4* & r * • V . D E S I A DES PERES JESUITES, Envoyez par le ROY aux Indes & à la Chine. zAVEC LEVES OBSERVATIONS Agronomiques, Et leurs Remarques de Ehyfique, de Géographie j d’ Hydrographie, & d’Hijtoire. A PARIS, %?^îlkL rÂR. no u ld Seneuze, ruë de la Harpe, à Chez ^ et r __ -Daniel Horthemels , ruë de la Harpe, au MecenalT* M. DC. L XXX VI. PAR ORDRE EXPRE Z DE SA MAJESTE’. Comme ce fi par vofire comman- dement exprès que je rends comp- te au Public d’un Voyage } qui a â ij r E P 1 S T R E. ejlè entrepris par vojlre ordre pour b utilité de toutes les Nations & pour la publication de l' Evangile 3 jenauray pas de peine à jujhfier la liberté , que j'ofe prendre de le faire paroître fous le Nom augujle de Vojlre Majejlè } & de luy ren- dre ce premier tribut de la recon - noijfance que luy doit nofire Com- pagnie tde luy avoir confié une en- trepnfe fi avantage ufe à la Reli- gion & aux Sciences , Le Ciel fem- ble veiller avec une attention par- ticulière à vojlre grandeur & à vo- tre gloire } parce quil la veut fai- re fervir à la fienne , & que cejl par vojlre piété , par vojlre puif- M P I S T R E. fan ce , & par vofire fageffe, qu il a défi me d 'établir le feul vray cul- te de la Divinité dans toute la Terre, Cefi pour cela 3 SIRE y qu'il a mis dans vofire Perfonne Sa créé tant de qualité^ héroïques ^ fi propres à vous acquérir hu- mour & l'admiration de tout IVni- vers y Qu'il vous a infpir'e le choix de Minifires fi vigilans 3 fi la- borieux , fi effeilifs 3 fi attachez^ au bien de vofire Etat 3 & d au- tantplus é clair eZ^que leurs lumiè- res font plus dépendantes des vô- tres j Qh\l vous a donné prefque autant de Sujets capables de com- mander des armées qu il y a dO.fi- E P I S T R E. tiers dans vos Troupes \ Qu'il a > élevé lefprit & le cœur de vofire Nolleffe à toute s fortes demandes entreprifes ; Qu il a mis jufques dans vos moindres foldats l intré- pidité ? l amour de la vertu & de la difcipline ; & quil a. répandue lerefpecf & la terreur de vôtre Augufie Nom dans toutes les Na- tions de. la Terre . Cefi auffi pour cela f IRE } que la Sageffe fupre « me qui fit connoitre autrefois aux Rois & aux peuples d Orient JESUS-CHRIST naiffant & mou- rant} par une nouvelle étoile , & par une Eclypfe extraordinaire r a voulu qu'entre mille glorieux a- £ P I S T R E •vantâtes , dont elle comble tous les O J jours vojlre Régné ,ce fujt parvotte moyen que les deux annonçaient en ce temps-cy la gloire de Dieu du- ne façon particulière. Cette meme Sageffenous découvre encore au- jourdhuy de nouveaux Afires & de nouvelles Conflellations , & elle met entre les mains de vos Sujets des moyens inconnus aux fiécles pajfe ^ j de prédire les Eclypfes } de rendre certaines les dijlances des Terres & des Mers , de per- fectionner & d’ affûter la Navi- gation , St dacquénr à JESUS- CHRIST , parles plus nobles de tous les Arts j les Nations les plus E P I S T R H. nombre u fe s Je s plus polies 3 ,& les plus spirituelles du monde. Ile fl difficile 3{ SIRE , de dire fi Un- jufiice des Hérétiques a efi 'e plus grande 3 lors qu’ils ont crû pou~ voir affaiblir les vérité \ Catho- liques , à" décrier l Eglife en luy reprochant la Jointe Jimplicité de fes Prefires , ou lors que fouf- frant impatiemment f érudition folide & umverfelle des hommes Apojloliques dans les lieux & dans les temps ou elle ejloit plus nécejfaire ; ils ont voulu quon prijl l ignorance des Minijlres de f Evangile pour le titre le plus lé- gitime de leur miffîon. Mais il E P 1 S'T R E. efi certain que comme Dieu a é- levé la baffe fie & l'ignorance des premiers des Jpofires à une fcien- ce Jubhme pour confondre la vai- ne fageffe des Ehilofophes } il ne s* efi pas moins fervi dans tous les fie cle s de l Eglife de la fa- geffe des Ehilofophes perfection- née par les lumières delà Foy , pour abolir les erreurs du Paga- nifme } pour détruire les Sophif mesdes Hérétiques, & pour deffen- dre & affermir fon Eglife dans les Conciles. Du moins ne peut- on douter 3 SI UE , que ce dernier moyen cl attirer les peuples à la connoiffance & à l amour de JESVS- EPIS ri? E. CHRIST crucifie ne fioit le plus conforme à la volonté de Dieu ; lorfque le plus grand & le plus fage Roy du monde > le plus chéri du Ciel , le plus Xfile pour l augmentation & pour l union de toute lEghfe 3 em- ployé pour la converfion des âmes ces me fine s fiiences , con- fia cr'e es par le faint ufage qtien a fait dès les commencement du Chrifilianifine lApofire des Gen- tils j & que l Apôtre des Indes , & ceux qui ont fuivi avec tant de bé- nédictions du Ciel fon efprit & fis maximes s en ont fait encore dans ce dernier fie de. Cefil } SIRE > cet - E P I $ T R E. te afj'urance qui me fit partir il y a deux ans par vos ordres avec ceux dont je pre fente icy les cuneufes obfervations à PO- TEE MAI ESTE' } pour aller par ces mefmes fciences , enfeigner celle du falut , dans le plus grand & le plus florifi fant Empire du monde. Ce fl el- le aujfi qui ma fait revenir bien- to fl apres des extrémité z de f Afie , pour recevoir de VOTRE MAI EST E\ de nouveaux ordres & de nou- veaux fecours 3 qu Elle efl tou- jours prête de r'epandre libéra- lement-y lorfquil s agit du fervi- c ij E P I S T RE. ce de celuy qui luy a donne le pouvoir & le defir de le faire adorer en efprit & en vente par toutes les Nations. C'efi enfin 3 5 J RB , dans cette me fine a du- rante que je retourne anime de votre pie te , & de votre zele .3 où Dieu m appelle & où VOTRE MAI EST E* a la bonté de m envoyer pour prêcher , autant qu il me refiera de vie 3 aux. Rois 6 aux peuples des Indes 3 JESUS- CHRIST crucifié } qui fait toute votre gloire & toute votre confian- ce , fr auquel (ojfriray ince (fu- ment pour la confervation , ér pour l'heureux régné de VO T RE El V 1 ST RK. MA I ESTE des vœux auffi ardens que m'y engagent la plus parfaite reconnoijfance qu'on pmffe avoir de vos bornez^ Roy a- les , & le d'evouëment parfait , avec lequel je fuis , SI RE, DE fOSTRE MAJESTE' , m Xe tL*es-humble,rrcs-obcïiïànt , 5c très- obligé fervitcur & fujet, Gvy Ta c h a r d j de fi Compagnie cfe Jefus. iij PRIVILEGE DV R Or. LOUIS PAR TA GRACE DE OlEU, RoY de France et de Navarre. A nos Amez & Féaux Confeillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement , Maiftrcs des Requê- tes ordinaires de nôtre Hôtel , Bailhfs, Séné- chaux , Prévofts, leurs Lieurenans , & tous autres nos Jufticiers , & Officiers qu’il appartien- dra; Salut. Nôtre bien amé le Perc Tachard, de la Compagnie de Jefus, & l’un des fix Je- fùites par Nous envoyez à la Chine , en quali- té de Mathématiciens , de nôcre Academie Royale des Sciences , Nous ayant rapporté à fbn retour de Siam , un Recueil de diverses Re- marques &obfervationsd’Hiftoire de Phyfiquc, de Géographie & d'Aftronomie, qui o*nt été faites par lefdits Jefuites Mathématiciens ,, dans le cours de leurs Voyages jufqu à Siam , lequel pouvant être utile , pour la perf âion des Arts & des Sciences & contribuer à la feureté de la Navigation rNousluy aurions ordonné de le donner au Public , nous auroit remontre qu’il n’oferoie neanmoins le faire imprimer fans avoir nos Lettres de pei million fur ce néceflaires, afin qu’aprésqu’il en aura frit la dépenfe , aucuns ne veulent le contre -faire ■: A C Es Causes vou- lant favorablement traiter ledit Expofanc , Nous luy avons permis & accordé, permettons & ac- cordoncs par ces prefentes , de faire imprimer, vendre 5e débiter par tout nôtre Royaume, en tel volume, marge & caraétcrc , 5e autant de fois que bon luy femblera ledit Livre avec quan- tité de Figures , Vignettes O* Cartes det Pays., pen- dant le tems & l’cfpace de quinze ans entiers 8c confécutifs , à commencer du jour qu’il fera ache- vé d’imprimer , failant tres-exprefles défenfes à tous Imprimeurs, Libraires & Graveurs , 8c au- tres, de quelle qualité & condition qu'ils foient, d’imprimer, ou faire imprimer ledit Livre , fous quelque prétexte que ce foit, d’augmen- tation, correction , changement de titre, im- preffion étrangère, en quelque forte & maniéré que ce foie , fans le confentement de l’Expofant ou de fes ayanscaufc , fur peine de confilcation des exemplaires contrefaits , trois mille livres d’amende , applicables un tiers à Nous, un tiers à l’Hôpital General , & l’autre tiers audit P, Tachard, &de tous dépens dommages & inte- rdis, A la charge par ledit Expofant, de faire imprimer ledit Livre fur de bon papier , en de beaux cara&éres , fuivant le Reglement de la Librairie & Imprimerie, mettre deux Exemplai- res dudit Livre , aufli-tôt qu’il fera achevé d’im - primer, dans nôtre Bibliothèque publique, un en celle de nôtre Château du Louvre , &c un en celle de nôtre tres-Cher& Féal le Sieur de Bou - cherat Chevalier Chancelier de France, avant de l’expofer en vente, à peine de nullité des préfen- tes, du contenu desquelles: Vous Mandons & enjoignons faire joüir l’Expofant & fes aians, caufes pleinement &c paifiblemenc , ceflant & faifant ceflfer tous troubles & empêchemens contraires: Voulons qu’en mettant au com- mencement ou à la fin dudit L^vre , l’Extrait des préfentes, elles foient tenues pour Signifiées & qu’aux copies d’icelles collationnées par l’un de nos amés & féaux Confcillers , Secrétaires , foy foit ajoûtée comme à 1 Original : Comman- dons au premier nôtre Huiffier ou Sergent fur ce requis faire pour l’exécution des prefentes, toutes Significations , A£tes & Exploits nccef- faires, fans demander autre permifhon .-CAR tel eft nôtre plaifir. Donné à Fontainebleau le trentiémee jour d’O&obre, l’an de grâce i6S6. & de nôtre Régné le quarante-quatre. Kegiflre fur le Livre de L Communauté des Librai- res & Imprimeurs de Paris , le 9. Novembre 1 6 8 Signé JNGOT y Syndic, . Et ledit Pere Tachard a cédé 6c tranfporté le droit de Ton Privilège aux Sieurs Arnould Seneuze & Daniel Horthe- mels , Marchands Libraires , fuivant les conventions faites entr’eux. Achevé d'imprimer pour la première fois i le 19. Novembre 1 686* VOYAGE VOYAGE D E S I A M LIVRE PREMIER. V O r A G E DE E RE S T jufquau Cap de bonne Efperance. EPUIS que le Roy a établi l’Académie Royale à Paris pour perfeétionner les Sciences ôc les Arts dans fon Royaume , ceux qui la compofent , n’ont point trouvé de moyen plus propre à exécuter ce A 2 VOYAGE grand deffein , que d’envoyer des hommes fçavans faire des obfervations dans les Pais étrangers , afin de corriger par là les Car- tes Géographiques , de faciliter la Naviga- tion , oc de perfectionner l’Aftronomie. Dans cette veuë quelques - uns des plus doétes de cette illuilre Compagnie avoient été envoyez par ordre de fa Majefté , en divers Royaumes. Les uns étoient allez enDannemarc , d’autres en Angleterre : On en avoit envoyé à l’Ifle de Cayenne & aux autres Ifles de l’Amérique , au Cap Verd , & même fur les Ports 6c fur les principales Coftes du Royaume , tandis que les autres demeurant à l’Obfervatoire , travailloient de concert ôc entretenoient avec eux les cor- refpondances néceffaires. On cherchoit l’occalion d’envoyer enco- re d’autres Obfcrvateurs en divers endroits de l’Europe , à l'Ifîe de Fer d’où l’on prend le premier Méridien , aux Indes Orientales, & principalement à la Chine , où l’on fça- voit que depuis quatre mille ans les Arts & les Sciences fleurifïent , où il y a des Livres fur toutes fortes de matières, & des Biblio- thèques comparables aux plus belles de l’Eu- rope , dans lefquelles on pourrait trouver dequ.oy enrichir celle du Roy. Ce defir s’étoit beaucoup augmenté dans DE SIAM. Livre I. j les principaux Membres de l’Académie , de- puis qu’ils avoient entretenu le P. Philipe Couplet Jéfuite Flamand , qui au retour de la Chine avoit pafTé par Paris en allant à Rome , où il étoit envoyé pour les affaires de la Million. Monfieur le Marquis de Louvois Miniftre & Secrétaire d’Etat , qui outre les affaires de la Guerre, & la Sur-Intendance des Bàti- mens du Roy , étoit encore chargé de ce qui regarde les Sciences & les , Arts avoit or- donné de la part de Sa Majefté à Meilleurs de l’Académie de dreffer un Mémoire des chofes les plus remarquables qu’on delîroit fçavoir de la Chine , afin d’en charger le P. Couplet, qui devoit y retourner l’année fuivante. Monfieur le Duc du Mayne eftoit auflî entré dans ce deiîein avec un grand zélé pour la Religion , & une curiofité digne de fon efprit ne pour les belles connoirfances, & beaucoup au deffùs de ion âge. Mais le Roy plus zélé que perfonne pour la perfeétion des Arts & des Sciences , fur tout de celles qui peuvent le plus contri- buer en ces Pays-là à l’accroiflement de la Religion, en faveur de laquelle il fait tous les jours de fi grandes chofes, touché du be- fioin des Millions voulut les aflîfter de fa pro- • A ij Ce Pere par- tit de Ma- cao le y . De- cemb. 1681. fur un vaif- fèau Hollan- dois,& arri- va en Hol- lande au mois d*Oc- tobre i 4 VOYAGE teéfion ôc de fes libéralitez. Il avoit appris du P. Couplet que prefque tous les Jéluites François qui eftoient allez à la Chine il y a plus de trente ans avec le Pere Alexandre de Rhodes , eftoient morts en travaillant dans' les Millions de ce Royaume , qu’il n’y reftoit plus que fort peu de Millionnaires, que ce- pendant l’Empereur continuoit à les prote- ster , &qu’à ion exemple les Vice-Roys Ôc les Gouverneurs des Provinces leur étoient très favorables 5 & qu’enfin on y avoit un befoin extrême d’Ouvriers Evangéliques, tant pour cultiver les Chrétiens qui y font déjà en grand nombre , que pour recueillir le fruit des efpérances certaines qu’on a pré- fentement plus que jamais d’étendre la Foy dans ce vafte Empire. Il avoit même déjà donné une fomme coniîdérable pour les Jéfuites François qu’on devoit choiiîr pour y accompagner le P. Couplet : & l’on ne penfoit plus qu’aux moyens de les faire palfer fous l’autorité de Sa Majefté , lors que la Providence divine en préfenta une occafion tres-favorable. A peine le P. Couplet étoit-il parti pour Rome , qu’il arriva en France deux Man- darins Siamois , avec un Prcftre des Millions Etrangères établies à Siam appelle Moniteur le Vachet. Ils vcnoient de la part des Mi- DE SIAM. Livre I. 5 niftres du Roy deSiatn , pour apprendre des nouvelles de l’Ambaftade que le Roy leur Maître avoit envoyée à fa Majefté avec des préfens magnifiques, fur un Vaiîfcau de la Compagnie des Indes nommé le Soleil d’Orient , qu’on difoit avoir fait naufra- ge- Sa Majefté voyant les avances que le Roy de Siam faifoit pour rechercher fon ami- tié ; àc que d’ailleurs on efperoit , que ce Prince fe feroit Chrétien , fi on luy envoyoit un Ambaftadcur , Elle prit le défiein de le faire , ôc d’envoyer aufii par cette voye des Jéfuites François à la Chine , qui a grand commerce avec le Royaume de Siam , dont elle n’eft éloignée que de cinq ou fix cent lieues. Le Roy ayant déclaré fur cela fes in- tentions à Monfieur le Marquis de Louvois & au R. Pere de la Chaize 5 ils demandè- rent d’abord à nos Supérieurs du moins quatre Peres qui fuflent capables de travail- ler de concert avec Meftîeurs de l’Acadé- mie Royale , à la perfeétion des Siences êe des Arts , & qui s’employaftent en même tèms avec les Millionnaires de la Chine à l’avancement de la Religion Chrétienne 5 ilsajomerent qu’il falloir qu’ils fuftenrprefts à partir dans fix femaines , fur le Vaifteau A iij Le Roy or- donne qu’on envoyé fix jefuites Ma* thémauries à la Chine. 6 VOYAGE qui devoir porter l’Ambaffadeur de France à Siam. Nos Supérieurs n’eurent pas de peine à trouver des gens qui vouluflént contribuer à l’éxecution de ce deffein. Entre plufieurs qui s’y offrirent , on en choifit fîx qui fe trouvèrent heureufement à Paris dans le Collège de Loüis LE Grand, quoy qu’ils fuffent de diverfes Provinces ; comme fi la Providence ne les y eût affemblez qu’a- fin de leur procurer à tous un bon heur qu’ils fouhaittoient ardemment. Celuy que l’on établit Supérieur fut le R. P. de Fon- tenay , qui enfeignoit depuis huit ans les Mathématiques en ce College. Les cinq au- tres furent les Peres Gerbillon , le Comte, Vifdelou, Bouvet &moy. Leur pvepa- Dés qu’on eût pris cette réfol ution , on [-P- nous avertit fecretement de nous tenir prefts cp’ut’ à partir dans deux mois pour le plus tard. Le lendemain nous allâmes enfemble à Montmartre pour remercier Dieu par l’en- tremife de la Sainte Vierge & des Saints Martyrs , de la grâce qu’on venoit de nous faire, 5c pour nous offrir à J E S u S-C H R I ST encore plus particuliérement dans ce lieu , où faint Ignace & fes Compagnons firent leurs premiers Vœux , & qu’on regarde comme le berceau de la Compagnie, qui dés fa naif- t. ; .•*» DE SI AM. LivreI. 7 lance fe dévoila d’une manière toute particu- lière aux Millions Eftrangéres. C’eft pour cela que ceux qui la composent, s'y font tou- jours confacrez depuis, par un Vœu folen- nel ; delorte que chaque particulier s’y croyant deftiné , s’y doit préparer dés la jeunelTe par tous les exercices de pieté & de mortification , & par l’étude des Sciences, & des Langues qui peuvent l’y rendre plus propre. Ce qui fe pratique avec tant de bé- nédiction , qu’on peut dire que ce prémier ef- prit de l’Ordre qui luy a donné tant d’hom mes Apoftohques & tant de Martyrs , y elf encore dans la prémiére vigueur. Le defifein de nôtre Voyage ellant devenu I]s font r?- public à Paris , Meilleurs de 1 Académie , qui (Académie y prenoient le plus de part, nous firent l’hon- Royale de» neur de nous recevoir , par un Privilège par- Scicnces> ticulier , dans leur Compagnie 5 & nous y prîmes nos places quelques jours avant nô- tre départ. On chercha les voyes les plus propres pour 1 exécution des Ordres de Sa Majefté , & l’on rélolut qu’outre l’inlfru- ction que Monlieur le M. de Louvois avoit fait drelfer pour la donner au P. Couplet, lorfqu’il retourneroit à la Chine , & qui nous fut remife d’abord entre les mains , les Principaux Membres de l’Académie nous fourniroient des Mémoires particuliers, tou- On leur donne diver- ses inftruc- r ions pour la perfection des Arcs ÔC des Sciences. s VOYAGE chant les remarques qu’il ferait à propos de faire à la Chine , Retouchant les chofes qu’il faudrait envoyer en France , tant pour l’en- nchilfement delà Bibliothèque du Roy que pour la perfeètion des Arts, Chacun de ces Meilleurs fe chargea de nous fournir ceux qui regardoient les feien- ces Rc les Arts , dont il avoit une connoif- fance particulière , Rc nous eûmes là-deflus pluiîeurs conférences avec eux. Nous con- vinfmes des obfervations Aftronomiquesque nous ferions à la Chine Rc fur la route. On nous communiqua les Tables des Satellites de Jupiter , qui ont efté faites avec tant de travail , Rc qui fervent préfentement pour déterminer les Longitudes, Ils nous firent auifi prefent de plufieurs grands verres de Lunettes d’approche de 12, 15, 18, 25, 50, Rc 80. pieds, dont nous en devons laiifer quel- ques-uns à l’Obfervatoire de Péquin. On nous fit encore part de plufieurs Mémoires fur la Phyfique , fur F Anatomie , Rc fur les Plantes. Il y avoit dans la Bibliothèque du Roy des Cartes Marines de la route que nous devions tenir , Rc qui avoient fervi a d’au- tres Voyages ; on nous en fit faire des Co- pies qui nous ont été d’une fort grande uti- lité durant nôtre navigation. On nous don- na de fort belles Rc cLe fort amples inftru- Ctions DE SIAM. Livre I. 9 étions fur la navigation , fur l’Architeét ure, 6c fur les autres Arts , fur les Livres qu’il faudrait envoyer en France, 6c fur les re- marques qu’il eftoit à propos quenous fif- fions. Enfin de tous ceux qui compofent cette fçavante Académie , il n’y en eut pas un qui ne fu paroîneunzele&une application par- ticulière dans cette affaire , dont le fuccez ne devoitpaspeu contribuer à la gloire & à la farisfaétion du Roy. Tous ces Mémoires exa- minez en plufieurs Affembléesde l’Académie Royale , nous furent donnez avant nôtre dé- part. E" ces Meffieurs s’effant engagez à nous faire part de leurs lumières, nous nous en- gageâmes réciproquement à leur envoyer nos obfervafions , afin qu’agiffant de con- cert ôcne faifant qu’un même Corps d’Acadé- miciens , les uns en France & les autres à la Chine , nous travaillallîons à l’accroifTement 6c à la perfection des Sciences , fous la prote !•« «Km* Ction du plus Grand Monarque du Monde. Cependant nous eftions fort occupez à portés pour préparer tous les inflrumens qui nous Croient lcufs obfet' néceffaires 5 6c comme il faloit partir de Pa- nt‘ ris dans un mois , on fit faire durant cet êms- là deux Quarts de nonante, l’un de dix huit pouces de rayon , l’autre de vingt-fix 5 trois grandes Pendules à fécondés, un infiniment pour trouver en même-têms l’Afcenfion droi- B lo VOYAGE te & la déclinaifon des Eltoiles, un Quadraft Equinoétial qui marquoit les heures jufques- aux minutes, & qui portoit au bas une grande Bouffole pour trouver à toutes les heures du jour la déclinaifon de l’Ayman. Tous ces inftrumens dévoient fervir aux Obferva- tions Aftronomiques. On prit encore deux demi-CercIes divifez fort exaétemenr de fix en fix minutes, pour les. OpéranonsdeGcometried’un eftoit à pinnu- lcs ieulement , & l’autre à lunettes. Monlieur le Duc du Maine, quand nous allâmes pren- dre congé de luy , eût la bonté de nous en donner un troiùéme beaucoupplus grand, & divifé de trois en trois minutes , qu’il avoit fait faire pour fon ufage particulier. Nous ne fçaurions aifez reconnortre les obligations que nous avons à ce Prince, de la bonté qu’il ht paroître pour nous en cette occafion. Outre les Machines dont j’ay parlé , nous emportions deux Pendules à répétitions, des Miroirs ardens de douze & de vingt pouces de diamètre , des Pierres d’Ayman , des Mi- crofcopes , plufieurs Thermomètres & Ba- romètres, tous les Tubes ar ces mêmes vertus & ces mêmes qua- itez héroïques qu’ils ont receuësdu Ciel, qu’ils font éloignez par la longueur im- menfe des terres 8c des mers qui féparent leurs Efiats, Plût au Seigneur fupreme de tous les Souverains 8c de tous les Roys 8c Empereurs , qui les a rendus l’un 8c l’autre les confervateurs du culte du vray Dieu, 8c les Proteéfeurs de fes Autels , de leur donner aulfi les mêmes fentimens pour la Religion , le même zélé pour la Propaga- tion de la vraye Foy, 8c la même ardeur pour la publication 8c pour la pratique de l’Evangile, 8c que le grand Empereur de la Chine ne fût pas inférieur au nôtre dans le feul point eflentiel de la véritablegran- deur qui manque à la dignité de fa per- fonne 8c au bon-heur de fon Régné, Toutes les perfonnes faintcs 8c zelées de ce tres-florifiant Royaume $ où L O ü I s le Grand établit avec application l’unité de la Foy Catholique , la vertu 8c la piété par fes exemples , par fes foins , par fes Edits 8c par fes libéral irez continuelles, demandent incelfamment au Ciel la même DE SI AM. Liv. I. 2i gracffc pour vôtre Grand Empereur : Nous offrons continuellement nos facrifices ôc nos prières au vray Dieu pour cela. Nous ne pouvons pas croire , que tant de ver- tus qu’il pofféde déjà , demeurent éter- nellement fans récompenfe , faute de cel- les du Chriftianifme, dont nous efpérons qu’il confommera ce grand mérite qui luy aquiert une fi belle réputation dans toute la terre. Je vous fupplie,mon R. P. pour la fatisfaétion de nôtre Grand Roy , que Dieu a donné à l’Europe pour le Défen- feur & le Reftaurateur de la vraye Foy , ôc qu’il deftine fuivant toutes les Prophéties à la deftruétion du Mahometifme,de nous donner encore plus de connoiffance qu’il fe pourra des vertus , desfentimens ôc des aéfions de Vôtre Grand Empereur , pour qui il a déjà conçu une eftime fi particu- lière. Je vous conjure aulîî de protéger, d’aflîfter ôc de favorifer de tout votre pollible les. zélez ôc fçavans Millionnai- res qu’il vous a envoyez, ôc à la telle def- quels il a mis le P. de Fontenay dont vous connoiffcz le mérite , ôc que tous les Sçavans Mathématiciens de l’Acadé- mie Royale des Sciences, qui eft ici entre- tenue par les libéralitez de Sa Majefté,. regardoient comme un homme extraor- C iij 22 VOYAGE dinaire,& de ceux qui faifoient le plus d’honneur à la Nation. Ils vous por- tent toutes les obfervarions & toutes les curiofitez des Sciences de 1 Europe dans leur plus grande perfection, & vous font envoyez comme aes gages des autres plus grandes chofes que Sa Majefté voudroit taire, & fera fans doute dans la fuite pour la fatisfaCtion de vôtre Grand Empereur, & pour la vôtre particulière , d’abord qu’il aura appris l’accueil & le traite- ment qu’on aura fait à la Chine à fes Ma- thématiciens , & les facilitez Ôe les aydes qu’on leur aura accordées pour l’exécution des ordres dont ils font chargez. Je ne puis dire à Vôtre Révérence toutes les fuites avantageufes que j’augure de l’en- voy de cesPeres auprès de vous , s’il plaift à Dieu d’y donner la bénédiction. Com- me ils partent tous de cette Cour ôc de la Capitale de ce Royaume , où ils ont efté élevez depuis quelque téms, & très con- fîderez pour leur mérite. Ils vous diront mille chofes qui contenteront vôtre zélé & vôtre curiofîté mieux que je ne pou- rois les écrire; Je fupplie fur tout vôtre Révérence de les croire , lors qu’ils vous affeureront que perfonne au monde n’cft plus refpeCtaeufement , & plus cordiale- DE SI AM. Livre I. 23 ment que moy dans l’union de vosfainrs Sacrifices , ôc de vos travaux Apoftoli- ques. Mon Révérend Pere, Vôtre très- humble ôc tres- obeiflant ferviteur DE LA CHAIZE , De la Compagnie de] esus.. l’Ambafladeur ,^>utre Monfieur l’Abbé de Choify fort connu en France par fa nai fiance Ôc par fon mérite , qui devoir demeurer en qualité d’Ambafladeur au- près du Roy de Siam jufques à fon Bap- tême , en cas qu’il lè convertit. On y fit entrer les deux Mandarins Siamois, Monfieur le Vachet qui les avoit amenez en France , quatre autres Ecclefiaftiques ôc fix Jéfuites. Monfieur de Vüudricourt montoit le Vaifieau 5 c’eft un des plus an- ciens ôc des plus habiles Capitaines des me capi- Vaifieaux du Roy : il.s’eft diftingué en y^ea^“' plufieurs occafions , ôc dans la Manche contre lesHollandois ôc fur la Méditerra- née dans la guerre de Mefline depuis vingt- Monfieur de Vaudri' court nom- 24 VOYAGE cinq ans qu’il fert dans la Marine , fans manquer une feule Campagne d’eftre ar- me pour le fervice de fa Majefté. Nous luy avons en particulier beaucoup d’obli- gations de fes honnêtetez & des bons offi- ces qu’il nous a rendus durant tout le voyage d’une manière qui nous engage à une tres-grande reconnoilfance. Le Capi- taine en fécond étoit M. Cor i ton ; nous avions deux Lieutenans, M. de Forbin & M. de Cibois , & un Enfeigne nommé M. de Cha moreau, Parmy les douze Gentilshommes que le Roy avoit nommez pour accompagner M- l’AmbaiTadçur , oiî en mit trois fur nôtre bord. Le premier fut M. de Fran- cine de Grand-Maifon , Enfeigne de Vaif- feau , fils deM, le Grand Prévoft de l’Ifle de France5 l’autre M, de Fréteville ancien Garde de la Marine qui a été élevé Page de la Chambre du Roy, & le troifiéme M- le Chevalier du Fay jeune Garde de la Marine. Ppur les autres Gentilshommes de la fuite , fçavoir Meilleurs du Tartre, de Saint Vilers Enfeignes de Vaiifeau, Meffieurs de Compiegne ôc de Fangouze anciens Gardes de la Marine , Meilleurs deBeneville, d’Arbouville, Palu & de la Foreft jeunes Gardes , ils s’embarquèrent D E S I A M. L I v. I. 25 dans la Frégate commandée par M. Joyeux Lieutenant du Port de Breft , ôc qui avoit déjà fait plufieurs voyages dans les Indes. Enfin le jour de rembarquement étant venu, M. l’AmbafTadeur accompagné de M. le Comte de Chafteau-Renaud Chef d’Efcadre , & de la plufpart de la No- blelïe qui fe trouvoit alors à Breft , entra dans la Chaloupe du Roy , ôc fe rendit a bord le premier de Mars au bruit de fes Trompettes. Moniteur de Vaudricourt avec tous les autres Officiers à la telle des Soldats ôc des Matelots l’attendoit pour le recevoir dans fon Vaiffeau orné ae tous fes Pavillons ôc de les Pavois. Il y fut fa- lüé de treize coups de Canon en entrant, ôc la Frégate le falüa de neuf. Les Equi- pages des deux Bâtimens témoignèrent par des cris plufieurs fois réitérez de Vive le Roy , la joye qu’ils avoient de faire le voyage fous un Commandant d’un fi grand mérite. On donna encore tout le pur fuivant pour achever de fe préparer, au Voyage . On leva l’Ancre toute la niiit, ôc le matin 3. de Mars qui eftoit un Samedyau point du jour, nous mîmes à la voile accompa- gnez de M. l’Intendant , qui conduifît les yaiffeaux 4. ou cinq lieues dans fa Cha- D M. rAm- bafTàdeur s’embarque dans l’Oy- feau- Depart da la rade de Breft. 26 VOYAGE louppe. Ainfi nous quittâmes avec la France la douceur & le repos de la vie Religieuse , dont nous avions jouï jufques alors , pour aller chercher au bout du Monde l’occafion de procurer la plus grande Gloire de Dieu , & nous confacrer à la converfion des Infidelles , en exécu- tant les ordres de nôtre Grand Monar- Le Gou- let eft un paftàge fort étroit de la Rade de Breft à la Mer. que. En Sortant de la rade de Breft nous avions un vent favorable 3 mais comme il nous manqua à Sept ou huit lieues du port , nous moüillâmes l’ancre Sur le midy jufques à cinq ou Six heures du même jour , que le vent s’étant levé du même cofté, nous appareillâmes de nou- veau. L’entrée & la Sortie du Goulet qu’on trouve en Sortant de Breft , eft un paftage extrêmement difficile , à caufe des roches cachées qui s’avancent beaucoup dans la mer des deux cotez du rivage ; Mais nos Pilotes connoiffant parfaitement toutes ces côtes voulurent Sortir toute la nüit. t Depuis ce moment jufques à cinq ou fix degrez en deçà de la ligne , nous eûmes le plus beau tems , ce le vent le plus favo- rable que nous euflîons pû Souhaiter. La Providence Divine , prenant ce Semble DE Si AM. Liv. I. 27 plaifir à favorifer une navigation entre- prife pour le fujet de la Religion , dans un tèms ouïes plus expérimentez Officiers de la Marine , jugeoient que nous avions manqué de trois îemaines entières la Sai- fon propre pour partir. Nous eûmes d’a- bora un vent arriére fi violent , qu’avec une feule voile nous faifions plus de foi- xante lieues en vingt-quatre heures. Ainfï nous doublâmes fans aucune rifigie les Caps d’Ouëffan & de Finis-terre , fi re- doutez de nos Navigateurs , à caufe des fréquentes tempefles qui s’élèvent en ces endroits. Il eft vray que nous y trouvâ- mes les mers extrémément grofles. Le Jeudy huitième , nous vîmes à la hauteur du Cap de Finis-terre , une PinafTe Hollandoife , qui tenoit la route de la manche d’Angleterre , & qui avoir efté contrainte de mettre à la Cape , c’efl-à- dire de fe lai fier aller au gré des vents qu’elle avoit contraires. Nos Pilotes auffi-bien que nos Officiers , nous affcu- rérent qu’on étoit fouvent plus de trois femaines fans pouvoir doubler ce Cap. Ceux qui ont été fur mer fçavent afïez, combien eft grande l’incommodité qu’on a coûtume de fouffrir , la première fois qu’on trouve une grofle mer 5 mais il eft D ij Qiwncî on eft à la Cape on ne fe fert que de la grand’Voi- le , ôc le VailTèau eft porté de côté , afin de faire peti de chemin. Emplois des Ecclc- fiaftiques $C des Jéfuites dansleVaif- feau durant le Voyage. 28 VOYAGE difficile de le faire entendre à ceux qui ne l’ont jamais éprouvé : On fe fent tout étourdy par un violent mal de tète , l’e- ftomach fe foûléve , le cœur manque à tous momens , il femble que le roulis ôc l’agitation du Vaiffeau renverfe toute la conftitution , tant il caufe de douleurs dans les entrailles. Nous fûmes prefque tous fort incommodez de ce mal de Mer. les cinq ou fix premiers jours. Depuis ce tems-là jufques à nôtre arri- vée à Siam nous avons dit prefque tous les jours la Meffe , ôc je ne doute point qu’on ne doive attribuer l’heureux fuc- cez de nôtre Navigation à cet Augufte Sacrifice qu’on offroit fi fouvent dans nô- tre bord , ôc ou l’on afiiftoit avec une dévotion tres-particuIiére. Il nefepaffoit point de Dimanche ny de Fête , qu’il ny eût plufieurs perfonnés qui participafïent aux Saints Myftéres. Cette ferveur étoit l’effet des bons éxemples de Monfieur l’Ambaffadeur qui communioit luy-même tous les huit jours avec une humilité , ôc une piété capable d’en infpirer aux moins dévots. Toutes les Fêtes ôc Dimanches devant les Vêpres publiques que l’on chan- toit avec beaucoup de dévotion , les Ec- clefiaftiques ôc les Religieux tour à tour , DE SIAM Liv. I. 29 faifoient une exhortation à l’Equipage. Un Jéluire fe chargea de faire le Ca- techifme trois fois la fcmaine aux valets des Officiers du Vaiffeau , aux foldats ôc aux matelots. On commençoit cet exer- cice & on le fmifïoit aufïî par un Canti- que Spirituel ,que chantoientdeux Mate- lots qui avoient la voix allez belle, & tout le refte leur répondoit à genoux au- près du grand malt. Ces bons exemples, ces Inftruétions , ces exercices de piété qu’on pratiquoit régulièrement , outre la vifite des malades , & les petits fecours qu’on leur apportoit plufieurs fois le jour, gagnèrent fi bien le cœur de ces pauvres gens, qu’il n’y en aprefque point eu qui n’ait fait une Confemon générale , ôe qui ne fe foit approché des Sacremens aux prin - pales Fêtes de Nôtre- Seigneur & de Notre- Dame. Avant que d’arriver au Cap de Bonne Efperance, nous eûmes un peu de calme & beaucoup de vents contraires, ce qui fit réfoudre Monfieur l’Ambaffadeur à faire dire neuf Meffes à l’honneur de la Sainte Vierge , pour obtenir par fon intercelfion un tems favorable , parce que les chaleurs qu’on fient ordinairement en ces endroits, eommençoien'- à caufer plufieurs mala- dies dans le Vaiffeau.. Diij Calmes fous la Zone- Torride, 30 Dévotion de tout l’E- quipage à la Sainte Vier- ge Le Quart dans leVail- feau , c’eft le tems que la moi- tié des Ma- telots eft ob- ligée de veil- 1er alterna- tivemétnuit & jour l’ef- pace de qua- tre heures. VOYAGE Un des Jéfuites fe fervit de cette occa- fion pour introduire dans le bord une loiiable coûtume de reciter les Litanies de la très- Sainte Vierge , qui fe pratique dans les Vailfeaux que monte Monfieur le Maréchal d’Eftrées. Cinq ou fix Sol- dats , & autant de Matelots partagez en deux troupes fur les Châteaux de Poupe ôc de Proue , furent les premiers qui com- mencèrent cette Dévotion ; quelque tems avant qu’on prît le premier quart du foir. Et dans peu de jours tout le monde vou- lut y affifter , fi bien qu’au retour , on en faifoit comme un exercice public & de devoir , dont on s’acquittoit avec tant de ferveur , que ny le froid ny la pluie ne l’ont jamais empêché. A toutes ces faintes pratiques nous a- joutâmes le Chapelet y nos Peres prirent le loin de fe partager en divers endroits du Vailfeau pour le faire dire , & Dieu bénit tellement leur zélé , qu’il n’y avoit pref- que point de Soldat ny de Matelot qui ne dît chaque jour fon Chapelet. Outre le tems que nous donnions à l’inftruétion du public , nous récitions tous les jours le Bréviaire enfemble, & nous avions une heure de conférence fur les Cas de con- fidence , le relie du jour étoit emploie à DE SI AM. Liv. I. si l’étude avec autant d’application & d’af- fiduité, que fi nous euiïions été dans nos Collèges. Voila nos exercices ordinaires durant toute la Campagne. Le Dimanche onzième nous paiTàmes à la veuë de Madère , où nous remarquâ- mes diftinétement beaucoup de neiges fur la Montagne la plus proche. L’aprés-dî- né rrois petits Bâtimens Anglois venant en Europe nous pafférent fous le vent ; on crut qu’ils venoient des Canaries , par- ce qu’ils n’avoient pas encore embarqué leurs Chaloupes. C’eft à peu prés en ces parages que nous trouvâmes les vents ali- fez u fouhaittez des Matelots , & fi agréa- bles à tout le monde, ces vents fouftlans toûjours du même côté entre le Nord & l’Eft. Il ne faut pas beaucoup travailler à la manœuvre 5 d’ailleurs comme ils font tempérez , ils modèrent les chaleurs de la Zone , qui fans cela feroient infuppor- tables. On les trouve ordinairement aux environs de la hauteur de Madère- A- lors la Mer devenant belle & le vent fiable ôc réglé, on porte beaucoup de Voiles , & l’on fait ordinairement 40. à 50. lieues d’un midy à l’autre , fans qu’on fen- te prefque le mouvement du Vaiffeau ny l’agitation de la Mer 5 de forte que fi la Vcuc de l’Iflc de Ma- dère. Parage fi- gnifie en terme de Marine l’en- droitoîï l’on fe trouve fur Mer. V^uë de l’Ifle de la Palme. ?2 VOYAGE Navigation n’étoù jamais plus incommo- de ny plus dangereufe , les Voyages des Indes ne feroient que de longues & d’a- greables promenades. Nous découvrîmes le treiziéme rifle de la Palme, & nous en paflames à quatre ou cinq lieues, félon l’eftime de nos Pilotes, nous nous reflouvinmes de l’heureux fort du Pere Ignace Azébedo , & de fes trente- neuf Compagnons Jéfuites , qui étant par- tis tous enfemble pour aller annoncer la Eoy au Bréfil , eurent le bon heur de mou- rir tous à la veuë de cette îfle , qui fut pour eux à la lettre une Ifle fortunée, puis qu’ils y trouvèrent la palme du Martyre qu’ils alloient chercher dans le nouveau Monde. Us furent tous mis à mort en hai- ne de la Foy, par des Corfaires Calvini- ftes , qui s etantrendus maîtres du Va i fléau où ilsétoient, nommé le faint Jacques, les firent tous périr , ou par l’eau , ou par le fer , pour empêcher , difoient-ils , ces Papilles ennemis déclarez de leur réfor- me , d’aller infeéter les Barbares de leur pernicieufe Doétrine. Il n’y en eût pas un de nous qui ne regardât avec envie le fort heureux de ces généreux défendeurs de la Foy Catholique , & qui n’eût été ravi de finir fa courfe pour une caufe auffi fainte. DE SIAM. Livre I. 33 Mais il n’eft pas jufte de fouhaitter de remporter la couronne avant que d’être entré dans la carrière. Nous vîmes enco- re rifle de Fer , la plus Occidentale des Canaries , ou nos Géographes ont fixé leur prémier Méridien, nous doublâmes enfuite le Cap Verd , & leslflesde ce nom qui font au nombre de dix. A mefure que nous approchions de la ligne , nous prenions plaifir à remarquer comme les E-oiles du Pôle Arétique s’a- baifïoient , & celles du Pôle Antaréfique s’élevoient au deflus de nos teftes. De toutes les nouvelles Etoiles que nous dé- couvrîmes du codé du Sud , celles qui nous frappèrent davantage d’abord , fu- rent les Etoiles de la Croifade , ainfi ap- pelles , parce que les quatre principales font difpofées en forme de Croix. La plus grande de toutes eft à 27. degrez du Pôle ; c’eft fur celle-là que les Pilotes fe règlent & qu’ils prennent quelquefois la hauteur. Comme nous avancions tou- jours de ce cofté-là , & que nous décou- vrions tous les jours de nouvelles Etoi- les , nous eûmes le loifir de les confidérer, & de comparer cette nouvelle région du Ciel , avec la Carte Aftronomique du Pe- re Pardies; mais nous n’y trouvâmes guéres E° les Car- tes de la Partie Mé- ridionale du Ciel , ne font pas e- xa&es. 34 VOYAGE de conformité. Cette Carte a bien befoin d’être réformée , ôc l’on pouroit com- mencer par la Croifade, dont les bras font plus inégaux dans le Ciel que fur le pa- pier. On y a marqué le Loup ôc le Cen- taure avec fi peu de fidélité , qu’on a de la peine à les reconnoître dans le Ciel , dont elles rendent cependant la partie qu’elles occupent extrêmement brillante, à caufe du grand nombre d’Etoiles, qui les compofent , ôc qui femblent ne faire qu’une feule conftellation. Mais ce n’eft rien moins que cela fur la Carte , où les deux conftellations ne peuvent tout au plus pafler que pour médiocres. Les E- toiles du Triangle auftral paroiflent à la vérité marquées au Ciel dans la même fituation quelles ont entre-elles 5 mais el- les paroiflent mal placées par rapport aux autres conftellations. Les Etoiles du Tau- reau ne font pas à beaucoup prés fi bel- les, quelles paroiflent fur la Carte , quoy que la difpofijtion foit prefque la meme. La Grue eft à mon avis la conftellation la plus exaétement marquée qui foit de ce cofté-là , ôc il ne faut que la voir une fois fur la Carte , pour la trouver incon- tinent dans dans le Ciel : l’Abeille , l’A- pode ou l’Oyfeau de Paradis , ôc le Ca- DE SIAM. Livre I. 35 méléon, quoy que petites, font allez bien marquées. Il y auroit auffi quelque chofe à rétormer dans la figure , & dans la fi- tuation des Nuages & des autres conftel- lations Méridionales, ou l’on pourroit en- core trouver bien d’autres defauts par le moyen des inftrumens. Si nous avons eu comme vous le voyez le plaifir d'en re- marquer d’affez groilîers , nous avons eu en même temps le chagrin de n’y pouvoir remedier ; l’agitation du Vaiffeau ne nous ayant pas permis de nous fervir de nos in- ftrumens pour refaire cette Carte tout de nouveau : ce qui n’auroit pas efté difficile fans cela. On n’a pas lai fié d’en tirer une nouvelle feulement à l’oeil , laquelle quoy que moins déféétueufe que la prémiére , ne peut avoir cette juftefte, qu’on defire dans ces fortes d’ouvrages , où l’on ne peut réùffir fans le fecours des inftru- mens. Voilà quelle eftoit noftre occupation ordinaire durant les prémiéres heures de la nuit , & une ou deux heures avant le jour , quand le Ciel eftoit découvert. Ce n’eftoit pas là noftre feul divertiftement, dcen,1fi nous avions le jour celuy de la pèche. Il ligne Equi- ne commençâmes à : poillons qu a cinq poiflons. E ij elt vray que nous trouver beaucoup c 36 VOYAGE ou fix degrez au deçà de la ligne. On a.- voit pris auparavant une efpéce de Tortue qu’on nomme Carrelet pelant foixante- dix ou quatre-vingts livres , dont on 1er- vit à table trois ou quatre fois en divers ragoûts. Plufieurs la trouvèrent alfez bon- ne , d autres en pouvoient a peine luppor- ter lodeur. Mais dans toute letenduë de douze dégrez 5 c’eft- à-dire , de fix-vingts lieues des deux cotez de la ligne nous vî- mes prefque tous les jours une tres-grande quantité de poilïbns de toutes fortes , ôc particuliérement des Marfoüins qui na- geoient par troupes au tour du VailTeau. Mjnicrede -^a pefche de ces derniers qui étoit la plus pêcher des ordinaire fervoit à nous relâcher l’eiprit Marfoüins. aprés l’étude. Il y avoit en quelques en- droits du vailfeau , & fur tout à l’avant, plufieurs Matelots de l’équipage armez chacun d’un harpon qui ellune efpéce de gros javelot attaché au bout d’une ligne de lagrolTeur du petit doigt, Comme les Marfoüins palfoient prés d’eux , ils les frappoient avec une telle roideur , qu’ils les perçoient quelquefois de part en part. Des qu’ils avoient lancé le harpon ils le laiffoient dans la playe , le tenant toûjours par la ligne qui y étoit attachée & quais laifloicnt filer au gré du poifion bldfé / DESIAMLivreI. 37 iufques à ce que le Marfoüin affoibly par la perte de Ton fang, fe laifToit tirer fans aucune refiftance & enlever dans le bord. Nous en prîmes plufieurs de cette manié- ré. Ils avoient quatre ou cinq pieds de long &c étoient gros à proportion. Cet animal reffemble fort à un cochon , non feulement pour la chair & le lard , mais encore pour la figure du dedans & du de- hors , la chair n’eft pas délicate ôc fent un peu l’huile. Dans cette occafion il fut aifé de dé- tromper plufieurs perfonnes qui n’ayant jamais vû de Marfoüins ne pouvoient fe perfuader qu’il euflent le fang chaud ny qu’ils pufient refpirer, quoy qu’ils l’eu fient quelquefois oüy dire à ceux qui l’avoient expérimenté; il y en eût parmy ceux-là qui eurent la curiofité de porter la main dans les entrailles du poififon quand on luy eût fendu le ventre ; & ils âflurérent qu’il l’avoit prefque auflî chaud que le co- chon. Ils ne doutèrent plus auflî qu’il ne refpirât quand ils virent fes poulmons auflî propres à la refpiration que ceux des animaux qui vivent hors de l’eau. Auflî la nature ne luy a point donné d’oüies , com- me aux autres poiflons. Mais feulement deux trous aux deux cotez de la tète pour E iij Le Mar- foüin a le Gng chaud. 