtt da M. Arnauld, torn. 2, p. 132. ( 2 vol. in-12, Dcvcnler, 1684.) 571 PlatoD d'athie ou au moins de polylh^e (1). Le P. Baltus croit de?oir ^crireun livre pour purger do crime de platonisme Ions les pferes de r£glise. et saint Angaslin lui-nidme. D'antres J^snites, au lieu de chercher h jnstiQer saint Augustin de pla- tonisme, s'en prevalent au contraireponrdiscuter et^branler, avecune certalne hardiesse, son antique autorit^ dans T^glise. Void comment en parle la Gompagnie dans le manifesto phi- losophique qu'elle impose au P. Andp6 : (c Y^Fitableroent on est oblige d'avouer qu'il a ins^r^ dans ses ouvrages nn peu trop de platonisme quMI avail ^tudi6 avant sa conversion. » Dans sa refutation de Blalebranche, compos^e par ordre de la Gompagnie, le P, Dutertre est encore moins rAvftren- cieux. Sur la question de la nature de la v^rilA, il reprocbe h saint Augustin de se sentir du pur platonisme et de la th^urgie de Porphyre, sur celle des moyens de rendre VAme capable de connattre la v6ritd. Gependant, apris avoir de la sorte reprimand^ saint Augustin, le P. Dutertre veut bien admettre en sa faveur quelques circonstanoes att^unantes, par consideration des temps dans lesquels il vivait, ou, dit^iU les noms de sagesse et de philosophie etaient si fori h la mode. La mauvaise humeur du P. Hardouin contre saint Augustin est encore moins r^servAe dans les articles des Athei detecti consacris h Jans^mus et h Ambrosius Yictor. Yolontiers s'en d&barrasserait-il en le declarant tout entier apocryphe, ou tout au moins, le De ttbero arbitrio. II n'ose pousser jusque-li I'audace de son erudition si etrangement paradoxale et sceptique. Mais par la fa^on dont il revoque en doute Tauthenticite de toute Tanliquite profane, il ebranle d'oue fagon indirecte celle de saint Augustin et de tous les Peres qui ne sont pas en harmonie avec la philosophie et (1) Voir le Plaion explique dans les Opera varia. 572 la Ihtologie des J6suites« el qui auraient m6fM une place dans ses Alhei detecti^ pour avoir aussi fait de Dieu T^tre des dlreSy I'ordre, la raison, la v^rit^ supreme. Quelle plus Strange imagination que d*attribuer (ous les principaux ou- vrages profanes on mdme eccl^siastiques de Tantiquit^ et des premiers slides de T^glise, k une socidt6 de faussaires, d'impies et d^ath^es du XIIP si6clequi les auraient fabriqu^s pour autoriser la doctrine que Dieu est la v6rit6, c*est-a-dire, n*est pas une substance, et pour entratner le monde dans Tath^isme ! Quelle singuli^re Erudition, vain ement employee au service de cette th^se qui riduit au n^ant tons les auleurs sacr^s et profanes de rantiquit6 ! QuMl suffise de dire qu'il entreprend de prouver que Vtlniide est I'Geuvre non deVirgile, mais d*un moine du XIIP si6cle, pour donner une id^e de la bizarrerieel del'audace de ses paradoxes. Mais, au travers de toutes ces bizarreries, le P. Hardouin avait un but s^rieux, il pensait venir en aide aux instincts et aux doctrines de sa Gompagnie, il pensait en finir hardiment et d'un seul coup avec tons les t^moignages des docleurs de r£glise, sans cesse all^guis par les adversaires de ses doctrines philoso- phiques et th^ologiques. G'6tait un remade h^roique et dangereux, qui pouvait 6tre tourn6 contre les £crftures elles-m^mes et les fondements de la foi. Les Jisuites s^en alarm^rent ; ils d^savou^rent le P» Hardouin et le forc6renl h se r^tracter / non pas au sujet des Athies di- converts^ mais au sujet de ses paradoxes historiques (1). Tel est le lien entre le systime du P. Hardouin et la pol^mique (1) Bihliotheque choisie de Leclerc. Amsterdam, 1709, 18« vol. En 1709, il fut oblige de souscrire a la declaration que fit la Societe contre ses (Mu~ vres choisies ifnprimees a Amsterdam. Mais on voit, par la date de quelques- unes des pieces dont se composent les OEuvres diverses publiecs apres sa mort, qu'il n'avait pas renonce a son systomc. 573 que soulenaient les J^suiles contre les partisans de saiol Au- gusUn, de Descartes et de Malebranche. On comprend que la patience el quele respect pour saint Augustin ^chappent un peu ii quelques J^suites, quand on voit tous leurs adver*- saires, cart^siens et jans^nistes, avoir sanscesse son nom h la bouche, et se mettre k I'abri sous son auloril^. Soyons juste cependant k regard des J^suites , et tout en signalanl leurs tendances empiriques et sceptiques , ne leur refusons pas I'^Ioge de s'^tre constitu^s les d^fenseurs du libre arbilre, dans I'ordre de la nature comme dans celui de la gr^ce, et de n'avoir cess6 de soutenir, avec une^ertaine force,la r^alit^ e t I'efficacit^ des causes secondes centre les causes occasionnelles et contre le principe que Dieu seul agit en nous. D'ailleurs, tous les raembres de la Gompagnie n'imitent pas les emportements et les violences du P. Dutertre et du P. Hardouin; quelques-uns m6me osent dire quelque bien de Descartes. Mais il faut prendre garde qu'en g^n^ral, le bien qu'ilsen disent,s*applique k la physique et non k la m^taphysi- que, etqu'ilne prouve rien contre le caract^reg^niral d'empi- risme que nous avons attribui k la philosophiederOrdre. Assu- r^ment le ton des Vkres Rapin, Tournemine, Regnault, Buffier, n^est pas celui des Dutertre, des Gulmond, des Valois, des Har- douin. lis rendent hommage au g^nie de Descartes et de Ma- lebranche, mais ils demeurenl fiddles k Tesprit de leur Or- dre. Le P. Rapin loue Descartes comme un des g^nies les plus eitraordinaires qui aient parji dans ces derniers temps : a G'est, dit-il, une des plus subliles et des plus accomplies des physiques modernes, remplie d'id^es curieuses el de belles imaginations, et quand on y pense bien, on y trouve un corps de doctrines plus r6gl6 que dans Galilee et les An- glais. » Mais il le loue pour sa physique et non pour sa m^taphysique, et, d'ailleurs, au tong^niralement ligeret scep- tique, k la prftfirence donnte k Aristote sur Platon, dans le 574 parallde de ces deux philosophes (1), on reconnatt bien en lai un philosophe de la Soci^ld des J6suites. Dans ses Conjectures sur Vunion de T&me et du corps , le P. Tournemine ne parle de Malebranche qu'avec estime et respect^ an lieu de le trailer de visionnaire et de foo, comine la plupart de ses confreres, quoiqa'il le bUme de pritendre nous faire voir les corps en Dieu, et Diea lui-m^me inlai- Uvement par la raison, a Quelque respect que faiOt dit-il, pour rexcellent philosophe qui a donnd conrs k cette opinion, il me pardoanera si je ne puis croire que, dis cette vie, nous voytons Dieu intuitivement et les corps en Dieo, » L'esprit de parti reparatt^ par un autre cOt^, dans le P. Tournemine quand. il s^en prend h Arnauld d'avoir contribu6 au succ^ de cette doctrine, pour I'avoir oombattue plutdt par des in- jures que par des raisons. S'il y a des injures dans la pol6- mique d^ Arnauld, il y a aussi des raisons, et assur£ment aucun j^sttite n'a jamais fait une plus forte refutation des par- ties vicieuses de la visioa en Dieu« A cette occasion , je reiaarque que Malebranche pendant le fort de sa pol^mique centre Arnauld, ieur plus grand ennemi , et alors qu'il se posait comme Tadvecsaire du jansinisme, rencontra quelqnes sympathies cfaez les J^uHes. Rendons aussi cette jus- tice au P. Tournemine que, s'il ne pent se r^soudre k croire que nous voyons Dieu en lui-mtoe, il admei au moins que nous le voyans en nous. La premiere id^e (^'a Tdme est, dit-il ,. celle de sa substance , laquelle ren£erme celle de Dieu , comme Tidie de I'effet celle de la cause , d'ou il suit que Tid^e de T^me el de Dieu, perfection supreme, ^t Tobjet de la premiere connaissance de Tdme, ios^arable de Tdme elle^mfime. Ainsi commence-t-il ii faire brtehe au (1) Comparaiion de Platon et d'Arisioie, les tentimerUs des Peres sur leurs doctrines. Paris, 1671, in-12. 676 graod priQcipe, qu*il o'y a rien dans renlendemefii qui tt'ail passS par le sens. Parmi 1m J&oites qui ottt le mieux parl6 de Descarioa, il faul citer le P. Regoault^ tuteur d'une physique en diaiefoes el d'on aulre ouvrage snx VOri§in€ ondmne de la pAysif ue nouvelkf ou il chercbe k moolrer toutes les seiaenoea de la physique de Descmrtes Aparaes daoft la idiysique ancleoiio, Don pas, coooae quelquea attlrea, poar ddprtoier aea ddoeiK vertex, mais pour kti raUier les partisans 4'Afistole et de l'«a- tiquil^. « Mais Desoartes Ue, ettcMliie, perfeelioDiie, 6(abHt ser les lois de la nature ei rapporte k 4es prindpes de |ri»y^ sique t0 qui se Irouve iokparfaii, go»- struire un monde en idde, dont la cooslruelioa suncesrf.f a eit d^laill^e, offre ^ Tesprit et k riaaaginaiion nen seolenefii lea phj^Bomtoes que nous voyons, mais lea eauses et les. res- sects donl Taetioo leyisiigAo denae oe speclaele i runicera, c^eat UD IraU quL marque beaueoup d^ piteMrafioA, ime grande Mmdahe d'espnily una imaginalten beUe ek haidie, ea tm moA un g4nie« a Yoili san» 4oute; un^ tiel 6ioge de Descartes, mm de Deacafles^coniine ^ysiciM et non eoaame mMapbyaide^ A la diSi&reace* du P. Regnautt, le P» Butier, calibre, par son TraM ies edrtlds premilrai , s^est plus occupik' dife la seientde.de Tespiiitirqae de ceUe de.la natucev Le ti4re seul de veriWapremtfrss sui&l i iodiciuer que le P. BufBec^ eoinme le leP.TeuraMdne^seraquelque peuinfldile au fameux»iiUfear inmieUeetu quodjMnprimfuerit in9enm* Ontrouye dans ses onyrages nonseulemait un sentiment d'dquiUol debienveil'^ 576 lancet regard de Descartes, mais aussila trace de Tinfluence de sa mitaphysique. D6s les premieres pages du Traiti des virit6s premiires^ le P. Baffier loue Descartes d'etre rauteor d'une maDi^re de philosopher m^thodique, dont Tusage s'est i^tabli k son occasion ou k son exempie, et k laquelie on est encore plus redevable que ne le pensenl qaelques-uns de ses parti- sans, poisque sa m^thode sert quelqoefcHS h le combatlre loi- m6me. II le loue encore d'avoir, mieux que personne avaut lai, marqu6 la diff<6rence des deux substances de I'dme et du corps. Nous voil& saos doule bien loin de Daniel, de Duiertre, de Huet, deGuimond, de tous ceux de TOrdre qui avaient toura^ en ridicule ou accuse de paralogisme la demonstration car- t^sienne de la spirituality de TAme, nous voil^ bien loin do langage des pers^cuteurs du P. Andr6« En reconnaissant des vftrit^s premieres qui