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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE D'ARRAS
L'Académie laisse à chacun des auteurs des travaux | insérés dans lesvolumes deses Mémoires, la responsabilité desesopinions,
tant pour le fond que pour La forme.
MÉMOIRES : -.
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L'ACADÉMIE
DES SCIENCES, LETTRES ET ARTS
D'ARRAS.
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Séance publique du 21 Août 1884.
DISCOURS D'OUVERTURE
par M. Ed. LECESNE
Président.
MESSIEURS,
S il est toujours honorable de présider la Séance publi- que de l’Académie d’Arras, il est quelquefois difficile d'y prononcer le discours d'ouverture. La matière manque, el il faut souvent revenir à des redites. Je sais bien que d'illustres exemples justifient cette habitude. l’Académie française a, pendant plus de deux siècles, entendu sur tous les tons l’éloge Jde son glorieux fondateur, et les louanges de Clémence Isaure défraient encore chaque année, en prose comme en vers, les solennités de l’Aca- démie des Jeux Floraux. Sans aller chercher si haut et si loin la preuve que chez nous rien n'est impossible, je mentionne avec plaisir que plusieurs de mes prédéces- seurs se sont acquiltés avec un rare lalent de cette tâche ingrate.
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Mais pour moi, qui me sens plus faible et plus stérile, j'avoue que j'ai craint de plier sous le fardeau, aussi ai- je essayé de tourner la difficulté, et n'osant suivre la grande roule, je me suis jeté dans des chemins de tra- verse. Ces détours m'ont conduit sur un terrain encore glissant, mais où j'espère trouver pied si vous voulez bien m'y soutenir. J'ai l'intention d'examiner, aussi suc- cinctement que possible, les influences qu'a subies la lit- térature contemporaine. Vous le voyez, à défaut d'autre mérite, ce sujet a incontestablement celui de l'actualité ; il a, de plus, l'avantage de nous mettre en présence de nos qualités et de nos défauts : c'est une espèce d'examen de conscience que je demande à faire avec vous, quoique je sois un assez mauvais confesseur.
On a dit que le style est l'homme méme ; on pourrait dire également que la littérature est le siècle même. Il y a, entre le temps où l’on vit et la manière d'écrire, une corrélation qui saute à tous les yeux. Celle corrélation est même obligée, car ils sont rares les hommes qui de- vancent leur époque, et qui, loin d’être menés par elle Jui commandent en maîtres. Presque toujours on est plus ou moins de son temps et, si on veut êlre compris, il faut se mettre à la portée de ceux à qui l’on parle. En examinant toutes les vicissiludes par lesquelles ont | assé les différentes manifestations de l'esprit humain, on verra que cette régle ne reçoit presque jamais d'exceplion. Ainsi, à ne prendre que notre pays, il est facile de dé- montrer que les écrivains y sont loujcurs en rapport avec les idées de leurs siécles.
Au moyen-âge, la confusion et la barbarie réenent de toutes parts, nais aussi la naïveté el les charmes de
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l'enfance jettent dans ces ténèbres une douce clarté. La religion embrase tous les cœurs ; la foi s’y produit par des superstitions dont la grossièrelé même indique la sincérité. D'autre part, le respect de la femme se fait sen- Lir de la manière la plus heureuse ; il engendre ce culte de l'amour qui devient un des principaux ‘besoins de Ja classe noble. Ces tendances se retrouvent exactement dans l'expression de la pensée. Le langage est incorrect, mais gracieux ; les idées sont rudes, mais chaleureuses. Les troubadours et les trouvères chantent l'amour, dans des fabliaux, des sirventes et des virlets qui, pour être sans art, ne sont pas sans agrément. Les romans de che- valerie propagent les sentiments de bravoure et de dé- vouement qui forment encore aujourd'hui le fonds du caractère français, et l’histoire, dans les récits de Join- ville, de Villeharduin el de Froissard, présente les fails. peut-être sans méthode, mais avec un prestige qui n’a jamais été dépassé.