38 VOYAGE recevoir l’air. C’eft fans doute pour cela que ces poilfons lèvent de tems en tems la tête , 8c quelquefois tout le corps hors de l’eau 8c qu’ils vont toujours du côté du vent ; delà vient aulfi que quand les Mariniers voyent des Marfoüins qui s’a- vancent de quelque côté pendant le cal- me, ils ne manquent pas de dire que le vent en doit venir. Quoy qu’il en foit du pré- fentiment , nous ayons quelquefois heu- reufement trouvé les prédictions des Ma- telots véritables. , hes J’avois fouvent oüy dire, 8c j’avois même votent les remarque dans un voyage que j ay rait a uns les au- l'Amérique , que quand un de ces poilfons eft bleffé à mort , 8c qu’il a allez de force pour fe détacher du harpon , les autres le fuivent à la trace du fang qu’il répand en abondance fans le quitter jufqu’à ce qu’il foit mort, afin de le dévorer , je me confir- may dans cette opinion. Car un jour un Marfoüin qui avoir été frappé fit tant d’effort qu’il s’arracha le harpon du ven- tre 8c fe fauva de nos mains , il y en avoit alors beaucoup d’autres autour de nous. Mais dés que celuy-cy fut blelfé , 8c qu’il eut pris la fuite , tout difparut 8c on n’en vit pas un feul de toute la journée. Puifquenous fommes fur le Chapitre de DE SIAM. Livre I. 39 pêche, il faut que je parle de celle que nous avons faite, ôc des poiflbns que nous avons vûs , qui ne font pas fi connus dans l’Euro- pe. Jecommenceraypar le Requin, parce que c’eft celuy que l’on trouve le plus fou- vent , ôcqui eft le plus aifé à prendre.Nous en avons pris quelquefois jufques à fix en un jour. CePoilîon eft uneefpecede Chien deMer qui a la tête fort large, &fort platte, la gueule fort enfoncée à caufe de la mâ- choire inférieure , qui fe retire fort avant fous la fupérieure 5 de forte que pour mordre il eft contraint de fe coucher def- fus le côté & quelquefois même fur le dos. Ceux que nous avons pris étoient de qua- tre pieds de long & avoient beaucoup d’épaifîeur. Un peu au deftous de la tête fa peau eft une efpéce de chagrin , dont le grain eft fort gros , avec fix ouvertures de chaque côté qui fe ferment par le moyen de certaines peauxfortminces,qui lui tiennent lieu d’cüyes. C’eft fans doute le plus vo- race de tous les animaux. Qupyqu’il ait été pris trois ou quatre fois de fuite à l’hameçon , & qu’il aye la gueule toute enfang, il y revient toujours avec la mê- me avidité , jufques à ce qu’il foit pris ou qu’il ait enlevé l’amorce. Au refte quand il a faifi un homme, c’en eft fait, il ne Defcrip- tion du Re- quin ou Chien de Mer. J 40 VOYAGE lâche jamais prife , & c’eft pour cela , fé- lon quelques-uns, que les gens de Mer 1 ap- Pourquoy pellent Requin ou Requiem. La.caufe d’une Requin!'116 fi grande avidité eft la grandeur de fon foye , il eft compofé de deux pennes ar- rondies par les extremitez , & de largeur de quatre doigts fur un pied & demi de longueur , mais elles ont fort peu d’épaif- feur. Ajoûtez qu’il n’a qu’un boyau fort court , & prefque droit. Nous en trouvâ- mes un qui avoit dans le ventre une plan- che de quatre doigts de large & d’un pied Ôc demi de long. Il eft fans poulmons , & fon cœur eft placé dans une concavité formée par le concours de deux os prés de la tête. Il a trois rangs de dents dont les unes font inclinées , les autres droites , & de figures différentes, ôc on luy en voit mê- me un rang de triangulaires qui font fort minces & terminées en feie. On lui trouve dans la tête trois concavitez,deux aux deux cotez qui contiennent une fubftance blan- che,qui a quelque confiftance^ellefe durcit dans la fuite & on luy donne le nom de Pierre de Requin : nos Chirurgiens luy attri- buoient de grandes vertus, je m’en rap- port. La troifiéme concavité, qui eft au milieu de la tête, renferme le cerveau qui eft à peu prés de la groffeur d’un œuf de poule. D E SIÀM. Livre I. 41 poule. La fubftance nous en parut fort aqueufe , & ce ne fut qu’avec peine que nous pûmes diftinguer le corps calleux de la partie moëlleufe. On y voit un cervelet fort petit, & entre le cerveau & le cerve- let une glandule fort molaffe qui porte fur deux autres plus petites. Le Requin eft toujours efcorté de plu- fieurspetitspoiffonsqui compofent fa fuite, &qui luy font fi inféparablement attachez qu’ils aiment mieux fe lailTer prendre avec luy que de l’abandonner: on les nomme fes Pilotes 5 parce qu’on prétend , qu’ils luy fervent de guides pour le conduire dans les endroits, ou ils découvrent de la proye. C’eft une erreur populaire que de s’imagi- ner que ces poiffons luy rendent ce bon office fans aucun interet ; le grand at- tachement qu’ils ont pour luy , n’eft fondé que fur la nourriture qu’ils y trouvent Car outre qu’ils profitent des reftes de fa proye , ils fe tiennent at- tachez fur fa peau par le moyen d’une pellicule cartilagineufe , de figure ova- le , qu’ils ont fur la teffe , & qui eft canelée & armée de quantité de fibres , avec lefquels ils en tirent apparemment quelque fuc ; & c’eft pour cela que quel- ques-uns les nommqût Succets. Quand ils E Les Suce ers poiflons ap- peliez par les Matelots. Pilotes du Requin a / La Bonite pcffécutc le poilîoa vo- lant. 42 VOYAGE s’en veulent éloigner il faut qu’ils fe met- tent hors de la portée de fa dent, autrement il ne leur feroit pas meilleur quartier qu’- aux autres poiffons. J’en ay vu quelque fois fe mettre en devoir de les attraper , & bien en prenoit aux Succets de fe réfugier au plutôt dans leur azyle ordinaire. Quand on les a enlevez avec le Requin , on a pei- ne à les en féparer $ fi on les met fur une table ils s’y tiennent collez comme fur le Chien de Mer ; & dans cette fituation qui leur eft naturelle, ils ont les oüyes à l’envers ôc le ventre en haut, comme on le peut voir dans la Carte du Cap. Il y en a de deux efpéces , de blancs qui ont à peu prés la figure ôc la groffeur d’un Rouget , &c de noirs qui font fort petits : c’eft de ces der- niers dont j’ay principalement parlé. Nous trouvâmes encore dans ces en- droits quantité de Bonites , les ennemies implacables des poiffons volans, à qui elles donnent continuellement la chaffe.C’eft le meilleur poiffon que nous ayons pris dShs tout le voyage. Il eft de la groffeur de nos plus greffes Carpes , mais beaucoup plus é- , pais, fans écailles, avec une peau argentée & le dos marqué de longues rayes obfcures & dorees. Nous primes auffi des Albucors ou des Albacors , que les Portugais nom- S DE SIA M. Livre I. 43 ment ainfi , à caufe de leur couleur blan- châtre. C’eft une efoece de Bonite , mais trois fois plus grofle que les autres : la chair , la couleur & le goût font à peu prés de même. Comme les uns & les autres font fort friands de poilTons volans , on fe fert de la figure de ces derniers faite de plumes , qu’on attache au bout d’une li- gne,pour les prendre. On fait voltiger cet- te figure à fleur d’eau devant ces poiflons qui s élancent pour l’attraper hors de l’eau avec tant d’avidité , que fouvent on en prend trente ou quarante dans une heure de tems avec deux ou trois lignes feule- ment. Nous rencontrâmes beaucoup moinsde Bonites qu’on ne fait ordinairement, peut- être à caufe qu’il n’y avoit pas alors un fi grand nombre de poiflons volans dans ces Mers. Nous ne laifsâmes pourtant pas de voir plufieurs bandes de ceux-ci s’élever en l’air environ huit ou dix pieds de haut, & voler cinquante ou foixante pas , avant que de fe replonger dans l’eau pour mouil- ler leurs ailerons , ôe prendre de nouvelles forces contre les Bonites , qui fouvent les attrapent à la remife , ou qui fautent hors de l’eau pour les prendre en volant. Ils trouvent aufli de certains oyfeaux qui fon- Manière dont on pè- che les Bo- nites. % Un grain en terme de Marine fi- gnifie un vent violent, de peu de durée 5c ac- compagnée de pluye. 44 VOYAGE dent fur eux. quand ils fortent hors de l’eau pour fe fauver des Bonites. Un de ces poifions fe trouvant un jour pourfuivy de prés fauta dans nôtre Navi- re 6c donna dans la tête d’un Pilote. Quoyque j’en euflfe vû autrefois je pris plailir a le confiderer , il étoit de la figure, delacouleur&delagrofleur d’un Harang, le dos un peu plus épais 6c le devant delà tête arrondi comme le Rouget avec des ai- les au deffus des oiiyes fort femblables à celles des Chauve-fouris. Voilà à peu prés ce que nous avons vû de poilTons aux environs de la ligne. Nous avions eu le foleil à pic ( c’eft-à- dire direêfement fur la tète ) dés le vingt- neufiémeMars vers le troifiéme degré de latitude Nord. Comme le Ciel fut fort ferain ce jour- là 5 nous eûmes le plaifir de remarquer qu’à midy les mars 6c tout ce qui étoit droit dans la Vaiifeau nefaifoit nulle om- bre. Depuis ce tems-là nous eûmes fept ou huit jours decalme 5 6c nous ne fîmes les foixante 6c dix lieues qui nous re- ftoient jufques à la ligne que par grains, c’eft - à - dire , avec des vents de peu de durée , qu’amènent avec eux les nues 6c les orages. Après tout nous n’avons pas DE SIAM. Livre I. 45 entendu dans ces endroits-là ces gros ton- nerres dont on nous avoit fi tort mena- cé en France. Mais nous avons vû quan- tité d’éclairs fur tout la nuit , ôc fi fréquens que le Ciel ôc la Mer paroifloient tout en feu. Comme les calmes & les chaleurs ne nous ont pas fort incommodez dans ces climats ; nous n’avons eu que tres-peu de malades , ôc dans toute la traverlée de Breft: au Cap de Bonne Efperance , nous n’avons perdu qu’un homme $ encore s’é- toit-il embarqué , fans qu’on en fçût rien, avec un flux de fang dont il eft mort. Nous avons fans doute bien des aétions de grâces à rendre à Dieu, de ce qu’il nous donna un fi beau tems aux environs de la ligne : car fi nous y euflîons été arrêtez par les calmes autant de tems qu’on eft fouvent obligé d’y demeurer , l’eau , le pain ôc les viandes fe feraient bien-tôt cor- rompues ôc auraient caufé de grandes ma- ladies, qui infailliblement nous auraient emporté beaucoup de monde : comme il arriva cette année à un Vaifleau Hollan- dois. Ce Navire étoit parti d’Europe plus de deux mois avant nous ôc cepen- dant il nous trouva moüillez à Batavia 5 où nous apprîmes que les gens qui é- Protc&ion particulière Dieu fur tous ceux du Voyage. La Ligne Equinoxiale paÆee le 7. â’Avril. 4 6 VOYAGE toient dedans avoient été fi incommo» dez des calmes pendant fix femaines en- tières vers la ligne , que prefque tous é- tant tombez malades, de quarante -huit ou environ qu’ils étoient dans leur bord, il en mourut trente - fept , entre lef- quels furent le Capitaine 8c les deux pré- miers Pilotes : de forte que les onze qui reftoient n’ayant pû mener le Vaifleau jufques à fon terme , furent obligez de re- lâcher à l’Ifle de Sumatra 8c d’envoyer chercher du monde pour les conduire à la rade de Batavia , ou nous les vîmes arriver. Nos vivres 8c nôtre eau ne fe font point corrompus, nous n’avons même prefque pas eu à fouffrir du mauvais tems 8caes calmes; 8c les chaleurs delà Zone torride ne nous ont gueres paru plus grandes que celles qu’on fent en France au fort de l’Eté. Ainfi nouspaffâmes la Ligne fans aucune incom- modité le feptiéme d’ Avril , qui étoit un Samedy , avec un petit vent de Nord- Nord-Oüeft vers le trois cent cinquante- huitième degré de longitude. Comme il étoit déjà tard , la cérémonie fi folem- nelle que les gens de Mer ne manquent jamais de faire en cette occafion , fut re- mife au lendemain après la Melfe. C’eft une invention imaginée par les Maîtresses DE SIAM. Livre I. 4^ Pilotes & les autres Officiers mariniers du /VaifTeau , afin d’avoir de l’argent ôc en acheter des rafraîchiifemens pour eux ôc pour l’Equipage , à laquelle ils ont don- né fort mal à propos le nom de Baptême. Monfieur l’Ambaflfadeur ne voulut pas qu’on fît aucune des cérémonies qui ont quelque rapport aux chofes faintes. Cha- cun donna ce qu’il voulut ^ ôc les autres en furent quittes pour quelques féaux d’eau, qu’on leur jetta fur le corps : comme il faifoit alors fort grand chaud , l’incom- modité ne fut pas confidérable. Depuis le paflage de la Ligne jufques au Tropique du Capricorne , lèvent ne nous fut pas fort favorable 5 il nous manqua meme durant quelque tems vers le ving- tième degré de latitude auftrale, & nous fit fentir durant le calme , les chaleurs de la Zone torride jufques au trentième du mois d’Avril que nous palfàmes ce Tropi- que. Après cela nous eûmes prefque toû jours des vents variables ôc fi tempérez qu’une petite Barque nous eût pû fuivre fans cou- rir aucun rifque. Il eft vray que fous la Zone nous trouvâmes deux ou trois fois de ces orages impétueux que les Portugais appellent Travadts ou Troadas } parce qu’ils Ce c’eft qu une Travade & le feu Sairtc Elme. 48 VOYAGE font toujours mêlez de tonnerres & d’é- clairs: mais comme ils venoient de l’arrié- re , ils nous incommodèrent peu,& nous firent faire beaucoup de chemin. Dans l’u- ne deces Travades parurent deux diverfes fois fur les mats , fur les vergues , & fur le canon de nôtre Navire , de ces petits feux de figure piramidale , que les Portugais appellent le feu de faintTelme &c non pas faint Helme. Quelques Matelots les regar- dent comme l’ame du Saint de ce nom , qu’ils invoquent alors de toutes leurs for- ces , les mains jointes & avec beaucoup d’autres marques de refpect. II s’en trouve même parmy eux qui les prennent pour des aflurances infaillibles que la tempête va bien tôt ceffer, fans leur caufer de dom- mage. Ce font ces mêmes feux que les Payens adoroient autrefois fous le nom de Caftor & de Pollux 5 & il eft furpre- nantque cette fuperftition fe foit ainfi in- troduite parmy les Chrétiens. Le douzième de Mars nous découvrî- mes à midy ou environ un de ces Phéno- mènes appellé œil de bœuf ou œil de bouc à caufe de fa figure. On les regarde ordinairement fur Mer comme un préfage alluré de quelque orage. C’eft un gros nuage rond oppofé au Soleil & éloigné d’environ DE Si AM. Livre I. 49 d’environ quatre-vingt ou quatre-vingt- dix degrez de cet Aftre , qui peint demis les couleurs de l’Arc-en-Ciel, mais fort vives. Peut être quelles paroi(Tent avoir un fi grand éclat, à caufequecetOeilde bœuf cft environné de tous cotez de nuées épaifTes ôc obfcures. Quoyqu’il en foit je puis dire que je n’ay jamais rien trouvé de fi faux que les pronoftiques de ce Phéno- mène. J’en ay vû un autre fois étant prés de la terre ferme de l’Amérique , mais qui fut fuivy comme ceux-cy d’un tems fort beau ôc fort ferein , ôc qui dura plufieurs jours. Puifque nous Pommes fur le chapitre des Divers phé* Phénomènes , il ne faut pas en oublier icy “bfave” un afTez extraordinaire que nous avons pendant le obfervé entre la Ligne ôc le Tropique du Voya&e- Capricorne 5 ôc qui paroît difficile à ex- pliquer. C’eft un de ces gros tourbillons que les Mariniers appelîentTrompes, Pom- pes ou Dragons d’eau . Ce font comme de longs Tubes ou Cylindres formez de va- peurs épaifTes, lefquelies touchent les nues d’une de leurs extrémirez , ôc de l’autre la Mer, qui paroît bouillonner tout autour. Yoicy a peu prés comme ces Dragons fe forment. On voit d’abord un gros nuage noir , G La manière dont fe foi> / ment les Pompes ou Dragons d’eau. Il eft dange- reux de ren- contrer les Dragons d’eau. $o VOYAGE dont il fe fépare une partie 5 & comme c’eft un vent impétueux qui pouffe cette portion détachée ,elle change infenfible- ment de figure & prend celle d’une lon- gue colonne , qui defeend jufques fur la * lurface de la Mer 5 demeurant d’autant plus en l’air que la violence du vent l’y retient, ou que les parties inferieures fou- tiennent celles qui font deffus. Auffî quand on vient à couper ce long tube d’eau par les vergues & les mats du Vaiffeau qui en- trent dedans , quand on ne peut pas s’en garantir 5 ou à interrompre le mouvement du vent en raréfiant l’air voifin par les coups de canon ou de moufquets : alors l’eau n’étant plus foûtenuë tombe en tres- grande abondance , & tout le dragon fe dillipe auffî-tôt. On fait tout ce qu’on peut pour les éviter , leur rencontre étant fort dangereufe , non feulement à caufe de l’eau qui tombe dans le Navire, mais encore à caufe de la violence fubite &: de la pefan- teur extraordinaire du tourbillon qui l’em- porte & qui eft capable de démâter les plus gros Vai fléaux , & même de les mettre en danger de périr. Ces dragons d’eau , quoy- que de loin ils paroiffent affez petits & femblables à des colonnes de fix ou fept pieds de diamètre , ont neanmoins beau- DE SIAM. Livre. L h coup plus d’é^cnduë. J’enay vû deux ou trois auprès des Berlingues en Portugal, à la portée du piftolet 5 5c ils me paru- rent avoir plus de cent pieds de circon- férence. Nous avons encore remarqué des Phé- nomènes peu différens de ceux-cy : on les appelle Siphons à caufe de leur figure lon- gue affez fémblable à celle de certaines pompes : ils paroifient au lever 5c au cou- cher du Soleil vers le même endroit où il eft alors. Ce font des nuages longs ôc é- pais environnez d’autres nuages clairs ôc tranfparens , ils ne tombent point 5 ils fe confondent tous enfemble dans la fuite ôc fedillïpentpeu à peu, au lieu que les Dra- gons font pouffez avec impétuofité , du- rent long-tems 5c font toujours accompa- gnez de pluye & de tourbillons, qui font bouillonner la Mer 5c la couvrent d: 'écu- me. Les Iris de Lune ont dans ces l ieux des couleurs bien plus vives que ceux qu’on voit en France : mais le Soleil en forme de merveilleux fur les goûtes d’eau de Mer que le vent emporte comme une pluye fort menue , ou comme une fine poufîîére , lors que deux vagues febrifent en fe choquant Q^and on regarde ces Lis d’un lieu élevé. Pompes d’une autre efpecc. Iris exrraor- d inaire s qu’- on voit fur Mer. Phénomè- nes qui fc voyent dans Peau de la Mer. 52 VOYAGE ils paroident renverfez , 6c il arrive quel- quefois qu’un nuage padant par dedus , 6c venant à fe réfoudre en pluye , il fe forme ün fécond Iris dont les jambes parodient continuées avec celles de l’Iris renverfé & compofer ainfi un cercle d’iris prefque tout entier. La Mer a fes Phénomènes auiïî bien que l’air , il y paraît fouvent des feux , fur tout entre les Tropiques : nous l’avons vüé quelquefois pendant la nuit toute couver- te d’étincelles , lors qu’elle eft un peu groffe 6c que les vagues fe brifent : onre- marquoit auiïî une grande lueur à l’arriere du Navire , particuliérement lors qu’il pafïoit un peu ville. Car alors le fillage ou la trace du Navire paroi doit comme un fleuve de lumière , 6c c’étoit adez qu’on jettât quelque chofe dans la Mer pour la rendre toute brillante, je ne crois pas qu’il faille chercher ailleurs la caufe de cette lueur que dans la nature même de l’eau de Mer , qui étant pleine de fel , denitre, 6c fur tout de cette matière dont les Chimi- iles font la principale partie de leurs Pho- fphorcs , qui étant agitée s’enflame auiîî- îôt 6c paraît lumineufe, doit auiïî par la même radon devenir brillante quand on la met en mouvement. Il cniauc ii peu a DE SIAM. LIVRET. 53 l’eau de Mer pour en faire fortir du feu , qu’en maniant une ligne qu’on y a trempée il en fort une infinité d’étincelles fembla- bles à la lueur des vers luifans , c’eft à-dire, vive & bleuâtre. Ce n’eft pas feulement quand la Mer cfi agitée qu’on y voit des brillans, nous en avons vu encore vers la Ligne pendant le calme quelque tems après le Soleil couché: ils nous paroiffoient comme une infinité de petits éclairs affez foibles qui fortoient de la Mer & difparoifloient incontinent après. Nous en attribuions la catife à la chaleur du Soleil , qui ayant comme im- prégné &c remply la Mer pendant le jour d’une infinité d’efprits ignees ôc lumineux, ces efprits fur le foir fe réüniffant enfem- ble, pour fortir de l’état violent ou le So- leil les avoir mis, cherchoient en ion ab- fence à fe mettre en liberté & formoient ces petits éclairs, en s’échapant à la faveur de la nuit. Outre ces brillans paffagers ou d’un mo- ment , nous en vîmes encore d’autres pen- dant les calmes, lefquels on pouvoit ap- peller permanens , parce qu’ils ne fe diffi- pent pas comme les premiers. Il y en a de diverfes grandeurs & figures, de ronds, d’ovales déplus d’un pied & demi dédia- Lurriéres qui Torrent de la Mer pendant h nuic. Un vaîflTeau Anglais dé- couvert. 54 VOYAGE métré , qui palfoient le long du Navire, 2e qu’on conduifoit de vue à plus de deux cens pas , autant qu’on en put juger à les voir paifer à huit ou dix pas du Navire. On crut que ce n’étoit que de la glaire ou quelque fubftance onétueufe qui pouvoit fe former dans la Mer par quelque caufe naturelle qui ne nous eft pas connue. Il y en eut qui vouloient que ce fu fient des poilfons endormis qui brillent naturelle- ment. Il eft vray que nous avons vû par deux fois le matin plus de vingt de ces brillans tout de fuite de la figure de nos Brochets ; plufieurs même de ceux qui a.- voient beaucoup navigué crûrent que c’é- toient de véritables poilfons , mais on n’o- feroit l’affûter. Reprenons la fuite de nôtre Voyage. Le dixiéme de May au matin nous découvrî- mes un petit Navire Anglois qui vint par- ler aux gens de laMaligne, laquelle en etoit plus proche que nous. On fçût par-là que ce Bâtiment revenoit des Ifles de l’Améri- que, 2c qu’il alloit charger des Efclavesà Madagalcar. Il fit tout ce qu’il pût pour nous luivre , mais comme nous avions un bon vent , 2c que nous portions beaucoup de voiles , nous le perdîmes de vûë ce jour- là même. DE SI AM. Livre I. 55 Le dix - feptiéme May nous eftions au trcnte-troifiéme degré de latitude auilrale &au dix neufiéme de longitude ielon l’ef- time des Pilotes. Ce fut-la que nous com- mençâmes à voir des oyfeaux de differen- tes façons & du Goémon avec de grands rofeaux verdâtres de dix ou douze pieds de long qu’on appelle Trombas ou Trompes , à caufe que leur tige qui va croiffant in- fenfiblement jufques au haut où elle eft terminée par plufieurs feuilles de même couleur , reprefente affez bien la figure de la trompe d’un Eléphant. Le Goémon eft une efpéce d’heroe tirant fur le verd , affez femblable au foin , dont les brins font entrelaffez les uns dans les autres & fort grands. Quelques-uns croyent que cette herbe vient du fond de la Mer & qu’elle en eft détachée par les flots qui la foulévent jufques à la mperficie de l’eau. Il y en a qui veulent qu’elle croiffe entre les eaux, parce qu’ils en voyent bien avant en {>leine Mer , &c ils ne peuvent croire que a Mer foit affez agitée pour porter fes flots jufqu’au fonds & en aller ainfi détacher le Goémon. Outre qu’il s’en trouve fur la furface de la Mer en fi gran- de abondance qu’elle reffemble à une grande prairie. D’autres enfin foûtien- Les Bas- fonds (ont des Terres en pleine Mer dont la fnpcrficie eft couverte d’eau. LcsRecon- noilïances du Cap de bonne £fpc lance. Ranger en terme de Marine û- 56 VOYAGE lient , & cette opinion me paroît plus plaufible & plus conforme à la vérité, que le Goémon vient des côtes voifines & qu’il en eft détaché par les vagues & tranfporté en haute Mer , mais non pas fort loin des terres , ou par les Marées , ou par les courans , ou enfin par les vents qui régnent. C’eft fur cette perfuafion que Chriftophe Colomb fi fameux parfes découvertes dans l’Amérique , voyant une nuit devant fon Vaiffeau une gran- de étendue de Mer couverte de Goémon, raffura fesgens, qui croyoient être perdus, prenant cette herbe pour des bas-fonds, & leur promit de leur faire voir la terre bien tôt 5 ce qu’il, fit en effet deux jours après. Ces Oyfeaux extraordinaires , ces Trom - pes & ce Goémon , font les plus furcs marques qu’on approche du Cap. Ce qui fait voir qu’on a desreconnoiflances d’af- fez loin , puis que la prémiére fois que nous en vîmes , nous eftions au dix-neu- viéme degré de longitude , & au trente- troilîéme de latitude auftrale, c’eft à dire que nous eftions éloignez du Cap de Bon- ne-Efpérance de prés de 300. lieués. On dit que fi au lieu de ranger la Cô- te d’Afrique comme nous fîmes , nous avions DE SIAM. Liv. I. 57 viorrs pris plus au large vers l’Occident, nous euflions rencontré ces fignes plus a- vant dans la Mer. Ce qui me fait juger que les courans qui les entraînent avec eux , portent - du codé de l’Oued avec plus de violence que du codé du Nord. Nous trouvâmes les mêmes chofes deux jours après edre partis du Cap de Bonne- Efperance, faifant route à l’Éd-Sud-Ed, mais en bien plus grande quantité. Cela continua tout le troifiéme jour , quoy que nous euiïions bon vent , & que nous euf- lions fait beaucoup de chemin. Les jours luivans on vit ces mêmes Oy- féaux en plus grand nombre, qui ne nous quittèrent que bien loin au de-là du Cap. Les uns edoient noirs fur le dos & blancs fous le ventre , ayant le deflus des ailes bigaré de ces deux couleurs , à peu prés comme un Echiquier ; & c’ed pour cela fans doute que nos Français les ont fur- nommé Damiers , ils font un peu plus gros qu’un Pigeon. Il y en a d’autres en- core plus grands que les premiers , noirâ- tres par dellus , & tout blancs par deflbus, excepté l’extrémité de leurs ailes , qui pa- roid d’un noir velouté, que les Portugais appellent pour cela Mangas de V'eludo, man- ches de velours. Après ceux là nous tnvf- H gnifie ap- procher/ O y féaux differens qu’on voit fur Mer ap- prochant du Cap deBora- ne-Efperan~ ce. 5s VOYAGE mes d’autres en troupes un peu plus pe- tits que les premiers. Les Portugais les appellent Boralhos , parce qu’ils font de la couleur d’un gris cendré. Je ne parle point de certains gros Qy féaux qu’on peut appcller à caufe de leur blancheur Cignes de Mer, non plus que des Corbeaux 6c des Corneilles que l’on trouve dans ces endroits , ny de certains Oyfeaux qu’on appelle des Fous, peut-eftre parce qu’ils Font fx peu fur leurs gardes , qu’ils fe laif- fent prendre à la main. Le 23. le vent de Nort s’étant beaucoup augmenté , on fut obligé de mettre à la Cape cette nuit , c’eft a dire qu’on ferra toutes les Voiles , excepté une des plus grandes , de peur d’aller donner contre la terre qu’on ne croyoit pas fort éloignée. En effet, le lendemain fur le midy un Ma- telot qu’on avoit pollé dans un lieu fort élevé, cria de toute fa force , terre , terre, 6c à l’heure même il defeendit pour prier Monfleur l’Ambafladeur de luy donner la récompenfe qu’il avoit promife à celuy qui découvrirait la terre le prémier. Il afTura même qu’il l’avoit déjà vue le ma- tin fans qu’il eut olé le dire , n’en eftant pas bien feur , mais que préfentement il n’en pouvoit plus douter : cependant il DE SI AM. Liv. I. j9 n’y eut prefque perfonne qui pût bien difcerner la Montagne qu’il montroit, & on fut long-tems fans le croire: Mais en- fin après deux ou trois heures on démêla diftinéfement les montagnes du Cap de Bonne - Efperance , qui pouvoient eftre éloignées de 15. ou 20. lieues. Le lendemain 31. jour de l'Afcenfion de Notre* Seigneur, après que nous eûmes fait nos prières accoûtumées & dit la fainte Méfié pour remercier Dieu de l'heureux fuccez de nôtre Voyage 3 nous regardâ- mes la terre avec des lunettes d’approche, nous la vîmes fort diftinéfement , n’en étant éloignez que d’environ trois lieues. Toute fauvage & inculte qu’elle nous pa- roiftoit , c’étoit neanmoins un agréable fpeétacle pour des gens qui n’avoient point vû de terre depuis les Canaries, que nous pafiames le 13. Mars. H j LIVRE SECOND, VOTAGE DVCAP DE Bonne-Efpérance à l'IJle de lava. E Cap de Bonne-Efpérance, de la manière qu’on le voit en venant d’Europe , eft une longue fuite de montagnes qui s’étendent du Septentrion au Midy , & qui finirent en pointe dans DE SIAM. Liv. II. 6i îa Mer. Les deux premières , que nous ap- perçûmes à dix lieues de cette pointe, font les montagnes de la Table ôc du Lyon. Nous découvrîmes celle de la Table la première : on l’appelle de ce nom parce que le fommet eft fort plat ôc reffemble allez à une table. Celle au Lyon eft ainfi nommée , parce qu’elle a à peu prés la fi- gure d’un Lyon couché fur le ventre. Quoyqu’elle foit plus avancée vers la Mer que l’autre, nous ne la vîmes qu’aprés : il femble de loin que ce ne foit qu’une feule montagne : aufli ne font-elles pas fort é- loignées l’une de l’autre. Au bas de ces montagnes une grande baye s’avance en ovale deux ou trois lieues dans les terres vers l’Orient , elle a prés de deux lieuës à fon entrée ôc environ neuf de circuit. Toute la Côte en eft faine du côté du Sud vers les Montagnes : par tout ailleurs prés de terre , il y a au danger. M. le Com- miffaire Général de la Compagnie des In- des , dont on parlera beaucoup dans la fuite . nous dit un jour qu’il avoir fou- vent eu peur , nous voyant approcher fi prés des terres dans les bordées que nous radions 5 jufques-là qu’il avoit délibéré de nous tirer un coup de canon à balle, pour nous avertir par ce lignai de nous 62 VOYAGE tenir au large, en attendant un vent plus favorable. C’eft vers le milieu de cette baye, que les Hollandois ont placé un fort Penta- gone au deffous de la Montagne de la Table, qui le couvre du côte du Mi- dy , 6c derrière celle du Lyon , qui le met à l’abry du côté de l’Occident , à une lieue de terre ou environ. On laiffe fur la gauche en entrant une Ifle aifez baife nommée Pille Robin , au milieu de la- quelle les Hollandois ont arboré leur Pa- villon. Ils y relèguent ceux du pais, 6c même ceux des Indes qu’ils veulent pu- nir de banilfement 6c les obligent d’y tra- vailler à la chaux , qu’ils font des coquil- lages, que la Mer y jette. Comme le tems étoit favorable pour en- trer dans la baye , nous efpérions mobil- ier fur les dix heures du matin ; mais le vent nous ayant manqué tout d’un coup à l’entrée , nous nous trouvâmes pendant le calme dans un courant , qui nous por- toit fort vite fur une roche du côte de l’Ifle Robin , ou nous voyions les vagues fe brifer avec beaucoup de violence- On mit auflî-tôt le Canot 6c la Chaloupe à la Mer pour nous remorquer 6c nous ti- rer de ce mauvais pas. Mais malgré la DE SI AM- Liv. II. 6} prévoyance des Officiers ôc la diligence de l’Equipage à exécuter leurs ordres , nous ne laiffions pas d’être en grand dan- ger de toucher contre cette roche par la rapidité du courant ou de la marée qui nous emportoit ; & on n’ètiot pas à de- mi-lieué de ce brifant , lorfque tout à coup il s’éleva un vent de terre qui nous obligea de remorquer à nôtre tour la Chaloupe & nout mit bien-tôt hors d’in- trigue. Nous y perdîmes pourtant deux Huniers ( ce font deux voiles médio- cres ) que la violence du vent enfonça. Comme nous fûmes obligez de louvoyer tout le jour dans la Pafife avec de grandes fatigues 5 c’eft-à-dire , de faire plufieurs bordées tantôt d’un côté & tantôt d’un autre 5 nous ne pûmes attraper le moüil- lage qu’au commencement de la nuit. Encore fallut-il le lendemain relever l’an- cre pour s’approcher du Fort ôe fe mettre fous les montagnes à l’abry des vents d’Oüeft extrêmement violens & qui ré- gnent en cet endroit durant l’hyver , ou nous citions alors. Nous moüillâmes donc le lendemain à cent cinquante pas du Fort. Il y avoir quatre gros Vailfeaux à la rade du Cap venus de Hollande de- puis un mois , quoy qu’ils fulîent partis La PafTc ccd un pe- tit détroit formé par deux terres qui s*avan- cent. Nos Vaif- fcaux moiiil lércnt au milieu de quatre Na- vires Hol- landois. 64 VOYAGE plus de deux mois avant nous. Le pre. mier portoit une flamme d’ Amiral au deflous du Pavillon , pour marque du commandement fouverain que la Com- pagnie de Hollande s’attribue dans les In des. Il étoit monté par le Baron Van- Rheeden, que la Compagnie des Indes en- voyait avec le titre de Commiflaire Gé- néral, pour vifiter toutes les Places qu’el- le tient en ce Pais - là. Il avoit un plein pouvoir d’ordonner de tout , de changer les Officiers des Comptoirs & même les Gouverneurs des Places , s’il le jugeoit à propos. Le fécond étoit commandé par le Baron de Saint Martin , François de Nation & Major Général de Batavia , commandant en cette qualité toutes les troupes de la Republique dans les Indes. Le Sieur Bocheros ancien Capitaine de Vai fléau ôc Confeiller de Monfieur Van- Rheden durant le tems de fa Commiflïon, montoit ietroifiéme. Le quatrième étoit à la fuite de Monfieur de Saint Martin, qui devoit fe rendre inceflamment à Bar ta via. Tous ces Meilleurs aufauels il faut joindre Monfieur Vanderftellen Gouver- neur , ou , pour parler comme les Hollan- dois , Commandeur du Cap , font d’un mérité DE SIA M Lîv. It èi ftiérite fingulier , ôc ce fut une heureufe rencontre pour nous d’avoir à traiter a- vec eux , durant le féjour que nous y fî- mes. Nous avions à peine moüillé , que deux Chaloupes arrivèrent à bord , pour fça- voirqui nouseftions; ôc le lendemain fur les fept heures du matin le Commiflaire Général envoya complimenter Monfieur l’Ambafladeur , qui de fon côté fit aller Monfieur le Chevalier de Forbin Lieute- nant du bord ôc trois autres Officiers à terre pour le faluer, ôc le prier de nous per- mettre de faire de l’eau Ôc de prendre les rafraîchiiïemens néceflaires. Il y confen- tit avec beaucoup d’honnêteté, ôc ayant fçû qu’il y avoit plufieurs Gentils-hom- mes a la fuite de Monfieur l’Ambalfa- deur , il les fit inviter à venir châtier à terre. Il demanda, s’il n’y avoit point de Jefuites dans nôtre Vaiffeau. Il eft pro- bable, que ceux , qui étoient venus la veil- le ôc qui nous avoient affcz remarquez , luy avoient parlé de nous à leur retour. Monfieur de Forbin répondit que nous citions fix, qui allions à la Chine , ôc qu’il y avoit auffi dans le bord des Eccléfiafti- ques qui alloient à Siam. Apres cela on parla du .falut, ôc l’ou I Les HoW landois cn- voyent rc^ connoître nos Vaif-* féaux. L’Ambaf- fadeur en-, voye com- plimenter le Gouverneur du Cap. Les Jefui- tesvont ren- dre vifre au Gouverneur du Cap- 66 VOYAGE convint , que la Forterelfe rendrait coup pour coup, quand nôtre Vailfeau l’auroit l'aluée. Cet article fut mal expliqué ou mal entendu par ces Meilleurs : car Mon- sieur l’Ambalfadeur , fur les dix heures, ayant fait tirer fept coups de canon, l’Ad- miral répondit de cinq coups feulement & la Forterelfe ne tira point. Monfieurl’Am- balfadeur renvoya aulïî-tôt à terre , & l’on arrêta , que le falut de FAdmiral ne ferait conté pour rien. Ainfi la Forterelfe tira fept coups , l’Admiral fept coups , & les autres Navires 5. pour falüer le Vailfeau du Roy, qui rendit le falut : leFort & les Vailfeaux le remercièrent. On prépara enfuite lesCha- loupes , & l’on ne penfa plus qu’à s’aller délalfer à terre des fatigues palsées. Dés que nous fûmes arrivez dans cette baye , nous trouvâmes ce lieu II propre pour faire des obfervations , que nous ré- solûmes fur le champ de chercher les moyens de les faire. Il falloit pour cela prendre une maifon commode , y faire tranfporter nos inftrumens & y pouvoir travailler jour & nuit , pendant le peu de tems que nous avions à y demeurer. Il y avoit de la difficulté : des Jéfuites Ma- thématiciens & divers inftrumens portez à terre pouvoient bien bielfer la aélica- DE SI AM. Livre II. 67 telle d’un Gouverneur Hollandois dans une Colonie allez nouvelle, ôc luy faire foupçonner quelque autre choie que ce que nous prétendions. On nous conleil- la même de nous déguifer ôc de ne pas paroître Jéfuites : mais nous ne le jugeâ- mes pas à propos , Se nous reconnûmes dans la fuite que nôtre habit ne nous a- voit point fait de tort. Apres y avoir penfé , il fut réfolu que le P. Fontenay ôc moy iroient vifxter le Commiffaire Général Sc le Gouverneur de la Place avant que les autres milfent pied à terre 5 Se que lx dans la converfation on trouvoit ouverture à propofer nôtre def- fein, on fe ferviroit de l’occalxon. Nous al- lâmes donc fans autre recommandation droit à la Forterelfe. La fentinelle nous arrêta à la première porte , félon la coû- tume des Places de guerre, jufques à ce que l’Officier de garde étant arrivé , ôc ayant fçû que nous venions rendre vifite au CommitTaire Général ôc au Gouver- neur , il commanda qu’on nous lailfât en- trer , ôc nous donna un foldat pour nous conduire à leur appartement. Cette maifon confifte dans un grand corps de logis à deux étages ôc fort loli- dernent bâty. Il y a au aeffus une tres- 1 ij rance cft ex trémement tempéré. «9 VOYAGE belle tetfâfle pavée de grandes pierres de taille , avec des balcons & des baluftra- des de fer à l’entour : on y va ordinaire- ment prendre le frais. Ce pais eft dans un iu Cap’ J*' ^ tempéré 5 qu’il n’y fait jamais beau- bonneEfpé- coup de froid, que quand le v.entdu Midy foufle : Ôcquoyque nous fuflîons alors au milieu del’hyver par rapport à ce climat , la chaleur s’y faifoit alïez fentir durant le jour, pour obliger à chercher le frais fur le foir. Nous entrâmes d’abord dans une grande fale où l’on fait le Prêche tous les Diman- ches , en attendant qu’on ait achevé de bâtir le Temple, qu’on a commencé hors du Fort. Il y a aux deux cotez de cette Pale d’alfez beaux appartenons : on nous fît entrer dans ccluy qui eft à main gau- che > où nous fûmes reçùs par Moniteur de Vanderftel , & où un moment après Moniteur le Baron de Vanrheden nous vint trouver. C’eft un homme de qualité âcre d’environ cinquante ans , bien-fait , honnête , fage , civil , fçavant , qui juge & parle bien de tout. Nous fûmes extrê- mement furpris de trouver tant de poli- liteffe au Cap de bonne Efpérance , & beaucoup plus encore de toutes les hon- nêtetez -oc les marques d’amitié que nous y DE SIA M. LîV.kE TI. 69 reçûmes dés cette première entre-vue. Le Perc de Fontenay à qui dans cette occafion je fervoisd’Interprete en Portugais, voyant de fi heureufes difpofitions à nôtre def- fein , dit à Monfieur le CommiiTaire Gé- néral , que nous eftions fix Jéfuites, qui al- lions aux Indes & à la Chine ; que com- me nous n’étions guere accoûtumez au* fatigues de la Mer , nous avions befoin de prendre un peu l’air de terre, pour nous remettre après une fi longue navigation 3 que nous n’avions pas ofé le faire fans içavoir s’ils en feroient contens. Mon- fieur le CommiiTaire Général ne me per- mit pas de luy expliquer tout ce que le Pere de Fontenay avoit dit , & m’inter- rompant aulfi-tôt} Vous nous ferez le plus grand plaifir du monde , mes Peres , nous dit-il en Portugais , de venir vous délaf- fer à terre ; nous ferons tout ce que nous pourrons pour contribuer à vous remettre de vos fatigues. Cette réponfe fi favorable nous fit paf- fer outre : nous luy dîmes qu’étant à ter- re nous ferions bien aifes de travailler, pour Futilité publique , & de luy faire part enfuite de nos obfervations 3 afin de reconnoître par là en quelque manière les bornez qu’il avoit pour nous :Qifenpar- Les Jéfui- font parfai- tement bien reçus des Hollandois. Les honnê- îetez de M. deVan Rhê- Kanna , c’eft apparemment cette plante fameufë que les Chinois appellent Ginf- feng : car Monfieur Cîaudius qui en a vû à la Chine, affûte qu’il en avoit trouvé deux plantes au Cap , êc nous en a fait voir la figure toute entière qu’il avoit pein- te au naturel & que Monlîeur Thevenot m’a fait voir depuis peu de la manière que vous la voyez gravée avec les Sonquas. « Ils ufent du Kanna auflî fréquemment que « les Indiens font du Bétel & de l’AreKa; *> Le lendemain un de leurs Capitaines vint » nous trouver : c’étoit un homme que fa .. grande taille & un certain air de fierté , ” qui paroilToit fur fon vifage , faifoit ref- ” peéter des fiens ; il ménoit à fa fuite cin- ” quante jeunes hommes- , avec autant de ” femmes & de filles. Les hommes por- ” toient à la main chacun une flutte d’un M certain rozeau , tres-bien travaillée, qui ” rendoit un fon affez agréable. Le Capi- “ taine leur ayant fait figne , ils fie mirent à DE SIAM. Livre II. 103 joiier tous enfemble de ces inftrumens , " auxquels les femmes & les filles me- " loient leurs voix 8c le bruit qu’elles lai- “ fioient en frappant desmains. Ces deux “ troupes de gens s’étoient rangées en deux cercles renfermez l’un dans l’autre. Le * premier , qui étoit extérieur 8c formé par * les hommes , entouroit le fécond ou ce- R luy des femmes, qui étoit intérieur. Les " uns 8c les autres dançoient ainfi en rond, « les hommes tournant à droit 8c les fem- « mes à gauche, tandis qu’un vieillard qui « fe tenoit debout au milieu d’eux un bâ- « ton à la main , battoit la mefure 8c ré- « gloit leur cadence. Leur Mufique enten- « due de loin paroilfoit agréable , 8c mê- « me allez harmonieufe 5 mais pour leur * dance elle n’avoit rien de régulier , ou «* plutôt ce n’étoit qu’une confufion. Ces « Namaquas font en grande réputation « parmy ces nations , 8c font ellimez bra- « ves , guerriers 8c puilfans, .quoyque leurs « plus grandes forces ne panent pas deux « mille hommes portans les armes. Ils font „ tous de grande taille 8c robuftes 5 ils ont „ un bon fens naturel : 8c lors qu’on leur „ fait quelque queftion , ils ne répondent tt qu’aprés avoir bien pefé leurs paroles , M 8c toutes leurs réponfes font courtes 8c « Leur ma- nière de danccr. Leur force & leur cou- rage. Leurs mœurs. Les Ubi- quasfontad donnez au larcin. Les diffé- rentes Na- tions que les Hol lan dois ont décou- vertes. Vache ma- rine. ,o4 VOYAGE ” accompagnées de gravité. Us rient rare- ” ment 6c parlent fort peu 5 les femmes pa- ” roiflent artificieuses , 6c ne font pas à beau- ” coup prés fi graves que les hommes. ” La troifiéme Nation eft celle des Ubi- « quas. Ils font Larrons de profeflïon, 6c ” volent les Africains auflî bien que les ” Etrangers. - Quoy qu’ils ne puiftent pas - mettre cinq cent hommes fur pied , il •> n’eft pas aile de les détruire , parce qu’ils » fe retirent dans des Montagnes inaccef- *> fibles. Les Gouriquas font la quatrième » Nation qui n’eft pas fort étendue. Les Ilaf- .. fiquas font la cinquième , ils le font da- » vantage : ils font riches 6c puiflans , peu « verfez dans le métier de la guerre 3 au- „ contraire de la fixiéme Nation, je veux dire des Gouriquas qui font grands Guer- „ riers. La feptiéme Nation eft celle des » Soufiquas, 6c les Odiquas font leurs Ah „ liez. , On voit dans les grandes Rivières un Animal monftrueux , qu’on apelle Vache- marine , 6c qui égale le Rhinocéros en grandeur , fa chair ou pour mieux dire fon lard eft bon à manger, 6c le goût en eft fort agréable. J’en ay mis icy la figure. Pour cequi eft des Arbres , des Plantes , & des Fleurs , il y en a une infinité, 6c de très curieufcs 0 ' ' i DE SIAM. Livre II. 105 curieufes , tant pour leur beauté que pour leurs vertus particulières. Dans le voyage qu’on a fait, qui a duré LcCom_ cinq mois entiers , on a pénétré vers le Nord mandeur du jufqu’au Tropique. C’eft-à dire qu’on a ^0apa(T|“a““ découvert deux cent lieues de Pais , mar- £7* chant toûjours à dix, ou douze lieues de Pr,és n°“« la Mer Occidentale. M. le Commandeur dcpatt' Vanderftell y étoit en perfonne, accom- pagné de cinquante- huit hommes bien ar- mez. Il fit fuivre fa Calèche, & quarante Chariots, avec vingt-huit Chevaux, trois cent Moutons, & cent cinquante Bœufs. Ces derniers portoient le bagage , & traî- noient les chariots , & les Moutons fer- voient à nourrir les Voyageurs. Il partit avec fa Troupe du Cap de Bonne Efpéran- ce (ur la fin du mois de May , qui eft le tems d’hiver en ce Pais5il choifit cette faifon pour ne pas manquer d’eau ôe de fourage par les deferts qu’il falloit traverfer. On a découvert quelques Nations différentes vers le vingt-huitième dégré de latitude, qui habitent un Pais agréable , ôc abondant en toutes fortes de fruits & d’animaux. Avant que d’y arriver , on trouva quantité de déferts & de montagnes , dont une étoit fi îaute , que M. le Commandeur nous affura ]u’on aveit été quarante jours à monter au les dan- gers , qu’il courut , de perdre la vie io Ï* *■ ff '*■. ''*■■■ : •-V ‘ - *AT- - DE SI AM. Livre IL 109 tête rafé, ôc fur les oreilles de grandes co- quilles pointues. Elles fie couvrent de peaux de Chats-Tigres quelles fe lient au- tour du corps avec des courroyes. Cette Na- tion fait grand état d’une certaine moud le de pierre , qui ne fe trouve que dans le cœur de certains rochers, affez dure ôc d’une cou- leur fort obfcure. L’expérience leur a ap- pris que ce minéral eft d’une merveilleufe vertu pour faire délivrer les femmes quand elles font en travail d’enfant , ôc pour fai- re mettre bas leurs Vaches , leurs Brebis ôc leurs Chèvres. Quand les Hollandois fi- rent fauter avec une Mine un grand ro- cher , où il s’en trouva beaucoup qu’on emporta, ils en témoignèrent du chagrin ôc s’en plaignirent comme fi on leur eût enlevé un grand Tréfor. A mon retour on me donna un morceau de cette efpéce de minéral avec quelques autres qu’on a trou- vez dans ce Pais. On trouve encore diverfes fortes d’ani- maux ôc d’infectes , dont voicy les prin- cipales Figures. Le premier eft un Ser.