ne nous vienneot pas par les sens, et qui constituent le sens commun de l'humanit6, le P. Bnffier, quoiqu'il en ait assez mal determine la nature, les caract6res, le nombre et I'origine, se rapproche plus encore de la phi- losophic de Descartes, et fait manifestement des emprunts h la doctrine des idtes inn^es. Blais la philosophie du P. Bnffier relive de celle de Locke, plus encore que celle de Descartes. Sll a des iloges pour le Discours de la JSUthodey il en a de plus grands encore pour VEssai sur VEntendement humain. Chez lui, la tendresse pour Locke a succ6d6 k la tendresse de ses pr^dteessenrs pour Gassendi. Ni Voltaire, Tintroducteur de Locke en France, ni Gondillac, le principal interpr6te de sa doctrine, n'ont ja- mais prodigu^ de plus grands ^loges au philosophe anglais. e$caries. Si» dans Baffiar qui est 4a XV11I<^ si6cie, t'empirisme oe rev6t plus les formes d'Arislate on -de Gassendi , c'est pour rev6tii:» sauf des modiflcatioos dont f ai tenu copipte , celles de I'auteur de i'£ssai sur Vent$ndmf»i hnmain. On peui done ciier le P. Bnffier comnae une preiaye de radoucissemeut des J^suites, d la fin da XYUF siMe, ft regard de la pbiiosojAie de Descartes, mais non;de rabandon de leurs tendances empiriques. Dans leqr Journal de Tn&voui»^ oil its avaient altaqa6 la ConnaiB$an^ de Dim'H de mr^ntme deBossoet^ue font-41spas encore a^t 6loge sioguiier de YEuai swrVoriginedenos connaisaonces de Condi Ikie : a Yoilft anaor vrage de miti^pbysique et de la mitaphysique la plus -sa- blime (1). » Je n'onblie pas qu'nn des leurs , le P. Gutoard , en 1755 , dansun diaeours aar Tespril pbilosopbique qui xemporta te prix, a loui admiraideiiieiit Deseartes: On coonatt trop;pottr que je veoiHe' les dter, ces pages d!UQe racedloquencet o(i le P. Gurnard repr^sente Deseartes seoouan^ le joug cki.pfflttce del'£Gole,«nfeignant aux hommes.quepoar etce phtldsophi;, il ne suffit pasde croire, mai84itt'4ltfaat penser ; oil ilJe.lone de ne cQDSuUer ique lesid^es claifesei dblinotes, auitieBdea ttorts el des dieiix de r£cole , et d'a^oir oa6> ma|gr6 Jes mis el laifureur de rigoorance , frayer des rentes nouvaUes^ ii la raison captive. A ia m^me .ipoque ^ le I^« du^Baudciry ^ auo- cesspur du P. Porte dans la chaine de rMJLorique du leolKge da Loais^lei^Grand , cdt^braitiaassi a¥ec«ne sorto dlen^aUf-* siasme le g^nie de Descartes dans un discours latin sur les in- venteurs de nouveanx syslimes (3). Mais il faut voir dans ces (1) Journal de Trivoux, mai , 1747. (2) Unde calor ille repentinus qui tota passim in Europa non ita predi OT9 ibiog^ ka i&re eipression d'une i^dmir aUon indlvtdaoUe pour le 9^16 de Desoarles, plul6t ifB'itne doiMrersion \mAii9e-it{ Ia Gonipa0Die ft l^lddaitom^. Eiii^pribeQce^Aes ^Mbord^meQlp: lie la pbilqsophieseAsiialtsic,'^ ii te^vdHede' beiir espoUod'^ quelqoefr Jtoattj^r s^avisaiieifl enifi^'v -qMique Ho- '>peu tani, (^Hb avaienl €u tort^ -de draoer. slctasifideiiiiuit ids mains 4 Gauendi et ^ LoekB^pire^'Bfaeavle8,tt qoe, dam Fia(ir^ deia fei, il vf^lati rtijeua;^ Conine ravaientpessd Af-^ naniM elBossuet, avoir affatve i ^ne yhiloan^lhls^riiualialKt qi*ii une plii(qpf£ef8&lde caresser at d^ndre^ed (^posiUoo ji Beseaelds.^ L^hislolre efl d'a(?oord avec laio§iq««e'poiir iiovsindnteeD'^e rMipiflsme porte dans ses flanea'lanigatibtp de Bleu: ei ttabieh ahAytai^ Qai conteste aujourd'hui que ces negations sontla oonai^ quence rigearee^e do principe fitktl est i9i intMecUji yaod noiiprms fuerii in semwi donl leis Jdsuitaa^to'aent faitp las €bampipos?> iQtt'esHce &' diaeB »FauHt oi»it^' q«e loni «a grand > Of dre religiei|sv aidiam^^ii^ la foi V Vesirattaihiel ces principes en connaissance de leur incompatikMiljd'ttvec^iif foi et de tears rigoureuses consequences , et avec Tintention d'en favoriser le d^veloppement dans le monde ! Assur^menl les J^suites sont k Fabri d'un semblable soup^on ; ils relrou- exarsit, et illas pnesertim disciplinas quae in rerum naturaiium disquisitione versantur, suis afflavit ignibus ? Surrexit nimirum magnus ille vorticum fabricator, etc. 580 vaieni dans la foi toutes ces grandes v6ri(6s dont ieur philo- sophie comproaieUaii rexisleDce. Leur siocdrili n*est pas suspecle, commeeelle de Pomponal on de Bayle ; qaand ils d^dareni croire, coimne cfardtieDS, ce quails ne nient pas, mais ce qa*ils 6branleDl ou affaiblissent CQiiime philosophes. 11 ne faal'donc pas les accuser de maavaise foi , mais sealenent d'ane grate incons^uence , eocore qu'on paisse saisir une certaine relation enlre lear philosophie et la lendaoce, qui si souvent lear a £(£ rcyroch^e , a rendre la religion plus maC^rielle et moins ennemie des sens. De tout ceci je me borne k tirer cette conclusion , qu'il faudmit dtre trte indul- gent pour la philosophie des autres , Alt^ce mdme le pan- th^isme , qui assur^ment n'est pas pire que le sensuaKsmey quand on' a eu soi-ni6meie uialheur de difendre si long- lemps et avec autant d'opinidtrel^ une aussi nuiuvaise philoso- phie y k savoir rempirismev toujours le mdme au fond, qui, soit qu'il garde les formes du piripatdtisme des ^coles, sott qu'il prenne celles de Oassendi ou de Locke, supprime touCe v^rit6 absolue pour s'allier avec un scepticisme dont on trouve partout la trace dans le ton et les maximes des philosophes de la Soci6t6. ' Telle est la philosophie que les J^cniites opposent k la phi- losophie idteliste et platonicienne de i'^cole de Des- cartes et de rOratoire, et qui a eu pour priocipal reprteen- iant rdvdque d' Avranches , dont nous parlerons dans le dia- |»tre suivaiit. CHAPITRE XXVII. Huet d*abord cartcsien. — Conferences cartesiennes k Caen. — Le mepris des cartesiens pour Teradition, principale cause de la defection dc Huet. •— Ceruure de la phUonopMe cartitierme, — Inconvenance du ton. — Double tendance k rempirisme et au soeptieisme. — Reproche k Descartes de n'avoir pas persevere dans le doute par oil il debate. .— Attaques eontre le Cogito^ et*go sum et contre la regie de Tevidenoe. — Objections centre les preuves de la distinction de I'&me et du corps. — Principe que tou- tes les idces viennent des sens, oppose aui idees innces.— Les preuves phy- siques, scules preuves legitimes de Texistence de Dieu. — Critiques contre lesprincipes de runivcrs materiel. — Parallele des vices et desmerites de Descartes. — Contradiction de Huet relevee par Regis. — • Descartes ac- cuse d^orgueil ct de mauvaise foi. — Ignorance feinte du maitre, pour paraitre neuf en tout ce qu'il dit. — Ignorance rcellc des disciples. — Retour ii la barbaric. — Grand retentissement du livre de Huet dans tons les pays de TEuropc. — Nombreuses editions et refutations de la Cemure, — ^Reponse de Regis. — Descartes venge des fausses interpretations , des accusations et des injures de Huet. — Replique dc Huet dans la preface de la quatrieme edition. — Nouveaux mSmoires pourservir a VkUtoire du carUatamsme , pamphlet indigne de Huet. — Le Traite de la faibksse de Vesprit hwnain , testament philosophique dc Huet. — Jugement severe d'Arnauld sur Huet. — Jugement general sur la polemique des adversaires de Descartes. II ne faol pas sdparer Huet des J^suites. Pendaot iouCe sa longue vie , il a ii^ ou leur prot^gi , on lear protectear, 589 ou leur pensionnaire (1). Get ardent et dangereux adversaire dtt cartdsiaDisme a d'abord M6 cartdsien , comme lai- mdme il nous I'apprend dans ses M^moires sar sa vie. Son Ame jeune encore s'^tait Uprise d^enthousiasme pour cette nouvelle maniire de philosopher , et pour Tadmirable facility 9Yec laquelle , de quelqaes principes bien sim- ples , elle semblait d^dtiite TeJ^f^ttca^ion du monde entier (2)« Non seulemenl il 6tait attach^ k Descartes , mais il travailla h r6pandre sa doctrine ; il tint m^rne h Gaeu des confiftrences car- l^siennes ou Cally seconrertit k la philosophie nouvelle. D^j^ nousavons raeont^ la persecution que Gaily eut^ subir^ppur cause d*attacliement au cartesianisme ^ persecution ^ l£|quelle Huetsembjj? applaqdir, qupni^e. Ci()).7 I^V soq aDcien.aini el qua lui-nsktoie Ail coupabla de ravoAr.flltifre i Dtstiries. Gomttent, ti i'atoour de D^ckrtiesv tt smede eeite hkitt& si ▼fve qui est d^Vente / aire<^ le goAt de Tettide et de l*erhdi- tioh , )a passion de loule sa vie? bans la Censure , Etuel n'en veui faire honneur qu'^ Tinfluence c|u due de Montausier (3). (1) Huet (Pierre-Daniel), ne a Caen, en |630. En 1670, ii est adjoint cbinme sous- precepteur a Bossuet, pour Teducation du grand Dauphin. II fut ■• > . • ■ recu membre de 1' Academic francaise, en 1674, et, en 1685, nomme a Teve- clic de Soissons , ' qu'il echangea contre celui d'Avranches. En 1700, il donna sa demission pour se livrcr tout entier a son goiit pour les lettres, ct se relira a Paris, chcz les Jesuites, ou il mounit en 1721 , (2) Nee facile dixerim quantam admirabilitatem fecerit nova haec philoso- pli'andi ratio in animojuvenilietvetenim sectarumrudi ; cum ex simplicissi- ihis el facillimis principiis deprompta yiderem speciosa miracula, ct yelut sponte exortam munai hujus compagem, totamque rerum naturam. Ac per (nultos certo annos arctissime devinctum me tcnuit cartesians factionis studium.(Gonmicntarius dc rebus ad cum pcrtincntibus. Amst. ,1708, in-12,p. 35.) (3) Goactus impulsu summi viri Monlausieri cujus magna crat imprimis apiid Tie. et gravis audoritas. {Cefuuraphilofophifrt^arfeshno'^ k^td.^ 1694, Antecessio.) 