- pent qui a des cornes , appellé Cerafte , qu’on n’avoit point vû jufqu’à préfent, dont le venin eft extraordinairement dangereux. Le fécond eft un Caméléon qui prend toutes fortes de couleurs , ôc O iij Le mal- feeur de ces peuples ido- lâtres, Se le peu d’cfpc- rancc qu’on a de les con* venir. no VOYAGE dont le cry reftemble à celuy d’un Chat. Le troifiéme eft un Lézard. Quand on le frappe il fe plaint comme unenfant qui pleu- re, ôc fe mettant en colere , il drefle les é- ailles , dont il eft tout hérifté. Sa langue eft bleuâtre ôc fort longue , ôc lorsqu’on l’approche on l’entend loufïieravec beau- coup de violence. On y trouve auflî un autre Lézard marqué de trois croix blan- ches, dont la morfure n’eft pas fi dangereu- fe que celle du premier. De tout ce que je viens de dire, on voit afiez que cette partie de l’Afrique n’eft pas- moins peuplée, moins riche ny moins fer- tile en toutes fortes de fruits ôc d’ani- maux, que les autres déjà découvertes, quoy qu’on l’ait négligée fi long- tems. Les peuples qui f’habitent ne font ny cruels ny farouches, ôc ils ne man- quent ny de docilité ny d’efprit. On le re- connaît mieux chaque jour par le com- merce que les Hollandois entretiennent avec eux. Mais leur grand malheur , ôc qu’on ne fçauroit affez déplorer , c eft que tant de nations fi nombreufes n’ont nulle connoiffance du vray Dieu , ôc que per- fon ne ne fe met en état de les inftruire. . On va à la vérité dans toutes leurs terres, ôc on les vifite chez eux jufques dans leurs « / 4 ■ . DE SI AM. Livre II. m plus cpaiffes Forets , on traverfe leurs dé- ferts brûlans, ôc on furmonte leurs mon- tagnes les plus efcarpées avec beaucoup de fatigue, de dépenfè ôc de péril. Mais rout cela ne fc fait que pour découvrir leurs Mines , pour connoître l’abondance de leurs Provinces , pour apprendre leurs fécrets , ôc la vertu de leurs fimples , ôc pour s’enrichir de leur commerce. Cette en- treprife , à la vérité , ôc l’éxécution d’un def- fein fi grand & fi difficile , feroit tres-loüa- ble,fi le zélé du falut de leurs âmes y a voit un peu de part , & fi en trafiquant avec eux , on leur enfeignoit le chemin du Ciel ôc les véritez éternelles. Des Millionnaires zélez qui regarde- roient ces peuples comme rachetez du Sang de JESVS-CHRIST , & aulfi capables, tout fauvages qu’ils font , de glorifier Dieu dans l’éternité , que les nations les plus polies , feroient bien néceflaires dans cette partie reculée de l’Afrique. Ils aideroient prémiérement les Catholiaues du Cap , qui font plufieurs années fans Méfiés ny Sacremens , faute de Prêtres. Ils inftrui- roient en même-tems les Hottentots , déjà connus , ôc d’autant plus faciles à gagner à JESVS-CHRIST, qu’ils n’ont aucun vice confidcrable qui les détourne du Chriftia- ii2 VOYAGE Départ du nifme. Dans la] fuite on pourroit pénétrer ip de Bon- jufques chez les peuples les plus éloignez , Eiperan. (jont on ameneroit fans doute plufîeurs,avec la grâce de Dieu, à la Bergerie du Sauveur. Voilà les particularitez du Cap , que nous y avons apprîfes pendant nôtre féjour. On avoit réfolu de lever l’ancre le fixiéme de Juin , tout le monde étoit embarqué pour cela dés le matin , mais nous ne pû- mes fortir faute de vent. Le lendemain fepriéme un petit vent de Nord s’étant levé , nous appareillâmes 6c mîmes à la voile fur les fept heures, & après avoir un peu louvoyé pour paffer la queue du Lion, nous doublâmes le Cap fans aucune diffi- culté. Onaffiûre que cet endroit eftun des plus dangereux de tout l’Océan. En effet les Mers y font fort groffes , 6c quand on a le vent contraire il y a toûjours du pé- ril : mais nous n’y en trouvâjnes aucun, grâ- ces à Dieu , parce que nous avions un vent favorable. Il eft vray que nous eûmes roû - jours de fort groffes Mers , 6c que nôtre Vaiffeau fatiguoit beaucoup par les grands roulis , qui ne nous permettoient pas d’être iebout , ny même affis fans nous tenir à juelque chofe , 6c beaucoup moins encore e repofer la nuit. Cependant nous nous onfolions aifément , parce que nous fai- sons DE SIAM. Livre IL 113 fions beaucoup de chemin avec ces gros vents d’Oüeft & de Sud-Oüeft. Cela du- ra environ dix-huit jours , pendant lefquels on fit prés de fept cens lieues. Nous en eulfions fait encore davantage , fans les courans , que nous rencontrâmes auprès de n(lc de Madagafcar , & qui étoient con- traires. Nous avions d’abord couru iuf- ques au trente - feptiéme degré mériaio- nal , afin de trouver les vents d’Oüeft , parce que dans la faifon , oü nous étions , ils y régnent d’ordinaire. Cependant en- viron ce rems-là , c’eft à-dire lefeiziéme fur Iss onze heures du matin , à la hauteur . de trente- fix dégrez versleMidy , comme trc toujours nous allions affez vite avec un temsfavora- fur fcs gar- ble , tout à coup le vent changea bout pour bout , & tomba fur nos voiles comme pour gré dciati- nous faire reculer, avec tant de violence, j“dcauftra- que nous penfâmes démâter de tous nos Mats. On eût bien de la peine à revi- rer de bord , &c à mettre le vent dans les voiles. Le Baron de Saint Martin nous a- voit averti de dire à nos Pilotes , qu’il ne faloit élever vers le Sud que le moins que l’on pourroit , &c que dés 'que nous trouve- rions les vents d’Oüeft , il falloit s’en fervir, & porterà l’Eft droit à la route. Il nousaftû- ra que lesHollandois avoient remarqué, que P Vigilance des Offi ciers du V ailleau. Remarques néceflaircs pour ceux qui partent du Cap pour les Indes. II4 VOYAGE plus on prenoit du Sud, plus on trouvoit de vems violents, tous tuer dans leurs portes , apres une yigoureufe refiftance. Ce fut en ce tems-là qu'ils prirent ce pauvre Prince / DE SI AM. Livre III. 149 %ii cherchoit à fe fauver,&:le livrerentà fon fils. Celuy-cy voulut d’abord punir fon Père de fa révolte .& le faire mourir ; mais les Hollandois luy perfuadérent de ne pas tremper fes mains dans le fang de celuy, dont il tenoit la vie. Ainfî il fe contenta de le reiferrer dans une prifon fort étroite, fans permettre à fes femmes de l’accompa- gner. Il s’eft néanmoins relâché fur ce der- nier article , depuis qu’il s’efl: vû paifible poffeffeur du Royaume. Quelques jours après , le jeune Roy donna Les Frân_ ordre aux François àc aux Angloisde fe re- çois&ies tirer, ious pretexte qu’ils luy étoient fuf- peéts , Ôc qu on luy avoit dit qu ils favo- viiicpator- nfoient le party du Roy fon Père. LesFran- jrcdu Ror çois emportèrent leurs effets & for tirent de eBantam' Bantam 5 mais les Anglois proteftérent con- tre les Hollandois de la violence qu’ils leur faifoient, fous le nom du Roy 5 & for- tantde la Ville, ils lailférent tous leurs ef- fets dans leurs Magazins. Voila ce qui a caufé , entre ces deux Nations , le grand différend qui a fait tant de Jbruit , & qut n’étoit pas encore terminé quand nous par- tîmes d’Europe. Après cette digreffion que nous venons Arrivée i de faire fur la révolution arrivée dans Pille 1» rade de de Java, il faut reprendre la fuite de nôtre BatavIa‘ T iij Honêrcrcz du Général de Batavia envers M. l’AmbalTa- deur. l5o VOYAGE voyage. Ce fut un Samedy dix-huitiéme d’Aouft entre cinq & fix heures du foir, que nous moüillâmes à la rade de Batavia au milieu de dix-fept à dix-huit gros Vaif- feaux de la Compagnie Hollandoife avec un grand nombre de Barques que nous y trouvâmes à l’ancre. Cette rade eft fort bel- le & fort fûre , on en peut voir la beauté dans la figure luivante. Moniteur l’Ambalfadeur avoit fait par- tir dés la nuit précédente le Chevalier de Fourbin , pour aller complimenter Mon- iteur le Général de Ba^avte , & pour luy porter la lettre du Baron Van-Rhèden. Il nous revint joindre, lors que nous étions fur le point de mobilier , & rapporta que le Gé- néral avoit accordé tout ce qu’on îuy avoit demandé. Il dit qyfien pouvott faire dubois, & de l’eau , prendre toutes fortes de rafraî- chilfemens, & mettre les malades à terrejque les Hollandois donneroient un Pilote, pour nous conduire à Siam 5 & que quand on au- roit falué la Forterelfe , elle rendroît le falut coup pour coup, ce qui ne s’étoit point enco- re fait. Il eft vray que leGénéral fit quelque difficulté fur ce dernier article, difant que jamais la Forterelfe n’avoit rendu ce falut ny aux Anglois , nv aux Portugais , ny à au- cune autre Nation , ôc qu’on s’étoit toû- DE SIAM. Livre III. 151 jours contenté de faire refalüer par le vaif- ieau Amiral , qui étoit à la rade. Mais fur ce qu’on luy reprefenta, qu’il y avoitbien de la différence entre les Va i fléaux du Roy & les autres , & que fi la ForterefTe n’a- voit point encore rendu de falut , c’eft qu’elle n’avfoit point encore vu de Vaif- feaux du Roy. Le Général fe rendit, & promit qu’en confédération du Roy & de Moniteur l’Ambafladeur , il feroit rendre le falut coup pour coup pour cette fois ôc fans confequence. Monfîeur l’Ambafïadeur fut fort content dans la fuite des honnête- té/ de Moniteur Campiche ( c’eft ainfî que s’appelle le Général ) qui luy fît faire tres- fouventdes compli mens par les principaux delà Ville , & luy envoya, prefque tous les jours, toutes fortes de rafraîchiflemens pour fa fable & pour les équipages des deux Vaifteaux. Après que le Chevalier de Fourbin eût ainfî rendu compte de fon voyage à Monfîeur l’Ambafïadeur , & qu’il Peuft alluré que Monfîeur le Général donne- roit à fon Excellence toutes les marques, d’eftime & de refpeêt qui étoient deuès à fon caractère 5 il fit entendre que les Jé- fuites ne recevroient pas dans cette Ville le bon accüeil qu’on leur avoit fait au , Les Jefui tes defeen. dent à Bata- via pour y faire des ob- fer varions. Le bon ac- cueil qu’ils receuréc des Officiers de la Compa- gnie de Hol- lande. ,52 VOYAGE Cap. Il ajouta que le Général de Batavias avoir donné des gardes à un Père de leur Compagnie venu depuis peu du Tunquin; & qu’on l’avait mis en maifon fûre , pour avoir fecouru les Catholiques qui s’addref- foientàluy, dans leurs befoins fpirituels- Après quelques réflexions fur ce que nous avions à faire, nous prîmes par le confeil de Monfleur l’Ambafladeur le même pârty, que nous avions pris au Cap de bonne Ef- pérance, qui fut d’aller vifiter M . le Général- Nous arrivâmes à la Ville le Pere Fontenay ôcmoyfurles dix heuresdu matin. L’Offi- cier qui étoit de garde à la porte , nous me- na chez le grand Tréforier qui introduit les Etrangers auprès du Général. Apres les premiers complimens , nous luy dîmes qui nous étions , & nousle priâmes de nouspre- fenter àM. le Général pour l’aflurerde nos refpeéts. Il nous promit que dés ce jour-là même il nous feroit avoir audiance de fon Excellence ( c’eft le titre qu’on donne or- dinairement au Général de Batavia. )Mais comme il étoit déjà prés de dix heures , & qu’on ne donnoit audiance que le foir, nous voulûmes fçavoir de luy, fi on ne trouve- toir point mauvais que nous allaflîons voir un de nos Pères qui venoit du Tunquin, àc qui étoit au Jardin du Général Spel- man DE SI AM. Livre III. 15 * man. Il nous dit que nous ferions tout ce qu’il nous plairoit, fans que perfonne y Trouvât à redire , Ôc qu’il nous donneroit fon Canot pour y aller, mais que ce ne fe roit qu’aprés dîner, parce qu’il étoit déjà tard, & en même tems il nous prcfta de manger avec luy. Apres l’avoir remercié de toutes fes honnètetez, nous nous mîmes dans fon canot , §c nousallâmes voir le Pere Fucity dans le lieu où on l’avoit logé. C’eft une maifon fituée hors de la Ville, mais fi proche de la Citadelle , qu’il tionD/ufc,X n’y a entre deux que la r-iviere qui fert de din du feu fofïc 5 & comme cette rivière eft- par tout ^eijcral couverte de petits bateaux, on la pafte à tou- pc man te heure. Cet Edifice a été bâty par le feu Général Spelman , pour y prendre le frais pendant les grandes chaleurs de l’Efté, qui efl prefque continuel à Batavia , pour régaler les Officiers de la Compagnie , les Ambaffadeursjôcles Envoyez des Princes ou des peuples Etrangers. Elle confifte en deux grandes galeries percées de tous côtés qui forment une double équerre. La galerie du bout qui jeroife fur l’autre eft extremément large. De toutes les deux on paffie dans des Sales fuivies de plufieurs cabinets , tout ce! a eft environné de Parteres & de Jardins $ à la droite il y a une Ménagerie pleine de plu- V i54 voyage fleurs fortes d’animaux, de Cerfs, de Bi- ches, de Chevreuils, de Gazelles, d’Au- truches , de Cigognes , de Canards , 6c d’Oyes , d’une elpece particulière. On voit à gauche des Jardins, & des Maifons de Plaifance qui appartiennent aux plus qua- lifiez de la Ville. Sur le derrière il y a un petit Pavillon , compofé de trois chambres baffes & d’une cuifine, qui eft feparé des galeries par une grande cour laquelle s’étend d’un côté vers les folfez du Fort , 6c de l’autre jufqu’au bord de la mer. Il pâlie fous une des Galeries 6c au travers des Parterres une petite rivière qui fert à faire des refervoirs où l’on nourrit au poilTon. Comme ce bâti- ment n’a été fait que pour avoir du frais , il n’a rien de régulier dans le tout , quoy que chaque partie foit allez réguliére.Les Parter- res font remplis de fleurs en tout tems, nous n’y envîmes point derares,les arbres font des orangers , des citroniers , 6c des grenadiers, en plein fol qui font de belles allées. Les jéfui- Ce fut-là que nous trouvâmes le Pere vont voiSt°îe Fuciti , qui ayant déjà fçu nôtre arrivée , Pete Domi- nous attendoit avec impatience. On ne nique Fuci- peu(r expliquer la joye 6c la confolation que nousrelfentîmes en voyant ce faint homme, vénérable par fa vieillelïe 6c par fes longs travaux dans les Millions de la Cochinchi- D E SI AM. Livre III. ,55 ne ôedu Tunquin. Il étoit forty defonE- glife le vingt- neufviéme d’Oétobre de l’an 1684. avec le Pere Emmanuel Fereira, qui étoit le Supérieur de la Million. Ce lut une grande douleur pour cette nombreufe & florilfante Chrétienté de les voir fortir du Pais. Il y eût bien des larmes répandues de part & d’autre. Et fi les Peres ne leur avoient lailfé quelque efpérance de retour , ils ne fe fuilent jamais confolez. Jufqu’à des Mandarins idolâtres pleurèrent leur départ, & les Chrétiens conçurent tant d’averfion pour ceux qu ils foupçonno.ient d’en être caulè , qu’ils ne voulurent plus fe confef- fer, demandant fans celle leurs premiers Maîtres & leurs anciens Pafteurs. C’eft ce que nous avons appris aux Indes d’un Ec- clefiaftique digne de foy & fort inftruit de ces fortes d’affaires. Ces deux Peres arrivèrent à Batavia le vingt-troifiéme de Décembre fur un Vaif- feau Hollandois qu’une tempête éloigna de Siam, où ils avoient deffein d’aller. Le Pe- re Fuciti attendoit à Batavia l’occafion de palier à Siam , où il devoir recevoir par Macao les ordres de fes Supérieurs & de l’argent pour faire fon voyage , avant que de retourner en Europe 5 le Pere Ferei ra étoit allé les prendre luy-même fix fe- Bon t rai ré- ment que les JefuitesMif- fionnaires du Tunquin receuient à- Batavia. i$6 VOYAGE caraftere maines auparavant, ôc s’étoit embarqué à du p.Fuciti , ^ delfein fur un Vaifteau de Macao. vaux^Apof- Ee Pere Dominique Fuciti eft Napoli- toiîqucs en tain , il partit de Rome avec cette grande Aumes.Roy' trouPe de Jéfuites, que le fameux Pere de Rhodes obtint du Révérend Pere Génér- ral pour les Indes. Ainfi il y avoit prés de trente ans qu’ii étoit dans ces Pais , où. il a toûjours travaillé comme un véritable A- pôtre, avec un fuccez ôc une bénédiétion admirable. Il a demeuré huit ans dans la Cochinchine , ou il a baptifé plus de qua- tre mille âmes de fa propre main , & feize ans entiers dans le Tunquin , où il en a baptifé dix-huit mille. Il a fouffert de lon- gues ôc rudes priions : il a été huit jours ôc huit nuits la cangue au cou, qui eft u- ne groffe & pefante échelle , ôc huit ou neuf mois les fers aux pieds. Il a été condamné à mort , ôc s’eft vû plus d’une fois à la veil- le du Martyre. Sa vie en eft un prefque continuel 5 il a fait -feize voyages par Mer ôcVeft trouvé cinq fois en danger d’être tué par les Infidèles : il a demeuré dix ou onze ans au Tunquin fans ofer .paraître , ie tenant caché le jour dans un petit Bâ- teau , ôc faifant la nuit fes excurfions par les Villages du Royaume , vifitant les Chrê- raens tour à tour , prêchant , catéchifan t DE SI AM. Livre III. 157 baptifant .& adminiftrant les Sacremens a- vec des travaux infinis. Ce n’eft pas de luy que nous fçavons tou- tes ces chofes. Il eft humble & modefte & nous avons remarqué en luy de grandes ver- tus pendant nôtre féjour à Bataviaôc àSiam. Nous avons été fur tout charmez de fa dou- ceur envers tout le monde , de fa retenue à parler de ceux qui l’ont perfécuté avec le plus de violence , de fon union continuelle avec Dieu, de fa dévotion tendre qui le fait fon- dre en larmes toutes les fois qu’il dit la 'Mefte , ou qu’il l’entend , de fa patience à tout fouffrir fans fe plaindre, & de fon zélé pour le falut des ames.Enfin c’eft un homme vravement Apoftolique, & qui recevrait des éloges à Rome où il eft appellé pour fe jufti- fier , fi fes vertus y étoient connues comme elles font aux Indes. Dés qu’on fçut à Batavia l’arrivée de ces deux Peres, non feulement les Portu- gais qui y demeurent , mais encore les Ca- tholiques des autres Nations qui y font, à ce qu’on nous a dit, en grand nombre, ve- noient tous les jours les voir, afliftoient à leurs Mefles les Fêtes ôc Dimanches , ôc fe confeftoient à eux. Quelque tems après le Pe- re Fereira partit dans un Vaifteau Portugais pour all er à Macao , où le Pere Fucity ne iCrut pas devoir l’accompagner , de crainte Emprelïc- ment des Catholiques de Batavia , pour rece- voir les Sa- crcmcns. l58 VOYAGE que les Magiltrats de cette Ville ne le con- traignirent de retourner auTunquin avec lesAmbalïadeurs qu’ils y vouloient envoïer, parce que ce Père y eft extrêmement connu ôtrefpeété. Le zele des Catholiques fit trop d’éclat àBatavia,& l’afluence du monde qui venoitchez le PéreFucity fut là grande, que les Mmi lires Proteftans firent des plaintes à Monfieur le Général, de ce qu’un Jéfuite faifoit publiquement l’exercice de la Reli- gion Catholique dans Batavia : Qupy qu’on y permette celuy du Mahometifme, & même les facrifices publics que les Idolâ- tres font à leurs Dieux , fans que les Minif- tres en falfent aucun lcrupule aux Magif- trats. Sur leurs remontrances, Monfieur le Général mit une fentinelle à la porte du Père , pour empêcher les Catholiques d’en- trer cnés luy , ôc le fit prier de ne fortir pour aller en ville , qu’avec un garde qui raccompagnait par tout. Apres avoir long temps entretenu le Père Fucity , nous retournâmes chés le grand Tréforier , croyant que l’heure del’Audian- ce approchoit. Sur les quatre heures apres^ midy nous entendîmes les tambours, les fifres & les trompettes de la ForterelTe dont nous n’étions pas fort loin. Alors Monfieur le Tséforier nous dit, que nous pouvions DE SI A M. Livre III. i59 partir pour aller au Palais de fbn Excellen- ce. Il nous prit dans Ton bateau , ôc voulut à toute force fe placer au deffous de nous. Nous fûmes bien- tôt rendus au Palais, où nous trouvâmes qu'on faifoit la reveuë des Gardes de Monfieur le Général , en fa pré- fence, dans une grande cour. Il y avoit quatre compagnies à pied & deux à cheval , d’environ cent hommes chacune, tous gens de bonne mine, bien armés, ôc habillez de la même couleur. Leurcafaqueétoit jaune, la culotte rouge & fort' large , ôc ils avoient tous des bas .de foye. Les Gardes à cheval étoient montés fur des chevaux dePerfe, qui ne font pas à la vérité fort grands; mais qui font pleins de feu ôc déchargés de taille. Ces chevaux paroiffent être mal en bouche, pefans à la main, ôc portent la tête toujours au vent; mais je croy que ces dé- fauts viennent de leurs mords , & de ce qu’ils font mal dreffés. La reveuë étant finie , nous montâmes par un efcalier de pierre cjui eft au dehors , dans une grande Salle ; ou nous trouvâmes des Gardes Ôc des Pages de Monfieur le Gé- néral ,tous habillez de la même maniéré, avec cette feule différence, que les derniers ne portent point d’épée. M. le Thréforier nous pria de l’attendre dans cette Salle, juf- l6o V O Y AG E qu’à ce qu’il eût parlé à Monfieur le Géné- ral. Un moment après il revint, ôc nous mena par une galerie dans une autre Salle , qui n’étoit pas à beaucoup prés fi grande que la prémiére. Nous y trouvâmes Mon- fieur le Général avec cinq ou fix de fies amis, dont deux parloient fort bien François. , On ne peut pas recevoir plus d’honnefte- rai deBata- tez oc de marques d amitié que nous reçu- via reçoit mes de luy dés cette prémiere audiance.- ivec^bca” ^a J°Je C1U1 paroilfoit fur fon vifage , fes coup d’hôn- maniérés careflantes, ôc fes difeours obli- de boni geants nous faifoient allés connoîtrelafin- cerité de fon cœur ôc de fes fentimens pour nous. Il fe fit lire nos Lettres Patentes de Mathématiciens du Roy , ôc nous pria de luy raconter les obfervations que nous avions faites auCap de Bonne-Efperance,ne ceffant de nous loüer devant tous ces Mef- fieurs qui l’accompagnoient. Quand il eut appris que M. le Baron Van- Rhèden nous avoit logé auCap, ôc la manié- ré dont il nous avoit reçus ôcrégalez,il nous protefta qu’il ne luycéderoitpascet avanta- ge , ôc que fi nous avions delfein de mettre pied à terre, il nous prioit d’aller loger avec JePéreFucity , à qui pour l’amour de nous il donna toute forte de liberté dés ce jour- là. Il ajouta que le lieu étoit fort avanta- geux DE SIAM. Livre III. m geux pour faire des obfervations ; qu’on y voyoicd’un côté la mer,& de l’autre une vafle pleine à perte de vûë 5 & qu’enfin fi le teins étoit favorable &c qu’ri y eut quelque belle obfervation à faire, il vouloit y allifter. Nous répondîmes le mieux que nous pû- mes à toutes fes bontez , en l’aflûrant que le Roy en feroit informé , & que Monfieur l’Ambafladeur y prendroit part. Enfin a- prés un entretien de trois heures , qui ne fut interrompu que par le Thé , les Confi- tures &: les fantez du Roy , de la Maifon Royale, de Monfieur l’Ambaffadeur & les nôtres qu’il nous porta , il nous permit avec peine de nous retirer. Il nous conduifit juf- ques au bout d’une grande gallerie par ou on entre dans la première fale , & ordon- na à un Gouverneur de Province & à Mon- fieur le Tréforier de ne nous point quitter que nous ne fuffions au Jardin du Général Spelman , où nous devions loger. En for- tant de la fale nous trouvâmes un Carof- fe, avec deuxPages quiportoient des flam- beaux pour nous mener. Malgré toutes nos réfiftances il fallut obéir , & ce fut un fpeétacle nouveau, de voir deux Jéfuites clans le Carofle du Général traverfer la Capitalle des Indes. Nous nous rendîmes bien-tôt à nôtre lo- X l62 VOYAGE gis où le PereFuciti nous attendoit , & il ne fut pas peu étonne de nous y voir arriver en cet équipage. A peine y étions-nous , qu’on nous apporta un grand fouper du Palais de M. le Général , lequel nous fit fervir du- rant tout le teins que nous fûmes à Batavia une groffe table de douze couverts par fes Officiers, en Porcelaine fine ôcen vaiffelle d’argent , avec toute la propreté , la déli- cateffe & l’abondance imaginable. Le lendemain le Père Fuciti pria le Père Supérieur de le mener à bord , & de lepré- fenter à Monfieur l’Ambaffadeur pour î’af- fûrer de fes refpeéts & le remercier, de l’in- térêt qu’il avoit bien voulu prendre à fa liberté. Nous y fûmes conduits tous trois dans la Chaloupe de Monfieur le Général , qui nous fit dire qu’il nous Fabandonnoit pour nous en fervir routes les fois que nous en aurions befoin. Les quatre Pères qui étoient demeurez à bord étoient en peine de nous 3 parce que nous n’avions pû leur faire fçavoir de nos nouvelles, ôc qu’ils craignoient qu’il ne nous fût arrivé à Batavia quelque chofe de défagreable. Mais ils furent bien fur- pris loriqu’ils nous virent revenir dans u- ne Chaloupe magnifique avec un grand Pavillon Hollandois ôc toutes les marques DE SIAM. Livre III. 163 cfe'grandeur qui accompagnent le Général , à la referve des Gardes. Moniteur l’Ambaf- fadeur à qui nous rendîmes compte de ce qui s’étoit paiTé, reçut le Père Fuciti avec beaucoup ae bonté , & luy offrit de le faire paffer à Siam. Monffeur de Vaudricourt en ufa à fon égard de la même manière $ ainfi il fut réfolu fur l’heure que ce Père s’embarqueroit avec nous pour faire le relie du voyage. Un moment après il falut retourner à ter- re avec quelques inftrumens , pour faire des obfervations lanuitfuivante. Mais le Ciel fut fi couvert la nuit & le jour durant tout letems que nous demeurâmes à Batavia, que nous ne pûmes en faire que trés-peu, enco- re ne nous parurent-elles pas allez lïïres pour les donner au public. En defcendant de la Chaloupe nous allâ- mes tous lîx avec le Père Fuciti viliter M. le Général. Il nous reçut avec les mêmes mar- ques de bien veillance , que le jour précé- dent. Il eft vray qu’il fe plaignoit un peu de la conduire du Père Fuciti , qu’on luy avoit rendu fufpeét à caufe de Ion zélé a affilier & à inllruire les Catholiques 3 ajou- tant qu’il éroff obligé de tenir la main à l’exécution des Loix établies par la Compa- gnie des Indes 5 qu’il croyoit que nous ne i«+ VOYAGE trouverions pas fon procédé , ny malhon- nête ny injuite 5 qu’il nous prioit de garder des mefures , ôc de nous comporter de telle forte à l’égard des Catholiques , qu’on ne luy pût pas reprocher les marques d’eftime Ôc d’amitié qu’il nousavoit données & qu’il nous donneroit dans toutes les occafions. Nous répondîmes en Portugais , que fon Excellence ferait contente de nôtre con- duite , ôc qu’elle n’auroit jamais lieu de fe repentir des grâces dont elle nous avoit comblée jufques-icy , ôc dont elle voudroit bien nous honorer à l’avenir. La converfation tomba enfuite fur di- verfes chofes , on parla de nouvelles , ôc fur tout du Roy, dont la gloire, la gran- deur , la fagefife , ôc toutes les autres rares qualitez font connues ôc admirées jufques au bout du monde. Monfîeur le Général prenoit tant de plailir à nous en entendre parler , qu’il ne nous permit de nous retirer que vers la nuit, quoyque nous fullîons a- vec luy dés quatre heures après midy. Il nous fit voir diverfes curiofitez du Japon , entre autres deux Figures humaines m’une cfpéce de Plâtre, tres-bien faites ôc vêtues de Soye à la manière des Japonnois : l’une d’un Seigneur ôc l’autre d’une Dame. Il nous montra auflî certains arbres dont le DE SI AM. Livre III. i6$ pied eft enfermé dans des pierres troiiées ôc fort poreufes ou les racines s’infinuënt de telle forte qu’elles tirent toute leur nourriture de l’eau qu’on verfe deflus de tems en tems. Quand nous n’aurions pas toutes les obli- gations que nous avons à Moniteur Cam- piche Général de Batavia , nous ne pour- rions en dire que du bien : fon mérite l’a élevé par degrés à la prémiere Charge des Indes, qu’il remplit aujourd’huy fi digne- ment , après avoir été trois fois Préfident pour la Compagnie au Japon. II eft âgé d’environ cinquante ans, d’une taille un peu au deflus de la médiocre , honnête homme, fincére , circonfpeét , ôc parlant peu , mais judicieufement ôc à propos. Ces qualitez jointes à un air doux ôc à des manières po- pulaires luy ont attiré l’amour de fa Nation ôc l’eftime des Etrangers, tant Européans qu’indiens. On nous a dit qu’il avoit dans fon Cabinet quelques Tableaux, entre au- tres un de JESUS-CHRIST priant au Jar- din des Olives , avec ces paroles écrites de fa propre main , Anima mea Chriftus eft. Les jours fuivans nous allâmes vifiter les principaux Officiers de la Compagnie des Indes. Il n’y en eut pas un qui ne nous fit de grandes honnêtetez 5 plufieurs même X iij Cara&?re du Général de Batavia. 1 66 L’Excrci- cc de la Re Hgion Ca- tholique eft le (èul que l’on défend à Batavia. VOYAGE nous rendirent vifite au Jardin de la Com- pagnie. Nous fûmes aufli vifitez par les Ca- tholiques de toutes fortes de conditions qui demandoient à recevoir les Sacremens mais pour ne pas déplaire au Général , & ne point attirer d’affaires aux Catholiques, on donna rendez vous à nô-re bord à ceux qui pouvoient y venir , & on conleffa les autres fi fecrettement , foit chez eux , foit dans le lieu où nous étions , que cela ne fit aucun éclat. Le Pere Fuciti fur tout ne fe repofa guéres pendant tout le tems que nous demeurâmes avec luy. Car ayant eu à nô- tre arrivée la liberté d’aller par tout , il é- toit occupé depuis le matin jufques au foir. à confoler & a confeffer de côté & d’au- tre tous ceux qui avoient befoin de fon fe- cours. Il eft de la Religion Catholique à Bata- via & dans les Indes , de la domination Hollandoife , comme dans la Hollande.. L’éxercice de toutes fortes de Seétes , ôt mê- me de l’Idolâtrie y eft permis , pourvu qu’on paye un certain tribut aux Magif- trats. Il n’y a que la Religion Catholique qui foit défendue, non pas qu’ils la jugent la plus mauvaife , mais parce qu’ils la croyent la plus dangereufe , àc qu’ils crai- gnent , que plufieurs qui ne prêtèrent pas DE SIAM. Livre III. 167 leur intéreft à leur falut , ne l’embraffallent s’ils la connoiifoient. On nous aifûra que depuis quelques mois les Portugais , qui font en grand nombre , avoient offert une greffe fomme à la Com- pagnie des Indes , pour avoir permiftîon de bâtir une Eglife Catholique , ou dans la Ville, ou dans quelques Faux-bourgs, 6e qu’ils s’engageroient de payer encore, outre cela,feize mille écus tous les ans. Cet- te affaire ayant été propofée au Confeil des Indes , a été renvoyée en Hollande aux Chefs de la Compagnie , mais on n’efpére pas qu’ils accordent cette grâce aux Catho- liques, de crainte , dit-on, qu’ils ne devinf- fent les Maîtres à Batavia. Il y a quatre Temples, deux où l’on fait tous les Diman- ches le Prêche en Hollandois , un dans le Fort & l’autre dans la Ville. Un troifiéme où on le fait en Portugais , qui eft la Lan- gue la plus ordinaire au Pais. Le quatriè- me eft pour les François , dont le nombre eft affez confidérable. Pour ce qui eft de Batavia , c’eft la Ville la Defcriptîo* plus agréable de toutes les Indes, & elle paffe- de Batavia, roit pour tres-belle en Europe. Les Hol- landois l’ont bâtie à plaifir , dans le deffein d’en faire la Capitale de leur Empire. Les rués y font longues 6c larges , toutes tirées 1 68 VOYAGE au cordeau , entre deux allées d’arbres du pays toû jours verds : la plufpart même font partagées en chemins fort unis , ôt en beaux canaux revêtusque remplit en toute fail'on une grande Rivière qui fe vient jet- ter dans la Mer en cet endroit. On a conduit les eaux de cette rivière dans les Foffez de la Ville & de la Eorterefle , & prefque dans toutes les rués , fans beaucoup de dépenfe, parce que le terrain eftégal & aifé à remuer. Cet ouvrage eft un grand or- nement pour la Ville 8e une grande commo- dité pour les Habitans, qui peuvent à leur choix aller à pied ou en bâteau 8c fe pro- mener , quelque tems qu’il fafle. Car on marche pendant la chaleur à l’ombre des arbres , 8c les rués y font tellement difpo ■ fées , par la pente qu’on leur donne vers le canal , que l’eau s’y écoule à mefurc qu’elle tombe. Les maifons font encore plus propres que les rués ; elles n’ont rien à la vérité ny au dedans ny au dehors de fort magnifique , mais elles font jolies 8e commodes. Tout y paroît riant , les mu- railles font blanches comme la neige, on n’y voit pas la moindre tache , non plus que fur les meubles , qui font polis 8c lui- ians comme des glaces de Miroirs. Quovque Batavia ne foit qu’à fix degrez de '•M imumukiéiutiXr Mmhi tmwhimïMl ilffîimTrt“a“ltit>a(>1^' nMtnMiliM TimimiiilU^fliwWÜS C .Vertriûiil&ri ^cuLp / * . V DE SI AM. Livre III. r 6 Catholique dans laquelle il avoit été élevé, il ne fut pas difficile aux Angloisde luy faire embraffer la Religion Proteft ante qui luy pa- roiffoitpeu differente de la fienne. Mais de- puis ayant eu quelques conférences avec les PeresThomas &Maldonat de nôtreCompa- gnie pour qui il conferve toûjours une ten- - are amitié , & reconnoiflant par fes propres lumières le mauvais party qu’on luy avoit fait prendre ; il le quitta quand il en fut pleinement convaincu & abjura fon héré- lieentre les mains du Pere Thomas. Depuis ce tems là il mene une vie fort régulière & fort édifiante , ôc contribué beaucoup par fon exemple & par fon crédit à l’établifle- Bb i94 VOYAGE ment de la Foy Catholique , comme on ver- ra dans la fuite de cette Hiftoire. Des que le Roy de Siam eût été averty par fon Miniftre de l’honneur que lu y tan loit le Roy de France , par la célébré Am- balfade qu’il luy envoyoit , & qu’il eût ap- pris que Moniteur l’Ambalfadeur étoit ar- rivé à l’embouchure de la Rivière, il en eut une grande joye & voulut en donner des marques publiques à toute fa Cour. Il fit alfembler fon Confeil , &c ordonna fous peine d’encourir fa difgrace, qu’on s’appli- quât incelfamment à bien recevoir cet Am- balfadeur , qu’on luy fît tous les honneurs que meritoit celuy qui repréfentoit la per- fonne d’un fi grand Prince, & qu’on n’eut point d’égard aux coûtumes qu’on ob- fervoit à la réception des autres Ambafla- deurs. En même tems il nomma deux des prin- cipaux Seigneurs defa Cour , dont l’un éroit le premier Gentilhomme de la Chambre & l’autre premier Capitaine de fes Gar- des du Corps , pour aller jufques à la Bar- re le féliciter de fa part, de fon heureufe ar- rivée, & luy dire qu’il attendoit avec im- patience le jour de fon Audiance & de fa réception. Quelques heures après le Sei- gneur Confiance envoya un de fes Secre- DE SI AM. Livre III. m taires pour complimenter Son Excellence & luy préfenter toutes fortes de rafraîchif- femens , pour luy , pour fa fuite & pour fes deux Equipages. Le Gouverneur de Bancok l’avoit déjà fait auparavant , de forte qu’on fe vit tout à coup dans l’abon- dance de toutes chofes. Comme fa Majefté prétendoit qu’on fit à Moniteur l’Ambalfadeur une réception extraordinaire 5 le Seigneur Confiance voulut aulïî contribuer de fa part à luy tai- re des honneurs qu’on n’avoit encore ren- dus à perfonne , non feulement pour exécu- ter les ordres de fon Maître, mais pour té- moigner le profond refpeét qu’il avoit toujours eu pour le Roy de France. Il al- la luy-mème dans la Ville de Siam mar- quer le Logis ou devoit demeurer Moniteur l’Ambalfadeur , & par fon ordre on bâtit auprès, divers appartenons pour loger les Gentilshommes de fa fuite & tout fon Equi page. Il fit préparer les Râlons d’Etat qui dévoient porter M. l’Ambaffadeur , & ceux dévoient le fuivre ; parce qu’au mois de Septembre où nous étions alors , la Rivière de Siam étoit débordée & toute la Campa- gne couverte d’eau. Il ordonna qu’on fit élever incelfamment de cinq en cinq lieues fur le bord de la Rivière des mailons fort Rb ij iç6 V O Y A GE propres & fort magnifiquement meublées, jufques à la T abangue qui eft à une heure de chemin de la Ville de Siam , où Monfieur l’AmbalTadeur devoit attendre que tout fut preft pour le recevoir. Sur ces entre-faites , Monfieur l’Evêque de Metellopolis Vicaire Apoftolique d’une grande partie des Indes, vint à bord avec Monfieur l’Abbé de Lyonne. On les reçut avec toutes les marques d’eftime êc de ref- peét qui étoient dues àla dignité de l’un & à la qualité de l’autre. Monfieur l’Am- bafl'adeur & Monfieur l’Evêque après la Melfe fe renfermèrent tous deux & eurent une longue conférence fur lefujetde l’Am- baftade. Quoyque nous édifions eu l’honneur de baifer la main à Monfieur de Metellopo- lis quand il fut monté fur le Pont , nô- tre Pere Supérieur jugea à propos que nous allalfions encore tous fix enfemble l’affûrer de nos tres-humbles refpeéfs. Ce Prélat qui eft d’une grande douceur & d’u- ne extrême bonté , nous reçut avec mille témoignages de joye& d’affeéfion. Il nous offrit même fon Séminaire pour y demeu- rer , tandis que nous ferions à Siam , nous difant que la Maifon de la Compagnie é- toit trop petite pour nous loger tous 3 nous DE SI AM. Livre III. 197 l’en remerciâmes avec bien du refpeét ôc de la reconnoiffance. Alors les deux grands Mandarins que le 'Roy de Siam envoyoit à Son Excellence arrivèrent à nôtre bord dans une Galère. On les introduisit dans la Chambre de Moniteur l’Ambaffadeur , ou il y avoit un Tapis de Pied. Quand ils furent entrez ils s’alïîrent fur le Tapis, & enluiteleplus an- cien demanda à Monfieur l’Ambaffadeur de la part du Roy fon Maître des nouvel • les du Roy de Erance & de toute la Mai- fon Royale , ôt il le félicita de fon heureufe arrivée. Il ajouta conformément aux Vi- vons de la Métempficofe , dont la plufpart des Orientaux font entêtez , qu’il lçavoit bien que Son Excellence avoit été autre- fois employée à de grandes affaires , & qu’il y avoit plus de mille ans qu’il étoit venu à Siam pour renouveller l’amitié des Rois 3ui gouvernoient alors les deux Royaumes e France & de Siam. Monfieur l’Ambaf- fadeur ayant répondu fort honnêtement à leurs complimens , ajoûta en foûriant , qu’il ne fe fouvenoit pas d’avoir jamais été chargé d’une fi importante négotiation , & que c’étoit le premier voyage qu’il eût ja- mais fait à Siam. Ils prirent congé après un entretien fort court , en affûrant Mon - B b iij j98 voyage fleur l’ Ambaffadeur , que le Roy étoit dans î’impatience de le voir , 6c qu’il avoit or- donné qu’on choifift le plus heureux jour de l’année pour fa réception & pour fon Audiance. On leur fervit du Thé 6c des Confitures. L’un d’eux qui étoit un hom- me fort bien fait 6c d’un air agréable , but du Vin, & l’autre n’en voulut jamais goû- ter. Etant fortis ils fe retirèrent dans leur Galère , où ils écrivirent tout ce qu’ils a- voient vu & tout ce qu’on leur avoit dit, avant que départir. Sur le foir nôtre Pere Supérieur voulut Sue je priffe les devans avec les Peres Vif- elou 6c Bouvet , pour donner ordre à nos affaires. L’occafion étoit favorable par le retour de Moniteur l’Evêque 6c de Mon- fleur l’Abbé de Lyonne , qui dévoient par- tir le lendemain , 6c qui nous avoient of- fert un de leurs Balons. Monfieur l’Am- baffadeur ordonna au Chevalier de Four- bin 6c au Chevalier du Fay de reconduire Monfieur l’Evêque 6c Monfieur l’Abbé de Lyonne , qui fe mirent dans la Chaloupe , où nous eûmes l’honnetir de les accompa- gner , parce que leurs Balons n’étoient pas affez forts pour venir à bord. Nous arrivâmes le foir affez tard à l’en- trée de la Rivière , elle n’a qu’une petite DE SIAM. Livre III. m îieué de large en cet endroit , à une demie lieue de là , en montant , elle n’a pas un quart de lieue , 8c un peu au deflus fa plus grande largeur n’eft que d’environ cent ioixante pas. Son canal eft fort beau 8c af- fez profond. La Barre eft un banc de vafe qu’on trouve à l’embouchûre, où il n’y a que douze à treize pieds d’eau quand la Met y eft la plus haute. Il n’eft rien de plus chatman'- que la vue de cette rivière, le ri- vage des deux cotez eft tout couvert de grands arbres toujours verds , 8c au de-là ce ne font que de vaftes Plaines à perte de vûë couvertes de Ris. Il étoit nuit quand nous abordâmes à une petite loge, où les BalonsdeMonfieur l’EvequedeMetellopo- lis l’attendoient . Comme les terres qui font aux environs jufques à une journée de che- min au deflus de Siam font extrêmement bafles, elles font toutes noyées pendant la moitié de l’année. Lespluyesqui y durent plufieurs mois de fuite enflant la Rivière caufent ces grands débordemens , 8c c’eft ce qui rend le Païs fi fertile. Sans cela le Ris qui ne croît guéres que dans l’eau , 8c dont les Campagnes font toutes couvertes, ne fourniroit pas , comme il fait , à la nour- riture de tous les Siamois 8c des Royaumes voifins. Ces inondations ont encore cette 2oo VOYAGE commodité qu’on peut aller en Balon de tous cotez , même dans les Champs ; cc qui répand par tout une fi grande multitude de Bâteaux , que dans la plus grande partie du Royaume le nombre des hommes eft moin- dre que celuy des Balons. Il y en a de grands couverts comme des maifons, qui lervent de logemens à des familles entières, ôc qui fe joignant plufkurs enfemble forment com- me des Villages flottans dans les endroits, où ils fe trouvent. Nous continuâmes à monter la Rivière toute la nuit, pendant laquelle nous vîmes une chofe tres-agréable , c’étoit une multi- tude innombrable de mouches luifantcs, dont tous les arbres qui bordoient la Ri- vière étoient tellement couverts , qu’ils pa- roifioient comme autant de grands luftres chargez d’une infinité de lumières, qye la réftéxion de l’eau , unie alors comme une glace, multiplioit à Pinfiny. Tandis que nous étions occupez à les regarder , nous fûmes tout d’un coup enveloppez d’une prodigieufe quantité de Moufquites ou Maringoüins. C’eft une efpécede coufins fort importuns , qui piquent au travers des habits , & on en demeure incommodé long- tems après. Les Siamois qui conduifoient nôtre Balon , quoy qu’ils fuifent nuds & occupez DE SIAM. Livre III. 201 occupez à ramer s’en défendoient mieux que nous , ils le frappent du plat de la main à chaque maringoüin qu’ils fentent, ôcils prennent fi bien leur tems qu’ils n’en man- quent pas un , fans perdre pour cela un feul coup de rame. Nous trouvâmes beaucoup de Singes ôc de Sapa joux fur le bord de la Rivière, qui grimpoient fur les arbres ôc qui alloient par bandes. Mais rien n’eff plus agréable à voir quele grand nombre d’Aigrettes dont les arbres font couverts ^ il femble de loin qu’elles en foient les fleurs. Le mélange du blanc des aigretcs ôc du verd des feuilles fait le plus bel effet du môde.L’Aigréte eftunoy- feau de la figure d’un Héron, mais beaucoup plus petit. Sa taille eft fine, fon plumage beau & plus blanc que la neige. Il a des aigre- tes fur la tête, fur le dos ôc fous le Ventre, qui font fa principale beauté , ôc qui le rendent extraordinaire. Les Oyfeaux champêtres font tous d’un plumage admirable , il y en a de diverfes couleurs , de tout jaunes , de tout rouges , de tout bleus , de tout verts ôc en tres-gran- de quantité. Car les Siamois croyant la tranfmigration des âmes dans d’autres corps , ne tuent point d’animaux , de peur d’en chaffer , difent-ils , les âmes de leurs Ce îo 2 VOYAGE parens , qui pourroient bien s’y être lon- gées. Nous ne faifions pas une lieue fans ren- contrer quelque Pagode , c’eft-à-dire , un Temple d’idoles. Il eft toujours accompa- gné d’un petit Monaftere de Talapoins , qui font les Prêtres & les Religieux du Pais, Ces Talapoins vivent en communauté, & leurs Maifons font autant de Séminaires, où les enfans de qualité font élevez. Tandis que ces enfans y demeurent ils portent l’habit deTalapoin, qui confifte en deux pièces d’une efpéce de toile de coton jaune, dont l’une fert à les couvrir depuis la ceinture jufqu’aux genoux 5 pour l’autre, tantôt il .s’en font une écharpe qu’ils paffent en bandoulière , tantôt ils s’en enveloppent , comme d’un petit manteau- On leur rafe la tète les fourcils aulîî bien qu’à leurs Maîtres, qui font perfuadez qu’il y auroit de l’immodeftie & du péché à les lailfer croître. Leur aveuglement nous infpiroit une extrême compaflîon pour eux. Après avoir ramé toute la nuit , nous ar- rivâmes fur les- dix heures du matin à Ban- cok. C’eft la plus importante Place du Royaume , parce quelle défend le paiTage de la Rivière , avec un Fort qui eft de l’au- tre côté. Tous deux font biçn fournis de ÜE SIAM. Livre III. canon de fonte , mais mal fortifiez. Mon- iteur de la Mare Ingénieur François, que Monficur l’Ambaffadeur a lai (Té à Siam , a eu ordre du Roy de. la fortifier régulière- ment, & d'en faire une bonne Place. Nous vîmes le Gpuverneur en paifant ; c’eft un grand homme fort bien fait , qui nous reçut avec beaucoup d’honnêteté. Nous allâmes dîner enfuite chez un Artifan François 5 car il n’y a point d’Hoilellerie en ce pays- là. Nous commençâmes dés ce jour-là, à ufer de ris , au lieu de pain , êe à boire feulement de l’eau de la rivière. Comme on fait cuire le ris avec de l’eau , c’eft un manger allez fa- de , nous eûmes bien de la peine à nous y accoutumer d’abord , mais au bout de quinze jours nous le trouvions aufll bon que le pain, qui eft icy rare ôt fort cher , parce qu’il faut faire venir le blé de Sur- rate ou du Japon. Depuis Bancok jufques à Siam on ren- contre quantité d’ Aidées ou de Villages dont la rivière eft bordée prcfque par tout. Ces Villages ne font qu’un amas de Ca- banes élevees fur de hauts piliers , à eau- fede l’inondation. Elles font faitesde Bam- bous 5 c’eft un arbre dont le bois eft d’un grand ufage en ce pays-là. Le tronc ôc les greffes branches fervent à faire les piliers 204 VOYAGE & les folives , & les petites branches à fai- re le toit & les murailles. Proche des Vil- lages font des Bazars ou Marchez flottans, où les Siamois cjui montent & qui defcen- dent fur la riviere trouvent toujours leur repas tout préparé 3 c'eût à dire du fruit, du ris cuit , de l’Arraque ( qui eft uneefpece d’eau de vie faite avec du ris ôcdela chaux ) .& de certains ragoufts à la Siamoife dont les François ne fçauroient goûter- Le lendemain matin troinéme jour d’Oc- tobre nous nous trouvâmes à Siam. Comme nous croyons que Moniteur de Metellopolis avoir pris les devants, nous allâmes d’abord au Séminaire pour luy rendre nos devoirs chez luy. Mais il n’étoit pas encore arrivé. En l’attendant nous dîmes la Me (Te pour rendre grâces à Dieu de fa proteétion pen- dant tout le voyage , qui avoit été jufte- ment de fept mois 3 car nous étions partis de Breft le troifîéme de Mars , & arrivés à Siam le troifîéme d’Oéfobre. De là nous allâmes à la maifon du Pere Suarez, le feul Jéfuitequi fuit alors à Siam. Le Pere Maldonat étant allé depuis quel- que tems à Macao, d’où il devoit revenir vers le mois de Mars prochain 3 nous paftâ- mes par la Faiturie Françoife , c’eft ainfî «qu’on appelle le Comptoir des Marchands DE SI AM. Livre III. 205 Erançois 5 nous y faluâmes les Officiers de la Compagnie. On nous conduifit enfuite au Palais qu’on préparait pour Monficur l’Ambafladeur , où nous rencontrâmes le Seigneur Confiance, le premier. Ou pour mieux dire, l’unique Miniftre de ce Royau- me. Nous içavions déjà que c’étoit un hom- me de mérite, •& qu’il avoit de l’affeétion four nous j mais nous trouvâmes l’un & autre au deffus de nos penfées. Dans cet- te prémiere entreveuë il nous donna mille marques de bonté 5 nous le remerciâmesdu Balon qu’il avoit envoyé au devant de nous , & des chambres qu’il avoit bien voulu prendre foin de nous faire bâtir pro- che le Pere Suarez , dont la maifon étoit trop petite pour nous loger. Il nous dit qu’il fe faifoit un plailir de nous obliger, ôc qu’il s’acquitoit de fon devoir en bâtif- fant un appartement à fes Freres ( car c efl ainfi qu’il nous fait l’honneur de nous appeller ) ne pouvant pas les loger chez luy : qu’au relie il attendoit d’autres Jé- fùites qu’il avoit demandez au Pere Géné- ral, il y avoit déjà plus d’un an. Il nous fit voir enfuite tous les appartenons du Palais de Monfieur l’Ambaifadeur , que nous trouvâmes fort beaux &: fort pro- pres. Ce iij Le Seigneur Confiance reçoit les Jéliiites a~ vec uneex- traord maire bonté. Defcriptiô du Palais où logea Mon- fie.nr rAm- bafladeur à Siam. 205 VOYAGE Le Roy de Siam avoit ordonné qu’on bâ-- tît un Hoftel magnifique pour recevoir Monfieur l’Ambafladeur ; mais comme il n’étoit pas encore achevé, & qu’il étoit impoflible cje différer à caufe de la faifott qui preffoit pour le retour , Monfieur Confiance alla luy - même marquer la plus belle maifon de toute la Ville , ôc la plus commode , qui appartenoit à un grand Mandarin , Perfan de nation , ôc la fit meubler magnifiquement. Dans le premier étage il y avoit deux Salles de plein-pied , tapiffées de toile pein- te tres-belle ôc tres-fine. La prémiere étoit garnie de chaifes de velours bleu , ôc l’autre de chaifes de velours rouge à frange d’or T ôc la chambre de Monfieur l’Ambaffadeur étoit toute entourée d’un paravant du Ja- pon d’une beauté finguliere mais rien ne nous une ; autres appartenons par une grande cour, ôc bâtie pour prendre le frais pendant les chaleurs. Il y avoit un jet d’eau à l’entrée, au dedans une eftrade , avec un Daix ôc un fauteuil fort riches, ôc dans les enfonce- rnens un peu obfcurs , deux cabinets qui donnoient fur la rivière , ôc qui fervoient à fe baigner. De quelque côté qu’on jettât parut plus beau que le Divan. L, etoit grande Salle l’ambrifïée , féparée des DE SI AM. Livre III. 207 les yeux , on ne voyoit que Porcelaines fines de toutes grandeurs , placées dans des niches 3 enfin tout y étoit frais 6c agréa- ble. Après y avoir demeuré quelque tems , nous primes congé de Monlieur Confian- ce pour nous retirer dans nôtre maifon , où nous trouvâmes le Pere Suarez qui nous attendoit. Il nous receut avec toutes les marques d’une joye extraordinaire , 6c n’oublia rien pour nous régaler autant que -fa pauvreté le pouvoit permettre. C’efl un Jéfuite Portugais , âgé de foixante 6c dix ans, il en a paffé plus de trente dans les Indes, où il s’efl acquis par fon zélé 6c par fa capacité l’eflime 6c l’amitié de tous ceux qui le connoiffent. Il nous mena d’a- bord voir les logemens que le Seigneur Confiance nous faifoit préparer. On nous bâtiffoit dans la Rivière fur des pilotis fix petites chambres pour nous loger , 6c une galerie pour mettre nos inflrumens5 prés de cent ouvriers y étoient occupez avec deux Mandarins qui les preffoient jour 6c nuit. Sans cette augmentation le Pere Suarez n’eut pas pû nous recevoir chez luy 3 il n’a- voit qu’une chambre 6c un cabinet , tous deux fi pauvres 6c Ci mal fermez , que les Toquets , qui font des Lézards fort veni- M. Cons- tance fait bâtir des ap- partenons pour loger les Jéfuites à SfiauL Le Roy de Siam envoyé un magnifi- que Bulon à M. l’Ain- biiladeur. 2o8 VOYAGE meux y croient par tout derrière fes coffres & parmy lis meubles.. Tandis qu’on préparoit ainfi toutes eho- fes 5 le Roy envoya deux Seigneurs quali- fiez de fa Cour avec dix Mandarins de la: quatrième & cinquième dignité , chacun avec un Balon d’Etat , pour aller prendre celuy de Monfieur l’Ambaffadeur , &c le luy mener à l’entrée de la Rivière. Il étoit fort magnifique , tout doré , long de foixante & douze pieds , mené par foixante & dix hommes bien faits, avec des rames couver- tes de lames d’argent. La Chirole, qui eft une efpéce de petit Dôme placé au milieu, étoit couverte d’écarlate & doublée de bro- card d’or de la Chine , avec les rideaux de même étoffe. Les baluftres étoient d’yvoi- re , les couffins de velours , & il y avoir fous les pieds un Tapis de Perfe. Ce Balon étoit accompagné de feize autres , dont qua- tre ornez aullî de Tapis de pied & de cou- vertures d’écarlatte , étoient pour les Gen- tilshommes de la fuite de M. Y Ambaffadeur 8c les autres douze pour le refte de fon E- quipage. Le Gouverneur de Bancok s’y joi- gnit avec les principaux Mandarins du voi- finage, de forte qu’il y avoit environ foi- xante & fix Balons quand ils arrivèrent à l’entrée de la Rivière. La Figure de ces Bâteaux DE SIAM. Livre IV. 209 Bâteaux ett extraordinaire , ils font fort longs & fort étroits ; il y en a d’aulïi longs que des Galères , c’eft-à-dire , de cent ou nx-vingts pieds de longueur, qui n’en ont pas fix dans leur plus grande largeur. Les Chiourmes font de cent, de lix-vingts, & quelquefois de cent trente rameurs. Les Députez trouvèrent à l’embouchûre delà Rivière une Galère quidevoit les por- ter à bord, elleétoit fuivie de trois autres & de fix Mirous , qui font de longues Bar- ques pour prendre le bagage. Etant arri- vez au Vailfeau de Moniteur l’Ambalfa- deur, ils le complimentèrent de la part du Roy, luy difant qu’ils avoient ordre de Sa Ma je tic de l’accompagner jufques à la Ca- pitale oit le Roy l’attendoit avec beaucoup d'impatience , pour Içavoir des nouvelles feures du Roy de France fon bon amy te de toute la Maifcn Royale. Fin du Troijîémc L 'vvre. Pd O Y AG E M.l’Am- bafladeur s'embarque dans les Ba- lons du Roy de Siam* LIVRE QUATRIEME. VOYAGE DE LA BARRE DE Siam , aux Villes de S tant & de Louvo. E huitième cT Octobre Mon- iteur l’Ambalfadeur ayant fçû que les Balons du Roy dévoient le venir prendre ce jour-là a- vec toute fa fuite , defeendit dans la Chaloupe, au fon des Trompettes DE SI AM. Livre IV. 2 iï qui marchoient devant, & fut falüé par fon Navire de quinze coups de canon. Il arriva de bonne heure à rentrée de la Rivière , oix les Balons du Roy fe rendirent, il moma dans celuy qui luy étoit deftiné , avec M. de Metellopohs&futfuivy de tous les autres - On ne fit ce jour-là que deux lieues depuis Fembouchure de la Rivière & les Bafons s’étans rangez au tour de la Maligne, qui étoit montée jufques-là , chacun palfa la nuit dans lcfien. Le lendemain on alla à Prépadem , où l’on avoit préparé le premier Palais de re- pos. Ces petits édifices , quoy qu’ils foienc bâtis en huit jours, & faits feulement de nates & de roteaux, ne lailfenr pas d’être commodes & agréables. Comme celuy-cy eft le premier , & que tous les autres étoient femblables, il eft a propos d’en faire la def- cription. En (ortant du balon on montoit par un efcalier de fixoufept marches, qui defeen- doit jufqu’à la furface de l'eau , il condui- foitdans un coridor , où après avoir mar- ché dix ou douze pas , on trouvoit deux Salles allez grandes l’une à droit & l’autre à gauche , qui fervoient d’Office, decuifine, èc de logement aux gens de Monfieur l’Arn- haffadeur. Au delà il y avoit deux cham- D d ij. Dcferip- tion des mai Tons qu’on avoit fait bâtir fur les boids de la Rivière pour le rc eevoir . 2n VOYAGE bres , d’un côté étoit celle de Monfieur PAmbafladeur, & de l’autre une Chapelle. Le Coridor aboutiffoit à une Salle que les Portugais appellent SaL da Prefença $ en y entrant on voyoit à la droite une cftrade couverte d’un tapis de Perfe , un grand Daix d’une étoffe d’orôc de foye, avec un fau- teüil doré au d eiTous , ôe des carreaux de ve- lours rouge galonncz d’or. Vis-à-vis étoit un buffet couvert d'un tapis d’or d’un fort bel ouvrage de la Chine , & au milieu de la Salle une longue table de foixante cou- verts. Tous les appartemens éroient pro- prement meublez ; & comme la chaleur eft grande en ce pays-là, ils n’étoient tapiffez que d’Indiennes tort belles, & le plancher é- toit couvert de nattes très - fines. Celuy de Alonfieur l’Ambaffadeur étoit couvert d’un grand tapis de Perfe, & le plafond d’une étoffé fort riche. Dans tous ces Palais de repos , il y a voit fept Officiers de la Maifon du Roy , dont les fix prémiers étoient Gentilshommes or- dinaires de la Chambre , & le feptiéme Ca- pitaine des Gardes du Corps , avec quelques loldats , qui faifoient la garde jour & nuit , ôe plufieurs rondes autour du logis pour empefcher le bruit & le defordre. Les fix premiers avec les gens qu’ils commandoient DE SIAM. Livre IV. tu avoiem foin que rien ne manquât à la ma- gnificence de la Table , ôc à la propreté des Apparrcmens. Moniteur l’Ambalfadeur n’euft pas plu- tôt mis pied à terre à Prépadem , qu'il fut complimenté par les Gouverneurs de Ban- colc & de Piplis qui l’y attendoient dés le jour précédent. Après dîné il fe rembarqua avec route fa fuite , & avec le meme cortege pour aller à Bancok. A demie lieue de la Ville deux Oloüans Mandarins du troifié- me ordre , dont le dernier étoit comme Gé- néral aes Galeres , le vinrent recevoir de la part du Roy , pour l’accompagner enfuite jufques à la Capitale. On n’arriva que vers les cinq heures à Bancok. Un Navire An- glois qui étoit moüillé fous la Forterelfe lalüa fon Excellence de vingt & un coup de canon , & la Ville qui étoit vis-à-vis de trente & un. En débarquant , il fut reçu par un grand nombre de Mandarins rangez en file de part & d’autre , ayant les Gouver- neurs de Bancok & de Piplis à leur tefte,& il fût conduit au logis qu’on luy avoit préparé dans la Ville. Les rués par où il palïbit é- toient parfumées d’Aquila , qui eu un bois fort précieux , & d’une odeur admirable. Désqu’il fut arrivé à fon Hôtel , la For- terelïe qui ne l’avoit point encore falüé, Dd iij 214 VOYAGE fit une "tres-belle décharge de toute fors artillerie. Le lendemain après le déjeuner on reconduifit fon Excellence avec les mê^ mes cérémonies à Ton Balon. En quittant le bord, la forterefie qui étoit du même coté, le falùa de vingt 8c un coup de canon , l’autre Fort en tira vingt-neuf, & le Navire Anglois vingt ôcun , 8c ce fut à la recommandation du Seigneur Confiance , que le Vaifleaufit cettehonneftetéà Monfieur rAmbaffadeur. On luy fit les mefmes honneurs par tout où il débarqua, & le Roy luy envoyoit chaque jour desMandarins les plus qualifiez le laitier de fa part $ 8c comme ils avoient ordre de demeurer auprès de luy jufqu’à un certain endroit nommé la Tabanguc, où il devoit attendre le tems de fon entrée,* fon cortege croiffoit tous les jours. A un quart de lieuëde Là, il trouva les Capitai- nes de toutes les Nations qui font à Siarm Les Anglois y vinrent avec huit grands Balons , enfuire les Chinois 8c les Maures. Après que chaque nation euft fait Ion com- pliment, ils l’accompagnerent tous enfem- ble jufques à fon logis , où ils prirent con- gé.Les Gouverneurs des Places qui l’avoient reçû à l’entrée de leur Gouvernement, l’a- voient aufix accompagné jufques-là. C’efi un honneur extraordinaire 8c qui ne s etoit ïendu à nuLAmbafiadeur. DE SIA M. Livre IV. 215 Le Roy de Siam voulut que l’Ambafla- deur du Roy de France fût diftingué de tous lesautres, & même de ceux de l’Empe- reur de la Chine , qui paife dans tout l’O- rient pour le plus grand Monarque de l’Univers. On reçoit les Ambaffadeurs des Rois de la La manié- Cochinchine , du T unquin , de Golconde , re dont le ■des Malayes , des Laos dans une cour cou- ^^oyr^c verte de Tapis. Les Grands du Royaume çoicles Am- Font profternez dans deux falles qui font à côté , & les autres Mandarins inférieurs CIÎ fcs voifios. dignité font profternez dans la cour. L’Ambaftadeur avec toute fa fuite eft dans une autre cour plus éloignée , ou il attend qu’on le vienne quérir par ordre du Roy pour avoir Audience. Le Roy dans le tems qu’il a déterminé, paroît à une efpéce de tribune ou de fenêtre élevée de dix pieds au deifus de la premiè- re cour, au fon des Trompettes , des Tam- bours & des autres inftrumens de mufique qui font en ufage dans les Cours des Prin- ces d’Orient. Alors le premier Miniftre a- prés en avoir demandé l’ordre au Roy, en- voyé appeller l’Ambaftadeur par un Offi- cier de la Chambre plus ou moins qua- lifié, félon qu’on veut honorer le Roy fon Maître. Dés qu’on ouvre la porte de la 2l6 voyage cour, l’Ambaffadeur paroît profterné avce les Interprètes de fa nation , Ôc le Gentil- homme ordinaire qui fert dans cette occa- fion de Maître des Cérémonies. Ils font tous enfemble devant le Roy la zombaye, qui eft une profonde inclination , ôc fe traî- nent enfuite lentement fur les genoux & fur les mains jufques au milieu de la cour. Alors en fe levant trois fois fur les genoux les mains jointes au délit s de la tète, ils fe couibcnt ôc frapjrent autant de fois la ter- re de leur front. Après quoy ils continuent à fe t' aîner comme auparavant jufques à cc qu’ils arrivent à un efcalier qui eft entre les deux fai les où les Grands font profternez, ôc là après avoir fait la zombaye , l’Ambaf- fadeur attend que le Roy luy fafle l hon- neur de luy parler. Avant que d’obtenir Audiance,il doit envoyer les Préfens ôc la Lettre au premier Miniftre, qui après lesa- voir examinez en plein Confeil , les fait merrre fur une table entre le Roy ôc l’Am- baftadeur. Entre cette table ôc l’Ambafta- deur il y a encore un Mandarin pour rece- voir l’ordre du Roy , quand il plaira à Sa Majefté d’envoyer le be*xl dont il fait pré- fent à l’Ambaftadeur à la fin de l’Audian- ce. Il y a à h Cour de Siam des Mandarins établis DE SIAM. Livre IV. 217 établis pour avoir foin des affaires decha~ queNanon. C’eft à eux que les particuliers s’adreffent pour préfenter leurs Requêtes au Roy Ôc pour en obtenir Audiance , ils ac- compagnent les Ambaffadeurs des Royau- mes dont les affaires font de leur reffort , ôc s’appellent pour cela Mandarins de la Nation ou Capitaines du Port. Ce Mandarin dans les Audiances publi- ques eft entre l’Ambaffadeur ôc le premier Miniftre, pour porter la parole de l’un à l’autre. Le Roy parle le premier ôc fait de- mander par fon Miniftre à l’Ambalfadeur depuis quand il eft party d’auprès du Roy fon Maître , s’il l’a laiffé en bonne fanté 6c toute la famille Royale; l’Ambalîadeur ré- pond ce qui en eft par fon Interprète , non pas au Roy immédiatement, mais au Capi- taine de fa Nation , celuy-cy le répète au Barcalon qui le redit au Roy. Il eft inter- rogé enfuite de la même manière fur les principaux points de fon Ambaffade , ôc dés qu’il a fait la réponfe on luy porte du Bétel ôc une vefte par ordre du Roy , lequel aufîi- tôt fans autre cérémonie fe retire au bruit des Trompettes ôc des autres inftrumens, comme il éroit entré. Mais à l’égard des Ambaffadeurs des Rois o„* indépendans , comme du Roy de Perfe , du rcçoicàSiam E e les Ambaf- deur des Rois indé- pendant. aïs VOYAGE Grand Mogol , des Empereurs de la Chi- ne & du Japon, voicy comme on en ufe. Les grands Mandarins du premier ôc du fé- cond ordre font profternez en haye félon leur rang, au bas du Trône du Roy, & les autres Mandarins demeurent profternez dans les deux Salles baffes qui font à côté, & dont nous avons déjà parlé. L'Ambaffa- deur doit fe rendre avec fon Interprète à un lieu qui luy eft marqué auprès du Palais, où il attend que le grand Maître des ce- remonies le vienne prendre pour l’intro- duire à l’Audiance. En entrant dans lePalais il s’afïîed à terre & met les mains fur fa tefte , qui eft une marque du profond refpeét qu’il rend à fa Majefté. Ilfereleve ôc marche enfuite en- tre les deux Salles , où les Mandarins du troifiéme , quatrième , & cinquième ordre font profternez en fîlence. Quand il eft ar- rivé au pied de l’efcalier qui conduit à la Salle d’audiance , il fe met à genoux , fe traînantfur les mains jufques dans la Salle, & il paroît en cette pofture devant le Roy qui eft fur un Trône élevé de dix ou dou- ze pieds fur une eftrade fort large , ou les grands Mandarins font profternez. Il s’arrête au bord de l’eftrade , éloigné du Trône de plus de trente pieds. Il y a dans D,E SI AM. Livre IV. 219 Pentre-deux une table qui porte une gran- de bandege ou bafïin d’or, où font les pré- fens que PAmbaffadeur apporte avec la Let- tre du Roy fon Maître toute ouverte 6c qui a été lue par le Barcalon . Quand il eft arrivé à fa place il y demeure fans fe relever. Le Lieutenant au premier Miniftre prend la Lettre du Prince fur la table 6c la lit au Roy à haute voix. Après cette leéture Sa Maje- fté demande à PAmbaffadeur des nouvelles de la fanté du Roy fon Maître 6c de tou- te la famille Royale. C’eft au Barcalon que le Roy adreffe la parole, le Barcalon la ré- pété au Capitaine de la Nation , 6c le Ca- pitaine à l’Interprète qui l’explique à P Am- baffadeur. Celuy-cy répond à fon Inter- prète , 6c cette réponfe pafTe par les mêmes perfonnes pour aller au Roy. Enfin Sa Ma- jefté après avoir fait quelques queftions 6c entendu les réponfes , fait préfenter à l’Am- bafTadeur le Betelêcla Vefte, puis elle fe retire au fon des T rompettes. Moniteur leChevalier de Chaumont ayant fceuces maniérés de recevoir les AmbafTa- deurs peu dignes du caractère qu’il foûte- noit , fit appeller les principaux Mandarins qui laccompagnoient par ordre du Roy leur Maître , 6c leur dit qu’il feroit bien aife que le Roy de Siam nommât quelque Sei- Le Roy de Siam donne ordre au Seigneur de Confiance dérégler a- vec Mon- iteur l’Am- bafladeur les cérémonies de fa récep- tion. 22o VOYAGE gneur de Ta Cour pour convenir des céré- monies de fon entrée & de fon audiance , afin qu’il ne s’y paftàtrien qui ne répondit a la grandeur & à l’amitié des deux Roys, Ces Mandarins répliquèrent à fon Ex- cellence qu’ils en avertiraient le Barcalon qui auroit l’honneur d’en parler à Sa Ma- jefté. Ils n’y manquèrent pas,ôc le Roy nomma fur le champ le Seigneur Conftance , avec ordre d’aller incelfament trouver Mon- fieur l’Ambaftadeur , & de regler avec luy la maniéré dont on le recevrait dans la Capitale & au Palais, Sa Majefté avoir déjà ditpubliquement, qu’elle ne vouloit pas qu’on obfervât à fon égard l’ancienne coû- tume de recevoir les Ambalfadeurs du Mo- gol , de Perfe 8c de 1 a Chine , & qu’elle con- fentoit que l’Ambaftadeur de France entrât dans fon Palais l’épée au côté , 8c qu’il s’af- fit à PAudiance,cequi n’avoit jamais été ac- corde à aucun AmbafFadeur. Le Seigneur Conftance fe fentit fort ho- noré de cet ordre, & vint trouver fon Excel- lence. Après les premiers complimens,M.de Chaumont parla de la converfion du Roy comme du principal fujet de fonAmbaftade. M. Conftance en témoigna de l’étonne- ment, 8c dit à Monfieur l’Ambaftadeur , DE SIAM. Livre IV. 221 que c’étoit la chofe du monde qu’il fou- haitoit le plus, mais qu’il n’y voyoït aucune apparence ; que le Roy étoit extrêmement attaché à la Religion de Tes Ancêtres, & qu’il feroit fort fur pris d’une proportion à laquelle on ne l’avoit point préparé ; qu’il conjurait Monfieur l’Ambafladeur de ne point parler de cette affaire qui cauferoit lans doute du defordre dans les conjon- ctures prefentes , & qui ne pouvoit pro- duire aucun bien. Monfieur l’Ambaffadeur répondit qu’il y penferoit , mais qu’il au- rait bien de la péine à fupprimer la plus con- fiderable & prefque l’unique raifon de fon voyage. On traitta cnfuite de la maniéré dont les Gentilshommes de Monfieur l’ Ambaffadeur feraient à l’Audiance 5 car on vouloir , ou qu’ils n’y fuffent point , ou qu’ils y fufient dans une pofture humiliante. Monfieur l’Ambaffadeur voulut abfolu- ment qu’ils entraffent avec luy dans la Salle d’Audiance ,& qu’ils y demeuraffent tandis qu’il y ferait. Le Seigneur Confiance eût beau luy dire quec’étoit une chofe nouvelle qui ne s’étoit jamais pratiquée à la Cour de Siam , ôcque le Roy aurait bien de la peine à fe relâcher là-deffus 5 que les Ambaffadeurs même des Rois duTunquin, & de la Q> Eç iij 2 22 VOYAGE Les Na- tions diffé- rentes qui font àSiam vont com- plimenter M. l’Am- baflàdeur. chinchinenevenoient qu’en rampant à l’ef- calier de la Salle , ôc qu’ils paroiffoient pro- fternez devant le Roy .Mais Moniteur l’Am- bafladeur tint ferme , ôc ajouta qu’il ne pou- voit aller à l’audiance qu’à cette condition ; que pour accommoder les chofes il confen- tiroit que fes Gentilshommes ne fulfent pas debout en prefence du Roy. Qu’ils entre- roient dans la Sale avant que Sa Majefté y parût , ôc qu’ils feroient alfis fur les tapis quand il paroîtroit fur fon Trône. Ce Mi- niftre jugeoit ces proportions raifonnables. Mais comme il connoiffoit la delicatdTe du Roy là-delTus , il pria Moniteur l’Ambaf- fadeur de luy donner le tems d’en parler à fa Majefté j furquoy après une longue con- férence ils fe féparerent pleins d’efttme & d’amitié l’un pour l’autre. Monfteur Con- ftance ménagea lî bien cette affaire , que le Roy accorda à Moniteur l’Ambalfadeur tout ce qu’il demandoit 3 ainlî on ne pen- fa plus qu’à achever les préparatifs de l’entrée. Deux jours après , toutes les nations de l 'Orient , qui demeurent à Stam , voulurent marquer chacune en particulier la haute ef- time qu’elles avoient conçûës du Roy de France. Il y en eût jufques à quarante-trois de divers Pais des Indes qui fe joignirent en- DE SIAM Livre IV. 223 femble pour rendre leur cérémonie plus é- clatante , & qui vinrent dans une infinité de Balons diverfement parez , complimen- ter Monfieur l’Ambalfadeur. Le lende- main arrivèrent quatre grands Balons d’E- tat , par ordre du Seigneur Confiance , ar- mez chacun de quatre-vingts rameurs , nous n’en avions point encore vû de femblables. Les deux premiers avoient la figure de Che- vaux Marins , ils étoient tout dorez , & à les voir venir de loin fur la Rivière, on eût crû qu’ils étoient animez. Deux Officiers des Gardes du Corps étoient deffus pour y recevoir les préfens du Roy de France. Dés qu’ils en furent chargez ils s’allérent pofter en grand filenceau milieu du Canal. Du- rant tout le tems qu’ils y relièrent on n’en- tendoit pas le moindre bruit fur le rivage, & il ne fut plus permis à aucun Balon de monter ou de descendre fur la Rivière , de peur de manquer de refpeét aux Balons d’E - tat & aux prefens qu’ils portoient. de Siam , & pour fa première Audiance , le Roy luy députa deux Princes de fa Cour pour l’accompagner le jour fuivant. Le pre- mier s’appelloit Oya Pralfedet , & l’autre Peya Tep de Châ. Celuy-cy étoit coufin 224 V O Y A G E germainduRoydeCamboje, ôcOya Praf- iedetécoit le chef ôc le protecteur de tous les Talapoins du Royaume, avec droit de les juger ôc de les faire punir quand ils le méri' tent , qui eft une des premières ôc des plus importantes Charges de l’Etat. Ils menoient avec eux feize Balons d’E- tat ôc fîx autres de la Garde du Corps, ôc ils étoient fuivis de quarante Mandarins du troifiéme , quatrième ôc cinquième ordre , montez fur leurs Balons de cérémonie defti- nez pour accompagner celuy fur lequel M. l’Ambafladeur devoit s’embarquer , qui é- toit un des plus beaux que le Roy eût. On commença à fe mettre fur la Rivière vers les huit heures du matin. Les Balons des Mandarins les moins qualifiez marchoient les premiers deux à deux ôc dans une jufte diftance les uns des autres au nombre de quarante. Après eux venoientdix ou douze Mandarins du fécond ôc du troifiéme rang, qui étoient toûjours venus depuis Bancok, ôc les derniers étoient fuivis par les deux Princes que le Roy avoit envoyé le foir pré- cédent. Après un allez grand intervalle pa- roiflqient les quatre Balons fur lefquelson avoit mis les prefens du Roy , Ôc enfuitte ce- luy qui portoit fa Lettre , féparé de tous les autres par un efpace confîderable -, car avant que DE SI AM. Livre IV. 2r5 que de partir de la Tabangue, pour s’ac- commodera la coutume de-ces peuples , il fallut que Moniteur l’Ambaffadeur prît la Lettre du Roy avec un- grand refpeét , & qu’il la .mît entre les mains de Monfieur l’Abbé de Choilî qui la-devo-it porter dans un grand Balçn deftiné uniquement pour elle. Monfieur l’Ambafladeur venoit en- fuite dans uri magnifique Balon qui bril- lait de tous cotez' de l’or dont il et oit couvert. Il avoit à droit & àgauchefix gale- res de là garde , oùétoient les trompettes, les tambours & les autres iriftrumens qui mar- chent devant le Roy dans les forties publi- ques. Il étoit fuivy de quatre Balons du Roy ou étoient les Gentilshommes de PAmbaf- fadc,& lesgensde M. l’AmbalTadcttr. Après eux venoient en confufion un fi grand nom- bre de Balons grands & petits de toutes les Nations, qu’ils couvroient leMènamjc’eft le nom de la rivière , qui Lignifie en langue Siamoife, Mm des eaux. Cette longue fuite de Balons d’Etat qui marcHoient en bon Ordre, au nombre de cent cinquante, ôc une foule d’autres, occupoient tout l’efpa- ce de la riviere où là vue pouvoit s’éten- dre ôe faifoient un agréable fpeéfacle. Les cris de joye fouvent redoublez que pouf- foient les rameurs, félon la coutume des Ff ?26 VOYAGE Siamois , comme s’ils fuffent allez à la charge , faiioient accourir fur les deux cotez du rivage une infinité de peuples pour voir cette augufte cérémonie. Les feuls Portugais ne s’y trouvèrent point , à la referve de trois ou quatre, qui font Officiers dans les troupes, du Roy de Siam, Ils prétcndoient par là rendre la pa- reille aux François, qui deux années aupa- ravant n’avoient point affilié à l’entrée de l’Ambaffadeur de Portugal. Il n’y eut que le Pere Suarez Jéfuite que fon grand âge & fes infirmitez ne purent empefcher de venir affûter M. l’Ambaffadeur de fes refpeéts. Ce bon vieillard témoigna fa joyede toutes les maniérés qu’il pût , & fit fonner les clo- ches lors que fon Excellence paffa parde- vant nôtre Eglife. La Faiturie Hollandoife , qui eft de l’au- tre côté de la Rivière , & un de fes Vaif feaux moüillé auprès, falüerent Monfieur l’Ambaffadenr de tout leur canon. La Ville de Siam fit la même chofe lorfqu’il pafla devant le premier baftion , & la Compa- gnie Françoife fit faire à fon Vaiffcau , qui ètoit magnifiquement pavoifé , deux dé- charges de fon artillerie, lorfque Monfieur l’Ambaffadeur paffa devant , en allant & en revenant de l’Audiance, DE SIAM. Livre IV. 22; Après avoir côtoyé une partie des murail- les deia Ville, on arriva au lieu du débar- quement, qui éroit à un quart de lieue du Palais. Moniteur Confiance s’y trouva pour y donner les ordres & pour y rece- voir Monfieur l’Ambalfadeur. Dés qu’om l’eut averty que le Balon approchoit du bord -, il monta fur fon Eléphant 6c fe mit à la iètede vingt autres Eléphans de guer- re rangez fur le rivage. Et quand Monfieur PAmbalTadeur débarqua , il defeendit de fon Eléphant après avoir fait une profon- de inclination au Balon qui portoit la Let- tre du Roy , il vint au devant de Son Ex- cellence,& i 1s fe firenrl’un à l’autre de gran- des honnêtetez. Moniteur l’Ambaffadeur alla enfui te pour prendre la Lettre du Roy furie Balon où on 1 avoitmife; mais il trou- va que le Mandarin la voit déjà portée à ter- re avec la Pyramide dorée où elleétoir.- Ce pauvre Mandarin fit une grande faute en penlânt'bien faire , il en fut puni fur le champ, & eut la tète piquée, en attendant un plus févére châtiment. Car dans les Amoalfades d’Orient on a bien un autre ref- peét pour les Lettres que les Princes en- voyent , que pour leurs Ambaffadeurs. On regarde la Lettre comme la parole Royale* dont l’Ambalfadair n’eft que le porteur. Le Seigneur Confiance reçoit M. TAmbaffa- dem au bord de la rivière Refpe$ qu’on rend à la Lettre du Roy. Monsieur jTAmbafla- deur eft por- tt.é au Rabais. 228 •V OTA G E Moniteur le Chevalier de Chaumont prit donc cette Lettre &c la donna à Moniteur l’Abbé de Choift qui l’alla pofer avec un grand refpect, fur un char doré qui la de- voir porter enfermée dans une haute Pyra- mide jufqu’à la porte du Palais. Après cette cérémonie Moniteur l’Am- bafladeur s’aiïît dans un grand fauteuil do- ré élevé fur une eftrade couverte d’un beau Tapis & d’un Carreau de velours. 11 fut ainii porté fur les épaules de dix hom- mes, environné de Mandarins , qui mar- •choientà pied , à la réferve de deux qu’on portoitàfes cotez fur des chaifes plus baf- fes. Moniteur l’Abbé de Choiil le fuivoit f>orté dans une chaife peinte de rouge , dont es ornemens étoient d’y voire , & Meilleurs les Gentilshommes montèrent fur des che- vaux qu’on leur avoit préparez. Cette mar- che avoit quelque chofede ftngulicr. Elle commença par vingt Eléphans de guerre, .qui défilèrent les premiers au milieu d’une double hayed.e piquiers & de moufquetai- res le long d’une grande rué , qui alloit depuis le rivage jufqu’au Palais : enfuite venoient les Gardes ôc les Officiers du Gou- verneur de la Ville & beaucoup de Man- darins à cheval. Moniteur Confiance mar- ehoit le dernier fur un Eléphant & préce- DE SI AM. Livre IV. 229 doit immédiatement le Char qui portoit la Lettre du Roy, à laquelle le peuple affisà terre, faifoit la zombayerdés qu’elle com- mençoit à pàroître. Apres le Char mar- choient les trois Trompettes de Mon- iteur l’Ambafladeur à cheval, avec leurs ma- gnifiques livrées, ,& Monfieur l’Ambafia- deur paroiifoit élevé comme fur un Trône. Ilétoit vêtu d’un riche brocard de couleur de feu brodé d’or , d’un éclat admirable. Monfieur l’Abbé de Choifi fuivoit, porté dans fa chaife découverte , en furplis & en camail. Les Gentilshommes marchoienten fuite à cheval , tout couverts d’or & d’ar- gent, fuivis de Pages, de Valets de pied, & d'un grand nombre de domeftiques , tous fort proprement vêtus. La marche étoit fermee par une multitude incroyable de peuple qui gardoit un profond lilence. Le Palais du Roy de Siam a beaucoup d’étendue ; mais l’architeéf ure n’a rien de régulier ny de fcmblableà la nôtre. Ce font de grandes cours entourées de murailles avec des corps de logis 5 d’un côté font les appartemens des Officiers du Roy , & de l’autre un grand nombre de pavillons, où font les Elephans. 11 yaauffi beaucoup de Pagodes grandes & petites , dont l’irrégu- larité ne laide pas d’avoir quelque agré- Description du Palais du Roy dcSiara 230 VOYAGE ment. Quand on fut arrivé à la première porte du Palais , tout le inonde mit pied à terre , ôc Monfîeur l’ Ambaflfadeur alla pren- dre la Lettre de deiïùs le Char de T riomphc pour la remettre entre les mains de Mon- fieur l’Abbé de Choifi. On entra en cet ordre dans la’premiere cour du Palais , oit il yavoit d’un côté cinquante Elephans de guerre enharnachez d’or, ôc de l’autre deuxregimens des Gardes rangez en bataille au nombre de huit cens hommes.De là on paffa dansla fécondé cour, où il y avoir huit autre Elephans de guerre, ôc une com- pagniedefoixanreMores à cheval. Ils étoient armez de lances , & ils avoient fort bonne mine. Dans la troifiéme cour étoient foi- xante Elephans avec des harnois encore plus riches que les premiers , ôc deux regi- mens des Gardes du Corps fous les armes- 3ui faifoient deux mille hommes. En entrant ans la quatrième cour, dont le pavé étoit moitié couvert de nattes , on trouvoit deux censfoldats profternezqui portoient des fa- b tes d’or Ôc de tambag, appeliez en Portugais, OsBmfospmadoSjparcc qu’ilsontlesbras peints d e rou ge. Ces foldats font les rameurs duBa- Ion du Roy, ôc comme les gardes de la Man- che. Dans deux Salles plus avancées étoient cinq cens Perfesde k Garde du Roy, aflïsà DE SIAM. Livre IV. 23* terre, les jambes croifées , parce que dans le Palais il n’eft permis à perfonne d’être de bouta moins qu’on ne marche , 6c tous les foldats Siamois étoient accroupis , tenant leurs armes entre leurs mains jointes. La cinquième cour ou l’on entra étoit tou- te couverte de fines nattes , fur lefquelles é- toient profternez tous les Mandarins du troifiéme, quatrième 6c cinquième ordre, 6c à quelque diftance ceux du fécond ordre é- toient dans la même pofture fur desTapis de Perfe. Après avoir jpaffé entre tous les Man- darins 6c traverfe tant de cours , on arriva enfin au pié d’un efcalier , ou l’on trouva à la droite deux Elèphans tout cou- verts d’or , 6c à la gauche fix chevaux de Perfe, dont une partie de la felle & les é- triers étoient d’or maflîf, 6c les harnois fe- mez de perles, de diamans , de rubis 6c d’é- meraudes. Moniteur l’Ambaftadeur s’arrê- ta-là , 6c les Gentilshommes montèrent dans la falle de l’Audiance où le Roy n’étoit pas encore, ils s’aifirent fur des Tapis de Perfe vis-à-vis du Trône , à vingt pas de diftan- ce, comme on étoit convenu. Ce Trône n’eft à proprement parler qu’une grande fenêtre qui eft élevée de fept à huit pieds au deflùs de l’cftrade , 6c qui répond au milieu de la falle. A droit 6c à gauche Dcfcrip- tion du Tkconc du Roy de Siam. z32 VOYAGE étoient deux grands paraffols d’une étoffe d’or à fept ou huit étages , dont les ballons étoient d’or malfif 6c fi hauts qu’ils tou- choient prefque au plancher. Moniteur l'Evêque de Métellopohs , Moniteur l’Ab- bé de Lyonne & Moniteur le Vachet é- toient alîîs dans la Galle de même que les Gentilshommes, auprès du liège qu’on avoit préparé à Moniteur l’AmbatTadeur. Dans cette Galle les Princes 3 les Minillres & les Mandarins du premier ordre étoient prof- ternez, félon leur rang, à droit 6c à gauche. Il y a de trois fortes de Princes à la Cour de Siam ; les premiers font les Princes du Sang Royal de Camboje & des autres Royaumes tributaires du Roy de Siam. Les féconds font les Princes de Laos,deChtamay 6c de Banca qui ont été pris à là guerre & quelques autres qui fefont volontairement mis fous la protection du Roy. Les troifié- mes font ceux que le Roy a élevez au rang de Princes. Ilsavoient chacun devant eux de grandes coupes d’or & d’argent , qui font les marques de leur dignité, & ils demeu- roient prollernez dans un profond lilence attendant la venue du Roy. Quelque tems après qu’on fe futainlî placé, on entendit le fon des trompettes , des tambours & de beaucoup d’autres inltrumens , & alors le Trône DE SIAM. Livre IV. 233 Trône du Roy s’ouvrit & il parut deffus. Mais on ne levoyoitque jufquesàla cein- ture , le refte étoit caché par le rebord de la feneftre. Tous les Mandarins profter- nez fe levèrent fur les genoux , & ayant les mains jointes pardefius leurs telles firent de profondes inclinations ôc frappèrent la ter- re du front. LeRoyavoit une Thiare tou- te brillante de pierreries. C’eft un grand bonnet terminé en pyramide, environné de trois cercles d’or à quelque diftance l’un de l’autre. Il avoit aux doigts beaucoup de gros diamans qui jettoient un grand éclat 5 fa Velle étoit rouge à fond d’or,& pardelfus il avoit une gaze d’or dont les boutons étoient de gros diamans ; tout cela joint à un air vif , plein de feu & toujours riant , luy donnoit beaucoup de grâce & de ma- jefté. Monfieur PAmbalïadeur ne fut pas plû- M 1>Am. tôtaverty par le fon des inftrumens que le baladeur Roy êtoit arrivé, qu’il entra dans la Salle t",;edî,nAIa fuivy de Monfieur l’Abbé de Choifi ôe du dience. Seigneur Confiance. Quand il eut avancé quatre pas, regardant le Roy comme s’il l’eût appercû pour la première fois, il fit une profonde révérence , il en fit une fé- condé au milieu de la Salle, &une troifiéme lors qu’il fut auprès du fiege qu’on luy Gg 234 VOYAGE avoit préparé. Le Roy répondit à chaque révérence par une inclination de corps ac- compagnée d’un vifage riant & ouvert. Alors Monfieur l’Ambalfadeur commença Ton compliment en cette maniéré , & après en avoir prononcé les premières paroles il s’alfit ôc lé couvrit. S1 RE, Le Roy mon Maître fi fameux aujour- detAiS- d’huy dans le monde par fes grandes viétoi- fadeur de res , & par la paix qu’il a fouvent donnée Roy de s km à Rs ennemis à la telle de fes armées , m’a commandé de venir trouver Vôtre Majefté pour l’afTûrer de l’eftime particulière qu’il a concûë pour Elle. Il connoît , SlRE , vos auguftesqualitez , lafageffe de vôtre Gou- vernement , la magnificence de vôtre Cour, la grandeur de vos Etats , & ce que vous vouliez particulièrement luy faire connoî- trepar vos Ambalfadeurs,rdlime que vous avez pour fa perfonne , confirmée par cet- te protection continuelle que vous donnez à les fujets , principalement aux Evêques qui m’environnent, & qui font les Minif- tres du vray Dieu. Il relfent tant d’illuftres effets de l’eftime DE SIAM Livre IV. 235 que vous avez pour luy , ôc il veut bien ? SlRE, y répondre de tout Ton pouvoir- Dans ce defiein il eft preft de traiter avec Verre Majefté, devons envoyer de les fu- jets pour entretenir ôc pour augmenter le commerce, de vous donner toutes lesmar quesd’une amitié fincere, ôc de commen- cer entre les deux Couronnes une union aulfi étroite dans la pofterité que vos Etats font éloignez des liens par ces vaftes mers qui les féparent. Mais rien ne l’affermi- ra tant en cette réfolution , ôc ne vous unira plus étroitement enfemble que de vi- vre dans les fentimens^d’une même croyan- ce. Et c’cft particulièrement , SlRE , ce que le Roy mon Maiftre , ce Prince fifage ôc fi éclairé , qui n’a jamais donné que de bons confeils aux Rois fes alliez , m’a commandé de vous répréfenter de fa part. Il vous con- jure par l’intereft qu’il prend déjà , comme le plus fincere de vos amis , à vôtre véritable gloire, de confidérer que cette fuprème Majefté dont vous êtes revêtu fur la terre, ne peut venir que du vray Dieu C’eft à dire , d’un Dieu tout puilfant , éternel , infini , tel ?|ue les Chrétiens le reconnoilfent , qui feul ait reaner les Rois Ôc résde la fortune de 236 VOYAGE Soumettre vos grandeurs à ce Dieu qui Gouverne le Ciel ôc la Terre 5 c’eft une cho- ie, SlRE, beaucoup plus raifonnable que de les rapporter aux autres Divinitez qu’on adore dans l’Orient , & dont vôtre Maje- fté qui a tant de lumière & de pénétration, ne peut manquer de voir aflez l’impuif- fance. Mais elle le verra encore plus clairement, fi elle veut bien entendre durant quelque - tems les Evêques & les autres Miilionaires qui font icy. La plus agréable nouvelle que je puifte porter au Royjmon Maître, eft cel- le-là , SlRE , que Vôtre Majefté perfua- dée de la vérité , fe fait inftruire dans la Re- ligion Chrétienne. C’eft ce qui luy don- nera plus d’admiration & d’eftime pour Vôtre Majefté , & qui excitera fe s fujets à venir avec plus d’empreftement dans vos Etats : & enfin ce qui achèvera , S I R E , de vous combler de gloire , puifque par ce moyen Vôtre Majefté s’aftûre d’un bon- heur éternel dans le Ciel, après vous régné avec autant de profperité quelle fait fur la terre. Monfieur l’Evêque dit en Portugais au Seigneur Confiance à peu prés le {ens du compliment de Son Excellence, & ce Mi- niftre l’expliqua au Roy en Siamois, fe te- j DE SIAM. Livre IV. 237 nant cependant dans une pofture tres-ref- peétueufe , comme les autres Princes & Sei- gneurs qui demeurèrent toûjours profter- nez dans la falle à côté de luy , mais un peu plus bas. Il ferait difficile d’expliquer la joye que le Roy de Siam fit paroître en cette occafion & dans toute cette jour- née. Monfieur PAmbaifadeur avoit été fur- pris en entrant dans la falle de voir le Roy fi élevé au deffiis de luy , & avoit témoi- gné quelque peine qu’on ne l’en eût pas a- verty. Après avoir lait fon compliment il devoit naturellement s’avancer pour pré- fenter la Lettre du Roy fon Maître au Roy de Siam. On étoit convenu avec le Seigneur Confiance , qu’afin de marquer plus de refpeét pour la Lettre du Roy , Monfieur l’Ambaffadeur la prendrait de Monfieur l’Abbé de Choifi , qui devoit pour cela de- meurer debout à fon côté pendant la ha- rangue & tenir la Lettre dans une coupe d’or foûtenuë d’un pié fort long. Mais Monfieur l’Ambafladeur voyant le Roy fi élevé , que pour atteindre jufqu’à luy il fau- drait prendre la coupe par le bas du pié , & lever le bras fort haut , jugea que cette diftance ne convenoit pas à l'a dignité , ôc qu’il devoit préfenter la Lettre de plus prés. G g nj Maniéré dont Mon- fieur l’Anu bafladeur donna laLet- tre du Roy au Roy de Siam. M. l’Arn- bafladeur préfente au Roy deSiam M. l’Abbé de Choifi & ôc les Gen- tils hommes de fa fuite. 238 VOYAGE Après avoir balancé un moment, il prit fou parti , qui fut de tenir la coupe par le haut, & de ne lever le bras qu’à demy. Le Roy qui comprit ce qui le faifoit agir de la for- te, fe leva fur fes pieds en foûriant,& fc bai (Tant en dehors , fit la moitié du chemin pour prendre la Lettre : il la porui enfuite lur fa tê"e , ce qui eft une marque extraordinaire d’honneur & d’eftime que ce Prince voulut donner au grand Roy qui la Iuy envoyoit. Alors il répondit à Mon- fieur l’Ambaffadeur , qu’il fe fentoit extrê- mement obligé de l’honneur que luy faifoit le Roy tres-Chrêtien , & qu’il n’avoit point de plus forte patlîon que d’entretenir une amitié ôc une paix éternelle avec Sa Ma- jefté. Enfuite il luy demanda des nou- velles de la fanté de ce Prince , qu’il nom- moit toujours fon bon amy, &de toute la Maifon Royale, & luy témoigna la joye qu’il avoit de le voir arrivé en bonne fanté avec toute fa fuite. Monfieur l’Ambaftadeur après avoir re- mercié Sa Ma jefté de toutes fes bontez, luy préfenta Monfieur PAbbé de Choifi en luy faifant connoître fon mérite , & les Gentils hommes de fa fuite difant qu’ils étoient tous Officiers fur les Vaif- feaux du Roy 5 que la plufpart s’étoient DE SIAM. Livre IV. 239 trouvez dans diverfes occafions contre les ennemis de l’Etat , où ils s’étoient diftin- oqez par leur valeur. Le Roy l’écoûta avec beaucoup de plaifir , & fit enfuite tomber le difeours fur les Ambafladeurs qu’il avoit envoyez en France, dont il n’avoit eu aucu- ne nouvelle. Il fe répandit fur les loüanges du Roy allez long-tems , témoignant une extrême joye d’entendre ce que Monfieur l’Ambalfadeur luy raconroit de fa grandeur , de fa fagefle , de fes conqueftes , & de la paix qu’il venoit de donner à l’Europe. En- fin il fit dire à M. l’Ambalfadeur , que s’il avoit befoin de quelque chofe de fon Royaume pour luy & pour les perfonnes de fa fuite, qu’il s’addreuât à fon Barcalon, auquel il avoit donné des ordres exprès de le latisfaire en toutes chofes. Ainfi finit la prémiere audiance avec beaucoup de fatis- iaétion de part & d’autre. Au fortir de la Salle , Monfieur Conftan- Qn ce mena Monfieur l’Ambalfadeur voir l Ele- ïEicpLnT phant blanc qui eft fi eftimé dans les Indes , blanc dans & qui a été le fu jet de tant de guerres. Il eft ^"n^partc~ aftez petit & fi vieux qu’il en eft tout ridé. Plufieurs Mandarins font deftinez pour en avoir foin, & on ne le fert qu’en vaiftelle d’or, au moins les deux badins qu’on a- voit mis devant luy, étoient d’01* madîf , 240 VOYAGE d’une grandeur & d’une épaifleur extraor- dinaire. Son appartement eft magnifique ,, & le lambris du Pavillon où il eft logé , eft fort proprement doré. Comme il étoit dé- jà tard , on fortit du Palais du Roy pour aller à celuy qu’on avoit préparé à Mon- Leur l’Ambafladeur , ôcon marcha dans le même ordre & avec la même pompe qu’on étoit allé à l’Audiance. Monsieur l’Evêque fut appellé quelque- tems après par ordre du Roy, pour tradui- re en Siamois la Lettre du Roy de France, qui fit beaucoup d’impreflîon fur Pefprit de ce Prince. En voicy les termes : Lettre du Roy deFran- ce au Roy dcSiam. T R E S-H A u t, Tres-Ex ce llent, et Tres-Magnanime Prince, nôtre tres-cher & bon Amy, Dieu veüille au- gmenter vôtre grandeur avec une fin heu- reufe. J’ay appris avec déplaifir la perte des Ambalfadeurs que vous nous envoyâtes en l’année i68i. & nous avons été informez par les Peres Miflionaires qui font revenus de Siam , & par les lettres que nos Miniftres ont reçu de la part de celuy à qui vous con- fiez le principal foin de vos affaires , l’em- preftement avec lequel vous fouhairez nô- tre amitié Royale. C’eft pour y correfpon- dre que nous avons choifi le Chevalier de Chaumont DE SIA M. Livre IV. 24 1 Chaumont pour nôtre Ambafïadeur prés de Vous, qui vous apprendra plus particuliére- ment nos inclinations fur tout ce qui peut contribuer à établir pour toujours cette a- mitié folide entre nous. Cependant nous ferons très aifes de trouver les occafionsde vous témoigner la reconnoiflance avec la- quelle nous avons appris, que vous conti- nuez vôtre protection aux Evêques & aux Miflîonaires Apoitoliques, qui travaillent à l’inftruétion de vos lujets dans la Reli- gion Chrétienne 5 & nôtre eftime particu- lière pour vous , nous fait délirer ardem- ment, que vous vouliez bien vous- meme les écouter & apprendre d’eux les véritables maximes êc les mylléres facrez d’une fi fain- te Loy , dans laquelle on a la connoitïan- ce du vray Dieu, qui feul peut, après vous avoir fait regner long-tems Ôc glorieufe- ment fur vos fujets , vous combler d’un bonheur éternel. Nous avons chargé nôtre Ambaffadeur de quelques préfens des chofes les plus cu- rieufes de nôtre Royaume , qu’il vous pré- fentera comme une marque de nôtre efti- mè , & il vous expliquera aulfi ce que nous pouvons délirer pour l’avantage du com- merce de nos Sujets. Sur ce nous prions Dieu qu’il veüille augmenter vôtre grandeur M. PAm- bafTadeur va voir M. l’E- ve que de Méccllopo- Jis. 242 VOYAGE avec toute fin heureufe. Fait en nôtre Châ- teau de Verfailles le vingt-uniéme jour de Janvier 1685 Vôtre très- cher <8c bon Amy, LOUIS. Colbert. Après que Monfieur l’Ambaffadeur eût eu Ton Audiance du Roy , il rendit fa pre- mière vifite à Monfieur l’Evêque de Mé- tellopolis au Séminaire. Ce Prélat eft Vi- caire Apoftolique dans la plus grande par- tie des Provinces fimmifes aux Vicaires A- ppftoliques 4 il travaille depuis long-rems avec beaucoup d’application ôc dezele à la converfion des Siamois , dont il a étudié la langue avec un grand foin. Nous receûmes de luy.nos approbations par écrit, ôc en nous les envoyant il nous fit dire , que nous pou- vions exercer nos fonctions dans les Indes auilî librement qu’en Europe. Il réfide ordi- nairement au Séminaire depuis que fes gran- des maladies l’ont affoibli. Cette maifon eft la plus belle qui foit dans la Ville ôc dans les Camps qui/ont autour de Siam. Elle confi- ée en un grand corps de logis double à deux étages bâtis à la Françoile , 011 vingt per- Cpnnes peuvent loger commodément. Les DE SIAM. Livre IV. 245 chambres font grandes & élevées , les unes donnent fur le jardin , & les autres fur une Eglife que le Roy de Siam fait bâtir auprès, & qui n’eft pas encore achevée. Elle fera fort grande , & fi on eût eu foin de prendre d’abord un defifein régulier , elle pourroit palier pour belle même dans les Villes d’Europe. C’eft une coutume établie à la Cour de teRoy de Siam , de donner une vefte à tous ceux qui Siam c"- , ont l’honneur d’être introduits en la pré- }Z Tm? fence du Roy , Ôc on la porte toujours aux l’Ambaflà. Ambaffadeurs , en leur préfentant le Betel dcur' à la fin de l’Audiance. Le Roy ayant fçû que les François n’ufoient point'de Bétel, & qu’ils ne s’accommoderoient peut-être pas d’un habit fait à Siam , il ne voulut pas le leur faire donner alors , mais quelques jours après il envoya à fon Excellence vingt piè- ces d’une étoffe fort riche àfleurs d’or, & au- tant d’une étoffe de foyepour faire des dou- blures. Il fit un femblablepréfent aux Gen- tilshommes de fa fuite , pour s’en faire des habits plus légers ( ce font les paroles du Roy ) ôc foufifrir avec moins d’incommo- dité les grandes chaleurs du climat aufquel- les ils n’étoient pas accoutumez. Moniteur m. i’Am- l’Ambaffadeur dés qu’il eût reçû le préfent du Roy fit jetter beaucoup d’argent par les par les fenc- Hhtj 244 VOYAGE «es de fon fenêtres aux gens des Mandarins qui IV Pahis une voient apporté , & au peuple qui y étoit en gentT ceux foule. Cela fit beaucoup de bruit dans la qui îuy a- Ville de Siam, & furprit tout le monde qui porté cepré navoit jamais vû cette forte*de magnificen- icnt. ce. On ne parla durant long-tems que de .cette riche pluye d’or & d’argent qui tom- boit dans la cour del’Ambafiadeur deFran- ce- Cette libéralité faite à propos augmenta beaucoup l’eftime que les Grands & les Peu- ples avoient conceuë de la Nation Françoife au deffus de toutes les autres de l’Europe. Auflï-tôt que Moniteur l’Ambafiaaeur fut dans la Ville de Siam, le Seigneur Confiance qui demeuroit auparavant dans le Camp des Japonois , vint fe loger dans une belle maifon qu’il a, proche l’Hôtel de fon Excellence 5 8c durant tout le temsque nous fûmes à Siam il tint table ouverte aux François , ôcen leur confidération à toutes les autres Nations,. Sa maifon étoit fort bien meublée, & au lieu de tapifleries qu’on ne fçauroitfoulïrir à Siam à caufe du chaud, on avoit étendu tout autour du Divan un frand paravant du Japon d’une hauteur & 'une beauté fur prenante. Il y avoit tou- jours deux tables de douze couverts chacu- ne , & où on faifoit une chere fort abom dante & fort délicate. On -y trouvoit às DE SIAM. Livre IV. 245 toutes fortes de vins, d’Efpagne , du Rhin , de France, de Cephalonie , & de Perfe. On y étoit fervi à grands baflins d’argent , & le bufet étoit garni de tres-beaux vafes d’or & d’argent du Japon fort bien travaillez, avec plulieurs grands badins des mêmes métaux & du même travail. Le bruit qui fe répandoit alors , que le Roy £= R»y * devoir aller faire un prefent à fa Pagode avec un grand cortège, excita la cunofité préférez des Gentilshommes François, qui voulu- rent être fpeéfateurs de la Pompe. Un des coup aT" Mandarinsqui étoient toûjours dansl’Hôtel de P°mPc- pour empêcher le defordre ôc prendre garde que rien n’y manquât , les mena dans un en- droit oii ils pouvoient voir commodément ce fpeétacle. Les rués par où le Roy devoit paflfer étoient bordées à hauteur d’appuy d’un treillis peint de rouge, & femées de fleurs en planeurs endroits. Le Roy ne fortit pasce jour-là , mais fon prefent ne laifla pas d’être porté à la Pagode en grande céré- monie. On vit d’abord paraître un hom- me lurun Eléphant qui joüoit des timbal- es, précédé de deux trompettes à cheval. Plulieurs Mandarins , aullï à cheval , marchoient après deux à deux 3 un grand nombre de foldats à pied de ceux qu’on appelle les bras peints venoit enfuite en B h iij 246 VOYAGE bon ordre. Ilsétoient fui vis de quinze Ele- jjhans , dont fept ou huit portoient des Para- lois à triple étage avec des chai fes dorées , où étoient autant de Mandarins chargez des Préfens du Roy. Après ces Elephans ve- noient les Mandarins du prémier & du fé- cond ordre, qu’on reconnut aux cercles d’or ôe d’argent, qui éroient à leur bonnet rond fait en forme de Pyramide. A la Cour de Siam on ne donne jamais que deux audiances aux Ambaffadeurs , la prémiere & celle de congé. Souvent même on n’en accorde qu’une & l’on remet toutes les affaires au Barcalon qui en doit rendre compte au Roy. Mais Sa Majefté pour dif- tinguer cette Ambaffade de toutes les autres, fitdire à Monfieur l’Ambaffadeur , que tou- tes les fois qu’il voudrait avoir audiance il étoit preft à la luy donner avec plaifir. En effet , huit ou dix jours après l’audiance d’entrée, Monfieur l’Ambalfadeur en eut une autre , elle fut fecrette , & Meilleurs les Gentilshommes n’y entrèrent pas. Moniteur l’Ambaffadeur n’y mena que Monfieur l’E- vêque de Metelîopolis , Monfieur l’Abbé de Choify, & Monfieur l’Abbé de Lyon- ne, les autres demeurèrent dans la première cour du Palais , où il y avoit à l’ombre des arbres fur le bord d’un canal une grande DE SI AM. Livre IV. 247 table dreffée de vingt-quatre couverts avec deux Buffets garnis de très-beaux Vafes d’or & d’argent du Japon , & plufieurs caffolet- tes ou le bois précieux d’ Aquila n’étoit pas épargné. L’audiance étant finie , on fe mit à table & on y fut prés de quatre heures. On y fervit .traite m°a- plus de cent cinquante bafïïns & une infinité gnifique- de ragoûts, fans parler des configures , dont ^Tptkis on fait ordinairement deux fervices. On y m. l’Am- but de cinq ou fix fortes de vins. Tout y baflad£ur- fut magnifique & délicat , le Roy voulut que les plus grands de fon Royaume fervif- fent les François ce jour-là , pour honorer davantage Monfieur l’Ambaffadeur ôc ren- dre ce regai plus agréable. Environ ce tems-là on commença à exa- miner le procédé qu’avoient tenu les deux Mandarins que le Barcalon avojt envoyez en France avec Monfieur Vachet. Les plain- tes qu’on avoit faites d’eux, étoient venues jufqu’aux oreilles du Roy , qui avoit été choqué de leur conduite. Monfieur l’Arn- baffadeur parla en leur faveur. Le plus vieux en a été quitte pour un mois de prifon & pour quelque autre punition. On nefçait pas encore quel fera le châtiment de l’autre, maisil eft certain que fans une fi puiffan- te interceifion, il luy en eût coûté la tête. 248 VOYAGE Moniteur l’Ambaffadeur n’avoit pû en- voyer d’abord les préfens qu’il avoit ap- portez au Barcalon , qui pofféde la premiè- re Charge du Royaume de Siam. Il avoit fallu différer quelque tems pour les faire vifiter ôt y réparer ce que l’air & la Mer y avoient gâté. Quand tout fut en bon état Moniteur Vache; alla les Iuy préfenter dans fa maifon, & Moniteur l’ArnDaffadeur luy rendit vifite deux jours après.