583 Sans doute il fant Tatlribuer aussi ^ rinffllience des l^snites , inaid sartoQt au m^pris hantement affich^ par les cart^siens poar r^tude des langues , de I'antiquit^ , de rhistoire , pour r^radition, k laquelle Hnet avait consacr^ sa vie et d'on il tir^it toate sa renomin^e. Ge sentiment perce avec amertdme datls la plapart de ses 6uvrages. Dans une lettre h Perrault , il traite les cat-t^sieiis de cabale d'ap6deates , de gens igno- ranfs et non leltr6s| qai , sentant lenr incapacity , on( entre- pri§ de s'efi faire on mirite , de ridicnliser T^rndifion et de triiiter la science de pManterie (1). II ne pent sapporler, dit-il aitteurs, ces philbsophes r^pitant partout quMls pr^fferent ceili qui cfiltivent teur raison h ceax qui ne font que cultiver leur m^moire , et qui exigent qu-on travaille plutdt h se con- nattre qu'i conriaftre ce qui s'est pass6 dans Fes Jiteles re- C!il6s (2). Arm6 de la double autorit^ d'^v^que et de savant , Huet se flalla de lerrasser le cart^sianisme par la Censure (3). Dans la Dimonstration ivangHique , ant^rieure k la Censure , il n'avait fait la guerre qu ^ Spinoza et au Theologico-politicus ; ici il atlaque toule la philosophic car- t^sienne. Empirisme el scepticisme , voil^ le double caract^re de cette Censure comme de tous les ouvrages Merits par les J6- suitescontre Descartes. L'effort de Huet pour d^montrer, en torturant Thistoire de la phllosophie, qu'il n*y a rien de nou- r veaudansle syst^me de Descartes, qu'il a emprunt^aux anciens tout ce qui a quelque valeur, dans sa m6taphysique et sa phy- sique, et le parall^le des d^fautset des qualit^s de Descartes, piar lequel il lermine Touvrage , voil5 ce qu'il y a de plus (1) BiiBtioma, Decadence des lettre^, in-1 2. Paris, 17!2S2. (2) Nouvemtx nUmoires pourservir a tMsloire du mrtesianisnip . (i) Censura philosophioB cartesianw^ ih-12, 1689. 58b origioal dans la Censure. Quant aux objections pare- ment philosophiques , il les a foutes emprant^es k Sextos Empiricus on k Gassendi. L^oavrage est d^di^ au due de Montansier , qui , si nous en croyons Hue! , s'Indignait fort des progr6s d'une doctrine d^fendue par le roi. G*est , dit-ii, i*exeniple des Pires qui lul a mis la plume & la main dans Vintir^t de la foi menacie , et qui Tencourage dans cetle lutte centre un contempteur t^miraire de la sagesse chr6- tienne et antique » et centre des icriyains barbares qui com- mencent comme Pyrrhon, pour finir comme Platon. A d^faot de rautorili des docteurs de r£cole et surtout de saint Tho- mas , des arguments de Sextus Empiricus et de Gassendi , ce sont les decisions de I'EgUse , et les condamnations eccl6- siastiques qu*il oppose h Descartes. Le ton de sa pol^mique est sans convenance et sans gravity. G'est un melange de subtilit^ scholastique , de satire , d'ironie et de grossifere in- solence. Huet ne cesse de r^p^ter qu'on ne trouve rien dans la philosophie de Descartes qui ne soit digne de m^pris et de ris^e , ou qui ne soil un tissu de contradictions. ToutelaCemuresediviseen huitchapitres,ou les principaux points examines sent : Le doute m^thodique, \eJe pense^ done je 9ui8^ la nature de Tesprit humain , Torigine des id^es , les preuves de Texislence de Dieu , les principes de Tunivers materiel. Le doute par lequet Descartes debute, voil& la seule chose que Huet trouve bonne dans toute sa philosophie. II lui reproche de n'avoir pas fini comme il a d^butd, et de n*avoir pas 6tabli la loi de douler, la seule que comporte la faiblesse de Tesprit humain, et de n'aller plus que d*erreur en erreur, du moment qu'il se s6pare des sceptlques. Ainsi Huet annon- ce-t-il d6j& dans la Censure ce scepticisme absolu , dont il doit faire haulement profession dans le TraiU de la faiblesse de f esprit humain. II conteste k Descartes la l^gitimit^ de toutes les voies par ou il pretend sortir de son doute provisoire. II 585 s'obsline k voir dans le Je pense^ doneje suisnu syllogisme , malgr^ toutes les expiicalions de Descartes , el en conse- quence nn cercle vicieui. D'ailleurs, Dieu,en cela comme en tout le reste, ne peut-il done pas nous tromper? Par rhypolhise de son Dieu malin, Descartes n'a-t^il pas donn6 au scepticisme une force nouvelle? Huet ne manque pas de s'en faire une arme centre la r^gle de T^vidence. II 6lend d'abord h plaisir la signification de r^yidence, pour mieux lui enlever toule autorit^. Que de choses ividentes qui nous trompent, que d'idies urates qui sent obscures etd'idtes fausses qui sent claires ! Dieu qui , de Taveu de Descartes, a pu faire que deux et deux ne fussent pas 6gaux h quatre , n'a-t-il done pu faire que T^vidence fitt trompeuse? II accumule une foule de sublilit^s de m^me force centre le crit^rium de T^vidence , pour arriver h cette Conclusion qu*il fallait ditruire le doute par une foi soumise et non par la raison. Mais la Censure devient plus compromettante pour Huet que pour Descartes , dans le troisiime chapitre od il attaque les preuves de la distinction dei'dme et du corps, et ou il reproduit Gassendi toutentier,comme ila reproduit Sextus Empiricus. II loue d*abord Descartes du soin qu*il a apport^ & prouver Texistence d'une dme spirituelle et de Dieu , mais il Taccuse d'avoir plut6t affaibli que forti(i6 ces dogmes par ses raisons , si d'ailleurs ils n'^taient pas certains par la foi. Avec la seule precaution de les placer dans la bouche d^un epicurien , il fait valoir, avec un z^le merveilleux , toutes les mechantes raisons des materialistes pour donner k croireque notre dmc est corporelle et qu*elle n'est distingu^e de ce que nous appelons notre corps que comme un corps plus subtil d'un corps plus grossier. II est bien difficile de s^emp^cher de croire que ce n*esl pas Huet lui-meme qui , abstraction faite de la foi, parle ici centre Descartes par la bouche de eel 586 6p1curien,coihme H est difficile de croirectae le matirialisme ^oppos6 par Gassendi aui IHidUdHons he sbi t de sa part qu^'un par exercice de dialectiqne et non son propre syst6me(l). De ci^ que Doas concevons Tdme sans le corps, il he r^salte pas, selon Huet, comme selon Gassehdi , qa*ils soient r^llement distincts. Si Descartes pense , tout en feighant qu'il n'a point de corps , c'est qae son corps n^anmoins shbsiste , car on ne pdnt pehser sans corps. II va sans dire qae Hnet rejette bien Idln la doctrine que V^me est plus claire que le corps et qu'il reprocbe k Descartes de faire deliiomme un pur esprit. Enfin, avec les p^ripat^ticiens de Tficole et avec Gassendi , il nie Teitistehce didoes qui n'aieht pas pass6 par les sens , et il combat les id^'es inn^es qu'il accuse Descartes d^avoir d6- rob^es h Platon en les atl^rant. It ne vieut voir qu'Un jen d'esjprit et non nne d6mohslration dans la preuve de Texistence de Dieu par Tid^e de TinOni. II la traite d*id6e imparfaite , obscure , confuse , il en fait Vme de rihdahi et hoh de TinBni. Lld^e da fihi la pr6- dSde , d'6& ell^ ke fohhe par I'abstraction des limites , par la g^n^rali^ation et ramplificatibn des vertus que nous remar- quons soit eh hous sdit dans les autres ; tout ce qu'elle a de r^alit^ objective depend uniquement de notre esprit. Huet se plafl ^ citer le ver^ tu es Dms a65condt7tis d'lsale et tousles ahciehs sages qui ont pehs§ que la connaissance de Dieu est envelopp^e de t^n^bres. Les preuves tiroes de la contemplation de Tunivers, du consentement des peuples, telles qu'elles ont ii& donn^es par les Ventures . les P6res de T^glise , les an- (1) Dans le Traite .sur la fmblease de VeiprU hunwin, Huet allegue, pour sc justifier dc rcnouvcler Ic pyrrhonismc, Tcxemplc dc Gassendi , « qui , portant le caractere de pretrc, a fait renaitrc la secte d*£picurc, abolic depuis lant d*annees, el a merite Tapprobation dc plusieurs pei»sonncs doctcs et pieusps. )) 587 c?en6 philo^op^es, vOiB Fes seules pk*euves fegiciraes de Tetis- tence de Dieu. S'fl y avatt une id6e inn^e de Dieu , dil Huet ailit ce qu^il y a de faux et de supej[Gciel daqs^cette ^ptprpr^«UQi} des syst^mes , en vue de prouver que le ginie le plus critr teur qui peut-^tre ait jani^i? px|s|t^, n'a fi^ fail q]gi# p]}ler les ancienfi et les ipod^roes. Hn^t pq Ti^^il pi^ m\^m kM^ montrer ici que le cart^siaoisme ^iait Pi9r|U>ul ayant Pes^rtoiy qu'ft prouver aiUeurs quf; |p c^r|stiapi^qie.4ta|jL paftottl.aviiQl J^sus-Ghrisl. > Mais ne[Qpraqce simuUe p^r le mf^UiB.i, pejpvi^nt, sfilou Huel, que Irpp rtelle fh^ \p disfiip^p^,qq'i|f accp^Q i)fl. vq^lpir nou3 rameoer k la barbiPifii^. Qi^p) q*e0t|^i^a la.«r Pl^priis ftm^ r^stronomie , rhistoire e^ le^ /lapgp^fi? J^ ppinq^ 3 3ero|i8-^ nous done le joQe( des cart^si/^os; iam ergo lu^jl^riuf^ debemus cartesianis^ q^od dopti sumtis! C^i iiioslqi^'i^ |^ fin de la Cemurej Huet nous r^v^le nalv^menllle gr^fl sqcra^ deson animosity conUe les carli^sieps, dap$ sop fimu)i)r-!prqpfje blessi d^irudit. Le livre de Haet ^ exalte el propag^ par tons lea enneiiits de Descartes, eat un graod relenitissement^ noli seulementtit France, mels dans Irate I'Enrope el fa( Iradpil'fians i^veique toQtes les Ungues. Huet raconle lui-mtee, dans son cein^ mentaire , quel orage il excita oodtre lui parml les taflMens de Fraoee , de Hellande et d'Altemagole. II se plaint fie I« violeoee avec laqu/dte il a 6ii attaqo^daMs iouaees pays , ea fers et en prose, dans des lemons ct daoB des Ihnes ; il se plaini desamis qui Tout abandonn^^ iels^ueCaltj-et Bossueis pr^CSrant renoncer k leur ami pliil6t qu'ii leor s]rst6m6"(l). Mais il n'y eat pas moins de ntfiitations que d't6ditibns de i* Cemure ;en moins d'une annie, natie part le cavtAsia-^ nismen'avait laiss^sans r^ponseie livre deSbietrDetMitesce^ refutations la meilleureest oelfe de ftAgis(3) ^ dont iFoiiteiieil^ •I • I ■ ' • , . <» 1 1 {ovX la .^oire et Temdition de quclgigu^ «iY|uat^, c^n iie s'e^ inet1fa,§g^eris e^ peine, mais qu*ils ne condamnent pas la connaissance de la nature, et d^ rhomme, etc. » (Quatrieme livre, chap. 6.) (1) Preface de la quatrieme edition de la CefuurCy 1694. Nous verrons plus tard Taccueil que Bossuet fit a la Cengure de la phihsophie carti- (2) PhiloMphkB carteghncB odutfmia Ceniuram Bwetii vindkatio, par Pc- termann. Leipsiok, iSM, 1 vol. in-4«. — Job Bfoerfa Sehwelingii Estert^ taikme$ cathedriomce in Bu$tn Ceniuram phUoBopkicp cartenaMB. Bremie, 1690 , in-8o. — Joh. Schotani ExetagiB Cemurce htteHancB. Franequeree, 1691, in-6<>. — Thhses de Voider ^ professeur de philoeophie h Leyd6 conire la Cemure de Hiiet, in-S®. Amst.