- Comme il n’y a point de Carolfe à Siam, il fe mit dans une chaife fort propre qu’il avoit apportée de France , Monfteur l’Evè- que en prit une femblable à celles dont fe fervent les Supérieurs des T alapoins , Mon- fteur l’Abbé de Choili fut porté fur un Pa- lanquin , ôc Meilleurs les Gentilshommes montèrent à cheval. Le logis du Barcalon étoit éloigné de l’Hôtel de plus d’un grand quart de lieue , quoyqu’il ne faille palfer que trois rués pour y aller, mais elles font extrêmement longues, toutes pavées de bri- ques &c bordées des deux cotez de maifons alfez baffes , derrière lefquelles il y a de grands arbres qui répandent leur ombre dans les rués , & qui en font des promena- des fort agréables quand la chaleur eft paf- fée. La maifon ffu Barcalon eft grande, mais elle eft de bois comme la plufpart de celles DE SIAM. Livre IV. 2,49 celles de Siam , avec cette différence qu’el- le a trois toits l’un fur l’autre, qui font la marque de fa dignité. Elle étoit alors en- vironnée d’eau à caufe de l’inondation , & il fallut palfer fur un pont qui aboutif- foit à une terralîe. Il y avoit plufieurs Mandarins rangez en haye à l’entrée du pont. Tout le monde y deicendit, à la re- ferve de Moniteur l’Ambalfadeur , qui fut porté jufques fur la terralfe , d’où il entra' dans la falle où le Barcalon donne audian- ce. Il vint recevoir Monlieur l’Ambalfa’ deur à la porte de la falle & le conduilit jufques au bout où il le fit alfeoir dans un fauteuil vis-à-vis du lien. On en fit donner auifi à Monlieur l’Evêque ôe à Monlieur l’Abbé de Choili aux cô*ez de Monlieur l’Ambalfadeur 5 les Gentilshommes étoient derrière & debout. L’entretien dura peu, on n’y parla que de chofes indifférentes , ôc on fe retira de la même manière qu’on étoit venu . Tout ce qu’on avoit dit à Monlieur ,,AMfn^CUL l’Ambalfadeur de la Pagode du Palais & (ku™ va voir des Idoles qui y font , luy donna envie de piuscéié- les voir. Comme on necherehoit qu’à luy d’cSia^30d!’ plaire, on prit un jour commode pour luy montrer toutes ch'ofes à loifir. Le matin vers les huit heures on le mena dans le Pâ- li. 450 VOYAGE lais ou le Seigneur Confiance l’attend oit. Après avoir traverlé huit ou neuf cours on parvint enfin à la Pagode la plus riche & la plus célébré du Royaume. Elle eft cou- verte de Câlin, qui eil une efpéce de mé- tail fort blanc , entre l’étain ôc le plomb , avec trois toits l’un fur l’autre. Il y a à la porte une vache d’un côté & de l’autre un monftre extrêmement hideux. Cette Pa- gode eft aftez longue, mais fort étroite, & quand on y eft entre on ne voit que de l’or. Les piliers, les murailles, le lam- bris , & toutes les .figures font fi bien do- rées , qu’il femble que tout fort couvert de lames d’or. L’édifice eft aftez fcmblable à nosEglifes , il eft foûtenu de gros piliers. On y trouve en avançant une mankred’Au- tel fur lequel il y a trois ou quatre Figures d’or maflîf à peu prés de la hauteur d’un homme , dont les unes font debout & les autres aftifes,les jambes croifé.es à la Sia- moife. Au delà eft un efpéce de choeur où fe garde la plus riche & la plus précieufe Pagode ou Idole du Royaume , car on don- ne ce nom indifféremment au Temple & à l’Idole qui eft dedans. Cette ftatuë eft dtr bout & touche de fa tête jufq ues à la cou - verture. Ellea environ quarante -cinq pieds de hauteur fept ou huit de largeur. Ce DE SIAM. Livre IV. 2-5ï qu’il y a de plus furprenant , c’eft qu’elle eft toute d’or. De la taille dont elle eft , il faut qu’il entre dans fa malfe plus de cent pics de ce métail, & qu’elle vaille au moins Un Pic pefe douze millions cinqcens mille livres. On cfnt ,vinSt- dit que ce prodigieux Colofle a été fondu cmqlwïS- dans le lieu même ou il eft placé , & qu’en- fuite on a conftruit le Temple dans lequel il eft. On ne comprend pas, où ces peuples d’ailleurs allez pauvres ont pû trouver tant d’or j maison ne peut s’empêcher d’ê- tre vivement touché de voir une feule Idole plus riche que ne font tous les Taber- nacles des Eglifes d’Europe. A fes cotez il y en a plufieurs autres moins grandes qui font aufli d’or & enrichies de pierreries. Ce Temple n’eft pourtant pas le mieux bâti de Siam. Il eft vray qu’il n’y en a point qui ait des Figures de li grand prix , mais on en voit plufieurs qui ont plus de proportion êt de beauté , un entre autres dont il faut faire icy la defeription. A cent pas du Palais du Roy vers le Mi- , dy eft un grand parc fermé de murailles , aü d'undTspî’u* milieu duquel s’élève un vafte &c haut Edi- beaux Tcm- ficebâtien forme de croix à la maniéré de Plcs Seigneur Confiance nous conduifit fur les J-ok. ran" quatre heures du foir au Palais, & nous fit paffer par trois cours, ou nousvîmes plufieurs Mandarins profternez des deux cotez. En entrant dans la cour la plus intérieure nous trouvâmes un grand tapis où ce Miniftre nous fit affeoir. Nous n’avions point d’ha- bit de cérémonie , on ne nous obligea pas DE SIAM. Livre IV. 277 même de nous déchauifer , ce qui futu- ne grande marque de diftinétion. Si -tôt que nous fûm£s aiîis , le Roy qui alloit lortir pour voir un combat d’Eléphans , dont il vouloit donner le plaifir à Mon- fieur l’Ambaifadeur, monta fur le lien fu- perbement enharnaché , qui l’attendoit à la porte de fon appartement , & nous ayant apperçû à dix ou douze pas de luy , il s’a- vança vers nous. Nô-re Perc Supérieur a- voit préparé un compliment pour le remer- ,cier de l’honneur qu’il nous faifoit de nous admettre en fa préfence , comme l’on en étoit convenu avec le Seigneur Confiance. Mais ce Miniftre voyant le Roy preffé de fortir parla pour nous. Le Roy nous regar- dant attentivement les uns après les autres avec un vifage riant & un air plein de bon- té, nous dit qu’ayant feeu que le Rov de France nous envoyoit tous ux à la C^ine pour un grand deiîein , il avoit defiré nous voir pour nous dire de bouche , que fi nous avions befoin de quelque chofe dans fon Royaume , ou pour le iervice du Roy nôtre Maître , ou pour nous en particulier, nous n’avions qu’à nous adrefler à fon Mi- niftre à qui il avoit donné ordre de nous fournir tout ce qui nous feroit neceffaire. Nous n’eûmes le tems de répondre à cette Mm iij VOYAGE faveur que par des reirercimens refpec* tueux & de profondes inclinations. Nou* luy fîmes feulement entendfc que nous fe- rions fçavoir au Roy nôtre Maître les o- bligations que nous luy avions. Le Roy continua fon chemin , & étant Î>affé de cette cour dans une autre., au mi- ieu d’une haye de Mandarins profteinez devant luy le front contre terre dans un grand filence, il trouva à la première porte du Palais les Chefs desCompagnies desMar- chands d’Europe , déchauücz , à genoux ôc appuyez fur leurs coudes, à qui il donna une courte audiance. Comme le Seigneur Con.- ftancenous a.voit averti qu’il feroit bon;dc faire écrire le compliment qu’on devoit fai- re au Roy , &le préfenter enfuit© à fa Ma- jefté, le Pere Fontenay qui av-oit prévû que cette précaution ne feroit pas inutile , parce qu’il n'auroit peut-être pas le tems de le di- re , le préfenta au Roy, qui ordonna au Sei- gneur Confiance de le prendre. Il étoit en Siamois ôcen François. En voicy. les .termes: Sir E, Harangue Nous avons quitté le plus grand Roy, qtre préfemée tCS France ait jamais euë5mais nôtre bonheur au Roy. en arrivant icy eft de retrouver en Vôtre DE SIAM. Livre IV. 179 Majefté lesqualitez dcce grand Prince. Cet- te grandeur d’ame-qui vous porte à fecourir fi généreufement vos Alliez, le courage avec lequel vous réprimez vos ennemis, les avan- tages que vous venez de remporter fur eux, cette loûmiffion extraordinaire de vos fu- jets; cette magnificence avec laquelle vous vous montrez à eux 3 cesÂmbaflades célé- brés que vous recevez des parties du Monde les plus éloignées} cette proteétion que vous donnez aux Etrangers , cette affeCtion par- ticulière que vous témoignez aux Minif très de l’Evangile 5 cette bienveillance que vous avez la bonté de nous marquer auflî 5 toutes ces chofes,SlRE, font des marquesque vous êtes un Roy magnanime, victorieux, politique , équitable , & comme vos fujets & la renommée le publient , le plus grand de tous les Rois qui ayent jamais -porté la Couronne de Siam. Les fciences dont nous faifons profeflïon , Sire , font eftimées par toute l’Europe. Nôtre Roy les aime jufques à leur élever des Obfervatoires fuperbes, dans fa Ville Capi- tale , & à donner fon Augufte nom au Col- lege de nôtre Compagnie dans lequel on les enfeigne. Nous les avons cultivées de- puis nôtre jeunelfe, & particulièrement l’Aftronomie qui eft plus conforme ànos in- 28o VOYAGE clinations, parce qu’elle porte nos efprits à- penfer fou vent au Ciel, le féjour des Bien- heureux,&nôtre véritable patrie.Sa Majefté tres-Chrêtiennefçachant que nôtre profef- ffion eft de nous lervir des fciences humai- nes , afin de porter les hommes à la connoif- fance ôc à l’amour du vray Dieu , & perfua- dée que nous avions fait une étude particu- lière des Mathématiques , nous a choifis pour alLr à la Chine en qualité de Mathé- maticiens. Ainfi nous fommeschargez de tra- vailler de concert avec ceux qui demeurent à Paris auprès de fa Perfonne, à la perfeétion des Arts 6c des Sciences. Pour nous facili- ter un fi grand deftein , nôtre grand Monar- que nous a donné des Lettres Patentes qui nous recommandent à tous les Princes de la terre, en confidération defquelles Vôtre Majefté nous comble aujourd’huy d’honneur , nous admettant en fa préfen- ce. II nous eft impoftîble, SlRE, de recon- noître nous-mêmes une telle faveur. Mais ne le pouvant pas de la maniéré que nous devons , Vôtre Majefté nous permettra de le faire de la maniéré que nous pouvons. Nous fommes ferviteurs du vray Dieu, & fujcts d’un grand Monarque. Comme fujets d’un fi grand Roy, nous l’informe- rons DE SIAM. Livre IV. 281 rons des grâces que Vôrre Majefté nous fait, & comme ferviteurs du vray Dieu, nous le prierons inftamment de comoler vôtre régné de toutes fortes deprofpéritez, & d’éclairer Vôtre Majefté de les divines lumières, afin qu’elle pofféde le Ciel apres avoir régné fi glorieufement fur la terre. Quelques jours après Moniteur Confian- ce entretint le Roy fur un projet qu’il mé- ditoit depuis long-tems , de faire venir â Siam douze Jéfuites Mathématiciens qu’il avoit déjà demandez à nôtre Révérend Pere Général , & fur le deffein de bâtir un Ob^ fervatoire à l’imitation de ceux de Paris Ôe de Pékin. Il fit comprendre à Sa Majefté la' gloire Ôc l’utilité qui luy en reviendroient , éc l’avantage qu’en retireroient fes fujets, à qui on apprendroit les plus beaux Arts ôe les plus belles Sciences de l’Europe. Sa Ma- jefté approuva fort es projet , ôc nous fit dire par le Seigneur Confiance qu’il vou- loit faire bâtir un Obfervatoire dans fori Royaume & le donner aux Pères de la Com- pagnie de Jéfus , qu’il eftimoit beaucoup , quil vouloir protéger & favorifer en tout ce qui dépendroit de luy. Surquoy le Seigneur Confiance jugea qu’il étoit à pro- pos que quelqu'un de nous retournai! en France pour preffer cette affaire , qu i luy pa - Nn 282 VOYAGE roiffoit d’une extrême conféquence pour la Religion. Il le témoigna au Pere Supérieur un jour que nous étions tous trois enfem- ble. Nous y confentîmes avec joye ; & la commiffion étant tombée fur moy , dés le même jour j’eus ordre de me préparer au retour. Je fentis alors une extrême dou- leur de me voir encore pour long - tems éloigné de la Chine , après laquelle je foû- pirois depuis tant d’années 3 mais il fallut obéir. Le Seigneur Confiance, qui n’efl pas moins attentif aux occafions d’avancer la gloire de Dieu , qu’à celles de procurer les avantages du Roy fon Maître , nous communiqua une autre vûë qu’il croyoit pouvoir beaucoup contribuer a la converfion des Siamois. Il f>rétend que quand on aura une fois gagné eur eflime ôc leur affeélion par le zele , par la douceur & par lafcience,il ne fera pas dif- ficile de les mettre dans la difpofition d’é- coûterj qu’il connoît parfaitement le génie de cette nation 5 qu’il fçait mieux que per- fonne à quoy il tient que le Chriftianifme n’ait fait jufques-icy de plus grand progrez à Siam depuis tant de tems qu’on y travaille} qu’outre l’Obfervatoire il faloit encore une autre Maifonde Jéfuites,ou l’on menât, au- tant qu’il fe pourroit,la vie auflere ôc retirée DE SIAM. Livre IV. 283 des Talapoins , fi autorifez parmi le peuple , qu’on prît leur habit , qu’on les vît louvent & qu’on tachât d’en attirer quelqu’un à la Religion Chrétienne ; qu’on l'çavoit enfin combien cette conduite avoit réüffi aux Jéfuites Portugais qui font à Madurc vers Bengale. En effet nous avons appris de divers en- droits, ôe encore depuis peu à Siam par un M ilfionaire François qui avoit été à S.Tho- mé depuis deux mois, que ces Peresavoient demeuré plufieurs années parmi ces peuples & s’étoient appliquez avec beaucoup de loin & de travaux à leur converfion , fans aucun fruit confidérable. Un d’eux qu’on a étably le Supérieur de cette Million après avoir long-temsimploré le fecours du Ciel, & fai- fant réfléxion à l’attachement de cette nation pour les Bracmanes ou Bramines , qui font leurs Prêtres & leurs Religieux, jugea que s’il prenoit l’habit des Bramines & qu’il vécût à leur manière , il pourroit s’attirer la con- fiance de ces peuples , & les gagner à J E- S v s-C H R I S T. Il communiqua ce def- fein à fes Supérieurs, qui le propoférent à la Congrégation de Propagande fide. On l’examina à Rome , & fur ce qu’on expofa aux Cardinaux que les habits dont les Bra- mines étoient vêtus n’étoient pas une mar^ Nn ij 284 V O .Y A G JE que de Religion mais d’une nobleffe ôc d’une qualité difhnguée, ils permirent à ce Pere ôc à quelques autres Jéfuites qui appuyoient fon fentiment d’éprouver ce dernier moyen pour la converfion de ces peuples. Ainfi ayant pris la marque des Bramines, ils commencèrent à vivre comme eux , ôc depuis ce tems-là on vit ces hommes Apof- tofiques , les pieds ôc la tête nue marcher fur le fable brûlant , expofez fans celle aux ardeurs du Soleil- qui y font extraordinai- res, parce que les Bramines ne portent point de chauffure , ôc ne fe couvrent jamais la tête 5 ne vivre que d’herbes, ôc palier les trois & quatre jours fans manger, lous un arbre, ou au milieu d’un chemin public, en atten- dant que quelque Indien touché d’une auf- terité li furprenante les vint écouter. Dieu a donné tant de bénédiction à leur zeleôc à leur mortification , qu’ils ont converti plus de foixante nulle Indiens, ôc la foule des peuples qui accourent avec une ferveur incroyable pour fe faire inftruire , eft fi grande, qu’ils content pour rien toutes les fatigues qu’ils endurent. Ce même Ecclcfiafticjue ajouta qu’il a- voit vû un de ces Peres a qui les fables brû- lans de Maduré avoient fendu tous les pieds, ôc étans entrez enfuite dans fesplayes, DE SIAM. Livre IV. 2g ; luy caufoient d’extrêmes douleurs & d’hor- ribles enflures. Sur ce qu’il nous dit de ces Millions, nous conçûmes un defir ardent d’en voir une Relation plus ample , perfua- dez que nous y trouverions de rares exem- ples de zele 6c de grands lu jets d’édifica- tion. i . vw . . . - tfn iij VOYAGE D E S I A M LIVRE CINQJJI E'M E R£TOVR DV VORACE de Siam. Prés qu’on eut réfolu que je re- tournerais en France , Mon- teur Confiance redoubla les témoignages d’amitié dont il m’avoit honoré jufqu’alors, me difant qu’il foûhaitoit que nouseuflîons DE SIAM. Livre V. 237 fouvent enfemble des entretiens particu- liers. Le lendemain je l’allay voir , félon l’ordre qu’il m’en avoit donné avant nôtre féparation. Je le trouvay occupé à préparer des prefens pour les perfonnes qui avoient le plus de part à la faveur que le Roy nous avoit fait, de nous envoyer à la Chine 5 & nous faifant approcher pour les voir, voila bien peu de choie, nous dit-il , pour d’auffi grands Seigneurs. Mais vous leurs direz , mon Pere , que je n’en ay été averti que fort tard, & après avoir donné tout ce que j’a- vois de plus beau & de plus curieux. Car fans les prefens qu’il envoyoit en France , & ceux qu’il avoit donné aux François qui étoient à Siam , il en avoit encore envoyé de confidérables en Portugal , par les trois Ambafiadeurs que le Roy de Siam avoit fait partir pour Lilbone , quelque tems avant que nous arrivaflions. Audi, ajoûta-t-il , ce n’eft pas un préfent que je leur veüille faire comme de moy , mais en qualité d’un de vos freres , pour les remercier de la bonté qu’ils ont pour vous & delà protection dont ils vous honorent. Nous ne pûmes répon- dre à des fentimens fi obligeans que par de trcs-humbles aétions de grâces ; mais il ne nous écoûta pas là-deffus , il nous interrom- pit en nous conjurant de ne luy plus parler m VOYAGE de la forte , qu’étant nôtre frere , il étoit per* fuadé qu’il nefaifoit que fon devoir. Le même jour que nous eûmes audiance, le Roy devoit régaler Monfieur l’Ambaf- fadeur d’un combat d’Eléphans , & Sa Ma- jefté avoit ordonné qu’on, nous en prépa^ rât fix pour le fuivre au champ de bataille qui étoit hors la Ville. Le Seigneur Con- fiance nous donna un Mandarin pour nous conduire, & nous trouvâmes à la fortie du Palais fix Elephans avec leurs chaifes dorées & leurs cou fïins fort propres; chacun s'ap- procha du lien-, & monta deffus en cette maniéré. Le Pafteur ( c’eft ainfi qu’on ap- pelle l’homme qui eft. fur le col ae l’Elé- phant pour le gouverner ) fit mettre l’Elé- phant à genoux , lequel fe couch a enfuite à demy fur le côté,, de telle forte que l’on pouvoir pofer le pied fur une des jambes de devantqu’il avançoit,r& puis fur fon ven- tre : après quoy l’animal fe redreffant un peu , donnoit le temps de s’afTeoir commo- dément dans la chaife qu’il porte fur le dos on peut auffi fe fervir d’échelles , ainfi que font quelques uns , pour fe mettre à la hau- teur de l’Eléphant. C’efl pour la^ commo- dité des Etrangers qui ne font pas accoutu- mez aux Eléphans , qu’on met des chaifes iùr. le. dos de ces animaux. Les Naturels du. DE SIAM. Livre V. 289 du Pais de quelque qualité qu’ils foient , excepté le Roy , montent fur le cou & le eonduifent eux-mêmes , à moins qu’ils n'ail- lent à la guerre. Car alors outre deux Pa- fteurs , dont l’un eft fur le cou & l’autre fur la croupe , le Mandarin armé d’une lance ou d’une efpéce de javelot , eft fur le dos de l’Eléphant , ainfi que je l’ay vu moy- mème dans une chafté d’Eléphans , où les Mandarins vont armez comme à une ba- taille. J’y remarqjuay auflî que le Roy qui étoit dans une efpece de Trône , fe leva lur fes pieds lorfque les Eléphans fauvages voulurent forcer le paflage de fon côté , & fe mit fur le cou du lien pour les arrê- ter. Nous fuivîmes donc le Roy dans une grande campagne à cent pas de la Ville. Le Roy monté fur un Eléphant avoit Moniteur l’Ambaftadeur à fa droite à quinze ou vingt pas de luy , le Seigneur Confiance à fa gau- che , & tout autour une grande multitude de Mandarins profternez par refpeét aux pieds de fon Eléphant. On entendit d’a- bord certaines trompettes dont le fon eft fort dur & fans inftéxiom Alors les deux Eléphans deftinez pour combattre jetterent des cris horribles. Ils étoient attachez par les pieds de derrière avec de grolfes cordes 29© VOYAGE que plu tieurs hommes tenoient , afin de les retirer en cas que lechoc lût trop rude. On les laiffoit approcher de telle maniéré que leurs défenfes te croifoient tans qu’ils puf- fent te bletTer. On dit qu’ils te choquent quelquefois fi rudement qu’ils te brifent les dents 5c en font voler les éclats de tous cotez. Ceux-cy ne fe battirent pas avec tant de violence , ils ne fie choquèrent que quatre ou cinq fois , après quoy on les fépara , 5c le combat fut fi court , qu’on crût que le Roy ne l’avoit ordonné que pour avoir occafion de faire d’une maniéré plus agréa- ble un prêtent à Monfieur de Vaudricourt qui avoit amené les deux Mandarins Sia- mois, 5c qui devoit conduire fes Ambatfa- deurs en France. Car à la fin de ce fpe- éfacle Sa Majefté s’approcha de luy, 5c Iuy donna de fa main un fabre dont la poignée étoit d’or matfif , ôc le fourreau d’écailles - tortue orné de cinq lames d’or, avec une grande chaîne de filigrane d’or pour luy lervir de baudrier , & une ve- fte de brocard à boutons d’or : il luy dit qu’il luymettoit ce cimeterre en main pour conduire fes Ambatfadeurs en feureté, Ôc pour fervir le Roy fon Maître contre fes ennemis. Cette forte de fabre ne fe donne par le Roy de Siam qu’à fes Généraux d’ar- DE SI AM. Livre V. 291 ruées lors qu’ils partent pour aller à la guer re. Il fit àMonfieurde Joyeux Capitaine de la Frégate un préfent femblable , mais il étoit moins magnifique. Quelques jours après le Seigneur Confian- ce en envoya de magnifiques à Monfieur l’Ambafladeur, à Monfieur l’Abbé de Choi- fi, à Monfieur de V audricourt , à Monfieur de Joyeux , ôc à chacun des Gentilshommes de la fuite de FAmbaffade. C’ètoient des vafes d’argent de la façon du Japon 5 des ouvrages d’Agathe , des Porcelaines fines en grand nombre ôc de toutes grandeurs , des robes de chambre de la Chine, des pierres de Bézoar éprouvées , de la racine de Gin- feng qui vaut huit fois fon pefant d’argent , du bois odoriférant d’Aquila fi eftimé dans les Indes, du Thé excellent Ôc en quantité. Ces préfeps parurent d’un fi grand prix que plufieurs crurent quelque temps qu’ils ve- noient de la part du Roy. La plufpart des jours qu’on demeura à Louvo fe pafférent en fpeétacles. Le com- bat dont nous venons de parler fut fuivy d’un autre d’Eléphans contre un Tigre : nous fûmes obligez de nous y trouver com- me les autres, montez fur des Elephans. Nous ne nous fommes point fervis d’autre monture, pour ne pasfçandalifer les Tala- Oo ij 292 VOYAGE poins , qui difent qu’il leur eft défendu de monter à cheval. A un quart de lieue de la Ville on avoit élevé une haute paliffade de bambous d’en- viron cent pas en quarré. Au milieu de l’en- ceinte étoient entrez trois Eléphansdeftinez pour combattre le tigre. Us avoient une es- pèce de grand plaftron , en forme de maf- que,qui leurcouvroit la tefte&: une partie de la trompe. Dés que nous lûmes arrivez dur le lieu , on fit fortir de la loge , qui étoit dans un enfoncement , un tigre d’une figuré & d’une couleur qui parurent nouvelles aux François, qui aflîftoient à ce combat. Car outre qu’il était bien plus grand , plus gros, ôc d’une taille moins émée que ceux .que nous avions vus en France. Sa peau n’é- toit pas mouchetée de même, mais au lieu de toutes ces taches , femées fans ordre , il avoit de longues & larges bandes en forme de cer- cles. Ces bandes prenant fur le dos fe réjoi- gnoient par defious le ventre; & continuant te long de la q ueuc y fail oient comme des an- neaux blancsév noirs placez alternativement dont elle étoit toute couverte. La telle n’a- voit rien d’extraordinaire , non plus que les jambes , hors qu’elles étoient plus grandes & plus groffes que celles des Tigres com- muns , quoy que celu-y cy ne fût qu’un jeu- DE SIAM. Livre V. 29î aie Tigre qui avoit encore beaucoup à croî- tre : Car Monfieur Confiance nous a dit, qu’il y en avoit dans le Royaume de plus gros trois fois que celuy-là , & qu’un jour étant àlachafTe avec le Roy , il en vit un de fort prés qui étoit grand comme un mulet. Il y en a auilî de petits dans le pays , fem- blables à ceux qu’on apporte d’Affrique en Europe , &c on nous en montra un le même jour à Louvo. On ne lâcha pas d’abord le Tigre qui de- voit combattre , mais on le tint attaché par deux cordes, de forte que n’ayant pas la liberté de s’élancer , le premier Eléphant qui l’approcha luy donna deux ou trois coups de fa trompe fur le dos. Ce choc fut fi rude, que le T igre en fut renverfé, &c demeu- ra quelque-temps étendu fur la place, fans mouvement , comme s’il eût été mort. Ce- pendant dés qu’on l’eut délié, quoyque cette première attaque eût bien rabattu de fa furie, il fit un cry horrible, & voulut fe jetterfur la trompe de l'Eléphant , qui s’avançoit pour le frapper , mais celuy-cy la repliant adroitement , la mit à couvert par fes défen- fes , qu’il préfenta en mème-tems , & dont il atteignit le Tigre fi à propos, qu’il luy fit fai- re un fort grand faut en l’air. Cet animal en fut û érourdy qu’il n’ofa plus approcher , il O o iij 294 VOYAGE fit plufieurs tours le long de la palifîade , s’é* lançant quelquefois vers les perfonnes qui paroiffoient fur les galeries. On pouffa en- fuite trois Eléphans contre luy , qui luy donnèrent tour à tour de fi rudes coups, qu’il fit encore une fois le mort , & ne penfa plus depuis qu’à éviter leur rencontre; ils l’euffent tué fans doute fi Moniteur l’Am- baffadeur n’eût demandé la grâce à Mon- iteur Confiance, qui fit finir le combat. Le lendemain nous allâmes fur le foir au Palais avec Moniteur FAmbafladeur. Nous y vîmes une illumination qui s’y fait tous les ans au commencement de l’année. Elle conliftoit en dix -huit cens ou deux mille lumières, dont les unes étoient ran- gées fur de petites fenêtres pratiquées exprès dans les murailles de l’enceinte du Palais, ôc les autres en des lanternes dans un ordre affez beau & afîez particulier. Nous admi- râmes lur tout certains grands falots de la Chine en forme de globes , qui font d’un feul morceau de corne tranfparante com- me le verre , & quelques autres d’une efpe- ce de verre de la Chine fait de ris- Ces illuminations étoient accompagnées du fon des tambours , des fifres & des trompettes. Durant tout le temps que le Roy afiîfta à ce fpeétacle , la Princeffe en donnoit un DE SI AM. Livre V. m femblable aux Dames de la Cour dans un autre côté du Palais. Après que le Roy fut retiré , nous eû- mes le loilir de confidérer de prés tou- tes chofes. Le Seigneur Confiance nous fit voir l’Eléphant Prince , qui eft d’u- ne hauteur & d’une beauté extraordi naire5 on nous dit qu’on l’appeîloit de ce nom , parce qu’il eft né le même jour que le Roy qui régné à prefern. Il nous fit en- core remarquer âuprés de l’Appartement du Roy un pavillon où l’on tient l’Eléphant de garde, c’eft un de ceux qui font dans le Palais , lefquels fe relevent tour à tour , ôc qu’on tient toujours prefts en cas que le Roy en ait befôin de jour & de nuit. Com- me nous avons fouvent parlé des Eléphans du Roy,&qu’ils font enharnachez différem- ment lelon les perfonnes qui les montent , on a crû qu’on feroit bien aife de les voir repréfenrez chacun à fa maniéré dans les fi- gures fuivantes. Ces illuminations durèrent plufieurs jours : tant que nous fûmes dans le Palais à les regarder, une multitude de Mandarins du prémier ôt du fécond ordre étoient profternezen terre, dans deux Salles différentes devant le Roy , qui paroiffoit a- lors , & ils luy faifoient la zombaye , qui eft la marque d’adoration la plus refpeétueufe. 295 VOYAGE i Les Mores firent auffi prefque en même temps de grandes illuminations huit jours de fuite pour celebrer le jour des funérail- les de leur Prophète Mahomet & de fon fils. Us commencèrent à en folemnifer la fefte désla veille , fur les quatre heures du foir, par une efpece de proceiîion , où il y avoit plus de deux mille perfonnes. On y portoit la figure des tombeaux de ces deux impof- teurs avec quantité de Symboles d’une af- fcz belle repréfentation , entre autres , cer- taines grandes cages couvertes de toiles peintes, dont les porreurs marchoient & tournoient fans cefte en cadence , au bruit des tambours ôcdestimballes. Le mouve- ment prompt ôc réglé de ces grolfes ma- chines qu’on voyoit de loin , fans apper- cevoir ceux qui les portaient , caufoit une agréable furprife. A la tefte de cette foule de peuple, desEfta- fiers menoient par la bride trois ou quatre chevaux fuperbement enharnachez , & un grand nombre de gens portant chacun plufieurs lanternes au bout d’un long bâ- ton conduifoient toute la troupe & chan- toient à divers choeurs d’une maniéré bizar- re. Us continuèrent cette Fefte plufieurs nuits de fuite avec la même ferveur jufques à cinq heures du matin. On ne peut com- prendre DE SIAM. Livre Y.- 257 prendre comment ces porteurs de machines qui tournoient fans celle, pou voient faire cet exercice quinze ou feize heures entières, ny comment les chantres, qui poufloient leur voix de toutes leurs forces pouvoient chan- ter fi long-tems. Le rcfte de cette marche avoit une contenance modefte , les uns mar- choient devant les chantres qui environ- noient les cercueils que huit hommes por- roientfur leurs épaules , Se les autres étoient mêlez parmy eux. Il y avoit un -grand nombre de Siamois de tout fexe Se de tout âge qui ont embrafïé le Mahométifme.Car depuis que les Maures fe font introduits dans le Royaume, ils ont attiré à leur Re- ligion beaucoup de peuple $ ce qui fait voir qu’il n’eft pas fi attaché à fes fuperftitions qu’il ne les quitte, quand on aura eu long- tems lapatienceôtiezelede l’inftruire de nos Myfteres. 11 eft vray que cette nation aime extrêmement les fpeétacles , les cérémonies d’éclat , Se c’eft par là que les Maures qui célèbrent toutes leurs fefles avec beaucoup de magnificence , en ont attiré une grande, multitude à la feétede Mahomet. Ces fpeétacles nous donnoient une vé- ritable compafîion du malheur de ces pau- vres infidélles , Se nous nous entretenions fouventdu fruit que pourroient faire parmy. PP Mairies foir une fê- te pour célé- brer ta mé- moire de 1 cur Pro- phète. VOYAGE Manière de prendre & d’apprivoi- fer les Elé- phans. L eux tant de perfonnes habiles qui font en Europe , ôe particuliérement enFrance, s’ils avoient autant de zeleque defçavoir. Le Roy qui cherchoit à donner tous, les jours de nouveaux divertiftemens à Mon- iteur l’AmbaiTadeur , voulut luy faire voir la manière de prendre & d’apprivoil’er les Eléphans. Comme c’eft une chofe incon- nue en Europe, & dont nous avons été té- moins , on fera bien aife d'en trouver icy une ample & exaéte description. A un quart de lieue de Louvo il y a un ef- péce d’amphiteâtre, dont la figure eft d’un grand quarré long, entouré de hautes mu- railles terraflfées , fur lefquelles fe placent les fpeétateurs. Le long de ces murailles en de- dans régné une paliüade de gros piliers fichez en terre à d'mx pieds l’un de l’autre, derrière lefquels les chafTeurs fe retirent lorfqu’ils font pourfuivis par les Eléphans irritez. On a pratiqué une fort grande ouverture vers la campagne, & vis à vis , du côté de la Ville , on en a fait une plus petite, qui conduit dans une allée étroite par où un Eléphant peut pafter a peine , ôc cette allée aboutit à une maniéré de grande remife , où l’on achevé de le dompter. Lorfque le jour deftiné à cette chaffe eft venu , les chafteurs entrent dans les bois , DE SIAM. Livre V. 299 montez fur des Eléphans femelles qu’on a dreflees à cet exercice , &c fe couvrent de feüilles d’arbre afin de n’être pas vus par les Eléphans fauvages. Quand ils font avan- cez dans la foreft , & qu’ils jugent qu’il peut y avoir quelque Eléphant aux envi- rons , ils font jetter aux femelles certains cris propres à attirer les malles , qui y ré- pondent auffi tôt par des hurlemens ef- froyables. Alors les chalfeurs les fentantà une jufte diftance , retournent fur leurs pas, & mènent doucement les femelles du côté de l’amphiteâtre dont nous venons de par- ler; les Eléphans fauvages ne manquent ja- mais de les fuivre; celuy que nous vîmes dompter y entra avec elles, & dés qu’il y fut on ferma la barrière; les femelles con- tinuèrent leur chemin au travers de l’Am- phiteâtre, & enfilèrent queue à queue la petite allée qui étoit à l’autre bout: l’Ele- phantfauvage cjui les avoit fuivies jufques- 3à s’étant arrêté à l’entrée du défilé, on fe lervit de toutes fortes de moyens pour l’y engager , on fit crier les femelles qui étoient au delà de l’allée , quelques Sia- mois l’irritant en frappant des mains , & criant pluficurs fois , Pat , pat ; d’autres avec de longues perches armées de pointes le harceloient , & quand ils en étoient pour- 300 VOYAGE fui vis, ils fe gliffoient entrelespihers,&s’al- loient cacher derrière la palifTade que l’Elé- phant ne pouvqit franchir: enfin après avoir pourfuivy plufieurs Chaffeurs il s’attacha à un feul avec une extrême fureur. L’homme le jetta dans l’allée, l’Eléphant courut après luy , mais dés qu’il y fut entré il fe trouva pris , car celuy-cy s’étant fauvé , on laifla tomber à propos deux coulifïes l’une devant & l’autre derrière l’Eléphant, de forte que ne pouvant , ny avancer , ny reculer, ny fe tourner, il fit des efforts lurprenans & pouf- fa des cris terribles. On tâcha de l’adoucir en luy jettant des fceaux d’eau fur le corps , en le frottant avec des feuilles, en luy ver- fant de l’huile fur les oreilles , & on fit ve- nir auprès de luy des Eléphans privez mâ- les & femelles qui le carefloient avec leurs trompes. Cependant on luy attachoit des cordes par deffous le ventre & aux pieds de derrière, afin de le tirer de-là, & on conti- nuoit à luy jetrer de l’eau fur la trompe&fur le corps pour le rafraîchir. Enfin on fit ap- procher un Eléphant privé de ceux qui ont coutume d inftruire les nouveaux venus. Un Officier étoit monté deffus qui le faifoit avancer ôc reculer , pour montrer à l’Ele- phant fauvage qu’il n’avoit rien à craindre &qu il pouvoit fortir.En effet on luy ouvrit DE SIAM. Livre V. 301 la porte 8c il fuivit l’autre jufqu’au bout de l’allée. Dés qu'il y fut , on mit à fes cotez deux Eléphans que l’on attacha avec luy. Un autre marchoit devant 8c le tiroit a- vec une corde dans le chemin qu’on luy vouloit faire prendre , pendant qu’un quatrième le laiioit avancer à grands coups de telle qu’il luy donnoit par derriè- re , jufques à une efpece de remife où on l’attacha à un gros pillier fait exprès qui tourne comme un cabeft an de navire. On le laiffa là jufques au lendemain pour luy fai- re palfer fa colere $ mais tandis qu’il fe tour- mentoit autour de cette colonne, un Bra- mine , ( c’eft à dire un de ces Prêtres Indiens qui font à Siam en alfez grand nombre,) habillé de blanc s’approcha monté fur un Eléphant , 8c tournant doucement autour de celuy qui étoit attaché , l’agjpia d’une certaine eau confacrée à leur marne , qu’il portoit dans un vafe d’or. On croit que cette cérémonie fait perdre à l’Eléphant fau- vage fa férocité naturelle , 8c le rend pro- pre à fervir le Roy. Dés le lendemain il commence à aller avec les autres, 8c au bout de cjuinze jours il eft entièrement appri- voife. Parmy tous ces divertiffemens Monfieur l’Ambalfadeur n’étoit occupé que du fujet Ppiij I Harangue de M. Con- fiance au Roy deSiam 302 V O Y A G E de fon AmbafTade qui étoit la converfion du Roy 3 mais voyant qu’on ne luy répon- doit rien defolide nyde leur, il réfolutde drefferun petit mémoire qu’il vouloir faire prél'enter au Roy de Siam par le Seigneur Confiance. Il en parla à ce Mini lire, qui dans un long entretien qu’ils eurent enfem- ble , luy apporta plüfieurs raifons pour le dilfuaderde preffer le Roy fur cet article 3 mais M. l’AmbafTadeur perfifla toujours a- vec beaucoup de fageffe dans fon fen riment, &pria leSeigneurConftance depréfénter cet écrit à fa Majeflé, par lequel il la fupplioit de luy donner une réponfe pofirive qui puft eftre agréable au Roy fon Maître. Le Sei- gneur Confiance ayant reçu le memoiredes mains de Mpnfieur l’Ambafïadeur , alla au Palais dés le foir , ôc s’étant jetté aux pieds du Roy A fit un difcours , plein de cette eloqt ten^^liatique fi eftimée dans l’ancien- ne Grece. Voicy les propres termes dont il fe fervit que l’on n’a fait que traduire. SIR.E , l’Ambafïadeur de France m’a mis entre les mains un mémoire qui contient certaines proportions dont il doit rendre compte au Roy fon Maître 3 mais avant que de le lire à Vôtre Majeflé, elle me per- mettra , s’il luy plaifl,de luy repréfenter le principal motif qui a engagé le Roy très- DE SIAM Livre V. 303 Chrétien à luy envoyer une fi folemnellc Ambaffade. Ce Prince fi fage , vôtre bon amy , Sire, connoiftant la grandeur d’ame èc la générofité du cœur Royal de Vôtre Majefté par les Ambaftadeurs , & les magni- fiques préfens qu’elle luy avoit deftinez , fans autre intereft que celuy de rechercher l’amitié Royale d’un Prince fi glorieux & fi renommé dans tout l’Univers; & voyant enfuite que les Miniftres de Vôtre Majefté avoient envoyé aux Miniftres de fon Royau- me deux Mandarins avec des préfens consi- dérables pour les féliciter de la naifiancedu petit fils de leur grand Roy, digne d’une perpétuelle poftérité , qui repréfente éter- nellement à la France l’image de fes admira- bles vertus & qui aftiire le bonheur de fes peuples. Ce grand Monarque , Sire , furpris d’un procédé fi defintereftéréfolut derépon- dreà ces emprefîemens obligeans, &c pour le faire il imagina un moyen qui fût di- gne de luy & convenable à Vôtre Ma- jefté. Car de vous prefenter des richeftes ? c’eft dans vôtre Royaume, Sire, où les Etrangers les viennent chercher. De vous offrir Tes forces? il fçavoitbien que Vôtre Majefté cft redoutée de tous fes voifins & en état de les punir s’ils ne vouloient pas s’en tenir à la paix qu’ils ont obtenue à for- 30 4 V O Y A G E ce cle prières. Eût-il voulu donner des ter- res & des Provinces au Souverain de tant de Rois & au Maître d’un fi grand nom- bre de Royaumes, qui font prés de la qua- trième partie de l’Alie Ml ne pouvoit pas non plus luy venir en penfée d’envoyer icv de Tes fujets dans la feule vûë du commer- ce , parce que ce feroit un intereft commun à fes peuples & aux fujets de Vôtre Maie- fté. Ainli il eût eu de la peine à prendre fon party, s’il n’eût faitrefléxion qu’il pou- voir offrir à Vôtre Majefté quelque cnofe d’infinimentplusconfidérable & qui conve- noit parfaitement à la dignité de deux û grands Rois-. Ayant conudéré ce qui l’a- voit élevé dans le haut point de gloire oû il fe trouve, ce qui luy a voit lait prendre tant de Villes , fubjuguer tant de Provinces & remporter tant de victoires-, ce qui avoit fait jufqu’à prefent le bonheur de fes peu- ples , & ce qui luy attiroit des extrémitez de la terre tant d’Âmbaffadeurs de Rois ôc de Princes qui recherchent fon amitié , ce qui enfin avoit obligé Vôtre Majefté à pré- venir ce Prince incomparable par une fi cé- lébré Ambaffade qu’elle luy avoit envoyée^, après avoir , dis je , attentivement confédé- ré toutes ces grandes chofes, ce Roy fi fage & fi éclairé a vû que le Dieu qu’il adore en étoit DE SIAM. Livre V. 305 étoit uniquement l’aureur,que fa divinePro- vidence les luy avoit ménagées , & qu’il les devoit à rintercelîîon de la Sainte Mere du Sauveur du monde, fous la proteéfion de laquelle il a confacré fa perfonne & fon Royaume au vray Dieu. Cette vue ôc l’ex- trême defir de communiquer à Vôtre Ma- jefté tous ces grands avantages , luy a fait prendre la rélolution de vous propofer , Sire , les mêmes moyens qui luy ont acquis tant de gloire & de bonheur , & qui ne font autres q'ue la connoilîance & le culte du vray Dieu qui fe trouve feulement dans la Religion Chrétienne. Il l’envoye donc of- frir à Vôtre Majefté par fon Ambaffadeur, la conjurant de l’accepter & de la fuivre avec tout fon Royaume. Ce Prince, Sire , eft encore plus admirable par fa pénétration , par fes lumières & par fa fageffe que par fes conqueftes & par fes vic- toires. Vôtre Ma jefté connoît fa générofîté & fon amitié Royale ; elle ne fçauroit faire un meilleur choix quede fuivre lesfages avis d’un fi grand Roy fon bon amy. Pour moy, Sire, je n’ay jamais demandé autre choie au vrav Dieu que j’adore que cette grâce pour Vôtre Majefté , ôe je ferois preft de donner mille vies pour l’obtenir de la di- vine bonté. Que Vôtre Majefté veüille bien Qjd -306 VOYAGE confidérer que par cette aétion elle couron- nera rout ce qu’elle a fait de grand & d’il- lu lire durant fon régné , qu’elle éternifera fa mémoire , .