^ 1695. — De viribus menti* humanoe contra 592 fait jaslement eel ^loge, que c'est an module detout ce qa'oD poarrait faire k ravenir pour la niftine cause. Ed effet, la r^ponse de B^gis est excellenle pour la precision , !a jus- lesse el la fennel. Beprodaisant le (exle entier de !a Cen-- sure, il la salt pas k pas , la r^fiile article par article , combat tons les faux principes , relive tooles les errears de detail , rectifie loutes les fausses iDterpritatipns. Huel avail avanci que le doate est le fondement de la philosophie de Descartes. Le doate » ripliqae tris-bien B^gis , n'est pas le fondement , mais ,ce qai est bien different , le point de depart de sa phi- losophie. Son fondement , c*est Ic je pen&e^ done je suis , qoi n'est point an syllogisme, mais une aperception immMiate de la conscience. On ne peat pins habilement dibrouiller tontes les subtilitis de Haet contre Tividence, ni mienx faire justice des reproches de mauvaise foi et d'obscuriti calculde adresste k Descartes. Comment se Iromper sar son veritable sentiment an sujet du mouvemenl de la terre et de rinfinit^ du monde? Si Descartes se sert da mot d'indifini ^ c^est lors- qa'il considire sealement quelqne partie de Tanivers ; mais^ quant k Tunivers lai-m6me , il ne craint pas d*aiBrmer qa*il est sans homes. An sujet de r^rudition diployte par Huet contre la nouveauti des principes de Descartes, Bigis se borne ft faire voir que son illustre adversaire se contente d^analogies tout k fait extirieures et ne daigne pas pinitrer dans Tesprit veritable du cartisianisme ni des systimes quMI Huetium, par Egger. Bern., 1735, in-S. — Trattato delle forze delV tntendi'' fnento iAmano,parMuratori. Yen, 1735, in-8o. — Huetnu^von dtr achwacheit de$ mefuehUehen vergtandes, par Grosse . Francf . , 1724, in-8*. — Ges Irois demieres refutations s'adrcssent au TraiU de la faible$$e de Ve$prU humaifh public en 1 723, plutot qu'a la Cetuwre. (1) R^ome an livre qui a poitr titre : Censura , etc. Paris, 1691 , in-12. 593 loi compare. Quanl aux persoonalU^s copire Descartes, il les dcarte dtt d&bal : « Gommecela ne regarde point le Comd del^ doctrine de M. Descartes , laquelle s^ile uotrs avons entrepris de d^rendre , nous n'y ripondrons pas do tout^ » Malgr6 un ton g^ndral d'arbanitg, la r^ponse de ft^gis contient quelques passages un pen dors pour I'^Y^ue d*A*- Trancbes.aLes philosoplie8,ditIa C€ft9tire,n*ont jamais ignore «0n pretend qu'il n'entendpasceqn'il improuve,i> dit aussi M'^'de Sivign^y apr6s avoir rapports quelques propos de salon, d^a^ prto' ksquels Huei n'auraii fait une guerre ouverte k Des* cartes ^ae pour plaire k M. de Montausier (1)« Huet fut piquS im. vif par la i^ponse de R^gis , comme on le >oit dans la preface quMl a mise en t^te de la quatri^e Mition , ou il se plaint amferement du ton de Bigis et semble le dteoncer aux magistrals en disant que sa r^ponse est plus digne de leur vindicte que d'une r(iftttation (2). Toutefois il entreprend dans cette preface de r^futer les objections deR^gis contra le pre- mier chapitrede la Cenmre* De plus en plus envenim^ centre les cartesians, en 1698, Huet les attaqua de nouveau dans un pamphlet peu digne de lui, intitol^ i^Touveati^ Mimoires pour servir a Vhistoire du (1) Lettrcs, 15 juin 1689. (2) Tolerassem si ncc prseter omnem urbanitatis atque etiam humanilatia morem , ca in me jactasset qwB magistratus potiu<( animadver- sione quam nostra responsione digna essent. I. 38 59& cartigiaHUme (1). II j suppose qtte Descaiies n'est pas mori en SuMe , mais que, d6grodl6 de la reine Christine ei de la quality oB^reuse d'orade dn genre hnmain, il a fail sembleni de mourir, ponr se relirer incognito dans la Laponie. Cepen-- dant , comme il Ini est impossible de renoucer an dteir de parler e( de faire parter de soi , it a form^ nn anditoire de jennes Lapons qui admirent ayec opimlitreti ses rares secrets el ses coups de mattre. Dans cette mauvaise satire, Haet repr(&8ente Descartes s'entretenant a?ec Ghanat el par- lant comme un niais, un intrigant, un fanCaron. II se moqne de ses propres disciples , il ril de leur simplicity , il confesse todsles torts que lui attribue h Censure: R^^mhi- dons b Huet avec d'Alembert : « II a beau faire, on ne rdosait point k rendre ridicule un homme iel que Descartes , et s'il fallaii absolument que dans cette occasion le ridicuie restAt h quelqu'un, ce ne serait pas k Descartes (2]. » G'esli regret qu'on yoit Leibnitz an[>)audir aux inyectives de Huet centre une philosophie mdre de la sienne et centre toute philosophie. II lui torit pour le C^liciler ; ii propose de hii communiquer plusieurs choses curienses pour enricMr la Censure^ et il Ini enfoie un petit ^crit ou il rdpondait k la rMitation de R^gis (3). Et«t*ce pour complaire aux puissanta du jour, ou bien par jalousie centre Descartes ? Nous sommes priparto k entendre, mais nous n'a?ons pas encore entendu le dernier mot de Huet. Partout dans ses on- (1) AxDBt., 1698, petit m-12. U est ironiquement dedie au prince des cartcsiens, c'estra-dire, sans doute k Regis. II parutsansnom d'auteur. Mais Huet lui-m^e se Tattribue dans ses Mimoiresj ou il dit qu'il inventa une esp^e de roman burlesque danslequel il exposait k la risee des leeteurs rai- sonnables les folies de la secte cartesienne et de Descartes lui-meme. (2) £logedeHwL (3) Fragments philosopMques deM, Coimn, torn. 2, troisieme edit. Cor- respondance de Leibnitz et de Nicaise . 595 V rages de pbilosophie et de thfiologie , il iBdifioe le seei^ cisme ent6 sar rempirisme, comme lepins dAr^systftm^ etle plas avantageux pour la foiyinais iralTe part ft n'a^ail Mt me profession elune exposition syst^atiqnedn see ptici»me« IM est le but de son oavrage de pr6dHection , le Tralti 4e la fai*- blesse de V esprit fmrnain^ on De imbecilHliaemenHslmmanm^ auquel il travailla pendant Irente ans et qo'lttie eeSMi ^le te- toucher jtisqu'iSi samori. Pour loi donner phis 'Aifi puMkJf^, 41 Tavait 6crit en frangais, tonlre son habitude, pufis H en avaH fait ane traduction latine. Mais 91 Ti'esa le puhHer, de pear, dit son ami d*OTivet , de s^exposer aa ressentiraeni da irnl** galre de la Reptrblique desLettres. L'otivrage ne parnt itonc qu*apr6s sa moft , en 1723, par les 'Soinsdef Bbb6 d^Olivet* Gette esp^ce de testament philosophiqne fit ane viv^ senaation et nne sorte de scandale parmi les philosophes et les thtelo^ giens. Le j^suite Baltus seul osa en prendre ouvertement la defense, en cherchaut toutefois h en att^nuer la portSe. Mais neas n'crvons h eonsfd^rer flue! que ooraaoe adver- saire de Descartes, nous laisserons done de c6M te Train de la faiblesse humaine avec la Dimonstration ^Don- giUque^ tes Qu^iionsd'Aulnayf qui ne se rapporteni qaln- diractement k la polioiiifae cootre 1« carli8iani$i»e« La Cenmre elle-'niAm^, qincooieBait'eii ifenne ie TraiU de la faiblesse de V esprit humainyiM d^pprou«)6e|Mir itM ce qn'il y avait de plus considerable dans r£g1fs(e. Dans tme leUne leoidrqaable , Aroauld en a ports ce sSv^re et jnste jugemenl: aJteBesaistequ^oopeatlrouver d€| bon dans le lirre de M. Hnet , ai ee fi*«sl le ktiu , €ar je n'ai jamais v u de si diStif Ifvre ponr ee qai est de la jusrteaae dlesprit et de la solidity du ralsonnement. C^est renverser la reiUgion ^e d'oairer le pyrrhonisme autant quMl le fait ; car Id foi est foodto sur la revelation , dont nous devons eire assures par la cemiaissance de chains faits. S'il n'y a done point de fails 596 haoiaios qoi De soient incertaiDs, il n'y a rien sur quoi la foi pnisse dire appayte. Or, qae peut tenir pour certain ei poar iyident celui qui souUenl que cetle proposition, Je pense » done je 9ui8 , D*est pas dvidente « et qui prSfire les sceptiques k M. Descartes, en ce que ce dernier ayant commence h dou- ter de tout ce qui pouyait ne pas paratlre parfaitemenl clair, a cessd de douter quand ii est venu faire cette reflexion sur lui-m6me ; cogitOf ergo sum ; au lieu , dil M. Huet , que les sceptiques ne se sont point arrdtis \k , et qu'ils ont prdtendu que cela mdme ^tait incertain et pouvait 6tre faux , ce qui a 6i6 regard^ par saint Auguslin aussi bien que par M. Des- cartes, comme la plus grande de toutes les absurdity , parce qu'il n'y a rien certainement dont nous puissions moins douter que de cela. II y a cent autres arguments dans le livre de M. Huet , mais celui-l& est le plus grossier de tons, etc. (1).» (1) L€ttrcir847 k M. Du Vaucel, torn* III des (Eiwre* complktesy p. 424. — Dftns one autre Icttre, oil il attaque les inquisiteurs de Rome qui ont mis Descartes a rindexetepar^e6assendi,ilajoutc: « G'est pourquoi ils n'au- ront garde d*y mettre le livre dc M. Huet centre M. Descartes, ou il veut, d'une part que cette proposition ne ^oit pas claire et ^videmmenl vraie, eogito ergo sum, et il faitvaloir de I'autre, autant qu'il peut, toutes lesmechantes raisons des epicuriens pour faire croire que notrc &mc est corporelle, et qu'ellc n'est distingu^e de ce que nous appelons notre corps que comme un corps plus subtil d'un corps plus grossier. Mais ils pourront bien , pour agir conse- quemment , mettre a leur index la reponse que M. Regis vient de faire a M^ Huet pour soutenir les demonstrations de M. Descartes centre les sophisCr- queries de son adversaire. »(Lettre 880 a M. Du Vaucel, tom. IH, p. 396.) II n'approuYC pas plus son syst^me theologique que son syst^me philoso- phique. a Je ne saurais croire, ecrit-il encoi^ a M. Du Vaucel , que vous jugiez aussi bien que moi, aprcs Tavoir lu, que si Textrait de ce livre est fidcle (de concordia rationis et fidei), il est difficile d'en faire un qui soit plus impie et plus capable de persuader auxjeunes libertins,qu*ilfaut avoir une religion, mais qu'elles sont toutes bonnes, et que le paganisme meme pent entrer en comparaison avec le christianisme. (Lettre 834, torn. 3, p. 404.) ^ 597 Telles soot les (ristes armes employees par les J^suites et par Hnet contre la philosophie de Descartes , et telle est la joste et s^vire condamnation qu*en porte Arnauld. Dans cette potemique contre les premiers disciples de Descartes , nous ne rencontrons pas une objection qui dijii n'ait Hi adress^e h Descartes Ini-m^me. Une senle a pris pins d'importance , de diveloppement etdevi?acit6, c'estcelledel'incompatibilitS a?eclafoi, et particuli^remenl avec rEucharistie, li propos \ de la d66nition de ia mali6re et de la negation des accidents absolns, Aussi noas a-t-il suffi de consid^rer Tesprit gini- ral de cette polimique , sans nous arr^ter aux details. Nous allons entrer maintenant dans la seconde p^riode de Thistoire du cart^sianisme ; nous allons le ?oir s'^lever a un plus baut degri d'id^alisme , s*enrichir de nouveaux dive- loppements et provoquer aussi de nouvelles discussions, sous Tinfluence de I'Oratoire et de Malebranche. FIN I)U PREMIEII VOLUMii. TABLE DES CHAPITRES. Pages CHAPITRE I. Coup d'oeil sur I'eUt de la philosophie anterieure- ment k Descartes. — Influeocc de la renaissance des lettres sur la reformc philosophique. — Renouvellement des systemes anciens. — L'autorite divisee et opposee a elle-m^me. — Lutte entre Aristote et Platon. — Lutte ebtre les divers commentateurs d'Aris- tote, entre le veritable Aristote et eeltti de la scholasti^e. — Har- diesse du p^ipatetisme pur. -* Pomponat. — Antithese demontreo d' Aristote et dfe TEglise. — Abolition de la philo'sophie d' Aristote de*- mandee aunom de la foi. — Patricius.