& fe procurera une gloire èc un bonheur immortel dans l’autre vie. Ah, Sire, je conjure Vôtre Majeftéde nepas renvoyer l’Ambafiadeur d’un fi grand Roy avec ce mécontentement, il vous demande cela de la part du Roy fon Maître , pour éta- blir & rendre inviolables vos alliances & vosamitiez Royales ; au moins fi vôtre Ma- jefté a conceu quelque bonne penfée de pren- dre ce parti, ou fi elle y fent la moindre incli- nation qu’elle le faite connoître. C’eft la plus agréable nouvelle qu’il puifie porter au Roy fon Maître. Que fi Vôtre Majefte a réfolu de ne fe rendre pas à tout ce que j’ay eu l’honneur de luy repréfenter, ou qu’elle ne puifie pas donner une réponfe fa- vorable au Seigneur Ambafiadeur, je la fuppliedemeditpenferde porter fa Royale réponfe , qui ne peut qu’eftre défagréable au vrayDieu que j’adore. Elle ne doit point trouver étrange que je luy parle de la forte ; quiconque n’eft pasfidele à fon Dieu ne le peut être à fon Prince, & Vôtre Majefté ne devroit pas me faire l’honneur de me fouffrir à fon fervice , fi j’avois d’autres fen- timens. DE SI AM- Livre V. 30/ Le Roy écouta le difcours du Seigneur Le Roy de Confiance fans l’interrompre , & s 'étant re- pôn'd auSei- cuéilly en luy-même un moment comme gneut Con. une perfonne occupée d’une grande penfée , ilance‘ il luy répliqua fur le champ en ces termes. N’apprenendez point que je veuille gefner votre confcicnce. Mais qui a fait accroire au Roy de France monbon amy que je pouvois avoir de femblables fentimens ? Hé qui peut douter , Sire , répliqua le Seigneur Confian- ce, que Vôtre Majeflé n’ait ces grandes pen- fées , en voyant la proteélion qu’elle don- ne aux Miflîonaires , les Eglifes qu’elle fait bâtir , les aumônes qu’elle fait aux Peresde la Chine. C’efl fur cela, Sire, que le Roy de France s’cfl perfuadé que Vôtre Majeflé avoit du penchant pour le Chriflianifme. Mais quand vous avez dit à l’Ambaffadeur, ajouta le Roy, les raifons qui nie retien- nent dans la Religion de mes Anceftres, quelle réponfe en avez-vous reçue ? L’Am- baifadeur de France , répartît le Seigneur Conflance , a trouvé que ces raifons étoient d’un grand poids; mais comme la propo- fîtion qu’il faifoit de la part du Roy fon Maître étoit ddinterefTée , & que ce grand Monarque n’avoit en veuë que le bien de vôtre Majeflé , il n’a pas jugé qu’aucune des raifons que je luy ay apportées , dût Qa ’i Bo8 VOYAGE l'empêcher d’executer les ordres du Roy {on Maître , fur tout quand il a appris que l’Ambaftadeur de Perfe étoit arrivé dans le Royaume de Siam , & qu’il appor- toit à vôtre Majefté l’Alcoran afin qu’el- le le fuivit. Dans cette veuë l’Ambafta- deur de France a crû qu’il étoit obligé d’of- frir à Vôtre Majefté la Religion Chrétien- ne, & de conjurer Vôtre Majefté de l’em- braffer. Eft - il vray, reprit le Roy , que l’Ambafladeur de Perfe m’apporte l’Alcoran» On le ditainfi, Sire, répondit le Seigneur Confiance. A quoy le Roy répliqua lur le champ : Je voudrais de tout mon cœur que l’Ambaftadeur de France fût icy pour voir de quelle maniéré j’en uferay envers l’Am- baftadeur de Perfe. Il eft bien fûr que fi je n’étois d’aucune Religion , je ne choifirois pas la Mahométane. Mais pour répondre à lAmbafladeur de France , pourluivit le Roy, Vous luy direz de ma part, que je me fens extrê- mement obligé au Roy de France fon Maître , connoiftant par fon mémoire les marques de la Royale amitié de fa Maje- fté très -Chrétienne , &que comme l’hon- neur que me fait ce grand Prince s’eft déjà rendu public dans tout l’Orient, je ne fçau- rois allez reconnoître cette honnefteté 5 DE SIAM. Livre Y. 309 mais que je fuis extrêmement fâché que le Roy de France mon bon amy me propofe une'chofe fi difficile , ôc dont je n’ay pas la moindre connoilfance 5 que je me rapporte moy-méme à la fageife du Roy tres-Chré- tien, afin qu’il juge de l’importance ôc de la difficulté qui fe rencontre dans une affai- re auifi délicate que l’eft le changement d’u- ne Religion receuë de fuivic dans tout mon Royaume fans difeontinuation depuis deux mille deux cens vingt-neuf ans. Au refte je m’étonneque le Roy de France Motifs qui mon bon ami s’interrefle fi fort dans une af- [jtic£"cmde faire qui regarde Dieu, où il femble que Dieu Siam dans même ne prenne aucun intereft.ôc qu’il a en- Rclision! •fièrement lai fiée à nôtre diferetion. Car ce vrayDieu qui a créé le Ciel ôc laT erre ôctou- tes les créatures qu’on y voit , ôc qui leur a donné des naturesôc des inclinations fi diffé- rentes, ne pouvoit-il pas , s’il eût voulu , en donnant aux hommes des corps & des âmes femblables, leur infpirer les mêmes fenti- mens pour la Religion cpi’il faloit fuivre , ôc pour le culte qui luy etoit le plus agréa- ble, ôc faire naître toutes les Nations dans une même Loy. Cet ordre parmi les hommes ôc cette unité de Religion dépen- dant abfolumentde la Providence divine, qui pouvoir auffi aifément l’introduire Qqiij 3io •' VOYAGE dans le monde que la diverfité des Seétès qui s’y font établies de tout teins ; ne doit-on pas croire que le vray Dieu prend autant de piailir à eftre honoré par des cultes ôc des cérémonies différentes , qu’à eftre glorifié par une prodigieufe quantité de créatures qui le louent chacune a fa maniéré ? Cette beauté ôc cette variété que nous admirons dans l’ordre naturel , feroient-elles moins admirables dans l’ordre furnaturel , ou moins dimesdela fageffe de Dieu ? Quoy qu’il en foit, conclud fa Majeflé , puisque nous fçavons que Dieu eft le maître abfoîu du monde , ôc que nous femmes perfuadez que rien nefe fait contre fa volonté, je ré- ngne entièrement ma Perfonneôc mes Etats entre les bras de la miféricorde ôc de la Pro- vidence divine , ôc je conjure de tout mon cœur fon eternelle fagefTe d’en difpofer fé- lon fon bon plaifir. Ainfi je vous ordonne tres-expreffement de dire à cet Ambaffadeur que je n’oubliray rien de tout ce qui fera en mon pouvoir pour me conferver l’amitié Royale du Roy très - Chrétien , & que pour fuppléer au moyen qu’il me fait proposer, je feray en forte durant tout le teins que Dieu me conferverâ la vie , que dans la fuite , mes fucceffeurs ôc mes lujets marqueront audî DE SIA M. Livre V. 3ii bien que moy dans routes les occafions la parfaite reconnoi (Tance & la haute eftirne qu’ils doivent avoir pour la perfonne Royale de fa Majefté très Chrétienne , & pour tous Tes fucceffeurs. Voilà la reponfe du Roy de Siam dans les mêmes termes qu’il l’expliqua à Ton Minif- tre, & que celui-ci la donna par écrit à Moniteur l’Ambalfadeur. On voit affez par ce raifonnement l’efprit de ce Prince , qui fans aucune connoifl'ance des fciences d’Eu- rope, a expofé avec tant de force & de net- teté la raifon la plus plaufible de la Philo- fophie Payenne contre la feule vraye Reli- gion. Ceux qui connoiffent la droiture de ce Prince ne peuvent douter qu’il n’ayt dit fincérement ce qu’il penfoit, & ce qui luy paroilfoit de plus véritable. Après que le Roy eut parlé de la forte, il fut quelque tems fans rien dire , & enfuite regardant le Seigneur Confiance 5 Que croiez-vous , pourfuivit-il , que répondra l’AmbafTadeur à toutes ces raifons que je vous ordonne de luy donner par écrit ? Je nemanqueray pas, Sire , dit Monfieur Con- ftance, d’executer les ordres de Vôtre Ma- jefté ; mais je ne fcay pas ce que l’Ambaffa- deur de France répondra à ce que Vôtre Majefté vient de me dire , qui me paroît ex- Réplique de M Con- fiance aux objections du Roy de Siam fur le changement deRdigioxic 312 VOYAGE trémement fort ôc d’une grande conféquen- ce. Je fuis fûr qu’il ne pourra s’empêcher d’eftre furpris de la haute fageffe ôc de la merveilleufe pénétration de vôtre Majefté. Il me femble néanmoins qu’il pourra luy répliquer , qu’il eft vray que tous les eftres que Dieu a crées le glorifient chacun à fa maniéré; mais qu’il y a cette différen- ce entre l’homme ôc les bêtes , que Dieu en créant celles-cy, leur a donné des pro- f>rietez différentes , ôc des inftinéts particu- iers, pour connoître leur bien ôc le cher- cher fans aucune réfléxion , pour difeerner leur mal ôc le fuir fans aucun raifonnement. Ainfi le Cerf fuit le Lion ôc le Tigre la pré- miere fois qu’il les voit , les Poulets Portant delà coque craignent le Milan, ôcfe réfu- gient fous l’aile de leurs meres , fans autre inftruétion que celle qu’ils ont receuë de la nature. Mais Dieu a donné à l’homme dans fia création l’entendement ôc la raifion, pour démêler le bien d’avec le mal , ôc la Provi- dence divine a voulu qu’en cherchant ôc ai- mant le bien qui luy eft propre, ôc fuiant le mal qui luy eft contraire, par rapport à fia fin derniere qui eft de connoître Dieu ôc de l’aimer , l’homme méritât delà divine bon- té une récompenfe éternelle. En effet, il eft auftï aifié à l’homme de fie fer- vir DE SI AM. Livre V. 313 vir de Tes mains , de Tes yeux & de fes pieds pourcommettre le mal que pour faire le bien, li fa prudence éclairée de la fageffede Dieu ne le dirigeoit à chercher lesvoyes delà vé- ritable grandeur, qui ne fe rencontre que dans la Religion Chrétienne , ou l’homme trouve les moyens de fervir Dieu comme il plaît à fa divine volonté. Mais tous les hommes ne fuivent pas des lumières fi fain- tes & fi raifonnables. Il en eft de même que des Officiers de vôtre Majefté , qui ne font pas tous également attachez à fes inté- rêts , comme elle ne le fçait que trop , quoy qu’ils fe difent tous fes fu jets, & qu’ils fe faffent honneur d’être à fon fervice. Ainfi tous les hommes fervent Dieu à la vérité $ mais d’une maniéré bien différente. Les uns comme les bêtes vivent en fuivant leurs pallions & leurs déréglemens , demeurant dans la Religion ou ils font fans l’examiner. Mais les autres fe voyant fi diftinguez des bêtes s’élèvent au deffus de leurs fens, & cherchent par le moyen de leur raifon ,que Dieu ne manque pas d’éclairer , ils cher- chent, dis- je , à reconnoîrre leur Créateur Ôç le véritable culte qu’il veut qu’on luy rende ,fans autre intereft que celuy de luy pîai e & de luy obéir, & c’eft à cette re- cherche fincére de la vérité que Dieu a at- Rr Caraâjre du Roy de Sian». ji+ VOYAGE taché le falut de l’homme. D’où \ ient que la négligence à nous inftruire , & la foi- blefle a ne pas fuivre ce que nous aurons ju- gé le meilleur, nous rendra coupables de- vant Dieu, qui eft la fouveraine juftice. Cette réponfe d’un homme lans étude, appliqué depuis 1 âge de dix ans au com- merce & aux affaires, me caufaune extrê- me furprife , quand il me fit l’honneur de me la communiquer. Je luy avoüay fans craindre de le flatter , qu’un Théologien confommé dans l’étude de la Religion, eût eu de la peine à mieux répondre. Le Roy fut frappé du difeours de Monfieur Con- fiance 3 & fi quelque perfonne fçavante , & qui luy foit agréable, a le bonheur de s’in- finuer dans fes bonnes grâces , & d'acque- nr fon eftime , on ne doit pas defefpérer de luy faire connoître & embrafler la vérité: àc s il l’a une fois connue , comme il eft le Maître de fes peuples qui l’adorent, toutes les Nations qui luy (ont foûmifes, fuivront aveuglément fon exemple. Le Roy de Siam qui régné à prefent eft âgé d’environ cinquante -cinq ans. C’eft fans contredit le plus grand Prince qui ait jamais gouverné cet Etat. Il eft d’une raille un peu au deftous de la médiocre, mais fort droite & bien prife. Son air eft enga- DE SI AM. Livre V. 31^ géant &fes maniérés pleines de douceur & de bonté , fur tout pour les Etrangers , & particuliérement pour les François. Il eft vif & agi fiant, ennemy de l’oiiiveté & du repos , qui paroît lî délicieux aux Princes d’Orient , & qu’ils regardent comme le plus grand privilège de leur Couronne. Cefuy- cy au contraire eft toujours ou dans les bois à la cbafle des Eléphans, ou dans fon Pa- lais appliqué aux affaires de fon Royaume. Il n’aime pas la guerre parce qu’elle ruine fes peuples qu’il chérit tendrement , mais quand fes fujers fe révoltent , ou que les Princes fes voifins luyfont la moindre in- fulte , ou ne fe tiennent pas dans le refpeét i il n’y a gueres de Roy dans l’Orient qui fe vange avec plus d’éclat , & qui paroiffe plus pafïîonné pour la gloire. Quelques Grands de fon Royaume s’é- tant foulevez , & étant appuyez ouverte- ment par les forces de trois Rois, dont les Etats environnent le Royaume de Siam , d attaqua ces Princes fi vivement , qu’ils furent obligez d’abandonner les rebelles à fa colère. Il veut tout fçavoir , & comme il a l’efprit pénétrant & fort éten- du , il n’a pas de peine à entrer dans tout ce cju’il veut apprendre. Il eft magnifique , généreux , bon amy au delà de ce qu’on 316 V O Y AGE peut s’imaginer. Toutes ces grandes quali- tez luy attirent la confidération de fes voi- iins , la crainte de fes ennemis , l'eftime de fes fujets & un refpeét qui va jufques à l’a- doration. Il n’a jamais été fujet aux vices fi ordinaires parmy les Princes d’Orient , il a même fait punir avec beaucoup de févérité les principauxMandarins &c les premiers Of- ficiers de la Couronne pour avoir été trop attachez à leurs plailirs. Ainfl on ne trouve point en luy robitaclele plus invincible à îa converfion des Princes Idolâtres , je veux dire la l’amour déréglé des femmes. Par la force de {on efprit il a décou- vert la fauffeté de la Religion de fes An- ceftres, & il ne croit point un Dieu anéan- ti , félon l’opinion populaire , ou com- me difent quelques-uns de leurs Doéfeurs , un Dieu', qui las de gouverner le Ciel , fe plonge dans le repos 6c s’enfevelit pour ja- mais dans l’oubli de tout ce qui fe parte au monde, ny mille autres fuperftitions pre- chées par les Taiapoins, qui font les Piè- tres & les Prédicateurs du Royaume. Au contraire il croit que Dieu eft eternel , que fâ Providence veille incertamment au gou- vernement du monde , ôc qu’elle ménage toureschofes. C’efl à ce mêmcDieu immor- tel qu’il fait fouvent des Prières & dont il DE SI AM. Livre V. 317 implore le fecours avec un très-profond ref- peéf deux fois pour le moins chaque jour pendant deux heures, le matin après s’être le- vé , & une heure le foir avant que de fe cou- cher. Le Pape luy ayant envoyé deux Ta- bleaux dont l’un repréfente le Sauveur du monde, & l’autre la Sainte Vierge , il lésa en finguliere vénération , & pour la témoigner il les a placez dans un endroit de fa chambre fort élevé au deffus de luy 5 & il n’en parle jamais qu’avec des termes d’honneur & de refpcét. L’AmbafTade que le Roy luy a envoyée , quoyqu’elle ne l’ait pas déterminé à emoraf- fer le Chriftianifme , l’a fait rentrer en luy- mêrne. Comme il eflime infiniment la fa- geffe du Roy tres-Chrêticn , lorsque le Sei- gneur Confiance luy fit voir l’unique pré- tention de ce grand Monarque en'envoyant vers luy Monfieur l’Ambafîadeur , il en pa- rut touché, & on fçait qu’il y a fait depuis de fréquentes reflexions. Toutes ces chofes doivent exciter ceux qui liront ces Mémoi- res à prier Dieu pour la converfion de ce Prince, qui feroit fuivie de celles d’une mul- titude innombrable de peuples, ôt qui atti- reroit fans doute à nôtre fainteLoy les Prin- ces voifins qui admirent la conduite ôc le grand génie du Roy deSiam. Rr iij On com- mence à fai- re des obfer- vations à Louvo. 3is VOYAGE Nous avons de grandes obligations à ce Monarque, pour toutes les marques d’eftime & de bien veillance dont il nous a honorez, & nousfommes bienaifes d’avoir occafion de le publier. Dés que le Seigneur Confiance luy a fait connoître nos maniérés & les vûës qui nous font agir , ce Prince nous a favo- rifé en toutes rencontres , malgré les mau- vaifes imprelfions qu’on avoit tâché de luy donner des Jéfuites. Monfieur Confiance n’a pas oublié de luy faire valoir les bon- tez extraordinaires que Louis le Grand a pour nôtre Compagnie, & c’eft ce qui ale plus contribué à nous mériter fes bonnes grâces. Cet exemple eft d’un grand poids ïur l’efprit du Roy de Siam. Aullî il nous a marqué par des foins obligeans qu’il vou- loit l’imiter , & il nous a alluré plusieurs fois de fa proreéf ion Royale , ajoûtant que nous trouverions toûjours un azile alfûré dans fon Royaume, Dés que nous fûmes arrivez à Louvo , nous commençâmes à faire diverfes obfer- vations , & fur tout celles qui pourraient nous être nécelfaires pour ooferver exaéte- ment l’éclipfe de Lune qui devoit arriver l’onzième Décembre. Nous n’avions pû juf- qu’alors nous fervir de nos inftrumens pour ces operations 5 parce que pendant tout le DE SI AM. Livre V. 319 tems que nous fûmes à Siam, la Ville & les Camps étoient fi fort inondez , que nous n’avions point eu d’endroit pour les pla- cer. La maifon même où nous étions lo- gez n’étant quede bois, la moindre agita- tion Pébranloit tellement , que nos Pendu- les & nos Quarts de cercles en étoient tout déconcertez. Le fixiémeôc le feptiéme Décembre nous remarquâmes par l’anneau Aftronomique du Sieur Butterfield,que la variation de l’aiguil- le étoit de deux degrez vingt minuttes vers l’Oiieft. Cette obfervation fut trouvée eon- flamment femblable durant ces deux jours confécutifs. Le neuvième du même mois par les hau- teurs prifes du même bord du Soleil , ma- tin & foir l’heure véritable du midy à la pendule à fécondés , étoit de 12. h. 5’. 3", La variation de l’aiguille par la machi- ne parallattiquc du Sieur Chapotot , a été remarquée une fois. 1 6. min. feulement. 1 une autre. 31. min. ?vers une autre. 35. min. >POüeft une autre. 38. min. j Cette variation a été trouvée en prenant plufieurs fois matin & foir la même hau- teur du Soleil , & obfervant chaque fois Obferva- tion fur la déclinaifon de i’Aimand Le Roy de Siam veut obferver u ne Eclipfe dcLuneavec les Jéfuitrs dansfoa Pa- lais. 320 VOYAGE 1.’ Azimut-h, l’aiguille demeurant toujours fur la Ligne Nord & Sud. Dans la derniere Audiance que Sa Ma-> jefté donna à Monlieur l’Ambalfadeur , elle luy témoigna qu’elle feroit bien aife que nous Aillons l’obfervation de la première Eclipfe en fa préfence. Quelques jours après ce Prince ordonna à Monlieur Confiance de nous avertir de l’honneur qu’il vouloir nous faire. On choifit pour cela une Maifon Royale qu’on nomme Thlée-Poulfonne , à une petite lieue de Louvo, vers î’Eft , peu éloignée de la Forelt où le Roy étoit à la Chalfe des Eléphans. Monlieur Confiance nous mena reconnoître le lieu deux jours avant l’Eclipfe, c’eft-à dire le neuvième de Décembre. On ne pouvoir choilir un en- droit plus commode. Nous voy ions le Ciel de tous cotez , & nous avions tout l’efpace qu’il falloir pour placer nos inllrumens. Après avoir difpofé toutes choies , nous re- vînmes à Louvo. Le lendemain dixiéme Décembre par les hauteurs du même bord du Soleil prifes le matin entre neuf 6c dix heures , 6c le foir entre deux & trois , l’heure véritable du midy à la même pendule à fécondés ... . . . étoit ii. h. 2. 31". Variation de l’aiguille par la machine Parallattique. une 321 Î)E SIAM. Livre V. une fois 28. min. ’ une autre 33. min. jversr-Oüeft. une autre 21. min. 1 Dans la fuite nous examinerons fi l’ai- guille de l’anneau Aftronomique décliné trop vers l’Oüeft , comme il eft tort proba- ble ; car fi cela eft , il faudra déduire quel- que chofe de la variation du Cap de Bonne Efperance, que nous avons trouvée d’onze degrez & demy vers l’Oüeft , & les Pilo- tes d’environ neuf degrez feulement avec leurs Bouftblles. ^ Ce jour-là même le Roy invita Monfieur i’Ambafladeur à venir voir les illuminations qu’on fai foi t pour la chafié des Eléphans. Sa Majefté voulut que nous fu fiions auftî de la partie , & nous fit l’honneur de nous en- voyer vers les quatre heures après midy fix Eléphans avec le Lieutenant du Barkalon pour nous conduire. Nous fîmes porter à Thlée-P oufionne nos Lunettes & une pen- dule afpirale fort feure & montée au Soleil. Car nous devions y obferver l’Eclipfe Lion les ordres du Roy. La dilpofirion de la Chafte étoit telle que je vas le racon- ter. Prés de quarante- fix à quarante- fept mil- le hommes avoient formé dans les bois & iur les montagnes une enceinte de vin» Delà nous retournâmes à la maifon du Seigneur Confiance, où nous attendîmes l’émerfion de la Lune qui parut plus d’un quart d’heure avant le lever du Soleil, c’eft à dire , à fix heures de fix minutes. Le com- mencement de l’émerfion fut à 6, heures i, min. h. fec. ou plûtôt à 6. heur, 9. min. & on tomba d’accord qu’il falloit s’en tenir à cette obfcrvation 5 il eft vray que les va- peurs de l’horifon nous empêchèrent un peu. On voyoit encore la Lune proche de l’horifon à 6. heur. 22. min. o. fec. elle fe coucha peu de tems après , de le Soleil fe leva. La pendule fut rapportée à une heu- re après midy , de n’avoit retardé depuis la veille trois heures après midy, que de trois minutes & trois fécondés feulement. Les heures marquées dans lobfervation font celles de l’horloge non corrigées. Ainfi les heures du midy à la grande pendule ob- fervées le neufviéme de le dixiéme Décem- bre i6S5 , & le retardement de la petite à 1 egard de la grande , fur laquelle on la ré- gla le dixiéme à trois heures après midy , montrent que la petite pendule à 4. heures 22. min. 45. fec. après minuit du lendemain retardoit d’une minute , & que l’heure vé-. 333 DE SI AM. Livre V. ritable étoit4- heures. 23. min. 45. fec. J’ay communiqué ces Obfervations à Meilleurs de l’Académie Royale des Scien- ces , & on a trouvé que l’immerfion totale ayant efté obfervée l’onzième en cet in- ftant. Heur. Min. Sec. A Louvo , 4. 23. 45. A Paris par M. Calfini. 9. 49. 30. La différence des méridiens , 6. 34- 15. A 6. heur. 9. min. la même petite pendu- le re^ardoit 1. min. 25. fée. l’heure étoic donc 6. heur. 10. min. 25. fec. Ce fut le tems du commencement de l’émerfion , comme elle parut à Louvo. Cette même émerfion fut obfervée à l’Obfervatoire de Paris par Monfieur Calfini. Heur. Min. Sec. 11. 3 6. 18. La différence des Méridiens, <5. 34. 7. Deg. Min. Ainfi la différence des Longi tudes fera La Longitude de Paris étant 22. 30. Donc celle de Louvo fera 121. 2. Par les Obfervations de l’Eclipfe de Lune du 21. Février 1682. on avoit trouvé la lon- T t iij m VOYAGE gitude dcSiamdc izi degré, ce qui s'accorde parfaitement à ces nouvelles Obfervations.. C’eft unechofe étonnante qu’il y ait des Cartes modernes qui mettent la longitude deSiam à 145. degrez, au lieu que la grande Carte de l’Obfervatoire faite avant toutes ces obfervations, la donne de 122. degrez à un degré prés de ces obfervations.. Un A Urologue Bramine , qui étoit à Lou- vo , avoit prédit cette Eclipfe à un quart d’heure prés , mais il s’étoit trompé notable1- ment pour la durée, difant que l’émerfion ne paroîtroit fur Phorifon qu’aprcs le lever du Soleil. Nous avions eu quelques jours auparavant une conférence avec ce Brami- ne , mais comme nous n’entendions pas la langue Siamoife , nous ne pûmes rien fça- voir do la maniéré dont ils calculent les Eclipfes. Il nous propofa quelques queftions fur le Soleil & fur les Etoiles aufquellesil n’étoit pas difficile de répondre 5 comme , par exemple, dans quel figne étoit le Soleil, combien nouscontionsd’Etoiles fixes, &c. Il nous demanda fi ce qu’il avoit lû dans quelques Livres Chinois, étoit véritable, qu’il paroifToit toûjours une Etoile fixe & fort brillante perpendiculairement fur le Palais de l’Empereur de la Chine à Péquin.' Nous luy dîmes que c’ étoit une fable, & DE SIÂM. Livre V, 335 on n’eût pas de peine à l’en faire convenir. Il n’étoit point du fentiment des Talapoins Siamois qui s’imaginent & qui enfeignent que quand la Lune s’éclipfe , un Dragon la dévore & qu’il la rejette enfuite. Quand on leur objeéfe d’oû vient que nous fçavons & que nous prédifons même le moment de l’Eclipfe, de quelle grandeur elle fera, com- bien elle doit durer , d’où vient que tantôt il n’y a qu’une partie de la Lune éclipfée , & qu’elle l’eft quelquefois toute entière : ils répondent froidement que ce Dragon a fes repas réglez , que nous en fçavons l’heure , ôc que nous connoiffons la mefure de fon appétit, qui eft quelquefois plus grand & quelquefois plus petit. On a beau leur prouver que tout cela eft chimérique , ils perfîftent .opiniâtrement dans leur illuiion. Pour finir cette matière , j’ajoûte icy la Let- tre que le Seigneur Confiance a écrite au Pere de la Chaize , dans laquelle ce Minif- tre a bien voulu luy rendre compte de ce qui fe pafla dans la derniere Audiance que le Roy nous donna à l’occafion de l’Eclipfe, elle a efté traduite du Portugais. On tres-Reverend Pere, Je ne puis expliquer à vôtre tres-Révé- rende Paternité la joye que j’ay reffentie cette année , dont vous ne trouverez pas mauvais que je vous raconte les fujets en détail. Le prémiera efté l’arrivée en cette cour de l’Ambaffadeur de fa Majefté tres- Chrétienne , qui m’a fait naître l’occafion que j'avois defïrée avec tant de paffion, de rendre à ce grand Prince en la perfonnede fonAmbaffadeur tous les fervices don»- je fuis capable.Le fécond a efté les j;randes.&pieu- fcs affaires, que cet Ambaftadeur eft venu ménager icy 5 & enfin la venue de fix de mes frères , que le Roy tres-Chrêtien a envoyez en ces quartiers pour un fi noble deffein. Ces entreprifes dignes d’un fi grand Monar- que ont ravi en admiration tous les Princes a Orient , & leur ont donné un defir ardent de rechercher l’amitié d’un Roy fi fage & fi généreux. Mais le Roy mon Maître a reffen- ti toutes ces chofes plus que tous les autres Princes des Indes. Quoy qu’avant tomes ces marques mutuelles d’amitié, le Roy mon Maître eût conçû une haute eftime ôc une amitié particulière pour Sa Majefté tres- Chrêtiennc , DE SI AM. Livre V. 337 Chrétienne , j’ofe aifûrer vôtre Paternité que depuis le teins que j’ay l’honneur d’être à fon fervice. il n’a jamais témoigné pren- dre plus de plailir qu’à entendre raconter les Conquêtes , les Victoires & les autres grandeurs qui accompagnent toujours Sa Majefté très -Chrétienne. Je ne veux pas m'étendre davantage Ià-deflus, parce qu’il m’eft impoffîble , & à tout autre qui aura l’honneur de connoître le Roy mon Maî- tre , d’expliquer combien il eft fenfible à tout ce qui regarde la gloire du Roy tres- Chrètien , qu’il eftime & qu’il aime tres- particulierement. Au refte ce qui rend ma joye parfaite dans cette conjonéture, c’eft que j’y trouve l’occafion de demander la bonne correfpondance de vôtre Paternité , pour qui jauray toujours toute l’eftime que je dois,. Audi je la conjure de tout mon cœur de me faire fçavoir fes inten- tions , & de m’aider de fes bons confeils, & elle me trouvera difpofé à tout, princi- palement lorfqu’il s’agira de la gloire de Dieu ou désintérêts du Roy tres-Chrêtien. 1 otites ces raifons m’ont obligé à demander de la part du Roy mon Maître le Pere Tâ- chard au Reverend Pere Supérieur , pour s’en retourner en France, Ôc je l’ay chargé de M VOYAGE certaines affaires , qu’il doit communiquer à vôtre Paternité,. J’ay présenté au Roy mon Maître le Pere Supérieur & n es autres Freres qui font ve- nus avec luy . Sa Ma jefté me fit l’ho,nneur de les recevoir avec des marques extraordinai- res d’affeétion. Elle lesaauftî honorez de fa Prélence, n’ayant auprès d’elle que quatre de fies principaux Mandarins , lorfqu’ils ont obfervé l’EcIipfequi arriva l’onzième de ce mois de Décembre. Durant tout ce tems- là Sa Majefté n’étoit pas éloignée de quatre yneds des Peres qui étoient allîs , fo fervant de leurs inllrumens , 5c agiftant devant le Roy avec la même liberté que s’ils eulfent été à l’Obfervatoire de Paris. Le Roy eut même la bonté d’appeller le Pere Supérieur auprès de luy, & de luy ordonner d’ajuf- xer fa Lunette afin que Sa Majefté pût ob- ferverplus facilement, recevant cet inftru- ment de la main du Pere comme s’il eût été fon ami familier. Durant cette obfervation il fit l’honneur aux Peres de leur donner chacun une Soutane & un Manteau de Da- mas de la Chine, 5c il ajoma pour le Pere Tachard , qui préfentera cette Lettre à vô- tre Paternité, un Crucifix d’or , afin de luy donrçer t n fidelle Compagnon de fon voya- DE SIAM. Livre V. 339 ge ( ce font les propres termes du Roy ) chargeant ce même Pere d’en préfenter un autre beaucoup plus grand à vôtre Pater- nité , afin de la prier en particulier de luy procurer auprès de Sa Majefté tres-Chrê- tienrie douze Peres Mathématiciens de la Compagnie qui feront reçus icy avec beau- coup de joye. Le Roy mon Maître ayant déjà ordonné au PereSupérieur de choifir un lieu à Louvo 6c un autre à Siam pour y bâ- tir des Eglifes , des Obfervatoires 6c des Maifons qui leur foient propres , il me chargea en même tems de donner ordre que toutes ces chofes fuflfent preftes pour rece voir ces Peres à leur arrivée. Si les fix Peres Mathématiciens 6c\ mes Ereres , ont été ca- pables de faire de fi belles chofes en deux mois , que n’en feront pas cinquante ou davantage dans l’efpace de vingt an- nées.. J’ay donné à l’Ambaiïadeur du Roy mon* Maître quelques curiofitez de ces Païs-cy pour les préîènter de ma part à vôtre Pa- ternité. Je la prie de les accepter , 6c ce me fera un nouveau fujet de joye pour rece- voir fes ordres 6c luy rendre mes fervices en tout ce qui dépendra de moy. Je me re- commande à fes faints Sacrifices , & je fuis Vu ij La manié* rc de pren- dre les Elé- phans. j+o VOYAGE avec toute l’amitié ôc le refpeét que je dois, Mon Tres-Reverend Pere, Vôtre tres-humble ôc tres- obéïffant Serviteur ôc Frere, Constantin Phavlkon. Le Roy aprésavoir fpéculé l’Eclipfeavec nous de la maniéré qu’on l’a raconté, nous fit inviter à prendre part au divertilfement qu’il donnoit ce jour-là dans la forelt , pour la prife des Rlépnans qu’on y tenoit renfer- mez. Nous nous difpolames fur les fept heu- res à partir. Alors on nous dit que Mon- iteur FAmbaffadeur paroilToit, ôc que le Roy fortoitde fon Palais, En effet un mo- ment après , Monfieur l’Ambalfadeur arriva à cheval avec toute fa maifon , Monfieur l’Evêque de Metellopolis , Monfieur l’Ab- bé de Lyonne , ôc Monfieur Vachet étoient de la fuite. On n’eût pas plutôt defeendu de cheval ôc monté fur des Eléphans qu’on avoit préparé, que le Roy parût fuivi d’un grand nombre aeMandarins montez fur des Eléphans de guerre. On fuivit,ôcon s’enfon- ça dans les bois environ une lieuç, jufqu’à DE SI AM. Livfte V. »4ï l'enclos où éroient les Eléphans fauvages- C’étoitunparcquarré de trois cens ouqua- tre cens pas Géométriques , dont les cotez étoient fermez par de gros pieux. On y a- voit pourtant faiffé de grandes ouvertures dediftanceen dilfance. llyavoit quatorze Eléphans de toute grandeur. D’abord qu’on fut arrivé , on fit une enceinte d’en- viron cent Eléphans de guerre qu’on pofta autour du parc pour empêcher les fauvages de franchir les palliffades , nous étions der- rière cette haye tout auprès du Roy . On pouffa dans l’enceinte du Parc une douzai- ne d’Eléphans privez des plus forts , fur cha- cun defquels deux hommes étoient montez avec de greffes .cordes à nœuds coulans, dont les bouts étoient attachez auxEléphan s qu’ils mon* oient. Us couraient d’abord fur l’Eléphant qu’ils vouloient prendre, qui fe voyant pourfuiv-y fe préfentoit à la barrière pour la forcer 5c pour s’enfuir $ mais tout étoit bloqué d’Eléphansde guerre par les- quels ils étoient repouffez dans l’enclos ; 5c comme ils fuyoientdans cet efpace, les chaf- feurs qui étoient montez fur des Eléphans Frivez,jettoient leurs nœuds fi à propos dans endroit où ces animaux dévoient mettre le pied,qu’ilsne manquoient guère de les pren- dre 3 en effet tout fut pris dans une heure» V u iij 342 VOYAGE Tin fuite on attachoit chaque Eléphant fauvage, ôcl’on mettoità fes cotez deux E- léphans privez avec lefquels on devoit les lailTer pendant quinze jours pour être appri- voilez par leur moyen. Parmy cette troupe d’Eléphans fauvages, il s’en trouva deux ou trois fort jeunes & fort petits. Le Roy dit qu’il en envoyrcit un à Moniteur le Duc de Bourgogne : mais faifant refléxion que Monfieur le Duc d’An- jou en pourroit être jaloux, il ajouta qu’il vouloitaulîî luy en envoyer un y lus petit , afin qu’il n’y eût point entre eux de jaloufie ny de difpute. Après la Chalfe Sa Majefté dit à Mon- fieur l’Ambaffadeur , qu’on n’en avoir ja- mais fait de fi heureule en fi peu de tenu, que la Providence a voit ménagé cela à cau- fe de luy , & au’on devoit en rendre grâces à Dieu. Elle le pria enfuite de luy lailTer Monfieur de la Mare. Monfieur FÂmbaf- ladeur le luy préfenta , & Sa Majefté luy fit donner à l’inftant par le Seigneur Confian- ce une vefte d’une étoffe d’argent garnie de boutons d’or. Monfieur de la Mare eft un Ingénieur très habile dans fon métier, & fort honnefte homme. II a fervi long-temps fur mer & fur terre. S’étant appliqué dés fa jeunefle aux Mathématiques , il y a fait de DE SI AM. Livre V. ?4î grands progrez. Il entend parfaitement bien la Navigation , les Fortifications 6c la Géo- métrie. Tous les Gentilshommes prirent dans cette occafion congé du Roy, qui leur l’ouhaita un heureux voyage , 6c leur donna mille marques de bonté. Le Roy s’en retourna à Thlée PoufTonne , m. l'Am- éc Monfieur l’Ambafladeur à Louvo. Le Roy s’v rendit aufîile Loir , afin de donner audunade le lendemain à Monfieur l’AmbalTadeur fon «>"8= audiance de congé. Sur les huit heures du Si°m. matin douzième Décembre , unOya qui eft un Mandarin du premier rang, vint avec un grand Cortege prendre Monfieur l’Ambaf- ladeur à fon Hoi-el , pour le mener à l’Au- diance. On y obferva à peu prés les cérémo- nies qui fe pratiquèrent le jour de l’entrée 6c de la première audiance , à la referve que les Gentilshommes de la fuite n'accompagne- rent Monfieur l’Ambaftadeur que jufques dans lafeconde cour du Palais. L’audiancc ne fut pas longue. Le Roy après avoir char- gé Monfieur l’ÂmbafTadeur de fies compli- menspour le Roy tres-Chrèrien , 6c pour toute la maifon Royale , luy fit prefentd’un grand vafe d’or , qu’ on appelle en Siamois Telom , & en Portugais Boljttm , qui eft la mar- que de grand Oya 6c de Prince. Il n’eft per- mis qu’au feul Prince de Camboje d’en a- 344 VOYAGE voir un Semblable à la Cour de Siam. Le Seigneur Confiance dit à Monfieur l’Am- bafladeur de la part du Roy , que Sa Maje- fté eût volontiers achevé la cérémonie qui fe pratique dans ces fortes d’occafions , mais qu’elle l’omettoit à caufe de certaines cho- ies , qui peut-être ne feroient pas agréables aux Européans. Sa Majefté fit auflî donner à Monfieur l’Abbé de Lyonne & à Mon- fieur le Vachet, qu’elle envoyoit en France pour accompagner fes Ambafiadeurs , un Crucifix d’or femblable à celuy qu’elle m’a- voit donné le jour précédent. A la fortic de l’Audiance on trouva dans un beau Sa- lon au milieu d’un parterre entouré de jets d’eau, une grande table dreflee , où il y a- voit plus de cinquante couverts. On y fer- vit en grands ballins d’argent. L’abondance des viandes n’étoit pas moins grande, que les ragoûts étoient délicats. On n’y man- quoit d’aucune forte de vins , on eftimoit fur tout les confitures de la Chine & du Japon. Monfieur l’Âmbaffadeur & Mon- fieur Confiance voulurent absolument que' nous fufiïons à ce régal. Après ce magnifi- que repas , Monfieur l’Ambafladeur s’em- barqua pour Siam , étant accompagné d’un grand nombre de Mandarins de tous les or- dres. Je demeuray avec le Seigneur Conf- tance DE SI AM. Livre ?4r rance jufqu’au lendemain , quand, il fallut fe féparer de nos.Peres, je fentis que j’avois une extrême peine à les quitter. Le Pere Sm pcrieur & deux autres voulurent venir avec moy , 6c accompagner Monfieur l’Ambaf- fadeur jufqu'a fon Vaiflfeau. Nos conduéteurs ramèrent toute la nuit, & Je quatorzième Décembre nous nous ren- dîmes vers les fep.t heures du matin à l’Hô- tel de Moniteur l’Ambaffadeur àSiam. On étoit occupé à embarquer les Porcelaines & les autres meubles de fon Palais, dont le Roy luy avait fait préfent. Avant que de partir de la Ville, j’eus un long entretien avec le Pere Suarez & le Pere Fuciti. Ces Peres ont appris à fouffrir fans fe plaindre ôc ils ont fur ce point une délicatelïe de con- fidence , qui leur fait garder des mefures , dont la morale la plus févére ne s’accommo- de pas toujours. Ils me témoignèrent feu- lememqu ilsavoientete iurpns, qu on ac- cufâtles Jéfuitesqui font dans les Indes, de prendre de l’argent à la façon des Paroilfes, pour adminiftrer le Baptême , dire laMeffe', &c. vù qu’une infinité de peuples pouvoit rendre témoignage du contraire, 6c ils me protefterent devant Dieu qu’on n’avoit ja- maisrien faitqtii pût altérer le moinsdumon- deda régie de nos Conilitutions. Je cher- Xx. 346 VOYAGE chois il y a long-tems à m’éclaircir d’un fait qui avoit éclaté , mais j’avois oublié juf- qu’alors de le faire. Je leur demanday s’il étoit vray , qu’un certain Miniftre de Ba- tavie , nommé Ferreira , fût un Jéfuite apo- ftat , ainfi qu’on le pubîioit. Ils me répon- dirent qu’il n’avoit jamais été ny de nôtre Compagnie , ny d’aucune autre Société Re- ligieufe, qu’il l’avoit avoüé à diyerfes per- fonnes, ôcauPere Fuciti même à Batavie; que ce qui avoit peut-être donné quelque fondement à ce bruit , étoit la conformité de fon nom avec celuy d’un Jéfuite, qui s’appelle aulïi Ferreira, 6c dont on a parlé cy- deiTus : d’où on auroit eu lieu de les con- fondre dans une feule perfonne. Dieu veuil- le qu’on ne puilfe attribuer l’origine de ccs fortes de bruits qu’à une fi m pie méprife, Car combien en a-t’on publié de fembla- bles depuis quelques années dans de cer- tains libelles qui courent en Hollande > li 'éloignement des lieux a favorifé en cecy les mal-intentionnez , & la pente naturelle ou l’intereft qu’on a de croire le mal , a fait que quelques gens leur ont ajouté foy. A- prés avoir vû les chofes de plus prés , j’ay adoré avec une humble foûmiflîon la Pro- vidence , qui permet quelquefois que les hommes s’échapent à dire plus de mal lorf- DE SIAM. Livre V. 347 qu’ils auroient plus de bien à dire , s’ils vou- loient être équitables. Ils devroient confi- derer que bien loin de nuire à ceux qu’ils Î 'retendent décrier , ils ne font qu’exercer eur patience, les conferver dans l’humili- té, & les empêcher de recevoir du monde une foible récompenfe pour des travaux qui en méritent une plus folide dans le Ciel , ce qui eft un fort grand bien pour eux : au lieu que tout retombe fur la Religion , qu’on expofe à la cenfure des Heretiques Ôc au mé- pris des Infidèles. On partit de Siam le quatorzième Dé- Départ de cembre fur les quatre à cinq heures du foir. Siam- . Monfieur Confiance, qui vouloir accompa- gner Moniteur l’Ambalfadeur jufqu’à la Barre , le fuivit dans un Balon magnifi- que de Prince , que le Roy l’avoit obligé de prendre depuis quelque tems, tout fembla- bleà celuy qui portoit Monfieur l’Ambaf- fadeur. Le cortège étoit de vingt Balons d’Etat, qui defeendirent jufqu’à la Taban- gue , où on l’étoit venu prendre le jour de Ion Entrée. D’abord qu’ils y arrivèrent , ils fe rangèrent en baye félon leur rang, pour faire palfer au milieu d’eux le Balon de Monfieur l’Ambalfadeur. Les Mandarins cjui les montoient prirent congé de luy & s en retournèrent. On arriva à Bancok à Xx ij H» VOYAGE quatre heures du matin , où le Seigneur Confiance pria Moniteur l'Ambaffadeur de féjourner jufqu’au lendemain , afin qu’il vi- fitàt les Fortifications de la Citadelle , & qu’il en dît fon fentiment . Tandis que nous étions à Bancok, il y pafia une Frégate du Onappot- R°Y de Siam, qui portoit la Lettre que fa -te à bord de Majeflé écrivoit au Roy tres-Chrêtien. La l’Oyfeau la Lettre étoit dans une boête d’or faite en Lettre du . , . ....... Roy de forme de Cône , la première boete efoit siam enfermée dans une plus grande d’argem. Cette fécondé dans une troifiéme de bois verniffé du Japon, enveloppée d’un riche brocard d’or. Tout cela étoit dans une Py- ramide dorée qu’on avoir placée fur la Du- nette de la Frégate, avec plufieurs parafiols qui la couvroient. Quand la Frégate paffoit avec fon efeorte de Baîons d’Etat, tous les Gouverneurs desPlaces,qui font fur la riviè- re , faiîoient faire une décharge générale de leur artillerie , .& chacun accompagnoit la Lettre furies Terres de fon Gouvernement , un autrela recevoit enfuite avec les mêmes honneurs & les mêmes cérémonies Le Dimanche feiziéme Décembre , Al. l’Ambaffadeur arriva à la Barre, & il alla à bord de l’Oyfeau Je même jour fur les fept heures du foir, Comme j’avois toujours été ülans le Balon du Seigneur Confiance, il DE SI A M. Livre V. 34s» voulut que j’entraffe dans l’une de fes Fré- gates à l'entrée de la rivière, & que je reftaf- le avec luy pendant deux jours, pour expé- dier quelques affaires. Ce tut la qu’il me chargea d’une Lettre pour le Roy, que j’ay eu l’ffonneur de préfenter à fa Ma jefté .Mon- fieur Confiance fit lever l'ancre, & alla mouiller auprès du Yaiffeau de Monfieur l’Ambaffadeur , & luy rendre un honneur qu’il n’avoit jamais rendu à perfonne. Les Ambaffadeurs du Roy de Siam qui ne s’é- toient pas encore embarquez dans l’Oyfeau, demandèrent à Monfieur l’Ambaffadeur la ' grande chaloupe pour porter à bord la Let- tre de leur Maître. Ils l’allerent prendre dans la Frégate , & quand on fut arrivé à bord , le fécond Ambafladeur mit fur fes épaules la pyramide ou elle étoit , & monta ainli dans le vaiffeau fans que perfonne ofât y toucher. On la plaça fur la Dunette avec les parafais, au bruit d’une décharge de vingt- Ôc un coup de canon. Cependant on fit con- defeendre Meilleurs les Ambaffadeurs à la porter dans leur Chambre , parce qu’étant ainfi placée, elle empêchoit la manœuvre du Vaiffeau. Monfieur l’Ambaffadeur & le Seigneur Confiance fe rendirent vifite dans leurs bords, avec les faluts ordinaires. Le dernier vint une fécondé fois à bord de Xx iij 350 VOYAGE l’Oyfeau pour prendre congé 5 ils fe donnè- rent l’un à l’autre mille témoignages d’a- mitié , & fe féparérent avec douleur. Nos trois Peres , qui étoient venus jufques-là, s’en retournèrent avec le Seigneur Confian- ce & Moniteur l’Evêque de Metellopolis , me lailfant dans un fenlible regret, que je tâ- chois de modérer par l’efpérance de les re- voir dans quelques années. Quand tout le monde fut defeendu dans la Chaloupe, le Seigneur Confiance m’appella pour me fai- re prefent d’un Chapelet , fait du bois pré- cieux de Calamba , dont la Croix & les gros grains étoient de T ambag. Après cela laCha- Joupe mit au large , & on la faliia de treize coups de canons pour le dernier adieu. On étoit prell à faire voile, & on n’atten- doit plus que Monfieur le Vachet Ôc le Se- crétaire de Moniteur l’Ambaffadeur 5 ils é- toient defeendus avec tout le monde à l’em- bouchure de la rivière 3 mais on ne fçavoit ce qu’ils étoient devenus depuis trois jours. Cela recula nôtre voyage, & onalloit lever l’ancre lors qu’on les vit venir avec deux ou trois Mandarins de la fuite des Ambalfa- deurs de Siam. Les courans avoient emporté la Galère qui lesportoit, avec tant de vio- lence, qu’ils n’av oient pûyreftller , & nous rejoindre plutôt 5 plulieurs autres dévoient DE SI AM. Livre V. 351 s’embarquer avec nous 3 mais la faifon déjà avancée ne nous permit pas de les attendre , ôcon mit à la voile. Ainfi nous partîmes de la Barre de Siam le vingt-deuxième Décembre avec un bon vent. Le Seigneur Confiance nous avoit envoyé toutes fortes de rafraîchiiTemens & en fi grande abondance , qu'on fut obligé de le prier qu’il n’en envoyât plus , & d’en laiifer même une partie. Nous nous rendî- mes à Bantam le dixiéme de Janvier après avoir échoüé au détroit de Banca par la fau- te du Pilote Hollandois , que nous avions pris à Batavie. On ne fçait pas bien par quel caprice il s’avifa de faire jetter l’ancre , cequi nous mit en danger de périr 5 car fi le fonds eut été moins vazeux qu’il l’étoit, l’ancre qu’on avoit jetré eut fait crever le Vaiffeau qui avoit couru deifus.On eut un peu de pei- ne à le retirer de-là. Un Navire Hollandois qui venoit après nous , n’eût garde de nous fui vre , auffi n’échoüa-t’il pas comme rious. On ne fut pas plutôt moüillé devant Ban- tam, queM. l’Ambaffadeur envoya M. de Cibois Lieutenant du Vaifleau faire com- pliment au Gouverneur , ne doutant pas qu’il ne fit les chofesde meilleure grâce qu’il n’avoit fait la première fois , & d’autant pjus qu’il n’ignoroit pas les honnefletez que Départ de la Barre de Siam. 352 VOYAGE le Général des Ba^avie avoir faites à Mon- lieur l’Ambalîadeur 5 mais on fut trompé. Moniieur Cibois ne pût parler au Gouver- neur, qu’on difoir être malade, & qui luy fit dire par le Commandant du Fort, .qu’on; envoyeroit des rafraichilfemens. Cette pro- mclfe n’aboutit qu’à envoyer à nôtre bord, deux ou trois boeufs ; Son excufe fut qu’il, n’avoit rien trouvé davantage. Le foir il vint un homme qui fe difoit envoyé du Gouverneur , pour demander l’argent des bœufs dont on croyoit que le Gouverneur avoir lait prêtent à Moniteur l Ambafla- deur.On traita cet Envoyé comme il le mé- ritoit , & on luy fit porter une réponfe au Gouverneur conforme à un procédé auffi mal honnefteque celuy-îà. On fit voile le lendemain vers, le Cap de Bonne -Elpé- rance. Nous palfâmes le plus heureufement du monde le détroit delà Sonde; c’eft un palfa- ge fort difficile à traverfer à caufe des vents contraires qui dévoient y regner en cette faifon. Mais Dieu nous favorifa du plus beau tems du monde , qui nous tira en peu d’heures de ce mauvais pas. Nousfentîmes encore un effet plus particulier de fa Pro- vidence trois jours après. Nos Pilotes vou- loient palfer à trente ou quarante lieues au delfus DE SIAM. Livre V. 355 deffus de biffe Mony, vers le Sud , ils croyoient avoir pris de juiles mefures pour cela , lorfqu’à la pointe du jour Moniieur de Vaudricourt vit une terre à trois ou qua- tre lieues de nous $ on y auroit échoiié fi on eût eu un vent plus frais pendant la nuit. Cette terre eft fr baffe qu’on ne la reconnoîr qu’aux brifans. Nous fûmes o- bligez de palier fousle vent & de la laiffer au Sud contre nôtre premier deffein. Du- rant route la traverfée nous eûmes un tems à fouirait, jufques à ce que nous fûmes ar- rivez par le travers de l’ifle de Bourbon le treizième de Février , où nous reçûmes un des plus violens coups de vent , félon le té- moignage des plus vieux Officiers , qu’ils euffent jamais vu. Il dura trois jours , 6c après avoir emporté la grande voile de la Frégate , il la lepara de nous , prefque au même endroit ou nous l’avions perdue en allant , 6c nous ne la revîmes que le jour que nous mouillâmes au Cap de Bonne- Efpérance , ou elle arriva deux heures avant nous. Le dixiéme de Mars on découvrit un Vaiffêau qui faifoit fa route vers les Indes. En s’en approchant on reconnut à fon Pa- villon qu’il étoit Angiois. Monfieur F Am- Oft deman- de des non- v elles cTEu- rope à un- VàifTcanA» glois* 354 V O Y A G E baffadeur voulant apprendre des nouvel- les d’Europe , dépêcha vers le Capitai- ne Moniteur de Cibois avec fon Secrétai- re , qui parloit fort bon Anglois. Ils rap- portèrent que ce Vailfeau étoit parti d’An- gleterre depuis cinq mois , & qu’il alloit droit au Tunquin fans toucher nulle part, que tout étoit tranquille en Europe ; que le Roy d’Angleterre avoit défait les Rebel- les, & pris prifonnier le Duc de Mont- mouth , qui l'es commandoit ; que fon pro- cezluy ayant efté fait, on luy avoit coupé la telle , félon l’Arreft qui en avoit efté porté 5 que plufieurs de fes complices avoient fubi le même châtiment , quoy que d’autres euf- fent éprouvé la demence de fa Majefté Bri- tannique. Ces nouvelles nous furent tres-agréables, & particulièrement celle qu’il nous dit , que la terre du Cap avoit paru la veille fur le foir à fept lieues de diftance. Alors nous vî- mes que nous étions bien plus proche qu’on ne penfoit , & dés le lendemain en fondant l’on fe trouva le matin vers les fept heures fur le banc des Aiguilles à 90 brades, ôe fur le midy on découvrit le Cap des Aiguilles. Le vent étoit alors favorable*, on s’en fervit toute la nuit , ce qui fit que le lendemain on DE SI AM. Livre V. 355 reconnut le Cap de Bonne-Efpérance à huit lieues de nous. On arriva à l’entrée de la Baye fur les trois heures après midy. Mais comme le vent étoit trop violent pour y en- trer, nous allâmes moüiller entre Tille Ro- bin & la terre ferme auprès de la Frégate. Le jour fuivant treiziéme de Mars le vent s’étant calmé, on alla mouiller dans la Baye entre fept gros vailfeaux Hollandois qui compofoienrla flotte des Indes , qui devoit retourner en Europe dés que trois ou qua- tre autres vailfeaux feroient arrivez au Cap, ou ils les attendoient tous les jours. Monfieur l’Ambafladeur envoya faire com- pliment au Gouverneur du Fort, qui ne le receut pas moins bien que la prémiere fois que nous y paflames. On falüa leFortde fept coups de canon , qui rendit coup pour coup. Tandis qu’on faifoit de l’eau, te qu’on fe fournilfoit des autres provifions neceflaires, je fus rendre vilite au Gouverneur, qui avoit demandé des nouvelles des fix Jefuites qu’il avoit vûs Tannée précédente. Il me fit mille offres de fervices , m’offrant une maifon d’amy , en cas que je vouluffe demeu- rer à terre, parce que l’Obferva,'oire qu’on avoit démoly, pour le rebâtir avec plus de magnificence, n’étoit pas encore achevé. ^ y ij 356 VOYAGE Ayant fceu que jedevois revenir aux Indes avec plufîeurs autres Jéfuites , il ajoura fort obligeament que tout feroit prelt à nôtre arrivée , ôc il m’invita par avance & tous mes compagnons à nous y venir délaffer. Après toutes ces honneftetez , il me fit pre- fent de quatre belles peaux de tigres & d’un petit animal privé qu’il avoit pris dans fon dernier voyage. Il reffembloit par fbn poil & par fa grandeur à un Ecureüiî , & en avoit prefque Ta figure. En me le donnant il me fit entendre, quec’éroit l’ennemi im- placable des Serpens,& qu’il leur faifoit une cruelle guerre. C’étoit le temps des Vandanges 5 mais elles étoient déjà fort avancées, nous man- geâmes du raifin de l’Afrique quia un mer- veilleux gouft , & qui y vient en abondan- ce. Le vin blanc eft fort délicat, & fi les Hollandois fçavoientaufîibien cultiver les Vignes, qu’ils font habiles à faire des Co- lonies & à entretenir le commerce , on y auroit des vins excelle ns d’autre couleur. Le Gouverneur me dit qu’il venoit de faire un grand voyage dans les terres vers le Nord , où il avoit découvert beaucoup de Nations qui ont quelque forme de Gou- vernement ôc de Police bien réglée, ainfî DE SIÂM. Livre V. 357 qu’on le peut voir dans la defcription du Cap de Bonne-Efpérance. Nos provifions étant faites. ôc nos ma- lades rétablis par l’air de terre, on fortitde la Baye du Cap le vingt-fixiéme de Mars. On dreffa la route pour aller à l’Ifle de l’Af- cenfion. Cette IfLe eft à huit degrez de Lati- tude Sud ,.