— Divers philosophes anciens opposes k Aristote.— Prejudice poite k la schohistique par Ic cicero^ ' nianisme. — ParaUile entre les limited de la refoime philosophiqaeet celles de la reforme religieuse. — Premiers essais d'nne philosophie independante. — Exc^s de Tid^Ksme et de rempirisme. — Ramus.-— Bruno. — Vanini. — Gampanella. — ^Visions du mysticisme.— -Le seep- ticisme, dernier terme du mouvement philosophique du XYI* siieiole. Montaigne . — Gharron . — Sanchez . — Lamothe-Leyayer . — Bacon, pHi*' losophe de la ronaissance et non pere de la philosophie mo- deme. — Bacon, physicien plutdt que m^taphysieien. — Descartes, soul pere de la philosophie moderne. -— Portrait des philosophes de la renaissance. — Le XVI* si^le a beaucoup detruit , mais n'a rien fonde. — Etat des osprits au commencement du XVII* si^ele. — - Libertinage,ath4isme de la litterature.— Mission de Descartes 1 CHAPITRE' II. Considerations generales sur la vie, le desaein , les qualites d'esprit et de conduite de Descartes. — Vistoire de son es- prit d'apres Ic Discours de In MHhode. — Degout de toutes les scicn- 600 Pages ces, sauf Ics matheinatiqucs. — Abandon des livres et dcs maitrcs pour etudier dans le grand livre du monde. — Voyages et campagnes. -* Projet d'unc reforme philosophique. — ^Resolution de se depouiller dc toutes les opinions precedemment recues. — Regies de logique pour retrouver la certitude. — Morale par provision. — Motifs dc sa retraite en HoUande. — Reforme generale dc la philosophic. — Au- dace de la pcnsee de Descartes. — Mepris de Thistoire du passe qu*il transmcta ses disciples. — Discussion sur Tignorance reelle ou feinte de Descartes. — Esprit de conduite.— Protestation centre toute pen- see dc reforme politique ou religicuse. — Regie de la distinction des verites dc la raison et de la foi. — Infractions de Descartes ii cette regie. — En quel sens il Fentend. — Avances inutiles aux Jesuites.— Espoir desubstituer sa philosophie dans les ecolesacelle d'Aristote.^- Essai d'une exposition populaire de sa philosophie. — Le DUcours de la MStfiode ecrit en francais. — Descartes ecrivain. — Sa mort en Suede. — Translation a Paris de ses restes mortels. — Enthousiasme de ses disciples « . 30 CHAPITRE III. Exposition de la philosophie dc Descartes.-*-Ordre k suirre marque par le JH8cour$ de la MStbode, — Ddfinitioa et divi- sions de la philosophic par Descartes. — Ia philosophie science de toutes choses. — But pratique dela philosophie. — Rapprochement "entre Descartes et Bacon. — Reiihercbe d*un fondement fiige et ine- branldilelr^^Scepticisme provisoire, doute methodiqoe. — Rencheri&* sement sur les raisons de douter ordinaires des sceptiques.' — Ima^a- tion d'un etre puissant et trompeur. — Rencontre d'une yerite ine- branlable a tout scepticisme.- — Je pense,, done je suit, — Descartes Ta- t-il emprunte a S. Augustin? — Butet caractere du doute methodique meconnu par les adversaires d^ Descartes. — Le Je peme y doncje «uw,, inspection immediate de I'csprit et non syllogisme , formule de la spiritualitc de Tame. — Demonstration de notre spiritualite. — La penaee essence de Tame. — L'4me pease toujours.—Connaissance de^ Tame plus claire et plus certaine que celle ducorps.^— Defaut du^i- ritualisme de Descartes.-— La spiritualite placee en dehors dela notion de force. — Descartes pere de la science de Tcsprit humain. — Du signede toute verite. — Regie de Tevidence. — L'cxistence d'un etre souverainement parfait fondement de Tevidenoe. — Descartes justifie du cercle vicieux dc I'evidence prouvee par Dieu et de Dieu prouve par Vevidence. — Dieu ct Ic vrai inseparables 55 601 ' Paget CUAPITRE ly. Preuves de I'existeuce de Dieu. — I>e I'existance de sa pensee Descartes tire celle de Dieu. — Liaison du sentiment de notre imperfection avec Tidee d'une perfection souveraine reelle- ment existante. — L'existence de I'^tre infini enfermee dans I'idee de rinfini. — Clarte de Tidee de Vinfini. — Anteriorite sur Tidee du fini. — Le fini negation de I'infini. — Diverses formes donnecs par Descartes a la preure de l'existence de Dieu. — Forme phis sen- sible et plus populaire. — Argument tire de I'identite de la conser- vation et de la creation. — Forme plus scholastique. — Rappro- chement avec saint Anselme. — Critique de la forme syllogistique appliquec aux preuves de l'existence de Dieu. — Vrai precede par ^ lequel Tesprit humain s'^Uve jusqu*a Dieu. — Attribtits de Dieu moins approfondis par Descartes que la preuve de son existence. — Ce qu'il faut exclure et cc qu*il faut admettre en Dieu. — Erreur de Descartes sur la liberte liju'il attribue k Dieu. — Consequences de la liberte d*!ndifference, et contradiction avec Te principe que Dieu ne pent nous tromp^r et'avec son optimisme. — De la facon dont il entend les attributs de createur et de conservateur. — Creation ' continuee. — Consequences par rapport a la liberie* de la creation continuee. — Du mode d'action dela Providence. — Elevation de Des- cartes k Dieu 75 CHAPITRE V. Des divers modes de la pensee essence de I'&me. — Des idees innees. — Vague definition des iddes innees. — Deux inter- pretations diverses dont la doctrine des idees innees est susceptible, d'ou deux tendances diverses dans Tecole cartesienne sur la question des idees. — La vraie theorie des idees innees dc Descartes tout en- tiere dans ce qu'il dit de la nature et des caracteres de I'idee de rinfini. — Des idees adventices et de Texistence du monde extericur. — Du paradoxe cartesien que les qualites sensibles n'ont d'existencc que dans Tame. — De I'argument de la veracite divine en faveur de Tcxistence du monde exterieur. — De I'ordre dans lequel Descartes classe et demontre les trois verites de Tame, de Dieu et du monde. — De la volonte. — Confusion de la volonte et du jugement , de la vertu et de la science. — De Vorigine de I'erreur. — ^J)es passions. — Traite des passions. — Definition , causes et objets des passions. —-Descartes moraliste. — Ses jugements sur les diverses passions. — — Utilite des passions. — Preceptes pour les combattre. — Milieu 602 Pages entre Epicure eiZenou. — De lauionle de Descartes. — Tendance a mettre au mdme rang ia vertu et le conteiitement qui en est la suite. 96 GHAPITRE VI. Dela nature des substances creees, de leurs rapports entre elles et avec Dieu. -^ Pourquoi Descartes ne demontre pas I'inunortalite de I'^e. — De Tunion et des rapports de Tame, avec le corps. — L*homme de Descartes n'cst pas un esprit pur. ^ Du siege de Tame dans le corps. •— Rapport entre les divers ctats de T^me et du cerveau. •— Tendance aux causes occasionnclles. •— Qu'a-4ril man- que, selon Leibnitz, a Descartes pour arriver a rbarmonie preeta- blie? — De I'essence de Tame et de eelle du corps. — Attributs fondamentaux qui les distinj^ent , caractere conunun de passivete qui les rapproche. — Ou est la semence de spinozisme dans la philo- sophic de Descartes. — Incon^atibilitede la methode et desprineipes de Descartes et de Spinoza. — Comment Descartes distingue la sub- stance premiere des substances secondes* et les substances secondes des simples phenomenes. — Necessite du continuel concours de Dieu pour la conservation des creaturest. — Comment Descartes en- tend ce concours. — Identite de la conservation et de la creation continuee. — Consequences de la creation continuee par rapport a la liberte et a la realite des creatures. — Critique des arguments de Descartes en faveur de la creation continuee. — Milieu entre les deux exc^s de la creation continuee et de rindependance des crea- tures. — Toutes les crreurs de Descartes ramenees au principe de la pasfiivete des creatures. ^- Descartes corrige par Leibnitz. ...... 121 CHAPITRE YIL De Fautomatisme des betes. — Tendance des phi- losophes sceptiqucs et empiriques a mettre la bete au niveau de rhomme. — Montaigne, Charron, Gassendi. — Exces contraire de Descartes. — Hors de la pensee humaine, rien que le mecanisme dans Tanimal comme dans le corps humain. — L'Ecole et le sens commun centre Tautomatisme. — Sentiment d'Aristote. — Objec- tions et reponses. — D^cartes a-t-il cmprunte Vautomatisme aux anciens et k Gomez Pereira ? -^ Raisbns morales et theologiques en faveur de Tautomatisme. — Danger pour I'immortalite de Tame hu- maine et pour la Providence divine d'accorder une 4me a Tanimal. — Automatisme en theorie et en pratique de Malebranche. — Cruautes cartesiennes de Port-Royal sur lesanimaux. — Plaisanteries du P. Daniel centre Tautomatisme. — Dissidcnces au sein meme de 603 Pages I'ccoke eariesieime sur rautomatisme. — Embarras de I'Ecole pour donner a ranimal une &me d'une nature mitoyenne entre Tesprit et la matiere. — Protestations de M>n« de Sevigne et de La Fontaine contre I'automatisme. — IBcrits innombrables pour ou centre. — Retorsion par les sceptiques et les materialistes des pretendues ufi- lites morales et theologiques de Tautomatisme. ^- Bayle et Lamet- trie. — Relation de rautomatisme avee toute la metaphysique de Descartes. — Necessite d'accorderauxb^tes une 4me spirituelle. — Superiorite et excellence des facultes de f&me humaine. — Difference essentielle de l*bomme et de la bete. -^ De Timmortalite metapby- sique qui est le propre de la bete. — De rimmortalite morale qui est le propre de Tbomme. — Le probleme de la souffrance de I'ani- mal ramene au probleme plus general de I'existence du mal. — La chalne des Mres brisee par Descartes, renouee par Leibnitz 138 CHAPITRE VOL Principes metapbysiques de la physique de Des- cartes. — Garacteres du monde de Descartes. — La perfection infmie > de Dieu principe de sa physique et de sa mecanique. — Ridicule pre- somption de rhomme mesurant et rapportant a lui la creation tout enti^.