ôc à fept degrez ôc quinze minu- te de Longitude. La pefche qu’on y fait de la Tortue efl: fi abondante , qu’on en prend dans une ou deux nuits autant qu’il en faut pour nourrir un Equipage de qua- tre cens hommes durant plus de quinze jours. Ces Tortues font d’une grofleur ex- traordinaire. Sur le foir après le coucher du Soleil , comme elles fortent de la Mer pour faire leurs œufs fur le rivage , on en ren- verfe fur le dos autant qu’on en veut pren- dre , car les bords de la Mer en font cou- verts, ôc on les laitîe ainfi jufqu’au len- main qu’on vient pour les porter à bord dans clés Chaloupes. Nous découvrîmes cette Iflc, qui paroît de fort loin par une haute montagne , le dix neufviéme d’ Avril fur les quatre heures du foir. Nous avions un bon vent, ôc il falloit perdre du tems pour aller à la rade , cela fit que Mon- iteur l’Ambalfadeur ne voulut pas s’y ar- rêter, Yy iij On fort de la Baye du Cap. / On pâlie la Ligne au prémierMc- ridien. 358 VOYAGE On pafla la Ligne au premier Méridien le vingt- feptiéme d’ Avril. Depuis cetems- là nous eûmes de petits vents jufqu’au der- nier jour de May, que nous tûmes accueil- lis d’un gros vent contraire. Le lende- main fur le foir nous fûmes bien étonnez de voir devant nous l’Ifle de Corvo , la plus Septentrionale des Açores. Nos Pilo- tes croyoient avoir pafîé ces Mes & être au delà de prés de cent lieues. J’ay lû dans plufieurs Routiers , & j’ay appris de divers habiles Navigateurs, qu’on fe trompe fou- vent dans cette route, ôc qu’on ne man- que gueres de découvrir les Açores , quand on croit les avoir déjà paffées. Cela fait voir qu’en ces endroits les courans portent vers rOüeft avec beaucoup de rapidité. Ainfi il faut naviger avec beaucoup de précau- tion lorfqu’on revient de l’Afrique , afin de ne pas tomber dans une erreur fi con- fidérable , qui peut avoir des fuites fune- ftes. L’onzième de Juin un violent orage nous contraignit de ferrer nos voiles & de nous mettre a la cappe avec la feule voile d’Ar- timon. Ce coup de vent ne dura paslong- tems , & nous fîmes route vers l’Eft. Un jour que nôtre Navire voguoit à pleines DE SI AM. Livre V. 359 voiles , & que nous efpérions bien-tôt dé- couvrir la terre d’Oüeflant , parce que nous avions trouvé la fonde , un Matelot de gar- de s’écria que nous allions donner fur un Rocher. 11 étoit déjà tard , & l’obfcurité de la nuitaugmentoit la frayeur qu’un dan- ger fi préfent nous avoit caufée , mais elle fut dilîïpée un moment après , lors qu’au lieu de ce prétendu rocher nous trouvâmes une grolfe Barque de Pefcheurs qui étoit à l’ancre. Peu s’en fallut qu’on ne paiTât par deifus , fans une manœuvre qu’on f mez , qu’ils crioient encore de toute leur force , qu’on eut pitié d’eux , quoyque nous en fuflîons déjà allez éloignez. Le feiziéme nous rencontrâmes une Bar- que , qui nous affûra que nous n’étions qu’à huit lieues d’OüefTan. Cette nouvelle don- na beaucoup de joye à tout l’Equipage , qui fut augmentée le lendemain par la vûë de cette lue. Dés que nous l’eûmes décou- verte , nous forçâmes de voiles pour entrer dans l’Iroife , mais la Marée étant contrai- re & le vent nous ayant manqué , nous fû- mes obligez de mobilier entre les pierres noires & la terre ferme à vingt-cinq braf- fes d’eau fur un fond de fable. Le jour fui- pos. Ces pauvres gens en furent 36o VOYAGE vant dix-huitiéme de Juin nous vinfmcs moüiller dans la rade de Breft. On chan- ta le Te Deum pour remercier Dieu d’un fi heureux voyage , au bruit de toute l’Artil- lerie des deux Vaiflcaux , apres quoy on des- cendit à terie- VOYAGE S I A M- LIVRE SIXIE'ME. LES MOEVRS ET LA Religion des Siamois. E ne diray rien que je n’aye vù moy - même , ou que je n’aye appris du Seigneur Con- fiance , & de quelque autre perfbnne fort intelligente 7 pour ne point donner au Public des con- Z z 362 VOYAGE noiftances faufles ou incertaines. C’eft le fagc avis que me donna ce Miniftre durant tout le tems que j’eus l’honneur d’ètre au- près de luy , me faifant entendre .que certai- nes gens avoient fourni des Mémoires peu feursdebien des chofes. Ainfi je ne parleray pas de tout ce qui s’eft pafle au Tunquin èc à îaCochinchine,parceque de trois pcrfonnes qui yont vécu plufieurs années, &queje.croi- rois chacun en particulier par tout ailleurs, à peine deux fe font accordez fur une infi- nité de points , dont on leur a demandé compte. Car pour ce qui eft des Orien- taux , tout le monde fçait qu’ils difent les chofes, non pas comme elles font en effet , mais comme ils foupçonnent qu’on fou- haiteroit qu’elles fuffent. C'eft pourquoy ils fe foucient peu de fe contredire fur les faits qu’ils ont avancez , pourvu qu’ils s’ac- commodent aux inclinations de celuy qui les interroge ; de forte que fi on les furprend dans quelque contradiction , ils ne s’em- baraffent pas qu’on la leur fa (Te remarquer. Ce qui vous plaifoit hier , difent-ils froide- ment , vous déplaît aujourd’huy , c’eft ce qui nous fait parler aujourd’huy autrement que nous ne parlions hier. Je ne m’éten- dray pas tant fur ce qui regarde les coûtu mes $c le gouvernement des Siamois, que / i DE SI AM. Livre VI. 363 for ce qui regarde leur Religion, dont j’ay pris grand foin de m’informer , & dont j’ay appris bien des particularitez, qui feront, comme je croy , fortau ^oût des curieux. Je les dois prefque toutes a un Eccléfiaftique Siamois qui eft venu en France avec les Aœ- bafladcurs du Roy de Siam. Le Royaume de Siam s’étend depuis la pointe de Malaca jufqu’aux Royaumes de Pégu & de Laos , qui le bornent du côté du Septentrion. Il a la Mer des Indes à l’Occi- dent,& celle de la Chine à l’Orient, en forte qu’il femble ne faire qu’urtegrande Péninfu- le.Les Provinces avancées dahslesterres vers le Nord font allez inconnues, & nos Car* tes Géographiques n’en marquent pas bien la foliation & les limites. Nous avons dé- jà vû par deux obfervations d’Eclipfe de Lu- ne , que la Longitude eft fort mal marquée. • Le Roy deSiatn a témoigné à nosPeres qu’il fouhaitoit une Carte exacte de les Etats, & des Royaumes d’alentour , nous ayant lait dire par le Seigneur Confiance, qu’il nous donneroit des Lettres de recommanda- tion pour les Princes fes voifins , afin que nous eu (lions la liberté de parcourir leurs terres^ & que nous en Allions une exac- te defeription. Je ne croy pas qu’aprésmon départ nos Peres ayent eu le temps d ’exécu- Defci(p_ tion du Royaume de Siam. 364 VOYAGE ter les ordres du Roy de Siam , parce qu’ils éroient prefiez de partir pour la Chine, n’at- tendant que l’occalion de s’embarquer. Ce fera le premier ouvrage que nous entrepren- drons,dés que nous Içaurons (uffifamment la Langue. Ce Royaume eft entrecoupé de plufieurs rivières, & arrofé de pluyes fi fréquentes, que durant plus de fix mois de l’année elles inondent tout le pais, qui eft abondant en ris, en fruits, ôc en beftiaux. Lesmaifons font communément de bois , & élevées fur des piliers à caufe des innondafions , fans avoir rien de la grandeur ny de la régula- rité qu’on voit dans celles d’Europe. Les Chinois & les Maures en ont fait bâtir à Siam plufieurs de pierre , qui font allez belles. Les richeffes au pais paroi fient dans les Temples, par la quantité douvrages d’or & de tres-belles dorures , qui en font lesornemens, ces Pagodes étant d’ailleurs d’une ftruéture particulière &c en très-grand nombre. J’ajoûte icy la figure d’une Colon- ne qui eft à l’entrée d’un des plus fameux Temple de la Ville Capitale; c’eft le plus beau morceau de l’Architcéfure des Sia- mois, au moins ils le regardent comme tel. Ils ne manquent point de bois, & on en trouve de très-bons pour conftruire des Vaifleaux. DE SI AM. Livre VI. 3^5 La Ville Capitale s’appelle Siam. C’eftle nom que luy ont donné les Portugais. Les Siamois la nomment, Crungfî ayu thaya , ôc non pâsjuthid ou Odia. Crung fi lignifie Ville excellente. Leurs Hilloires la nomment en- core Crung thejipd ppra ma bàna kon. Cela veut dire Ville Angélique, admirable ôc extra- ordinaire; ils l’appellent Angélique , par- ce qu’ils la croyent imprenable aux hom- mes. Comme toutes les Nations font bien receuésà Siam, ôc qu’on y lailTe vi- vre chacun dans le libre exercice de fa Re- ligion , iln’y a prefque pas une feule Na- tion qui ne s’y trouve. Les Chinois font ceux qui y font le plus gros négoce; outre celuy delà Chine , ils font encore celuy du Japon. Le Roy de Siam envoyé des Vaif- feaux à Surate , à Bengale, àMoca, ôc en d’autres endroits pour Je Commerce. Mais les Siamois n’étant pas plus habiles dans la Navigation que les autres peuples d’Orient, cefontlesEuropéansqui en ont la condui- te. Il a aulïî plufieurs Jonkos qui font des bâtimens de la Chine, ôc ce font les Chi- nois qui les montent. Mais quoy que cette Nation fe vante d’avoir,depuisplusde deux mille ans, Pufage de la Bouïfole , il s’en faut bien que l’art de naviger y foit aulïî parfait qu’en Europe. Us n’ont point d’autres inf- Z z iij Les habits «les Sia mois. 366 V O Y A G E trumenspour la Navigation que le plomb ou la fonde. Ils font leur Eltime comme nous , & courent tant de temps fur un tel air de vent. Les courans , les montagnes qu’ils découvrent dans les terres , là couleur dufable, fafmeffe , fon mélange, & les au- très expériences font les feules régies dont ils fe fervent. Les Siamois ne font pas magnifiques dans leurs habits. Les hommes & les femmes du menu peuple font prefque habillez de la même maniere.IlsontunLonguis.qui eft un morceau d’une étoffé fort fimple , long d’en- viron deux aulnes & demie, & large de trois quarts d’aulne. Us fe mettent ce Longuis au- tour du corps , en fortequ’il fait comme une efpéce de Jupon, qui leur prend depuis la ceinture jufqu’au deffous du genoû, celiiy des femmes defeend jnfqu’à la cheville du pied. Les femmes ont outre cela un mor- ceau de Bétille blanche , long de prés de trois aulnes, quelles fe mettent en manière d’écharpe pour fe couvrir le refte du corps. Les hommes ont pour cela un autre Lon- guis , qu'ils ne prennent que lors qu’il fait froid, qu’il pleut, ou qu’il fait beaucoup de foleil. Les habits des Mandarins , lors qu’ils font dans leur domeftique, ne font différents de ceux du peuple que par la fl- .\W? DE SI AM. Livre VI. 367 nelfe de l’étoffe. Mais lors qu’ils fortent ils ont un longuis de foye ou de toile peinte de fix à feptaulnes , qu’ils fçavent fi bien ajus- ter autour du corps , qu’il ne leur defcend qu'au deffous du genoû.LesMandarins con- fidérables ont fous ce longuis un calçon. étroit , dont les extrémitez font bordées d’or ou d’argent. Ils ont même des Veftes, dont le corps &c les manches font allez lar- ges. Ils ont des fouliers faits comme ceux des Indiens. Les jours de cérémonie qu’ils doivent paroître devant le Ray , ils ontun bonnet de Bétille empefée , qui s’élève en pointe comme le haut d’une Pyramide , &c qu’ils attachent pardelfous le menton avec un cordon. Le Roy donne àquelquesMan- darins félon leur qualité , des Couronnes d’or ou d’argent , faites à peu prés comme celles de nos Ducs & de nos Marquis, pour mettre autour de leur bonnet, ce qui eft une marque de grande diftinétion. Les Siamois ont beaucoup de douceur & d’honnêteté, ils vivent en bonne intelligen- ce les unsavec les autres, & ils ne manquent pas de complaifancepour les Etrangers. La bonne conduite des François , & fur tout la fageffe & les grands exemples de vertu de Moniteur le Chevalier de Chaumont , leur ont donné une fi haute idée de la France , Cara&jre des Siamois & leurs mœurs. d ï6? VOYAGE que les Mandarins les plus qualifiez re- cherchoient avec empretfement l’honneur d’y venir en qualité d’Amba (Fadeur du Rov leur Maître , ou à la fuite de ceux qu’il en- voyoit. A parler en général il y a une gran- de union dans les familles, & c’eft par un principe de tendrdTe pour leurs parens , qu’ils nous accufent un peu de dureté, par- ce que nous quittons les nôtres, pour aller vivre bien loin d’eux dans des terres éloi- gnées, nous difant qu’ils pourroient avoir befoin de nous. La juftice ne régné pas moins entre eux que l’amitié & la paix. Quand quelque VailTcau fait naufrage fur leurs côtes, il y a une loy qui les oblige de rapporter à la Ville Capitale tout ce qu’on peut ramafier du débris, pour être enfuite remis entre les mains de ceux à qui ces ef- fets appartiennent • ce qui s’obferve auflî à l’égard des Etrangers. La perfuafion oit ils font qu’il eft mefféant à un homme d’avoir les dents blanches comme les bêtes , leur fait prendre un grand foin de les noircir. Us fe fervent pour cela d’un vernis fait exprès qu’ils renouvellent de tems en tems quand il commence à fe paffer. Pour donner le tems à la couleur de s’attacher ils ne mangent point pendant quelques jours , ôc ils fe pallcnt même de Rétel DE SIAM. Livre VI. 369 Bétel Se d’Arréque. Le Bétel dont nous a- vons fouvent parlé eft la feuille d’un ar- bre de même nom , & l’Aréque eft un fruit à peu prés de la grofleur ôc de la figure de nos glans. Ils coupent ce fruit en quatre parties , & l’ayant mêlé avec de la chaux de coquillage , ils l’enveloppent de la feuille deBéteL Ce mélange leur paroît d’un fi bon goût , foit à caufe qu’ils y font accoutumez ou à caufe des grands effets qu’ils en reften- tent , qu’on leur en voit tous mâcher , de quelque condition qu’ils foient Ôc en quel- que 1 ieu qu’ils fe trouvent. C’eft , à ce qu’ils prétendent , un remede fpécifique pour tor- tifier les gencives, pour aider à la digef- tion, & fur tout pour empêcher l'haleinç de fenrir mauvais. Il eft de l’honnêteté parmy eux de pré- fenter le Bétel & le Thé à tous ceux qui leur rendent vifite. Leur Pais leur fournit le Bétel & l’Aréque , mais ils font venir le Thé de la Chine & du Japon. Tous les Orientaux en font une eftime particulière, à caufe des grandes vertus qu’ils y trouvent. Leurs Médecins difent qu’il eft fouverain contre la pierre ôc contre les maux de tête* qu’il appaife les vapeurs ; qu’il égaye 1 efprit & qu’il fortifie l’eftomach. Dans toutes for- tes de fièvres ils le prennent plus fort qu’à Âaa Propriété du Bétel ôc de l’Aré- que. Propriété»* du Thé.. 37© VOYAGE l’ordinaire quand ils commencent à fentir la chaleur de l’accez , ôc le malade enfuite fc fait couvrir pour fuer , ôc on a tres-fou- vent éprouvé que cette fueur diftipe entiè- rement la fièvre. On prépare le Thé dans Maniérede l’Orient en cette maniéré. Quand on a fait préparer le bjen boüillir l’eau , on la verfe fur le Thé qu’on a misdansun pot de terre, à proportion de ce qu’on en veut prendre ( l’ordinaire eft une bonne pincée lur une chopine d’eau ) on couvre enfuite le pot jufqu’à ce que les feuilles foient précipitées au fonds du va- fe, alors on le diftribuë dans des taftes de porcelaine , ôc on le boit le plus chaud que l’on peut fans fucre , ou bien avec un peu de fucre candy dans la bouche , ôc fur ce Thé on peut verfer de l’eau bouillante pour le faire fervir deux fois. Ces Peu- ples en boivent plufieurs fois le jour , mais ils croyent qu’il n’eft pas fain de le prendre à jeun. Ce que c’cft Parmi toutes les plantes de l’Orient, le que le Gin- Ginfeng eft celle dont on fait le plus de cas. queues font H y en a de plufieurs efpéces; mais la meilleu- fcsvertus. re eft celle qui croift à la Chine dans la Pro- vince deLaotung. Sa couleur eft jaune, fa chair ou fa poulpe eft lifte , ayant des filets femblables a des cheveux. Il fe rencontre quelquefois de ccs racines qui ont la figure DE SIAM. Livre VI. 37! d’un homme , & c'eft de là qu’elles tirent leur nom. Car Gin en Chinois veut dire un homme , & Seng lignifie tantôt tuer ôc tantôt guérir , félon qu’on le prononce dif- féremment 5 parce que cette racine prife bien ou mal à propos, caufe des effets tout à fait contraires. Le Ginfeng fe trouve en- core dans le Royaume de Corée , ôc même à Siam , comme le difent quelques-uns 5 mais il ne vaut pas celuy qu’on cueille à Laotung. L’herbier Chinois dit que cette racine croit à l’ombre dans de protondes vallées , êc il ajoute qu’il faut la cueillir à la fin de l’Au- tomne, parcequecelle qu’onciieille auPrin- tempsa dix fois moins de vertu. Les Médecins Chinois qui s’en fervent le plus , affurent que c’eft un remede fouverain pour purifier le fang & réparer les forces af- faiblies par delongues maladies 5 que celuy qui tientdansfa bouchedeeette racine, réfifte une fois plus au travail qu’un autre qui n’en a point5que les perfonnes replettes ôc qui ont le teint blanc en peuvent prendre davantage que lesperfonnes téches qui ont leteint brun, & dont la phyfionomie marque de la cha- leurmu’il n’en faut jamais prendre dans les maladies caufées par une chaleur interne, ny quand on a la toux ou que l’on crache du fang. Pour le préparer onmet de l’eau dans Aaa ij 372 VOYAGE Manière de préparer le Ginfeng. Particula- jritez de cer- tains nids 4*pifeaux. une tafte , ôc l’ayant bien fait boüillir on jette dedans du Ginfeng coupé par petits morceaux , on couvre bien la taffe , afin de faire infufer le Ginfeng , quand l’eau eft devenue tiede on la boit feule dés le matin à jeun. On garde ce Ginfeng , & le foir on le prépare de la même maniéré que le ma- tin , excepté qu’on y met la moitié moins d’eau , & qu’on la boit lors quelle eft déjà un peu froide On fait enfuite fécher au So- leil le Ginfeng qui a déjà fervi , & fi l’on veut, on peut encore le faire infufer dans du vin & en uler. On mefure la quantité du Ginfeng à l’âge de la perfonnequi s’en doit fervir. Depuis dix ans jufqu’à vingt on en prend un peu plus de la moitié du poids d’une pièce de trois fols & demi $ depuis vingt jufqu’à trente, un peu plus que le poids d’une pièce de cinq fols ; depuis trente jufqu’à foixante & dix & au delà, on en prend environ le poids de deux piè- ces de cinq fols, & jamais davantage. On peut voir dans la grande Carte dmvoyage les figures de toutes ces plantes. Nous avons vu à Siam certains nids d’oifeauxque ces peuples trouvent admira- bles pour les ragoufts , & excellents pour la fanté , quand on y mêle du Ginfeng. On ne trouve de ces nids qu’à la Cochinchine Vërrm^vürL jzcit DE SI AM. Livre VI. 373 fur de grands rochers efcarpez. Voicy comme on s’en iert. On prend une poule. ( celles qui ont la chair ôc les os noirs font les meilleures. )On la vuide bien,ôc prenant en fuitte les nids doyfeaux qu’on a lailfé amolir dans de l’eau , on les déchire par pe- tits filets, ôc les ayant mêlez dans du Gin- fcng coupé par morceaux , on met le tout dans le corps de la poule qu’on fait bouil- lir dans un pot bien fermé, jufqu’à ce qu’el- le foit cuite. On lailfe ce pot fur la braize toute la nuit , ôc le matin on mange la pou- le , les nids d’oyfeaux ôc le Ginfeng fans autre aflaifonnement. Après avoir pris ce remede on fuë quelquefois , ôc fi on peut on s’endort là-deflus. La noblefïe parmy les Siamois n’eft point héréditaire. Les Charges, dont le Prince difpofe, font les nobles, Ôc la dif- tindrion qui fe trouve parmy ces peuples. Quoyque leur Religion leur permette la polygamie, on en voit peu , qui ayentplus d’une ou de deu x femmes. A l’égard des Da- mes , ils ne croyent pas qu’on puilfe leur témoigner plus de refpeét qu’en leur tour- nant le dos quand elles paffent , pour ne point jetrer la vue fur elles. La multitude ôc la magnificence des Pa- godes , les largeffes qu’ils font aux Tala- Aaa iij Différen- tes coûm- mrsdes Sia- mois# Curiofité des Siamois pour fçavoir l’avenir. 374 VOYAGE poins font des preuves de leur piété. On dit qu’il y a dans le Royaume plus de qua- torze mille Pagodes ôc cinquante mille Talapoins. Tout ce qui eft dans ces Tem- ples eft regardé comme une chofe facrée , ôc ceux qui y volent font punis du dernier fupplice. Il y a quelques années qu’on fur- prit cinq voleurs dan^une Pagode , qui fu- rent rôtis tout vifs & à petit feu. On les at- tacha chacun à une grolfe perche , enfuite ayant allumé du feu tout au tour , on les fit tourner jufqu’à ce qu’ils expirèrent. Dans les Prières qu’ils font tous les matins , ils fe fouviennent de trois chofes, de Dieu & de la Loy qu’il leur a laifiée pour l’obfer- ver , de leurs parens ôc des bien faits qu’ils en ont reçus, de leurs Prêtres & du refpeét qu’ils leur doivent. Quand un Million- naire veut leur parler de nôtre Religion , un préfent luy- donne libre accez chez eux, ôc les difpofe à écouter. Comme ils vivent de peu , ôc que leur Pals leur fournit tout ce qui eft necelfaire à la vie fansbeaucoup.de culture, ils paftent leurs rems dans l’oifiveté.Ils ne cultivent leur efprit par aucune lcience , ôc ne font curieux que de 1 avenir. Pour leconnoîcre,non feulement ils confultent les Aftrologues , mais ils fe fervent encore de plufieurs autres moyens DE SIA M. Livre VI. 375 pleins de fuperftitions. Le Seigneur Con- fiance m’a dit qu’il y avoit un Antre où les Siamois vont taire des Sacrifices au génie qui y préfide , quand ils ont envie de fça- voir quelque chofe dont ils font en peine. Après y avoir fait leurs prières , ils en for- tent ôc prennent la première parole qu’ils entendent pour la réponfe de l’oracle qu’ils ont confulté. Il eft arrivé quelquefois que Dieu voulant punir leur curiofité criminel- le , ait permis que l’évenement confirmât ce qu’ils avoient appris par cette voye. Ain- fi quelques femmes des premiers Ambatfa- deurs qu’on avoit envoyez en France fur le Soleil d’Orient, étant inquiettes du fort de leurs maris , qu’elles craignoient de ne re- voir jamais , firent leurs facrifices dans la Caverne dont nous avons parlé , puis s’en étant retournées à la Ville , fur le foir elles entendirent une femme qui difoit à fon ef- clave : Ferme la porte , ils ne reviendront plus. Elles prirent ces paroles comme un préfage du malheur qui arriva dans la fui- te , & elles pleurèrent déflors la perte de leurs maris. Le refpeét qu’ils ont pour le Roy va jufqu’à re l’adoration. La pofture où il faut être en fa p”uf fe™lS préfence en eft une marque. Dans le Confeil Roy. même, qui dure quelquefois plus de quatre On tient Confeil chez le Roy plusieurs le jour. 3 76 VOYAGE heures , les Miniftres fe tiennent toujours profternez devant le Roy 5 & s’il arrive que quelqu’un d’eux tombe en foiblefFe , il n’o- fe fe lever fur les genoux ny s’afleoir à ter- e , quoique ce Prince l’ordonne , qu’on r ait tiré un Rideau devant fon Trône. Quand le Roy fort, tout le monde doit fe retirer , & perfonne n’ofe fe trouver dans fon chemin que ceux qui en ont un ordre exprès , à moins qu’il ne veuille fe faire voir à fon peuple dans de certains jours de cérémonie. On ne manquoir pas même d’ai vertir les François de le tenir dans leurl quartiers lorfque le Roy devoir fortir. On ne permet à perfonne d’approcher du Pa- lais lorfqu’il y eft. Un jour que je reve- nois d’une Pagode avec un Mandarin qui m'y avoir mené dans un Bal on, nos ra- meurs fe lai (Tant aller au courant de la riviè- re, s’approchèrent un peu trop des murail- les du Palais. Mais ils prirent bien - tôt le large , fenrant une grêle de pois, que les fol- dats de Ta garde leur lançoienr avec des far- baeanes , pour les faire retirer. Le Roy rient tous les jours divers Con- feils , & c’eft fa plus grande occupation.. Nul des Confeillers n’ofe y manquer, & s il furvenoità quelqu’un d’eux une affaire ou une maladie conliderable , il doit avant l’heure DE SI AM. Livre VI. m llieurc du Confeil demander au Roy per- miiîion de s’en abfemer. Sans cette permif- fïon , quelque embarras & quelque maladie qu’il ait, il eft obligé fous de griéves peines de s’y trouver , s’il peut marcher ; car le Roy ne manque jamais d’envoyer lçavoir les raifons de fon abtence , & l'Officier que le Roy envoyé a ordre de parler à la perfon- ne même. La Princeffe, Fille unique du Roy, a pa- reillement fa Cour ôc fon Confeil compo- fez des' femmes des principaux Mandarins. Elle a de l’efprit & de là vivacité , & elle fait paroître dans le gouvernement des Pro- vinces,que le Roy luy a données ,beau cou p de fageife & de modération , elle n’eft fer- vie que par des femmes , & nul homme ne l’a jamais vue ny en public ny en particu- lier. Quand elle fort fur un Eléphant elle eft enfermée dans une efpece de Chaize qui l’empêche d’être vûë comme vous le pou- vez voir dans cette Figure. Dans le Royaume cl e Siam les Freres dit Roy fuccédent à la Couronne préférable- ment à fesenfans, mais elle revient à ceux- cy après la mort de leurs oncles. Le Rov qui régné à préfent a deux Freres qui vivent avec luy dans le Palais, il a auffi, félon la coutume des Orientaux , un Fils adoptif qui Bbb La Prin- ccflc Reine a fa Cour 8c fon Confeil. L g Royau- me de Siam ne p ; . fie' point du Pore au Fils»' Ce que les Siamois croyent de leur Dieu. 378 v o Va ge l’accompagne par tout , & auquel il fait rendre des honneurs particuliers. La Religion des Siamois eft tort bizarre, on ne la peut parfaitement connoître que par les Livres écrits en langue Bahe, qui eft la langue fçavante , & que prefque perfon- ne n’entend , hors quelques-uns de leurs Doéteurs. Encore ces Livres ne s’accor- dent-ils pas toujours entre eux. Voicy ce qu’on en a pû démêler avec toute l’exaéti- tude poilible,. Les Siamois croyent un Dieu , mais ils n’en ont pas la même idée que nous. Par ce mot ils entendent un Eftre parfait à leur maniéré , compofé d’Efprit ôc de Corps , dont le propre eft de fecourir les hommes. Ce fecours contifte à leur donner une Loy, à leur prefcrire les moyens de bien vivre , à leur enfeigner la véritable Religion , & les fciences qui leur font néceftaires. Les perfeétions qu’ils luy attribuent font l’af- femblage de toutes les vertus morales, pof- fédées dans un degré éminent , acquifes par plufieurs aêtes & confirmées par un exerci- ce continuel dans tous les corps, par où il a paffé. Il eft exempt de paflîons , & il ne reftent aucun mouvement qui puifte altérer fa tran- quillité 5 mais ils alîurent qu’avant que d’ar- DE SIAM. Livre VI. 379 river à cet état , il s’eft fait par l’extrême application à vaincre fes pallions , un chan- gement li prodigieux dans fon Corps que Ion Sang en eft "devenu blanc. Il a le pou- voir de paroître quand il veut& de fe rendre invifible aux yeux des hommes 3 & il a une agilité 11 furprenante, qu’en un moment il peut fe trouver en quelque lieu du monde La fcicnce du Dieu des teur & le Maître, & cette connoifTancc fi Siamois, univerfelle eft attachée à fon Etat , il la pof- féde depuis l’inftant qu’il eft né Dieu , elle ne conlifte pas comme les nôtres dans une fuite de raifonnemens, mais dans une vûë claire . fimple ôc intuitive, qui luy repréfen- te tout d’un coup les préceptes cle la Loy , les vices , les vertus 8c les fecrets les plus cachez de la Nature , les chofes paftées , pré- fentes 8c à venir , le. Ciel , la Terre, le Pa- radis , l’Enfer , cet Univers que nous voyons & ce qui fe pafte même dans les autres mon- des que nous ne connoiftons pas. Il fe fou- vient diftinéfement de ce qui luy eft jamais arrivé depuis la première tranfmigration *.x fon ame jufqu’à la derniere. Son Corps eft infiniment plus brillant que le Soleil , il éclaire ce qu’il y a de plus Bbb ij qu 11 luy plaira. Il fçait tout fans avoir jamais rien appris des hommes , dont il eft luy même le Doc- En quoy confifte fon bonheur. Les homes peuvent de- venu Dieux* 380 VOYAGE caché , 5c à la faveur de la lumière qu’il ré- pand , un homme icy bas fur la terre pou- voir , pour me fervir de leur expreflîon , voir un grain de fenevé qu onauroit placé au plus haut des Cieux. L: bonheur de ce Dieu n’eft accomply que lorfqu’il meurt pour ne plus renaître : car alors il ne paroît plus fur la terre , ainli il n’eft plus fujetà aucune mifére. Ils comparent cette mort à un flambeau éteint ou au fommeil qui nous rend infenfibles aux maux de la vie , avec cette différence, que Dieu en mourant en eft exempt pour toujours, au lieu qu’un homme endormy n’en eft exempt que pour un tems. Ce régné de chaque divinité ne dure pas éternellement, il eft fixé à un certain nom- bre d’années, c’eft-à-dire, jufqu’à ce que le nombre des Elus qui doivent fe fanéti- fier parfes mérites foit remply^ après quoy il aie paroît plus au monde & tombe dans un repos éternel qu’on avoit crû un véri- table aneantiflement faute de les bien en- tendre. Alors un autre Dieu luy fuccéde & gouverne l’Univers en fa place , ce qui n’eft autre chofe que d’apprendre aux hom- mes la vraye Religion. Les hommes peuvent devenir Dieux , mais ce n’eft qu’aprés un teins fort confidé- DE Si AM. Livre VL 331 râble 5 car il faut qu’ils ayent acquis une vertu confommée. Ce n’eft pas même allez d’avoir fait beaucoup de bonnes œuvres dans les corps où leurs âmes fe font trouvées,, il faut encore qu’à chaque bonne aétion ils ayent eu en veuë de mériter la divinité^qu’ils ayentûnarqué cette intention, en invoquânt & prenant à témoin au commencement de leurs bonnes œuvres, les Anges qui préfîdera aux quatre partiesdu mon de 3 qu’l ls ayent ver- fé de l’eau, en implorant le fecours de l’Ange Gardienne de la terre, appellée Naafig ppratho- rani. Car ils croyent , comme nous l’expli- querons dans la fuite, qu’il y a différence de fèxe parmy les Anges auffi bien que parmy les hommes. Ceux qui fouhaitent devenir Dieux ob fervent foigneufement cette prati- que. Outre cet état de Divinité auquel les plus parfaits afpirent , il y en a encore un moins élevé qu’ils appellent l’état defainteté II fuf- fit pour être Saint, qu’aprés avoir paffé dans plufieurs corps , on ait acquis beaucoup de vertus , ■& que dans les a êtes qu’on en a pra- tiquez on fe foit propofé d’acquérir lafainte- té. Les proprietez de la fainteté font les mê- mes que celles de la divinité. Les Saints les poffédent aufïî bien que Dieu , mais dans un degré bien moins parfait 5 outre cjue Dieu les Les Sia- mois recoa- noiflent un état perma- nent de faifc- teté. Les Siamois croyent tin Paradis & un Enfer. 382 VOYAGE' a par luy-même, fans les recevoir de per- fonne, au lieu que les Saints les tiennent de luy par les inftruétions qu’il leur donne. C’eft luy qui leur apprend tous ces fecrets , dont il a une connoifïance parfaite. C’eft pour cela que s’ils ne renailTent pendant qu il eft dans le monde , comme ils ne peuvent recevoir fes enfeignemens , ils ne font point fanétifiez. Aum ont-ils coûtu- medans leurs bonnes œuvres de demander la grâce de renaître en même temps que leur Dieu. Ce que nous avons dit de la Divinité, qu’elle n’eft confommée que lors que Dieu mourant fur la terre monte au Ciel pour ne plus paroître icy-bas , fe doit pareillement entendre de la fainteté. Car elle n’eft par- faite que lors que les Saints meurent pour ne plus renaître , & que leurs âmes font portées dans le Paradis, pour y ioiiir d’une éternel- le félicité. Voilà quels font à peu prés les fentimens de ces Peuples touchant la Divinité. Et comme ils font affez éclairez pour recon- noître que le vice doit être puni & la vertu recompenfée, ilscroyentun Paradis où les Juftes goûtent le pîaifir que leurs bonnes œuvres ont méritées , & un enfer où les mé- dians reçoivent le châtiment dû à leurs cri- mes. Ils placent le Paradis dans le plus haut DE SI AM. Livre VI. 383 Ciel , ôc l’Enfer dans le centre delaTterre. Les plaifirs du Paradis ôc les fupplices de l’Enter ne font point éternels , on ne de- meure dans l’un ôc dans l’autre qufun cer- tain temps , qui eft plus long ou plus court , félon qu’on a fait plus de bonnes œuvres, ou qu’on a commis plus de pechez. Us difenr qu’il y a dans .l’Enfer des Anges Ce que les adminiftrateurs de lajuftice, qui ont foin Siamois , n_ *1 • croyent de de marquer exactement toutes les mauvai- fes aétions des hommes , qui les examinent apres leur mort , ôc les en puniffent avec une extrême févérité. Ils ont au fujet du Ju- gement qui fe fait, alors une imagination ridicule, ils fe perfuadentque le premier de ces Juges, qu’ils appellent Prayomppaban , a un Livre , ou la vie de chaque homme en particulier eft écrite , qu’il le relit continuel- lement, ôt que lors qu’il eft arrivé à la page qui contient l’hiftoire de cette Perfonne, el- le ne manque jamais d’éternüer. C’eft pour cela , difent-ils , que nous éternuons fur la terre, ôc de la eft venu la coûtume qu’ils ont de fouhaiter une heureufe ôc longue vie à tous ceux qui éternuent. L’Enfer eft divifé en huit demeures, qui font comme huit degrez de peine, ilscroyent même, qu’il y a un feu qui brûle les dam- nez. 3?4 V OTAGE • Ce qu'ils Usfe figurent aulîï dans le Ciel huit diffé- croycm du rcns degrez de béatitude. Ils y mettent les luradiS,, /\ ‘-'h r' n 1 \ rC memes choies que fur la terre: ils allurent qu’ils y a des Rois, des Princes , des Peuples , qu’on y lait la guerre, qu’on y donne des batailles , qu’on y remporte des victoi- res, que le mariage même n’erreft pas ba- ny , que dans la première , la fécondé , & la troifiéme demeure, les Saints peuvent avoir des enfans, que dans la quatrième enfin;, il • n’y a plus ny concupifcenceny mariage 5 & c’eift ainfi que la pureté augmente toujours iulqu’au dernier Ciel, qui eft proprement îeParadis, appelle en le urBa n gucNiruppan , où les amesdes Saints & des Dieux vivent dans une pureté parfaite 8c une fouverai ne féli- cité. Us foûnèrment, que tout ce, qui arrive de bien ou de mal aux hommes , eft l’ef- fet de. leurs bonnes ou de leurs rrauvaifes aétions, 8c qu’on n’eft jamais malheureux & innocent tout enfemble. Ainfi les richef- fes, les honneurs, la fainteté & la divini- té font la recompenfe d’une vie vertueufe, &au contraire , l’infamie , la pauvreté , les maladies, la mort , l’enfer , font la puni- tion des pechez que l’on a commis. Et foit qu’on renaifte fous fa figure humaine , ou ious lafigure.de quelque animal, ils attri- buent DE SI AM. Livre VI. 3^ buent les avantages avec lefquels on vient au monde , comme font la bonté , la bonne grâce , l’efprit , la nobleffe, au mérite des bonnes œuvres , 8c les défauts naturels , comme la laideur , la mutilation des mem- bres, au déréglement de cette vie ou des au- tresquil’ont précédée. Toutes ces chofes,di- fent-ils , font autant de marques certaines qui nous font connoître quelle vie les hom- mes ont menée , avant que de naître en cet état , & voila la fource de cette prodigieufe diverfitéqui paroiftdans leurs conditions, dans leur vies , 8c dans leur mort. Prévenus de ces erreurs, ils méprifent ce qu’on leur dit du péché originel 8c de fes effets, 8c ils traitent de vifions la defobéïHance 8c la punition de nôtre prémierPere. Les âmes des hommes qui renailfentdans le monde fortent de trois endroits différens , du Ciel , de l’enfer ou du corps des animaux. Ceux dont les âmes viennent du Ciel, ont quelques marques avantageufes qui les dis- tinguent, ils ont en partage la vertu, la beau- té la fanté,les richefles,8cils naiflfentGrands, Princes, bien faits. Voila le principe duref- peéf que ces peuples ont pour les perfonnes élevées en dignité ou d’une nailfance illuf- tre , parce qu’ils les regardent comme de- vant bien tôt être diyinifez ou fanétifiez, C cc Les Sia- mois refpeo tent par un motif de Religion les pci Tonnes, diftinguées par leur qualilé,leur fortune ou par leurs a- vantages de corps gu d’cfpric. Ils rccon- noi fient la Peine & la Coulpc du pce hé. 386 VOYAGE puis qu’ils ont fait aflez de bonnes œuvres pour mériter ce haut rang de gloire où ils les voyent. Ceux dont les âmes fortent des corps des animaux font moins parfaits que les premiers, mais beaucoup plus cepen- dant que ceux qui viennent de l’enfer. Ils confiderent ces derniers comme des fcélérats que leurs crimes rendent dignes de toutes fortes de malheurs. De là vient auflî l’hor- reur que les Siamois ont pour la Croix de Jefus - Chrift. Car enfin , répondent ils , quand on leur en parle, s’il eût été jufte, fa juftice & fes bonnes œuvres l’euffent ga- ranti du fupplice honteux qu’il a fouffert, & défendu de la fureur de fes ennemis. Us diftinguent deux chofes dans le pé- ché, la Coulpe & la Peine refervée dans l'Enfer à celuy qui pèche. La peine peut bien être remife ou diminuée en cette vie par les bonnes œuvres & par la bonne volon- té , mais la coulpe n’eft jamais effacée qu’on n’en ait été auparavant puny par la mort ou par les autres miféres. Dans la punition que l’on tire des péchez, la Loy du Talion eft e- xaétement obfervée. Car fi vous avez tué un homme, vous mourrez vous-mème de mort violente dans cette vie ou dans une autre. Si vous avez tué un Serpent , un Serpent vous fera mourir par fa morfure. Si vous DE SI AM. Livre VI. 3g7 avez enlevé de leur nid les petits de quelque oifeau, vous ferez un j our, après une ou plu- fieurs transmigrations , arraché d’entre les bras de vos parens dans vôtre plus tendre jeuneffe , ôc abandonné de ceux qui pou- voient vous donner quelque Secours. Leur Dieu même n’a pu s’exempter de cette dure Loy. Car il fut mis à mort âgé de quatre- ving^-deuxansparunmonftreappellé^î», qu’il avoit autrefois tué à pareil âge fous la figure d’un cochon. Si la faute que l’on a commife pendant la vie eft légère , on peut mériter que la peine , qu’on devoit fouffrir dans l’Enfer , foit re- mife , ou entièrement , ou du moins en par- tie , par le bien qu’on fait , & meme par la volonté de bien faire. Mais fi le pé- ché eft grief, il n’eft point de bonnes œu- vres qui puiffent l’effacer 3 il faut l’expier dans l’Enfer & y fouffrir tout le châtiment qu’il mérité. C’eft ce qui a donné lieu à cette tradition reçue parmyeux,que Dieu n’a pû &: ne peut encore délivrer Ion frere des peines de l’Enfer , aufquellcs il a été condamné. Ainfi il n’y a aucune bonne aétion qui ne foit récompenfée dans le Ciel , & il n’y a aucun crime qui ne foit puni dans l’Enfer. Delà ils concluent que lors qu’un homme Ccc ij. 38* VOYAGE meurt fur la terre , il acquiert une nouvelle vie dans le Ciel , afin d’y jouir du bonheur qui eft dû à fes bonnes oeuvres 3 & que le tems de fa récompenfe étant fini il meurt dans le Ciel , pour renaître dans l’Enfer , s’il eft chargé de quelque péché confidérable 5 que s’il n’eftcoupaole que d’une faute légè- re , il rentre dans le monde fous la figure de quelque animal , & ayant farisfait dans cet état à la Juftice, il redevient homme comme auparavant. C’eft ainfi qu’ils expliquent la Métempfycofe , qui eft un des points fon- damentaux de leur Religion : en forte que la vie de l’homme fe paffe dans de conti- nuelles tranfmigrations jufqu’à ce qu’il fe foit fanéfifié,ou qu’il ait mérité d’être Dieu. Ils admettent des efprits, mais ces efprits ne font autre chofe que des âmes , qui in- forment toujours quelque corps jufqu’à ce qu’elles foient parvenues à la fainteté ou à la divinité. iiscroyenr Les Anges font corporels , & comme il y que les An- en a de différent fexe , ils peuvent avoir des gesfomœr- ffo & des ^ Jamais C£S Anges n£ font fanétifiez ny divinifez, c’eft à eux feulement de veiller éternellement à la confervation des hommes & au gouvernement de l’Uni- vers. Ils les diftribuent en fept Ordres ou Hiérarchies , dont les unes font plus par- DE SIAM. Livre VI. 3g9 faites & plus nobles que les autres , ôc ils les placent en autant de Cieux différens. Chaque partie du monde a une de ces intel- ligences , qui préfide à ce qui s’y fait. Ils en donnent auifi aux Aftres, à la Terre , aux Villes, aux Montagnes , aux Forefts , au Vent même & à la Pluye.Etparce qu’ils font perfuadez que ces Anges examinent avec u- ne application continuelle la conduite des hommes, & qu’ils font témoins de toutes leurs aétions , pour récompenfer celles qui font loiiables , en vertu des mérites de leur Dieu 5 c’eft aces intelligences & non pas à leur Dieu qu’ils ont coutume de s’adreifer dans leurs nécefïitez & dans leurs mifércs3 ôc ils les remercient des grâces qu’ils croyent en avoir reçûës. Ils ne reconnoiffent point d'autres Dé- mons que les âmes des méchans , qui fartant de l’Enfer où elles étoient detenuës , errent pendant un certain tems dans le monde , & font aux hommes tout le mal quelles peu- vent. Ils mettent encore au nombre de ces efprits malheureux les enfans mort-nez , les meresqui meurent en couche, ceux'qui font tuez en duel , ou qui font coupables de quel- ques autres crimes de cette nature. Us racontent des chofes merveilleufes de certains Anachorètes qu’ils appellent!3^ Rafî Ccc iij Ils ne coa- noiflent point d’au- tres démons que les âmes des damnez. Ils racon- tent des chofes mer- ▼cillcufes de certains A_ nachorcccs. Leur crcam ce furrérer- nité du mon- de. 390 VOYAGE lefquels retirez dans d’affreufes folitudes , Ôc dans d’épaifles forets mènent une vie tres- fainte ôc tres-aullere. Ces folitaires ont au rapport de leurs Livres, une parfaite con- noilfance desfecrets les plus cachez de la na- ture. Ils fçavent faire l’or, l’argent, ôc les mé- taux lesplus précieux. Il n’eft point de mira- cle fi étonnant qui foit au delfus de leurs for- ces. Ils prennent toutes les figures qu’ils veu- lent,ils s’élèvent en l’air, ôc fie trouvent en un inftantoù il leur plaît. Mais quoy que ces hommes extraordinaires puiftent fe rendre immortels , parce qu’ils fçavent le moyen de fe prolonger la vie, ils la lacrifient cependant à Dieu de mille ans en mille ans , en fecon- fumant eux-mêmes fur un bûcher , à la ré- ferved’un feul qui relie pour réfufeiter les autres par la vertu de fes charmes. Il n’eft pas moins dangereux que difficile, de trouver ces Hermites miraculeux, on court rifque de la vie quand on les rencontre. On apprend néanmoins dans les Livres des Talapoins, le chemin qu’il faut tenir , ôc les moyens dont on doit fe fervir, pour parvenir aux lieux où ils fon<\ Ils eftiment que le Ciel ôc la terre font increez ôc éternels , ôc ne comprennent pas que le monde ait jamais commencé ny qu il puilfe jamais finir. Ils veulent DE SI AM. Liv RE VI. 39i que chaque Etoile & chaque Planete foie la demeure d’une Intelligence particulière. Ils ne comptent quefept Planètes , & les noms qu’ils leur donnent fervent auflî aux fept jours de la femaine, comme dans la lan- gue Latine. Du refte les Aflres ne font attachez à aucun corps , ils font fufpendus en l’air , & ont leurs mouvemens particu- liers. La Terre n’eft point ronde , félon eux , ce n’eft qu’une fuperficie plane , ils la divifent en quatre parties quar- rées, lefquelles ils appellent Thxvip. Les eaux , dont ces quatre parties font fépa- rées netant pas navigables à caufe de leur extrême fubtilité , empêchent le commerce qu’elle pouroient avoir entre elles. Tou- te la terre eft environnée d’une muraille extrêmement forte & d’une hauteur prodi- gieufe. Sur ce mur font gravez en gros ca- raétere tous les fecrets de la nature, ôc ç?eft là quecesHermites merveilleux dontj’ay par- lé, apprennent ce qu’ils fçavent déplus ad- mirable. Car ils s’y tranfportent aifément avec cette agilité furprenantc dont ils font doüez. Pour les hommes des trois autres parties du monde , ils ont le vifage bien différent du noftre ; car les habitans de la première ont le vifage quarré , ceux de la La Terra cft plate Ôc quarrcc , fé- lon le fenri- ment des Siamois. 