— Proscription des causes imales du domaine de la physique. — Odieuse insinuatioa de Leibnitz contre Descartes. — Descartes justifie. — Abuft des causes finales en physique. — De laphice et de Tutilite des causes finales dans la science. — Admirab^es causes finales mises. en kuni^re par Descartes dans le rapport des lois du mouve- ment avec Tordre de runivers et la sagesse de Dieu. — Nul. rappro- chement possible entre Descartes et Hobbes. — Proscription des for- mes sfd>st&ntielles et accidentelles. — Principes elairs et intelligibles a toits substita^s aux entites mysterieuses et aux quality oceultes. — Ce que Descartes entend par forme. — Mati^et mouvement, deux sedes choses roquises pour construire le monde. — La maliere sim- ple Extension. — €onfusion de I'espace et de I'^nd^e materielle, du temps el de la succession des choses. — Plem de Tunircrs. — In- finite de runirers. — Pourquoi Descmics emploic k Tegard du monde le terme d'mdefini plutAt que celui de fini. ~ Tendance k faire le monde ^temel. — Divisibilite i Finfini de la matiere. — Trois ele- ments on formes principales de la mati^. — De la cause premi^ et des causes secondes du mouvement. — Principe de finvariabilite de la quantite du monyement , fondement de la mecanique. ~ Trois 604 PagM grandes lois du mouYcment^ — La physique ndnenee ii ia geometiie et la geometrie k I'algebre 159 ^CHAPITRE IX. De I'hypoihese dcs toarbillons. — Fonnation des tourbillons. — Des mouvements de la matiere et des figures qa'elle prend au sein de chaque tourbillon. — Matiere subtile. — Deux ex- plications diverses dc Descartes sur la formation dcs planetes. — De la revolution des planetes sur elles-m^mes ct autour du solcil. — Des com^tes.-— Le monde de Descartes iitimensc et admirable machine. •— Inclination de Descartes k peuplcr Tinfinite dc Tetendue d'une infinite d'Stres intelligcnts. — Application k la terre des lois gene- rales du monde. — Du mouvement de la terre. — Subterfuge ima- gine par Descartes. — Explication de la pcsanteur par la force centrifuge des tourbillons. — Du flux et du reflux, -r- De la lumiere. — Decouverte dcs lois de la refraction. — De la chaleur. — Des seuls principes employes par Descartes pour Texplication de tons les ph^nom^nes. — Lacunc dans les Principes au sujct des corps organises. — Physiologic de Descartes. — Traiti de Vhomme et du foBtus. — Explication mccanique de tous les phenomcnes de I'orga- nisation et de la vie. — M^decins cartesiens. — Ecole iatromecani- que. — Services qu'elle a rendus k la medecine. — CaractSre ge- V neral de la physique de Descartes. — Le mecanisme cause immediate de tous les phenomcnes de la nature. — Jugenient sur la physique de Descartes. — Descartes injustement saerific a Newton. — Les tourbillons juges par Vohaire et d'Aiembert. -* Descartes pere de la physique comme de la mctaphysique modeme 178 GHAPITRE X. Descartes aux prises avec les philosophes et les theo- logiens les plus renommes de son temps touchant les principes des MSditaHom. — Objections de €aterus, contre les preuvcs de Texis- tence de Dieu. — Aucune autre cause requise parl'idee que Tesprit lui-meme. — Equivoque de Texpression d'etre par soi. — Reponse de Descartes. — Pourquoi il ne s'est pas servi des choses sensibles pour demontrer Dieu. — Tendance empirique des auteurs des sc- condes objections. — Comment Descartes sc justifie de n*avoir pas fait entrer le complement de la possibilite dans la demonstraUon de Texistence de Dieu. — Sa mauvaiso bumeur contre les objections tirees de la Bible. — Excmple de la methode geometrique applique aux Miditations. — Observations de Descartes lui-meme sur les in- 605 Pages conrenients de cette methode en metaphysiquc. — Objections bien- veillantes d'Amauld. — Principales dificultes d'Amauld comme pki- losophe et comme theologien, sur la distinction de Fame et du corps, suF Ic sens positif de l*exprcssion d'etre en~soi, le danger de la regie de Tevidence , Tincompatibilite avec TEucharistie dii sentiment dc Descartes sur la mati^re. — Concessions de Descartes sur les details et sur les expressions. — Tentative pour concilier avec rEucharistte rindistinction de la substance et des accidents. — Amauld satisfait. «-Deux nouvelles lettres d'Amauld k Descartes. --Refiis de Descartes de s'expliquer sur Tindistinction de la mati^re et de Textension locals par rapport k TEucharistie. — Objections deHobbes, erudite de son materialisme. — Repulsion de Descartes a Tegard de Hobbcs. — luge- ment sur le De Cwe 198 CHAPITRE XI. Objections de Gassendi. — Opposition de Descartes et de Gassendi eu physique et en metaphysiquc. — La polemique de Gassendi modele d'esprit et de gout. — Legere ironie dont Descar- tes a tort de s'offenser.— Liberte avec laquelle Gassendi, sous forme f d'objections, devoile son materialisme. — Reprochc a Descartes de n'avoir pas prouve la nature de la chose qui pense. — Arguments en favour de la materialite de Tame. — Les sens , source de toutes nos idees. — • Rien de plus obscur pour I'ame que Tame elle-meme. — Critique de la preuve de I'existence de Dieu par I'idee de Tinfini.^- Admirable reponse de Descartes. — Dure retorsion dc Tironie dc Gassendi. — Defense du spiritualisme etde Tideede Tinfini. — Refu- tation de la maxime que toutes nos idees viennent des sens. — Sur la necessite du concours de Dieu pour Texistcnce des creatures. — Ir ritation de Gassendi centre Descartes. — Ses in« towce«.—Nouvelle re- ponse de Descartes. — Reconciliation de Descartes avec Gassendi. — Sixiemes objections. — Comment Descartes concilie ce qu'il dit de la liberte d'indifference de Thomme avec cette m^me liberte qu'il at- tribue a Dieu. — Septiemes objections par le P. Bourdin. — Debats ant^rieurs de Descartes avec lui. -— Ton grossierement ironique du P. Bourdin. — Travestissement du doute methodique. — Attaques centre les arguments en favour de la spiritualite. — Demieres objec- tions par Hyperaspistes. — Consequence de la creation continuee. — Confusion de la volonte et de I'entendement. — De I'exclusion des causes finales. — Polemique avec Moms. — Discussion sur la nature de la matiere et sur finfinit^ du monde. — Morus infid^le k Des- ■>'■'• 606 Pages \ cartes aprds sa mort. -^ Jugement generai. — Tnompbd remporie ' par Descartes sor ses advenains 215 CHAPfTRE XII. Histoire de la philosophic de Descartes dans les Pays-Bas. — Le cwtesianisoAe hoUandais anterieur au cartesianisme fran^ais. — Developpement et luttes dn cartesianisme en BoUande pendant la vie m^mc de Descartes. — Disciples formes par Descartes lui-m^me. — La princesse JBUsabetb^ ses relations etsa conre^pondanoe avec Descartes, Malebrancbe et Poiret. -^lia reine Christine de Suede. — Sa conversien exploitee par les cartesiens. — Cornelius Van Hooglande, ami, maps non disciple dc Descartes. — Doio^jpiro- ^ fesseurs caitesiens k Utrecht en 16^i Reneri et Begius. — Amitie de Descartes pour Regius. — Imprudence de Regius. — Portrait de Yoetius , le plus grand ennemi de Descartes en HoUande. — Gondamnation de Regius et de la philosophic dc Descartes. — Pam- phlet de Scheockius dicte par Yoetius. — ^Lettre de Descartes a Yoe- tius. — Fureurs et Intrigues de Yoetius. — Descartes cite a com- paraitre comme coupable d'atheisme et de calomnie. — ^Intervention de Tambassadeur de France et du prince d'Orange. — Schoockins cite par Descartes comme calomniateur. — Confusion de Yo€tius. — Infidelite et schisme de Regius. — D^savoue et r^jfute par Des- cartes. — Demiere affaire de Descartes avec Tuniversite de Leyde et satisfaction qu^il obtient. — Des progr^s de sa philosophic apres sa mort. — Revue gen^rale du cartesianisme dans les universit^s hollan- daises. — Professeurs cartesiens a Utrecht. — Lambert Welthuysen. — Professeurs cartesiens ii Leyde. — ^DeRsy, Heereboord, Heidanus, Yolder. — Universite de Groningue, Tobie Andre. — Univcrsite dc Franekerc, Ruardus Andala. — Ecole lUustre dc Breda. — ^Universite catholique de Louvain. — Censures centre Descartes. — ^D^nonciation du nonce aposlolique. — Triomphe, dans cctte universite, du carte- sianisme aTlie au jansenisme 235 CHAPITRE XIIL Suite du tabkaa general du mouvemeiit cartesien en HoUande. — Guracteres divers des eartesiens hoUaadais. — Ouvm • ges iiMMwnhyaMes, theses, commeataires , eipAsitiQas , apologies , poesies «a faveur de Descartes. — Eneyclopedie caiiesi«uie, Etienne Chauvin. -<- Des voetiens et de lenrs iningues. — Descartes com- pare a Deaofirite et k l^nce de Logrola. — Aceasalions de scepti> cisroe, d'atheisme , d'iaeompatibilite avec la Bible. — QiiestioB do 607 Pages mouvemedDit de la terre. — Tendance des caiiesiens lioilandais k sou- mettre rEoritiire et la theologie k la raison. — Tendance destbeolo- giens dissidents k fairc cause commune avec le cartesianismc. — Secte de Gticc^ius. — Le coceeianisme et le cartesianisme associes ensemble.— -Tons les cartesiens partisans de i*accord de la foi et de la raisoQ, quelques-UBsde la predominance de la raison. — Akrmes et accusations des thedogiens orthodoxes. — Decrcts des synodes et des «miv«rsites. — Leur impuissance. — Triomphe du cartesianisme. — Appreciation des travanx et des doctrines des principaux carte- siens de la HoUande. — Wittichius. — Son influence et son autorite dans le parti cartesien.—Zele defenseur de I'accord de la foi et de la raison. — Luttes qu'il eut k soutenir.— Ses divers ouvrages. — Sa refiita&ion de ^pmoata. — Clauberg. — Ses maitres cartesiens. — Ses commentaires et ses Apologies de Descartes. — Nouvelles consequen- ces ou il pousse les principes de Descartes sur Tunion de TAme et du oorps, et les rapports des creatures avec le Greateur. — Premier pas vers les causes occasionn^es. — ^T^idance k ne faire des crea- tures que de purs phenomenes 259 CHAPITRE XIV. Geulincx. — Sa vie. — Professeur k Tunlversite ca- tholique dc Louvain, puis k I'universite protestante de Leydc. — Causes de sa fiiite k Leyde. — Principe que Dieu seul est veritable cause, pousse a ses extremes consequences. — Negation de toute action reciproque entre Tame et le corps. — Le corps et Time , in- struments que Dieu met en harmonie Tun avec Tautre. — Doctrine des causes occasionnelles. — Lliommc spectateur impuissant de tout ce qui se passe dans le monde et dans son corps. — Etemite et immutabilite des verites natureUes. — ^Tous les corps particulicrs modes du corps en soi, et les esprits modes particulicrs de I'esprit universcl. — Principe de la morale dc Geulincx, amour de la raison. — Pieux et hardi rationalisme. — Rapport dc sa morale avec sa me- taphysique.^-William Deurhoff pousse encore davantage la doctrine de Geulincx au spinozisme. — Cartesiens precurseurs du Tradatus theologica-poUticus, — Meyer. — La philosophic posee comme r^gle de rinterpretation des Ecritures. — Balthasar Bekker. — Guerre aux superstitions. — Le principe cartesien que Dieu seul est cause effi- ciente oppose au dogme de la puissance des anges et des demons. — ^ Preparation et enfantement de Spinoza par une partie du oartesia- nisme hollandais 264 608 P«ge« CHAPITRE XV. Spinoza. — De sa vie et de sa personne. — Education cartesienne. — Rupture avec la synagogue. — Metier pour gagner sa vie. — Amour de la retraite. — Meditation des choses et^meUes. — So- briete, desinteressement, tolerance. — De ses ouvrages. — Principes de Descartes exposes sous forme geometrique. — CogiUsta metapky- iica. — Tendance a exceder sur certains points la pensee de Descartes. — Lettres ct correspondants de Spinoza. — Discussions et eclaircisse- ments de quelques principes de Vithiqu^ et du Tractaius theohgico- poHticus. — Pourquoi il n'a pas fait imprimerr^^At^ue. — Sa mort. — Divers tdmoignages qu*il invoque en faveur de sa philosophic. — Le De eniendatione intellectus est le Diseows de la Mithode de Spinoza. — La morale but de Spinoza. — Seul vrai bien de Vkme dans I'amour de ce qui ne passe pas. — ^Yain efiFort de Spinoza pour concilier la recherche d'un vrai bien avec une necessite universelle et la negation d*une distinction absoluc entre le bien et le mal. — La connaissance de la nature, Tunion de Time avec elle , but oil nous devons tendre et pousser nos semblables. — Mortde par pro- vision. — Reforme de rentendement. — Quatre modes de percep- tions. — Unique mode donnant la verite et le bonheur. — Idee pure de la raison, point de depart de toute sa methode. — Certitude des idees claires. — Dedain pour les sceptiques. — Regies pour distinguer les idees vraies des idecs feintes, fausses ou douteuses. — Confirma- tion de ridee claire ou vraie par la deduction de ce qu*elle enferme. — Conformite de Tordre de nos deductions avec I'ordre de la nature. > . — Direction dc Tesprit sous la loi de Tetre absolument parfait, seule methode parfaite. — Difference entre la methode dc Spinoza et celle de Descartes , 299 CHAPITRE XYI. Oe la forme de VEthique — Paralogisme de Spinoza. — Definition de la substance. — Son existence demontree par sa seule definition. — Unite de la substance. — Tons les ctres etendus etpensants modes de la substance unique. — Dc I'infinitc du nom- dredes attributsde Dlcu. — Diff^crentes sortes d'infinis. — La pen- see et I'etendue seuls attributs accessibles a notre intelligence. — De I'attribut divin de Tetendue. — Dieu incorporel quoique etendu. — Di£Ference entre Tetendue de Spinoza et celle de Descartes. — Senti- ment de Spinoza sur Tespace et Ic temps. — De I'attribut divin de'la.pensee. — Objet de la pensee absoluc de Dieu en soi. — Pas r 609 d'entendement mcme infini en Dieu. — CoDtradiction de SpijQjozii avec son principc, que deux ehoses qui n out rtcn de commiui ne peuvent etre causes I'uuc de I'autre. — La penyee eu aete , la ci^n- science rejetees dans L'ecoulemeat necessaire des aitributs de Dieu. — Appreciation de la doctrine de Spinoza sur lapensee de Dieu. — Pourquoi Spinoza ne met pas la liberte au nombre des aitributs dc Dieu. — Fausse definition dc la liberte. — Tout necessaire en Dieu comme hors de Dieu. — Optimisme de Spinoza. — Guerre a Tan- thropomorphisnw* -^ Negation des causes Ikiales. ^- PretcndUe ori- gins it lacro|tasce Tulgaire aux causes linales. >^ Du renverscmeni de Totdre de la nature par has causes finales. -^ Resume de* cafiac- teres 4a Dieti deSpinoaa et delanatiire natarawke. ^ 323 GHAPITBfi XVIL De la ttatui^e nateiMe. -^ €«existencc ctem^is et neeeflMure dc tons l6$ modes aVec la stibsUme^ elle-ineme de Dieu. — Mod^ ^terAfels et infinb Hitermediaires DifiCcrence catre / le mocanisme de Spinoza et oelui de Dascarles, •^ Des divers modes dc I'aitte. -^ Caracteve siaguJisr de la psycbologie de Spinoza. — Fausse apparenee empuifue de sa doctrine sur la contnaissance. — Divers degres de connaissance. — Idees adequatcs et inadequates. — Sphere des Sfehs di de I'imaginatioti, oii dc la cottnaissance inade- quate et cdnfuse. — Inad^atioti dc la connaissance du corps ct de la connaissance de l'4me. — D^monstrsAion de la conscience. — Des principales lois dc t'imagitiationetdcVasdociatioti des idees. — Point d'id^es inadlquatCS en Dieu , quoiquc ibutes Aos tdi^cs sohent des idees de Dieu. — Theorie de I'erreur. — Sphere dc la raison , con- 1. 39 610 Pages naissance claire et adequate. — Voie du raisonnement. — Voie supe- rieore de rintaition par ou Tlinie arrive k contcmpler en toutes choses Tessence de Dieu. — Negation de la liberte dans Thomme. — Critique dc Spinoza centre Descartds. — Difference entre Taction et la pas- sion. — Causes de TiUusion du genre humain au sujet de la liberte. — De la propre illusion de Spinoza sur les consequences religieuses et morales de sa doctrine 344 CHAPITRE XVIII. Des passions i — Methode que leur applique Spi- noza.— La passion, pur mode de la pensee. — Desir esscntiel dc l*ame de perseverer dans I'etre principe de toutes les passions. — Pas- sions primitives, passions secondaires. — ^Des lois de la sympathie et de ses effets sur les passions. — Jugement sur la theorie des passions de Spinoza. — De I'esclavage et de la liberte de I'homme par rap- port aux passions. — Empire des passions snr Thoumie. — Diverses circonstances qui Taugmentent ou le diminuent. — Morale de Spi- noza.—Contradictions qu'elle presente. — Du rapport de sa morale et de sa metaphysique. — Regie fondamentale de travaiUer k se con- server soi-meme par tous les moyens possibles. — Sens particulicr que lui donne Spinoza.— Regie de travaiUer a augmenter et perfec- tionner la connaissance et dc transformer les idees inadequates en idees adequates. — Regies secondaires pour s'affiranchir des passions. — Rapport de la logique et de la morale de Spinoza, —r Ou est pour I'ame la verite, la paix et le bonheur.—- Amom' des hommes contenu dans le principe de la conservation de soinoi^mc. — ^Identite de Ta- mour de Di^u pour Thomme et de Tamour de Thomme pour Dieu. — :Des passions bonnes et mauvaises. — Condamnation de la pitie, de rhumilite et du repentir. — ^Portrait deThomme afifranchi de Tem- pire des passions. <— Theorie de Timmortalite. — Condition du plus haut degre possible d'immortalite. — • Double illu»on sur laquelle re- pose la morale de Spinoza. — Vraies consequences de sa morale . 365 CHAPITRE XIX. De la politique dc Spinoza. — Son rapport avec la morale et la metaphysique. -^Memc principe, mais autres consequen- ces que dans Hobbes. — Idcntite du droit naturel et dc la puissance dc rindividu. — Droit de I'etat de faire tout ce qu'il peut. — Inte- r^t de Tetat de suivre les preceptes de la raison et dc laisser aux ci- toycns la plus grande liberte possible. — La liberte tin de Tetat. — Mauxaffreuxqu'entrainent la contrainte des opinions et la compression 611 Pages des consciences. — Consequences de la negation d'une justice abso- lue. — Conciliation de la liberte de pcnser avec la loi divine et avec la paix de Tetat. — But du Trtuctatus theologico-politicus. — Defense de la lumiere naturelle centre la superstition. — Ricn dans les Ecri- tures au-dessus de la connaissance philosophique. — Caractere de lir connaissancc prophetique. — Superiorite de la connaissance philoso- phique. — La piete et non la science but de I'Ecriture. — Essence et articles de foi de la religion univcrselle. — But secondaire et acces- soire des ceremonies de la tradition historique. — Negation des mira- cles.— Tout antagonisme impossible entre la philosophic et la theo- logie. — Spinoza pere des hardiesses dc la nouvelle cxegese biblique allemande. — Prejudice porte a la philosophic dc Descartes par Spi- noza.— Attaqucs des cartesiens. — Jugemcnts severes de Baylc et de Voltaire. — Apologies de Spinoza sous le voile des refutations.— -Le comtc dc Boulainvilliers. — Innombrables adversaires de Spinoza. — De la valeur et du vice des refutations cartesiennes. -*^ Ce vice est corrige par Leibnitz. — Refutation de Wolf. — Reaction en Allema- gne en faveur de Spinoza. ■ — Lessing , Jacobi. — Enthousiasme dc Schleiermacher. — Influence sur la poesie. — Novalis, Goethe. — Influence sur la philosophic. — Fichtc, Hegel , Schelling. "— Coup d'ceil sur les destinecs de la philosophic hoUandaise apres Spinoza. 388 ^HAPITRE XX. Tableau general du cartesianisme en France. — Ca- racteres qui le distinguent du cartesianisme hoUandais. — ^Nombreux disciples de Descartes dans les congregations religieuses et le clerge. — Jesuites cartesiens ou amis de Descartes. — Sympathies de 1*0-" ratoire pour la philosophic nouvelle. — Les cartesiens a Port-Royal. —Rapport du cartesianisme et du jansenisme. — Affinite de doc- trine.— Commune persecution. — Theologiens jansenistes de Flan- dres cartesiens. — Amauld , Nicole, De Sacy. — Quesncl cartesien.— Port- Royal accuse par Juricu d'attachcment plus grand au cartesia- nisme qu*au christianisme. — Congregation des Benedictins. — Recom- mandations de Mabillon dans le Traite des etudes monastiques en fa- veur de la philosophic et de Descartes. — Benedictins cartesiens. — Congregation de Sainte-Genevieve. — ^Prelats cartesiens. — Cartesiens ' dans le barreau et la magistrature.— Du cartesianisme parmi les gens du monde. — Le prince de Conde et autrcs grands seigneurs pro- tecteurs et amateurs de la philosophic cartesiennc. — Lcttres do 612 M^^ de S4ffiffnS. «— M">« ck Gnf^ian, CorbiiMUi. — SaUn ^ la mar- quise lie SaUe.'^La duciuMse 4« Maine cftftO9Mnme.<*^arlesi0as de la patite cour da Seeaicx.^Ld carteaiamsBia k lo mode pavmi lea fern* mea^r^PUisanUries du P. JkaM^-^le^ Fenmies 9awnde$ da Moli^re caHeaMiwea. ^^ Des moyen» de propagation du cartasiaaimia oo France. --~ Reuaioaa aeieolifiquos partievUerea. -^ Aioadenie dea Scienees. ** Coofereoeea caHesuennea de RoWult et de Regia.