392 VOYAGE fécondé l’ont rond , & ceux de la troifiémc triangulaire. Quelque différence qu’il y ait pour le vi- fage entre les habirans de ces trois parties de la terre , on fe reffemble cependant fi fort dans chacune en particulier , qu’on ne pour- roit s’y reconnoître, fi l’on n’avoit d’ail- leurs un moyen pour diftinguer ceux avec qui on vit. La différence des inclinations que l’on a pour les différentes personnes eft la réglé de ce difcernement $ ainfi un perc diftingue fon fils d’avcc fa femme & fon amy , parce qu’il fent pour fon fils un a- mour tout autre que celuy qu’il fent pour fa femme ou pour fon amy. Il y a enco- re cette différence entre ces trois parties du monde & la notre , que tous les biens abondent dans celle-là fans nul mélange de maux 5 & que les chofes que l’on y mange, prennent le gouft que Ion veut par la vertu d’un certain Arbre, qu’on invoque lors qu’on eft en quelque befoin. De là vient qu’on ne peut y exercer ny la charité ny au- cune autre vertu : & parce qu’il n’y a aucune occafion de mériter, les hommes ne peuvent y acquérir la fainteté ny y recevoir aucun châtiment 3 ce qui leur fait defirer ardem- ment de renaître dans la partie que nous ha- bitons, où l’on trouve plufieurs occafions DE SIAM. Livre VI. 393 de bien faire. Ils obtiennent cette grâce, quand ils la demandent par les mérites du Dieu, qui a parcouru ces lieux , quoy qu’ils nous foient înacceffibles. Il y a au milieu des quatre parties du mon- de une tres-haute Montagne, appellée en des siamois. Siamois Ppu/ehau Pprafamen. Elle eft appuyée fur trois Pierres précieufes fort petites à la vérité , mais cependant affez fortes & affez folides pour la foùtenir. C’eft autour de cette Montagne que le Soleil êc la Lune tournent continuellement , & c’eft par la révolution journalière de ces deux Aftres que fe fait le jour & la nuit. Cette grande Montagne eft environnée de trois rangs de montagnes moins élevées , l’u- ne defquelles eft toute d’or. La grande Montagne eft inacceflïble , à caufe que l’eau qui l’entoure n’eft pas navigable. Pour la Montagne d’or , un gouffre affreux en rend l’approche tres-difficile* Il eft vray qu’un homme riche y arriva autrefois, mais ce fut avec un extrême danger de perdre la vie dans cet abîme, où toutes les eaux ferendent, ' & d’où elles Portent enfuite pour former la mer & les fleuves. Toute la maffe de la terre a au deffous d’elle une étendue immenfe d’eaux , qui la foûtiennent, comme la mer foûtientun Na- Ddd 394 VOYAGE vire : ces eaux inferieures ont communica- tion avec celles qui coulent fur la terre , par ce gouffre dont on vient de parler. Un vent impétueux tient les eaux de defious la terre fufpenduës , & ce vent , qui eft par luy-mè- me, & qui n’a aucune caufe, i ou filant de toute éternité avec une éfroyable violence, les repoufife continuellement & les empef- che de tomber. Quand le temps fera venu auquel le Dieu des Siamois a prédit qu’il cef- féroit de regner, alors le feu du Ciel tombant fur la terre , réduira en cendre tout ce qu’il y trouvera , ôc la terre ainfi purifiée fera ré- tablie en fon prémier état. Mais voicy ce ?iui doit précéder ce renouvellement uni ver- el. Ils difent que les hommes autrefois , lors que Dieu vivoit encore fur la terre , avoient une taille deGéant , joüilfoient d’une fanté parfaite duranrplufieursfiécles,n'ignoroient rien , & fur tout inljruits des obligations de laLoy,ménoientune vie pure & innocente, & étoient Religieux obfervateurs de leurs promefifes. Dans la fuite ils ont perdu infen- fiblement tous ces avantages ; & ils devien- dront à la fin fi foibles ôc fi petits qu’à peine auront-ils la hauteur d’un pied .Leur vie fera tres-courte en cet état, ôc cependant on les verra croître en malice , jufqu’à ce qu’enfin DE SIAM. Livre VI. 395 dans les derniers temps ils s’abandonneront aux crimes les plus honteux. Alors ils n’au- ront plus ny Loy, ny Ecritures , ôc enfevel is dans l’ignorance la plus profonde, ils oubli- ront jufqu’au nom de la vertu. C’eft ce qui leur lait dire que la fin du monde appro- che, parce qu’ils n’y trouvent plus que cor- ruption , & qu’il y a fi peu de fincérité 6c de fidélité parmy les hommes, qui femblent être arrivez au comble de la malice. Au ref- te ces grands changemens fie remarque- ront dans les animaux aufli bien que dans les hommes , qui dégénéreront peu à peu. Ils ont même déjà perdu l’ufage de la paro- le, laquelle, pendant queDieu vivoit encore fur la terre , leur avoitété accordée en vertu de fes mérites. Ils donnent de la liberté aux bêtes, les croyant capables de bien 6c de mal, & dignes de punition & de récompenfe. Dans les trois derniers fiécles fix nouveaux Soleils paraîtront confécutivcment,& cha- cun d’eux éclairera le monde l’efpace de 50. ans. Ces fix nouveaux Affres défécheront la Mer peu à peu, feront mourir les arbres&Jes vcau Dicu animaux , 6c confirmeront les hommes mê- me. Après tous ces prodiges , un feu , qu’ils nomment Pliai Balatran, defeendu du Ciel , brûlera la terre ; les hauteurs en feront ap- planies, & il n’y aura plus d’inégalité. Ddâ ii Prodiges que les Sia- mois atten- dent avant la naifîincç d’un non- 3odom , il n’apprit point de luy ce *»ectousfcs qui fe palfoit dans Î Enfer Sx. dans le Para- ka-‘tcurs’ dis , ny la doétrine de la Métempfycofe , ny les changemens qui s’éuiient faits Sx qui fe dévoient faire dans tous les (iecles. D'où ils conclucnt,qu’il ne faut pas s’étonner fi nous autres qui fommes fes difciples , ne trou- vons rien de toutes ces chofes dans les Li- Eee ij Thévathat avoir être / 404 V O Y A G E vres qu’il nous a laiffezjfi nos Ecritures font pleines d’obfcuritez ôe de doutes $ & fi étant entièrement ignorans fur la Divinité nous avons tant d’envie d’en raifonner avec eux. Car puifque Tkévathat nôtre Maître ne fça- v oit rien de cela, il ne pou voit pas nous l’en- feigner. De-là vient auffî que nous ignorons le fecret de guérir les hommes , de les préfer- ycr de toutes fortes de maux , de faire de l’or &c de l’argent ôc de découvrir ces mé- taux précieux dans les endroits où ils font cachez. Car ils croyent qu’il yadesrichef- fes immcnfes dans de certains lieux incon- nus, mais que je nefçay quelle vertu fur- naturelle nous empêche de les y aperce- voir ; où fi nous les voyons , elle nous les fait paraître fous une figure qui trompe nos yeux. Ils nous objeétent encore que nous nepouvons opérer plufieurs prodiges qu’ils prétendent fç avoir faire, & qui font autant d’effets de magic , parce que Thévathat é- tant là-deffus aufiî peu inftruit que fur le refte,n’apù nous en rien apprendre. Mais quoy que Thévathat ne fut point Dieu , & qu’il n’eût par conféquent ny 1 a- gilité, ny Iafubtilitéau corps , ny les autres perfections de la divinité, il ne laiffa pas d’exceller dans plufieurs fciences , fur tout DE SI AM. Livre VI. 405 danslesMéchaniques & dans la Géométrie. Comme c’eft de luy, fi nous les en croyons , que nous avons receu ces connoi (Tances , il n’eft pasfurprenant que nous (oyons bons Géomètres , ôc que nous ayons une parfaite connoi (Tance des autres Arts. Dans la nouvelle doéErine qu’il publia , il mêla beaucoup de chofes qu’il avoit tirées de la Religion de Ton Trere. C’eût ce qui a rendu l’une &c l’autre Loy fi Temblable en plufieurs points. Elles différent cependant en ce que la Loy de Tbévathat eft beaucoup moins lévére que celle de Sommonokhodom , car elle laiffe aux nommes une grande liberté de tuer & de manger des animaux , quoy que l’ufage de ces chofes Toit illicite &c criminel. Ils croyent que de la do&rine de Thévathat font Torties comme d’une fourcc defchifme ôcde divifion fept autres feétes qui ont beau- coup de rapport entre elles, & ils appliquent cette tradition aux héréfies desHollandois , des Anglois ôc des autres peuples féparez de l'Eglife Romaine ; car ils les regardent comme autant de rejetons que nôtre Reli- gion a produits , êc c’eft ce qui les confirme encore dans leurs opinions. Après tous les outrages que Thévuthat a- voit fait à Ton frere , fans refpeéter ni les droits de la nature ny la Divinité mefme , il Eee iij Les Tala- poins per- luadent aux Sianpisquc la Religion Chi etienne eft tirée de la Loy que leur a enfei- gné Som- monokho- dom. Thcvathat eft puni dans l’Enfer pour avoir perfé^ eutc (bp frè- te. 406 VOYAGE étoit jufte qu’il en fût puny. Aulïi les Ecri- tures aes Siamois font- elles mention de fon , & Sommonokbodom même y rapporte, devenu Dieu, il vit ce rrere impie dans le plus profond des Enfers. Je Yj re- connus , dit-il , accablé de maux êc gémif- fant fous lepoidsdefamifere. U étoit dans la huitième demeure , c’eft-à-dirc , dans le lieu où les plus grands criminels font tour- mentez , & là il expioit par un horrible fup- plice, tous les pécnez qu’il avoit commis , ôc fur tout les injures qu’il m’avoit faites. Enfuite expliquant la peine qu’on faifoit fouffrir à Thévathat , il dit qu’il étoit atta- ché à une Croix avec de gros doux , qui luy perçant les pieds ôc les mains , luy caufoient d’extrêmes douleurs , qu’il avoit en tête une Couronne d’Epines , que fon Corps étoit tout couvert de playes , & que pour comble de mifére le feu infernal le brûloir fans le confumer. Un fpeétacle fi pitoyable le tou- cha de compafiïon , il oublia toutes les in- jures , qu’il avoit reçûés de fon frere , & il ne pût le voir en cet état fans prendre la re- folurion de le fecourir. 11 luy propofa donc ces trois mots à adorer Pputhang , Thamang , Sangk_hang. Mots facrez & mvftérieux pour lefqucls les Siamois ont une vénération pro- fonde & dont le premier fignifie Dieu , le fupplice ou’étant DE SI AM. Livre VI. 407 fécond Parole ou Verbe de Dieu , le troi- liéme Imitateur de Dieu ; luy promettant au relie , s’il acceptoit une condition li rai- fonnable & li facile , de le délivrer de tou-* tes les peines, aufquelles il étoit condamné. Thévathat confentit à adorer les deux pre- miers mots , mais jamais il ne voulut ado- rer le troifiéme , parce qu’il lïgnifioit Prêtre ou Imitateur de Dieu, protellantquc les Prêtres étoient des hommes pécheurs , qui ne meritoient aucun refpeét. C’ell en pu- nition de cet orgueil qu’il fouffre encore aujourü’huy , & qu’il louffrira dans l’En- fer durant un grand nombre d’années. Quoyque plulieurs chofes éloignent les Les TaI.e Siamois de la Loy Chrétienne , on peut di- ?o\ns dé. re neanmoins que rien ne leur en donne tant s^moude” d ’averli on que cette penfée, La relfemblan- refaire chrô ce qui fe trouve en quelques points entre ticnrs,c"leur leur Religion & la notre , leur faifant croi- que jefus- ’ re que J E S v S-C H R I S t ne diffère point chrifi eft de ce Thévathat, dont il eft parlé dans leurs Lrc'dèkur Ecritures , ils fe perfuadentque puifque nous Dieu, fommes les difciples de l’un , nous fomrres aulîi les feéfateurs de l’autre , & la crainte qu’ils ont de tomber dans l’Enfer avec The- vathat , s’ils fuivent fa doétrine , ne leur f>ermet pas d’écouter les propolitions qu’on eur fait d’embralfer le Çhrilti.anifme. Çc 1 \ 402 VOT AGE qui les confirme le plus dans leur préjugé , cft que nous adorons l’image du Sauveur crucifié , qui répréfente parfaitement le châ- timent de Thévathat. Ainfi lorfque nous vou- lons leur expliquer les articles de nôtre Foy; ils nous préviennent toujours , nous difant qu’ils n’ont pas befoinde nos inftru étions ôc qu’ils fçavent déjà mieux que nous ce que nous avons envie de leur apprendre. Mais il eft tems de revenir à Sommono- khodom 7 dont nous avons interrompu l’hi- ftoire, il avoit parcouru le monde , faifant connaître aux nommes le bien & le mal , ôc leur enfei^nant la vraye Religion , qu’il écrivit luy-meme pour la laifterà la Poftéri- té. Il s’étoit même attiré plufieurs difciples, qui dans la conditiondePrêtres dévoient fai- re uneprofefiîon particulière de l’imiter , en portant un habit femblable au lien , & en gardant les régies qu’il leur donnoit, lors qu’cnfin il arriva à la quatre vingt-deuxiè- me année de fon âge , qui étoit aufii 1 âge de ce monftre, auquel nous avons dit qu’il avoit autrefois donné la mort. Un jour qu’il inftruifoit fes difciples , é^ant aftîs au milieu d’eux, il vit ce même monftre fous la figu- re d’un Cochon , qui couroit avec une in- croyable fureur , & il ne douta pas qu’il n’eût deftein de fe vanger. Connoiftant DE SIA M. Livre VI. 4o9 alors que fon départ du inonde approchoit il le prédit à Tes difciples , & peu de tems après ayant mangé un morceau de ce Co- chon qu’il avoit vû , il fut attaqué d’une violente colique dont il mourut. Son ame monta au huitième Ciel 5 c’eft proprement le Paradis appellé Njruppaam7 elle n’eft plus fujette aux miferes ny à la douleur , ôc elle jotiit d’une béatitude par- faite. C’eft pour cela qu’elle ne renaîtra ja- mais, & voila ce qu’ils appellent être anean- ty. Car parce terme ils n’entendent pas la deftruétion totale d’une chofequi la redui- fe au néant, mais ils veulent feulement di- re qu’on ne paroît plus fur la terre, quoy- que l’on vive dans le Ciel. Pour fon corps il fut brûlé ; ôe fes os , à ce qu’ils rapportent , ont été confervez jufqu’à préfent. Il y en a une partie dans le Royaume de Pégu , l’autre dans celuy de Siam. Ils attribuent à ces os une merveil- leufe vertu, & ils affurent qu’ils brillent d’une fplendeur toute divine. Avant que de mourir, il ordonna qu’on fît fon por- trait après fi mort , de peur que les hom- mes ne perdiftent peu à peu le fouvenir de la perfonne , & ne l’oubliaifent enfin fout- à-fait. Il voulut qu’on luy rendît dans cetre image les honneurs qui étoient dûsà fa divi- Fff En quoy confîfte l’an- néantifle- ment du Dieu des Siamois. les Siamois con fervent avec grand refpçà les cheveux &C le portrait de îeurDieu. 4io V O Y A G E nité. Il laifïa aulfi gravées les marques d’un de Tes pieds en trois lieux différens , dans le Royaume de Siam , dans celuy de Pégu & dans rifle de Ceïlam.Lespeuplesy viennent en Pèlerinage de tous cotez , ôc ils honorent ces veftiges tous les ans avec une dévotion finguliere. Les Siamois prétendent encore avoir une partie des cheveux de Sammonokhodom, qu’il fe fit couper après être devenuDieu : l’autre par- tie a été portée dans le Ciel par le minifterç des Anges. Ils ont coutume de nous repro- cher que nous n’avons pas allez de refpeét pour les Images facrées,pour les faintsLivres & pour les Prêtres. Il eft vray qu’on ne peut avoir pour ces chofes plus de vénération qu’ilsen ont. C’eft un précepte de leur Loy qui leur commande de les honorer : mais ils ne fe contentent pas de refpeéter les Prêtres & les Divines Ecritures 5 les vètemesns des premiers & les caraâteres qui fervent à é- crire leur Loy , font encore pour eux des objets de culte. Us croyent même que l’ac- tion la plus loüable & la plus excellen- te vertu eft de faire du bien aux Tala- poins, & que leurs Habits & les Chape- lets qu’ils en reçoivent ont le pouvoir de guérir les maladies. Ils s’imaginent en- qu’il y a dans leurs Livres une core DE SIAM. Livre VI. 411 vertu tome divine , 6c que fi une per- fonne en avoit l’intelligence 6c fiçavoit en employer les paroles , elle pourroit opérer de grandes merveilles. C’eft pour cela qu’entre les trois moyens de faire des mira- cles 5 le Premier eft de fçavoir bien fe fer- vir de la parole de Dieu 3 le fécond eft d’ètre inftruit de la doétrine des Anacho- rètes 3 le troifiéme enfin eft le fecours des Démons. Ils condamnent néanmoins cette derniere maniéré , mais ils approuvent ex- trêmement les deux premières , fe vantant d’ètre les feuls, à qui ces admirables fecrets foient connus. Pour prouver leur Religion ils content plufieurs fables, qui paflent chez eux pour au- tant de miracles averez : envoicy quelques- uns des principaux. 1. Dans le Royaume de Pégu, où font gardées les Reliques de Sommonokhodom , fies os partie changez en divers métaux , partie dans leur état naturel , répandent un éclat extraordinaire. 2. Dans le même Royaume il y a une pe- tite Ifle au milieu d’un fleuve , dans laquelle fe voit un Temple de leur Dieu. Cette petite Ifle 3 quelque hautes que foient les eaux, lors même que les lieux les plus élevez font inon- dez , demeure toujours à fec. Ils ajoûtent, Eff îj Faux mira- cles dont les Siamois au- torifent leur Religion, 412 VOYAGE que les préfensque l’on offre à Dieu en les jettantdansle fleuve, félon la coutume de ces pays- là , fuivent le courant de l’eau , juf- qu’à ce qu’étant arrivez à l lfle , ils s’y arref- tent fans aller plus loin. 3. Dans les tempeftes & les dangers de faire naufrage, les Matelots jettent un an- neau dans la mer avec intention de l’offrir au Temple de l’Ifle , & tout d’un coup la mer devient calme Se le Vaifleauçft hors de péril. 4. Sur les confins du Royaume de Pegu, il y aune petite Coline, ou ils tiennent par tradition que leur Dieu feretiroit fouvent. Il y va tous les ans une grande multitude de peuple en Pèlerinage, 5c quoy que le haut en loit fort étroit , il fuffit cependant pour con- tenir tout le monde qui s’y rend, ôc il n’en eft jamais remply. 5 . Ils difent encore qu’au fommet de cet- te Colline il y a un amas d’or , d’argent , Se d'autres chofes précieufes, que les Pèle- rins offrent à leur Dieu, lors qu’ils arrivent en cet endroit. Ils racontent qu’une ar- mée de Chinois ayant un jour enlevé ces richeffes,elle périt toute entière la nuit fui- vante , St ce tréfor fut rapporté par les An- ges, au lieu où il ètoit auparavant. <5. Quoyquele hautdela Colline foit en- DE SIAM. Livre VI. .-413 tierement expofé aux injures de l’air & aux ardeurs du Soleil , on y trouve néan- moins toujours uneombre agréable,qui ga- rantit, même en plein midy, des exceftives chaleurs, qu’on y fouffriroit fans cela. 7 . J1 y a dans la Ville de Sokhotai une Idole toute d’or : ils prétendent que cette llatuë eft miraculeufe , & que fi dans le befoin de pluye , on la porte à la campagne , comme on a coûtume de le faire , l’eau tombe in- continent en grande abondance. 8. Dans une autre Ville qui s’appelle Campeng , il y a , à ce qu’ils rapportent , un Lac, dans lequel on voit encore aujourd’huy unPoiiïon vivant , qui n’a que la moitié de fon corps, & la maniéré, dont s’eft fait ce prodige eft remarquable. Un faint homme vivoit autrefois dans cette Ville 5 comme on luy eut offert un poifton rôty , il n’en mangea que la moitié, & jetta l’autre dans le lac , defirant qu’elle vécût. Ce qu’il lou- haittoit, luy fut accordé, en confidération de fes grands mérites , car on voit encore à préfent ce dçmy-poiffon vivant dans le mê- me Lac. Il feroittrop long de rapporter icy toutes leurs autres rêveries 5 il fumtde dire que fe prévalant d’une infinité de faux prodiges de cette nature , ils nous demandent en difpu- Fff iij 414- . VOYAGE tant contre nous, à voir quelques miracles- en confirmation de la Doctrine que nous leur prêchons. Ils nous vantent de certaines ftatuës d’airain & de pierre qu’ils croyent avoir été autrefois des hommes , qu’une ver- tu divinea rendus inanimez. Ilsont encore, à ce qu’ils difent, plufieurs ouvrages anti- ques , travaillez de la main des Anges. En- fin tous les effets que nous attribuons à la magic, ils les regardent comme autant de prodiges étonnans, & ils fe glorifient d’ê- tre les feulsqui fçachent l’art de les faire. Il y aparmy eux de certains Talapoinsqui ont embraffé un état devieappellé F'ipajàna, On ne peut rien voir de plus au itéré , ils gar- dent un perpétuel filence, toû jours appli- quezàla contemplationdes chofesdivines,& ils ont la réputation d’être de grands Saints. Les Siamois croyent qu’ils s’entretiennent continuellement avec les Anges , qu’ils ont toû jours prêtent à l’efprit,ce qu’il y a de plus admirable & de plus rare dans la nature , & que leurs yeux pénétrant jufques dans les mines les plus cachées, ils y voyent claire- ment l’or, l’argent , tous les métaux ôc tou- tes fortes de pierres prétieufes. Pour ce qui regarde les mœurs & la con- duite delà vie, un Chrétien ne peut rien enfeigner de plus parfait que ce que leur Re- DE SI AM. Livre VI. 414 Religion prelcrit laddfus. Elle leur ordon- ne de faire le bien & ne leur défend pas feu- lement les actions mauvaifes , mais encore tout defir , toute penfée , & toute intention criminelle. C’eft ce qui leur fait dire que leur Loy eft impoflible dans la pratique , ou du moins qu’il eft tres-difficile de la garder comme il faut, auftî croyent-ils qu’ils iront tous en enfer. Toute leur Loy eft comprife en dix Com- mandemens comme la notre 3 mais elle eft beaucoup plus févére. Car outre que chez eux ny la néceftitény aucune autre circon- ftance n’excufe l'homme qui peche , plu- fteurs chofes,qui parmy lesChrêtiensnelont que de perfection & de confeil , paifent parmy eux pour des préceptes indifpenfa- bles. L’ufage de toute liqueur capable d’en- nivrer leur eft interdit. U ne leur eft pas mê- me permis de boire du vin, quelque befoin qu’ils en ayent,& en quelque occafion qu’ils fe rencontrent , & ils font extrêmement fcandalifezlorsqu’ilsen voyent boire à des P r è très Chrë ti ens .Ils ne peuvent tuer fans pé- ché aucun animal, c’eft même un crime d’al- ler à la chaffe , de frapper une befte & de luy faire mal en quelque maniéré que ce puifle ê- tre. La raifon qu’ils en apportent , eft que les La Loy des Siamois co- dent: dix préceptes fort févéres. 4i 6 VOYAGE animaux vivant aufli bien que nous, font comme nous fenfibles ci la douleur , 6c que puis que nous ne voulons pas qu’on nous rafle aucum mal , il n’eft pas raifbnnable de leur en faire. Us nous accufent même d’in- gratitude , parce que nous donnons la mort a des créatures innocentes qui nous ont ren- du tant de fervices. Pour cette raifon ils font obligez d’exercer la charité , non feu- lement à l’égard des hommes, mais encore à l’égard des animaux , 6c de les aflîfter dans leurs néceflîtez. Le refpeét , qu’ils ont pour leurs Ecritures , fait qu’ils n’o- fent nous les confier , ny même nous expliquer leur Loy , de crainte que l’ex- pofant à nôtre raillerie, nous ne commet- tions quelque irrévérence , 6c que le péché ne leur en i’oit imputé. Us nous reprochent fouvent que la maniéré dont nous portons les Images des Saints, 6c dont nous lifons les Livres facrez', n’eft pas aflez refpeétueu- fe. Au refte les Talapoins qui font leurs Prêtres, leurs Religieux 6c leurs Doéleurs font regardez comme les vrais imitateurs de Dieu. Ils ont peu de commerce avec le mon- de , ils ne faliient jamais aucun Laïque , pas même le Roy. Et c’eft pour cela que les Sia- mois font mal édifiez devoir lesPreftres Eu- ropéans famiharifer avec les pçrfonnes fécu- lieres. Les - ' DE SIAM. Livre VL 4>7 Les Talapoins vont tous les matins a la quelle , 8c l’opinion qu’on a de leur vertu, lait que tout le monde leur donne. Aulîî le point le plus effentiel de la morale qu’ils prêchent , eft que pour Te fauver , il faut eri- ger ou réparer les Pagodes , 8c fur tout af- filier les Talapoins. Les Laïques ont huit commandemens principaux , qui confi lient , i. à adorer Dieu, fa Parole , 8c ceux qui imitent fes ver- tus, 2. à ne point voler , 3. à ne poiut boi- re de vin ny aucune liqueur qui eny vre , 4 . à ne point mentir 8c à ne tromper perfonne. 5 . à ne point tuer ny hommes ny animaux , 6. à ne point commettre d’adultere, 7 . à jeûner les jours de Felle, 8. à ne point travailler ces jours-là. Ce font ces devoirs que les Prêtres expliquent au peuple , 8c dont ils l’inllrui- fent dans leurs Sermons. Les Monalleres des Talapoins font au- tant de Séminaires où la jeunelfe ell éle- vée. On y met tous les enfans de qualité dés qu’ils font capables d’inllruélion , 8c tandis qu’ils y demeurent on les fait vivre fort févérement. On les appelle Nên$ ils ont leurs préceptes 8c leurs réglemens par- ticuliers , qui confident à porter un habit jaune , à le razer la telle 8c les fourciîsdeux 4i8 VOYAGE fois tous les mois, le quatorzième Ôc le vingt- neufiéme de la Lune, à jeûner ces deux jours- la, & encore quatre autres Fêtes, qui arrivent le quinze, le vingt-trois & le dernier jour de la Lune , à manger feulement deux fois le jour , le matin & à midy , fans qu’il leur foit permis de prendre aucune nourriture jus- qu’au lendemain , à n’avoir commerce avec aucune femme, à ne jamais chanter dechan- fons, & à ne point écouter ceux qui en chan- tent , à ne joiier d’auenns inftruments , à fuir les fpcétacles & les réjouiiïances pu- bliques, a ne point ufer de parfums , à ne point aimer l’argent , qu’ils ne doivent pas même toucher , bien loin de pouvoir en a- ma (Ter , à ne pas prendre plainr à goûter ce qu’ils mangent , & à en détourner leur pen- fee,.c’eft pour. cela que plufieurs d’entre eux mêlent tout ce qu’on leur donne pour le rendre moins agréable , enfin à honorer les Prêtres, à leur céder le pas ôcà s’afifeoir ■toû jours au de (Tous d’eux. Les Talapoins mènent une vie plus auf- tére ; car outre qu’ils ont foutes les obliga- tions des Laïques & des jeunes gens qu’ils élevent , ils ont encore plus de fix-vingts Régies propres de leur état , dont voicy les principales. De fe rendre tous les jours deux DE SIAM. Livre VL 419 fois au Temple , le matin & le foir pour y faire leurs Prières, d’étre entièrement cou- verts , de ne toucher jamais de femmes , de ne leur point parler lèiil à feul , & même de ne les pas regarder quand on les rencon- tre dans les rues , de marcher avec une grande modeftie les yeux bai (fez, & fans tourner la tête , de porter toujours un évan- tail 6c de s’en couvrir le vifage , pour em- pêcher l 'égarement de la vue , de ne confen- tir jamais à aucune mauvaife penfée, de ne point préparer eux-mêmes leur manger T mais de le prendre tel qu’on le leur donne, de vivre des aumônes qu’ils vont demander parla Ville, mais de ne point entrer dans les maifons , & de n’attendre même aux portes qu’autant de tems qu’un beuf en met à boire , d’enfeigner la Loy à leurs difci- ples & au peuple , de fe mortifier 6c de faire pénitence une année entière, dont une par- tie confifte à demeurer expofez durant quinze nuits du mois de Février à la rofée du Ciel au milieu des champs, de confeifer leurs pechez les uns aux autres , de jeûner trois mois de l’année , Juillet , Aouft, 6c Septembre, de ne manger qu’une fois le jour pendant tout ce tems là , cju’ils appellent leur grand jeûne, 6c de prêcher pourtant GgS 42o VOYAGE tous les jours , de réciter uneefpéce de cha- pelet compole de cent quatre vingt grains , & divifé par dixaines , de ne falüer aucun Laïque , d’être doux ôc mifericordieux à l’é- gard de tout le monde , de ne fe mettre point en colere ôc de ne frapper perfonne, de n’avoir jamais la tête couverte, parti- culiérement dans les Temples, de ne s’af- feoir que fur un certain fiége de cuir qu’ils portent avec eux, fur tout dans les lieux où il y a des femmes aflïfes, de ne coucher ja- mais hors du M.onaftére , Ôc de n’en point lortir feuls : de n’avoir qu’un habit, de ne jouera aucun jeu : de ne recevoir l’argent qu’on leur donne que parla main d’un Laï- que qui leur fert comme de Procureur , Ôc de l’employer en bonnes oeuvres , comme à payer lesdettes des pauvres, & à racheter lesefclaves: de loger les pèlerins & de leur faire tout le bien qu’ils peuvent: d’être fin- céres & véritables, ôclorfqu’il faut affurer ou nier une choie , dire feulement qu’elle eft ou quelle n’efl pas , enfin de ne fouffrir jamais dans fon efprit le moindre doute fur la Religion. Les Talapoins font fouvent des difeours au peuple pour l’exhorter à la pratique des vertus ôc particulièrement de la charité en- DE SIAM. Livre VI. 421 vers les hommes & les animaux. Celuy qui prêche, eft aflîsà la manière du Pais fur un petit theatre couvert de tapis & fort élevé au deffus de l’auditoire. Après que le monde eft aftembléjil commence par lire quelque Sentence de Sommonokhodom avec un air plein de modeftie 8c de gravité , te- nant toujours les yeux bardez ,8c ne faifant aucun gefte 3 enfuite il développe les myf- teres fabuleux de ce Livre, 8c il en tire quelque morale pour rinftruétion de fon auditoire , fefervant de métaphores , de pa- raboles, 8c fur tout decomparaifons prifes des chofes naturelles , ainfi qu’ont accou- tumé de faire les Orientaux. Le peuple af- fis fur fes talons écoute avec beaucoup de refpeét 8c d’attention , les hommes étant d’un côté 8c les femmes de l’autre. Les au- tres Talapoins font à côté du Prédicateur , mais féparez du peuple , 8c aflis fur une ex- trade. Tous les auditeurs ont les mains jointes, 8c dés que le Prédicateur a pronon- cé le Texte , 1 ils s’écrient tous enfemble levant les mains au Ciel , 8c baillant la tête, Parole de Dieu , Vérité toute pure. Ils ont comme nous une efpéce de Dimanche de fept en fept jours, qu’ils paftent en jeunes 8c en priè- res , outre quelques autres Fêtes plus folen- Ggg “J 42Z voyage nelles, qui durent trois jours, & qu’on cé- lébré tantôt dans une Pagode , tantôt dans une autre , avec un concours extraordinai- re. Les femmes font les plus empreffées à fe rendre à ces affemblées de piété. Pendant ce tems-là on prêche depuis fix heures du matin jufqu’à fix heures du foir , de nou- veaux Prédicateurs fe fuccédant les uns aux autres , & chacun prêchant fix heures. Ces longs difcours ne fatiguent point l’auditeur qui fe tient toûjours dans le refpeêt fans cracher & fans tourner la tête. Voilà ce qu’on a pu apprendre de la Re- ligion des Siamois , qui a été jufqu’à main- tenant fi inconnue en Europe. Mais pour peu qu’on examine ce que nous en avons dit, on y trouvera tant de chofes fembla- bles à la doétrine Chrétienne , qu’il fera aifé de juger que l’Evangile a été autrefois annoncé à cette nation , mais qu’il a été altéré & corrompu dans la fuite des tems par l’ignorance & par les vifions de leurs Prêtres. Quant à l’état préfent du Chriftianifme à Siam, je n’ay rien à en dire de particu- lier. Il eft furprenant que l’Evangile falTe fi peu de progrez parmy des peuples , qu’on cultive avec beaucoup de zélé & de loin-, . ----- DE SIAM. Livre VI. 423 qui voyent tous les jours la Majefté de nos cérémonies fi propres à donner idée de nos myftéres , qui n’ont d’ailleurs aucun vice capable de les dégoûter de nos Maximes , & qui eftiment tant les Talapoins parce qu’ils font profefiîon d’une vie auftére. Cela pourroit faire croire qu’ils ont quelque chofe de fauvage & de groflier, fi les manières agréables 8c les belles réponfes des Ambafiadeurs qui font en France , ne faifoient voir qu’ils ont de l’efprit 8 c de la politelfe. Mais il ne nous appartient pas de vouloir pénétrer les fe- crets jugcmens de Dieu. Prions feulement avec ferveur ce Pere des Miféricordes , d’éclairer & de toucher un Prince déjà à demy Chrétien par les favorables difpofi- tions de fon efprit 8c de fon cœur , fur tout depuis que nôtre grand Monarque vient de le rendre tout François. On voit afiez les grandes fuites d’une telle conquête , fi l’on confidérequeleRoy deSiam n’a pas moins d’autorité fur les Princes fes voifins par l’ad- miration que leur donne fa fagefle , qu’il en a fur fes fujets. Nous avons tout lieu de bien efpérer, & d’autant plus , que le Seigneur Confiance fon Miniftre eft égale- ment habile & pieux , ne manquant ny de l 424 VOYAGE DE SIAM, &c. bonnes intentions pour appuyer les defleins honorables à la Religion , ny de vîtes ôede crédit pour les faire réüflîr. FIN. TABLE DES MATIERES CONTENUES EN CE LIVRE A AB j U R ATI O N. Deux Calviniftes inftruits par un des Pcres font abjuration , Page 1 1 9 Academie. Les Jéfuites qu’on envoyé aux Indes font reçus, dans l’Académie des Scien- ces , 7 Agoum Sultan , Roy de Ban- tam, 144 Il alîîége Sultan Agui dans fa Capitale , 146 Aigrettes Oyfeaux, 201 Albucors PoifTons qu’on trou- ve Ions la Ligne, 42 Ambafladeurs. Manière dont on reçoit à Siam lesAmbaf- fadeurs des Princes voilins & des Rois indépendans , 215. & fiùv. Anachorètes des Siamois ,389 & fkiv. Anges. Les Siamois croyentles Anges corporels & de diffé- rens fexes, 388 .&fuîv, AnéantilTement. En quoy con- fite ranéantilTement duDicu des Siamois , 409 Arbres extraordinaires du Ja^ pon, 164 Arréque. Ses qualitez, 3 69 Azébédo. Martyre du P. Azé- bédo & de fes trente-neuf Compagnons, 31 BAIons. Ils font en grand nombre à Siam, 200 Defcription des Balons d’Etat, 222 Banxa détroit difficile à palier , 182 BanKoje. Gouverneur de Ban- kok Turc de nation, 187 Bantam. Salîtuation, 1^5 On y envoyé demander des ra- fraîchilTemens , i$£ On en chalTe les François ôc lesAnglois, 149 Hhh Table des le Roy de Bantam en la dilpo- fition des Hollandois, 136 Batavie. Arrivée à Batavie, 149 Defcription de Batavie , 167 Baye. Baye du Cap , on court ri (que d’y échouer , 62 Bétel , Tes propriété! , 369 Bonite PoifTon > 4a Manière de la pêcher , 43 Breft. Départ de Brclt , 15 Arrivéeà Breft, 360 C CAcatoiia, Ifle de Caca- toiia, pourquoy on l’ap- pelle ainfi , 130 Calmes fréquens fous la Zone, 1 Monfieur Campiche Général de Batavie, Ton caraétére, 1^5 Son relpcét pour le Roy, 164. 1:75 . & fmv . Cap de Bonne Efpérance , fa defcription , 60 Catéchifine. Un des Jéfuites fait le Catéchifme à l’Equi- page, 19 Catholiques , ils font les feuls qn’on ne foufFre point à Ba- tavie , \66 Monfieur le Chevalier dcChau- mont nommé Ambafiàdcurà Siam, 11 L’Ancienneté de fa maifon , 11 Sa pieté , 23 Sa libéralité , 244 Il cft complimenté par toutes les nations d’Orient qui font à Siam, 212 Son Entrée à Siam, 224 Matières Son entrée dans la Salle d’Au- diance, 223 Sa Harangue au Roy dé Siam , 25 4 Manière dont il préfenta la Lettre du Roy , 237 Il eft régalé dans le Palais du Roy de Siam, . 247 Il prend fon Audiance de con- ge > . *45 Chinois. Leurs Sépulchres à Batavie, 171 Leurs T emples , 17 2 Leur manière de naviger , 3 66 Monfieur l’Abbé de Choify cft nommé pour être Ambafla- deur auprès du Roy de Siam jufqu’à fon Baptême , 23 Monfieur Confiance, fa naif- fance , 187 Sa converfion , 193 Il reçoit les Jéfuites avec beau- * coup de bonté , 105 Cour ans d’eau , & ce qui les caufe, ^30 Crucifix envoyé par le Roy de Siam au R. P. de la Chaife, 55° D DEmons , les Siamois ne reconnoiftent point d’au- tres Démons que les ames des damnez , 389 Départ de la Ville de Siam, 347 Départ de la Barre de Siam, 351 Départ du Cap pour revenir à Breft , 357 Détroit de la Sonde dangereux à palier , 332 Table des Matières. Dévotion des Matelots . 30 Dieu des Siamois , & l'idée qu’ils en ont , 378.^ fuiv. Dragons d’eau , 49 La manière dont ils fe for- ment , 50 E EClipfe. Villon des Tak- poins fur l’éclipfe de Lu- ne , 335 Eléphant blanc,. X39 Eléphant Prince & Eléphant de Garde, 195 Les Eléphans ont des ongles aux pieds, 2-78 Manière de prendre 5c d’appri- voifer les Eléphans , 198. & 5c 340. & fuiv. Enfer , ce que les Siamois croyent de l’Enfer , 583 Entre vûë de Monfieur l’Àm- balîad ur, 5c de Monfieur le Commiflaire Général de la Compagnie Hollandoife , 79 Erreur confid'érable des Cartes Géographiques & Hydro- graphiques, 118 EtablifFcment des Hollandois au Cap j 89 Eternité. Les Siamois croyent le monde éternel , 390. & fuiv. Evêque. Moniteur de Métel- lopolis vient à bord faliier Monfieur l’Ambalfadeur , 196 -ôqlib tf n E FAutcs des Cartes du Ciel dans la partie Méridio- nalle, 33 P. Ferreira Jéfuite , confondu mal à propos avec un Mini- ftre de Batavie du même nom, 34 £ Feftes que font les Mores , 296 Monfieur le Chevalier deFour- bin demandé par le Roy de Siam, 5, 323 Foux, oy féaux , 22-6 Frégates , oyleaux , 1 16 P. Fuciti Jéfuite, prifonnierà Batavie, pour avoir afïiftc les Catholiques , 15 2 Ses travaux dans la Cochin- chine 5c au Tunquin, 15 4 Son Cara&ete , 156 Funérailles de mer , 145 G GEnéralat eft la prémiére charge des Hollandois dans les Indes , *78 Ginfeng. Ce que c eft, 5c quel- les font fes vertus ,> 370 Manière de le préparer , 372 Goémon herbe de mer, 35 H HAbitans du Cap. Leurs mœurs , 95 Harangue de Monfieur Con- fiance au Roy de Siam,: 32 Hhh*ij Table des Matières. Honeflcté des Hollandois du Cap, à l’égard des jefuites, 69 & fniv . Hortns Malabancus de Mon- fleur Van-Rhéden , 88 Hortns Africus qu’il prépare , 88 .<* Hottentots peuples du *Cap, 96 Harangue de Mon Heur de faint Romain au Roy de Portu- gal> • 17 1 IAva. Arrivée à Tlfle de Ja- va, 127 Javans, leurs mœurs, & leurs manières de naviger, 135 Jardin de Meilleurs de la Com„ pagnie Hollandoife au Cap, 71 lardin du Général 'Spelman à Batavie, 133 Idole d’or extraordinairement grande, *50 léfuites. Le Roy envoyé des Parentes de Mathématiciens aux flx Icfuites , 13 Us vont rendre viflte au Gou- verneur du Cap , 66 Ils confolent les Catholiques qui y demeurent , 85 On les y foupçonnent d’adnr- niftrer les Sacrcmens , 8 6 Bon accueil qu’ils reçurent à Batavie, 1^2 Ils ont audiance du Généra I 160 Le Roy de Siam leur donne uneauddance particulière, 276 Leur Harangue préfentéc au Roy de Siam, 278 Monfleur Confiance fonge à les établir à Siam , 279 Illuminations au Palais du Roy de Siam , 294 Illuminations pour la chaflè des Eléphans , 32a Monfleur de Ioyeux. Il eil nommé Capitaine de la Ma- ligne , 25 Le Roy de Siam luy fait pré- fent d’un Sabre avec une chaîne d’or. 29® L LEttrc du Roy de France, 240 Refpcél qu’on luy rend, 237 Lettre du Roy de Siam appor- . tée à bord avec cérémonie, 348 Lettre de Monfleur Confiance au Perc de la Chaife, 336 Lettre du Pere de la Chaife au Pere Verbieil , 18 Ligne , grand nombre de poif- fons fous la ligne , 3 y Loix pour la fucceflion du Royaume de Siam, 377 Louvo, Defcription de Lou- vo , 275 Voyage du Roy a Louvo , 265 Lumière qui fort de la mer pendant la nuit, 32 Monfleur l’Abbé de Lyonne vient voir Monfleur FAm- bafladeur, 196 Il revient en France avec les Ambafladeurs du Roy de Table des Matières. Siam » 344 Ce Prince luy donne un Cru- cifix d’or, 544 M MOnfieur le Duc du Mai- ne faitprefent aux Peres d’un inftrument deMathéma- tique , io Maladie dans l’Equipage, 117 Mandarins, on en envoyé deux faliier M. l’Ambafïàdeur , m % Marfoin poifion , il a le fang chaud , 57 Monfieur de faint Martin , Major Général à Batavie t 1B0 Matelots de faint Malo, leur dévotion, m Ménam , combat de rameurs fur le Ménam, 265 Méridiens. Différence nou- velle des Méridiens du Cap &c de Paris, 81 Mines d’or au Cap de Bonne Efpérance, 9$ Miracles. Faux miracles dont les Siamois autorifent leur Religion , 311^ fnht Mony, Ifle proche de Java, & fa fîtuation , 124 Motifs qui retiennent le Roy de Siam dans fa P^eligien , JM Mouches luifantes, 200 Moufquittes ou Maringoiiins incommodes, 200 Mufique de certains peuples des environs du Cap, 10 6 N “T^T Ids d’oyfcaux bons pour les ragours, 372 Neufvaine. On en fait une à la fainte Vierge pour obtenir un bon vent, m O OBfervations faites au Cap, 7f Obfervations pour les écoilles du Sud , 77 Obfervation de l’Emeriion du 1. Satellite de Jupiter, 80 Avantages qu’on peut retirer des Obfervations Aftrono- miques , 70 ôc 81 Obfervations de I’Eclipfé de Lune faite à Louvo devant le Roy , 3 10, 3 27 & fniv . P PAgodes. Préfent du Roy de Siam aux Pagodes, 245- Defcription de la plus célébré Pagode de Siam , 151 Paille-en queues oyfeaux, 12^ Palais où logeoit Monfieur l’Ambaffadeur à Siam., 106 Defcription du Palais du Roy de Siam, 119 Paradis. Ce que les Siamois croyent du Paradis , 3 Pefche du Marfoüin, 16 Phénomènes. Divers Phéno- mènes qu’on voit fous la Ligne, 48 & fui** Hhh iij Table des Matières, Pinguins , oyfeaux aquatiles , PoiHons volans . 4 a Poilfons curieux du Japon, 94 Praux canots des Javans , 133 Précaution avec laquelle il faut navigerde l’Afrique en Europe, 358 Préceptes de la Loy des Sia- mois, 405 Prépadem. On y reçoit Mon- fieur l’Ambafïadeur, 213 Princes. Trois fortes de Prin- ces à Siam , 231 Piote&ion particulière deDieu fur le Voyage y 123 R ii «w REconnoiffances des ap- proches du Gap de Bon- ne Efpérance , 56 Relation des environs du Cap, nouvellement découverts , 94 Remarque nécefîairc pour ceux qui vont du Cap aux Indes, ii 4 R-éponfe de Monficur Confian- ce aux Objections du Roy de Siam fur le fujet de la Religion, 311 Requin ou Chien de mer, poiflbn, 39 Rhinocéros , 90 Roy. Z de du Roy pour I’ac- croifTè.nent de la R digion , & pour h perfection des Sciences ,3 & Cnlv. Roy de Siam. L’eftime Sc l’a- mitié du Roy de Siampour lc Roy de France, 199 Caractère du Roy de Siam, 314 & fuiv. Son habillement, 233 Maniéré dont on paro'ft de- vant luy dans les cérémonies, *3 i i$i Ses forties publiques* 2 69 SAumatres -, vents qui fouf- flent de Sumatra, 184 Siam. Situation & Defcrip- rion du Royaume de Siam , 365 Difîérens noms de la Ville de Siam , Siamois. Leurs habits , 366 Leurs Coutumes ôc leurs mœurs-, 367 Leur curioiîté pour fçavoir l’avenir, .74 Leur refpeét pour leur Roy, 37Ï Leur Religion , 378 Sommonoïdiodom , Dieu des Siamois , 397 & fuiv. Sa fcience, fes perfecutions , les bonnes œuvres & fes divers changemens , 3 99 Sa mort , 408 Sonquas, peuples des envi- rons du Cap, 96 Speétacles divers , 2 8 Mon/îeur Spelman,. General des Hollandois envoyé du fecours au Sultan Aguy , 144 Le Perc Suarez Iéfiite Portu- gais. Son Caractère , 207 Table des Matières. Succrs poiflons , autrement ap- peliez Pilottes de Requin, 4i Sumatra lfle. Sa Defcription, Sylléme du monde félon les Siamois. 395 T TAlapoins. Leur aufteritc , 4 1 6 & J hiv. Funérailles d’un grand Tala- poin, 1 66 & fiiiv. Tempefte au trente-quatriè- me degré Méridional. 116 Thé. Ses proprietez, 369 Manière de le préparer , 37 o Thévatat , frere de Sommono.' Khodom, 401 Sa malice & fon fchifme ,401 SonSuplice, 405 C Ÿ [niv. Tigre, & fa férocité, 91 Combat d’un Tigre ôc d’un Eléphant, 291 Torpille, ÔC fcs proprietez, 93 f 91 Tortues. La manière de les prendre , 357 Tours de fouplelïe des Sia- mois, 258 Trial , ou trois Ifles allez balles , il* Trône. Defcription du Roy de Siam , V VAche marine, 104 Monlieur Vachet accom- pagne les Envoyez du du Barjcalon en France, 4 Il accompagne aulîi les Ambaf- fadeurs du Roy de Siam , 344 Le Roy de Siam luy donne ua Crucifix d’or, 344 Monfieur Van-Rhédcn , En- voyé CommilTaire Général par la Compagnie Hollan- doife. SonCara&ére, 64 Monfieur Vanderftellen Com- mandeur du Cap. Son ca- ra&ere , CS Il envoyé reconnoître nos VaifTeaux, CG Son Voyage dans les terres du Cap, 105 Monfieur de Vaudricourt nom- me Capitaine de l’Oifeau. Son habileté, 23 Le Roy de Siam luy fait pré- fent d’un Sabre, 290 Fin de U Table des Matières. * Page, Ligne, Page il. ügne i o. P- ligne *4 P. zo. ligne 1. La même ligne 14. P* 19. ligne 1 6. P- 34* ligne 18. P- 8. ligne 19. P- ?9* ligne zf, P- 63. ligne 6. P • 7*" ligne ç. Fautes a corriger. Faute , CorreBiofh naulcs , de nos Percs'de«fe$ fuje.ts, tout deux, toute la nuit, prinpalles , dans dans le Ciel , de pêche, *ye> étiot , Iailliflante, lif navales- lif. les fujets. . lif. tous deux. lif. la nuit. lif. principaHes. lif dans le Ciel» - lif de la Pêche. lif. ait. lif étoif. P. 80. ligne 6 . à perdre , lif. aperçu. P.-9J. ligne 17. Bingums , lif. Pinguins. P 107 ligne 1, lefles , If les. P. IIO. ligne f. éaille. lif écaille. P 119. ligne 4. Pafque , lif. Pentccofte. P. IZO- ligne 7. craignons , If. craignions. La même ligne z z. Trias , Uf. Trial. P 115. ligne 17. Mcrédionale , lif. Méridionale. P M4- ligne l9’ des Hollandois, lif dans les Hollandois. P. 148. ligne & le mettre , Itf. & de le mettre. P- 164. ligne 1*. Comblées , lif. comblés P 171* ligne a,. s’imaginer 9 lif imaginer. p. 177- ligne IJ. Chinchin, Uf Chiucheu. P. 188. ligne a. dix ans, lif douze ans. P. 19 y. ligne Z3. ceux dévoient , k[ ceux qui devoienr. P. 115. ligne ï8. audience , Uf. audiance. V. z 35 ligne zz. après vous régné , Uf apres avoir régné. P. z4i. ligne 3. inclinations , lif intentions. P- z 66. ligne 14. autour , Uf autour. V 171* ligne Z9. aller } lif alors. P- 3*7- ligne f. longue lunette , Uf. bonne lunette» P- HO. ligne 10, pour, Uf par. La même ligne zz. qu’on avoit prépare , lif préparez» P. 410* ligne 4* CeïlamP lif Ceïlan, ji • Û 2 B'Of S '"?'