— D^ vers caracteres e( diversea tendaneea de^ carieaiena iran^aU %09 CHAPITRE XXI. Accusations politiques et reiigieuses centre les car- tesiens francais. ^- Diversite des accusations reiigieuses en Hollande eten France. «» Accusation d'incompatibilite avec rEucharislie.— * Importance de ce debat pour Thistoire du cartesianisme. — Exposi- tion de la question.'— Deux grandcs difficultes theologiques resultant >v du sentiment de Descartes sur la maticre. — Indistinction da la substance et des accidents , indistinction du corps et de Textension locale. — Comment resolucs par Descartes, la premiere dans la re- house k Amauld, la seconde dans les deux lettres au P. Mesland. — Vaines recommandations dc silence et de discretion touchant cette seconde explication. — Histoire, texte complet, doctrine des lettres au P. Mesland. — Zele aveuglc de Glerselier, Desgabets et autrcs, a les propager, commenter et a provoquer les discussions des theolo- giens.— Protestations dc quelques cartesiens centre ces dangereuses temerites. — ^Principales objections des tbeologiens. — Condamnation qu'cn porte Bossuet tout en s'effor^ant de justifier Descartes et sa philosophic. — Dissertation de Tabbe Duguet centre ces nouvelles explications. — Redoublement des accusations d*impiete centre le car- tesianisme. — Apologies, protestations des cartesiens en faveor de leurfoi et de ceHe de Descartes. — Certificat de la reine Christine. — Tactique et intervention perfide des protestants dans la querelle. — Disgraces attirees sur leurs auteurs et sur t*£cole tout entiere par ees essais de philosophic eucharistique. — La doctrine de Tetendue essentielle au premier rang des propositions cartesiennes condamnees. 430 CHAPITRE XXU. -- PerseciUbion du cartesianisme m Franee. -^> De- cret de la congFegntioB de Tlndox. — Refleidaafl d'AraauU snr ce decrei. — • Defense de U cour de pronoacer Toraisim fiHii^Nra de Descartes. — Ordre verbal du rot declaire en 1671 a rUniv«rait0 par Tarchevequc de Paris. — Lc Parleatent soUioite de renouveler centre 613 Pages le e»ri«9il»«HQe I'arrei ck 1924. <-*- XnH burlesque de Boileau. --*- MeBkoire d*Amfiul4 en faveur de I« Hherte philosopbique.*^Dese«rie8 inturdit dims les umversites d« provioea aomme d«ns c^Ue de Paris. —*• Univ^rsite d*AA|^rs. «^ Lettre d.u roi au re&teiv.-^Appel au parkiMoi de Paris do «ia|M9rieiir du college d« rOratfire.-^ArrSt du Dooseildu roi qui eass^ I'arr^t du parlein9ot««*^B49istanee et exil de Bernard I^ami. «- Universite de Cfen.T^ures et proieaaeurf car- tesiens «xil4s.i "^ Censures d^a ordrea rdigieux. ■'^ Benedi4;tins. •— CoQ^Vff^frtion de Sainti>-Genovieve.**-For»iulair8 tl^ologique et philo* sopbw{iie impose k TOratoire par les Jesiiites.'^^-Iie P. Qix/esnel et les Oratoriens de Mom» "— Een«i^veUoweut, « diverses epo^pws, dwif l*Uoiy«fwte d^ Pfliris, d^ ayerUssements emt^ 1m doctrines nou- veUes.'i«»I>enonGii^Uon du P. Yaloia a TasseanbUe du jdeq;e. — ^^C<«~ 9ure de 0uet. m* Conferences c^rtesiennes interdites. <-«*Alarm09 d^$ cartevten^.^^bnpuiissuicede qet^e persecution. . r 452 ^ CHAPnUE XXIII. Triomphe et influence du cartesianisme, -r- He- volution dans les sciences physiques. — Services a la morale et a la religion. — Inflnencc sur les lettrcs. — VArt poMiqtie de Boileau et le DiscQurs de la Methode, — De I'absence du sentiment de la nature chez les poetes du XVII® siecle. — La natyre yue a trovers le mecanismc de Descartes. -^ L'homme en soi unique objet de la litterature du siecle do Louis XIV. — Respeict pour la regie de la distinction des verites de la raison et de la foi. — Mepris des aacicns. — Rapport de la querelle des anciens et des modemes avec le car- tesianisme. — Orateurs et poetes anciens enveloppes par Descartes et Malebranche dans le mepris des philosophes de Tantiquite. — Connexion du de^eloppement de Tidee du progres et du mepris de I'antiquite. -^ Les partisans des modemes tons plus ou moins cartesiens. — En quoi ils ont raison ct en quoi ils se trompent. — Demonstration par Pcrrault , FontencUe et Terrasson dc la doctrine de la perfectibilite. — Au cartesianisme revient le principal honncur de cette doctrine, non a la philosophic du XV1II« siecle.— Influence de Descartes sur Tordre, la methode et le gout dans tons les ouvra- ges de Tesprit 473 CHAPlTREJpLIV. Deux p^riodes dans rfaiskoire du cartesianisme. -• Premaftre p«riode, disciples iniiiedi«ts de Descartes. — Le P. Bier- scnne est-il un cartesien? — Clcrselier. — Services rrndus a la phi- 614 P»ge» losophie de Descartes. — Zele pour la defendre el Vaccrediter au point de vue de la foi.-^ Jacques du Roure, un des premiers auteurs cartesiens. — Le P. Poisson commentateur et defenseur de la phi- losophic de Descartes. — Rofaault.— Ses conferences cartesienncs.— Succes de son Traite de physique. — Ses Entretiens de phUoeophie. — Son explication eucharistique. — De La Forge, medecin et physiolo- giste. — Interpretation empirique des idces innees. — Theorie de I'u- nion de l*amc et du corps. — Gordemoy, doctrine des causes occa- sionnelles, scepticisme sur le monde exterieur. — Regis. — Mission cartesienne dans le midi de la France. — Conferences a Paris. — Regis recherche des grands et du prince de Conde. — Tendance empiricpie en morale et en metaphysique. — Idees innees dans la dependance des sens. — De la communication de Tame et du corps. — ^temite et infinite du monde. — Optimisme. — Accord de la foi et de la rai- son. — Theologiens cartesiens. — Cally, theologien, converti par Huet au cartesianisme. — La philosophic de Descartes accommodee aux formes de I'Ecole. — Explication cartesienne de TEucharistie. — Cen- sure de Tcveque de Bayeux. — Intervention de Bossuet. — Robert Dcsgabets. — Son empirisme , son influence sur Regis. -^ Attaques contre les preuves de la spiritualite de Tame. — Doctrine de rindefectibilite des' substances. — Sa Critique de la Critique de la Recherche de la verite. — Essai de philosophic eucharistique. — Le cardinal dc Retz cartesien. — Conferences philosophiques du cha- teau de Commercy. — Descartes defendu par Ic cardinal contre Des- gabets. — Caracteres generaux des cartesiens de cctte premiere pe- riode 491 CHAPITRE XXV. Adversaires de la philosophic de Descartes.— Ad- vcrsaires pcripatcticiens. — Le P. Vincent. — Apologie des formes substantielles par le P.Lagrange. — Jean-Baptistc Duhamel, premier secretaire de I'academie des sciences. — Duhamel , professeur de Tuniversite de Paris. — Adversaires gasscndistcs. — Guy Patin. — De La Chambre, medecin dc Louis XIV. — Bernier. — Sareponse auP. Valois, en favour deGassendi. — Sorbiere. — Du role qu'il a joue cntre Descartes etGassendi. — Ses divers jugements sur Tun et sur Tautre. — Bloliere, elevc de Gassendi. — Traduction de Lucrcce. — Traces dc la philosophic de Gassendi dans ses comedies. — Rail- leries conlrc TEcolc. — Pancracc, le mailrc dc philosophic du 615 Fages Bourgeois gentil/wmme , Thomas Diafoirus. — Railleries contre Des- cartes.— Marphurius ct le doute mcthodiquc. — Les Femmes savantes cartcsiennes. — Ironie contre le spiritualisme de Descartes. — Pa- rcnte de la morale du Misanthrope avec celle de Gassendi. — Coup d*oeil general sur la philosophic de Gassendi au XVII<^ si^cle. — Op- position de Pascal a Descartes. — Traces de I'influence cartesiennc dans des opuscules anterieurs aux PensSes et dans les Pensees elles- m^mes. — Descartes accuse de chercher h se passer de Dieu. — Pyrrhonisme de Pascal. — Application de la regie des partis sub- stituee a toutes les preuves metaphysiques et physiques de Texistence deDieu. — Sa Methode pour demontrer la foi 531 GHAPITRE XXVI. De la polemique des Jesuites contre le cartesia- nisme. — Garacteres gcncraux de leur philosophic, empirisme pt seep- . ticisme. — Gassendi prefere a Descartes. — Guerre aux idees innees. -»c — Critique du P. Toumemine contre le TraiU de V existence de Dieuy de Fenelon. — Attaques et railleries contre le spiritualisme de Des- cartes. — Voyage du monde de Descartes^ par le P. Daniel. — Now)eaux Memoir es de Huet pour servir a Vhistoire du cart6sianisme. •— Conjectures du P. Toumemine sur Tunion de Tame et du corps. — Tons les Jesuites jpartisans de I'obscurite des idees de Vkme et de Dleu. — De leur empirisme dans la theologie naturelle. — Preuves metaphysiques rejetees cqmme chimeriques. — Dieu con9u comme un etre tres-particulier. — Toute participation supprimee entre la creature etle createur. — LeP. Dutertre. — Athei detecti du P. Har- douin. — Persecutions contre le P. Andre. — Interdiction a tout membre de la Societe de defendre le systeme de Descartes , meme comme simple hypothese. — Le cartesianisme accuse de complicite avec Calvin et Jansenius. — Ouvrage du P. Valois sur la conformite des sentiments de Descartes avec ceuxde Calvin. — Polemique excitee parle livre du P. Valois. — Accusation dcjansenisme. — Saint Au- gustin maltraite par les auteurs jesuites, en haine du platonisme et de ridealismc. — Rapport des paradoxes du P. Hardouin , sur la certitude historique, avec la polemique philosophique et theologique des Jesuites. — Les Jesuites defenseurs du librc arbitre — De quel- ques Jesuites plus moderes qui ont loue la physique de Descartes.— Le P. Rapin. — Le P. Toumemine. — Le P. Regnault. — Le P. Buf- fer. — Traits des viritSs prenUkres , plus empreint de I'esprit de 616 Pages Locke que de celui de Descartes. — Eloges dc Descartes par les PP. Gue- nard et du Baudory. — Eep6ntir tardif d'avoir donnc les mains au sensualisme et au scepiicisme centre le spiritualisme cartesien. — Grave inconsequence des Jesuites en philosophic 557 GHAPITRfi :^VII. Huet d'abord cartesien. — Goflf^relKces cArf^- siennes a C!aen. — Le mepris des cartesi^iis pour rerudltiofl, pHn- cipale cause de la defection de Huet. — Cehsute de id philosophic cartisienne, — Inconvenance du ton. — l)oubl€ tendaiice k I'etnpi- risme et au scepticisfne. — fteproche a DeScartes de n'&voir pad per- severe dans le doute par ou il debute. — Attaques Cdntre le Cdgito, ef^go sum et contre la regie de I'evidcnce. — Objections centre les preuved de ladistlnetion de i*&me et dn