Pendant la Renaissance, un rayonnement subit se ré- pand dans les esprits. L'étude de l'antiquité est par- tout en honneur, l'érudition devient le propre de tous ceux qui tiennent une plume, et cette science est embel- lie par les inspiralions d’une imaginalion vive et prime- saulière. Mais on na pas encore dépouillé la rudesse des temps passés et l’on sacrifie trop aux ornements pa- rasites. De là cet actrait que font éprouver les poésies de Villon, de Marot, de Régnier et de Ronsard, attrait qui n’est tempéré que par le regret de voir tant de richesses si souvent gaspillées et par la difficulté de comprendre un langage encore informe. De là cette puissance qu'exer- cent les écrits de Montaigne, de l‘harron, d'Amyot et de
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Rabelais, puissance qui n’est balancée que par le défaut d'ordre et de classement et par le mélange trop fréquent du bon et du mauvais goût.
Au siècle de Louis XIV, la nation est parvenue au plus haut point de sp'endeur et de civilisation. Tout s'incline devant une règle fixe el invariable. La force et la gran- deur semblent être le cachet des hommes et des choses; de toutes parts on se ressent de la majesté et de l'unité du trône. Ces caractères passent dans la littéralure : elle est marquée au coin de la noblesse et de la précision. Rien de plus élevé et de plus châlié que les productions littéraires de cette période : c’est l'invention et l’exécu- tion portées au plus haut degré. Les grands écrits de cette époque sont et resteront des chefs-d'œuvre de pen- sée et de style. Avec Molière, Corneille, Racine, Boileau et la Fontaine, la poésie est parvenue à son apogée ; avec Bossuet, Pascal, la Bruvère et Fénelon, la prose atteint des sommets infranchissables.
Sous Louis XV, les traditions de l’âge qui vient de fi- nir se conservent religieusement. Villemain a fait remar- quer avec raison que le XVIII siècle est le seul qui n'ait point médit de celui qui l'a précédé. Mais le déclin arrive comme à tout ce qui vieillit: on discute, on ne croit plus ; on esi élégant, on n'est plus megnifique ; on à de l'esprit, on n’a plus de génie. Toutefois, il reste encore assez d'éléments pour former la société la plus distinguée qui fût jamais. La lillérature entre tout-à-fait dans ce mouvement, ou plutôt, elle le dirige. C'est la première fois que les auteurs ne sont pas protégés par les puis- sants, mais traitent avec eux sur le pied de l'égalité: il n’y a plus de Mécènes, il y a une république des lettres:
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quelquefois même, cette république devient un empire. De tels résultats sont dus aux écrits si lumineux et si universels de Vollaire, de Didero!, de Buffon. de Mon- ltesquieu, de Rousseau. Ce sont eux qui ont fait de la langue française l’idiome par excellence, ce sont eux qui l'ont rendue si claire et si précise qu'elle est devenue un instrument d’un usage général. Tout le monde ne pour- rait pas écrire comme Montaigne et Bossuet, mais tout le monde pourrait écrire comme Voltaire.
La littérature du XIX* siècle est née de ces origines: il est impossible d’en avoir de meilleures. Est-elle restée digne de ses devancières ou, semblable à ces races dégé- nérées dont parle Massillon, est-elle lombée en pourri- ture ? C'est ce que nous allons examiner. Le mouvement littéraire de notre époque peut se parlager en trois pé- riodes bien distinctes : celle dela République et de l'Em- pire, celle de la Restauration et du gouvernement deJuil- let et celle de nos jours. La première n’est qu’une con- tinuation des principes du XVISI° siècle. Vollaire et Rousseau y règnent en souverains. Rousseau surtout éblouit de son prestige tous les penseurs de celte époque: c'est à l'exagéralion de sa manière qu’on doit ce senti- mentalisme, qui nous paraît aujourd'hui si ridicule, et la boursouflure des expressions qui gâte les meilleures choses.
Sous l'Empire, la tradition se perpélue ; mais en du- ran!, elle tourne à l'immobilisme : l'emphase avait encore son côté chaleureux, le classique pur devient le type de la monotonie et de la routine. Que dire d’une époque où Ducis, Arnault et Lemercier se posaient en Sophocles ct en Euripides, où Parny croyait égaler Tibulle et où De-
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lille luttait contre le chantre des Géorgiques? C'est à peine si un poëte de génie, André Chénier, apparaît dans ce gouffre, in gurgile vasto, et sail retrouver quelques vrais accents de la Muse antique.
Ce fut au moment où l'esprit humain semblait le plus allaché à une méthode décrépite que s’opéra un travail qui devait conduire à une complète rénovalion. La prose, si étrangement traitée dans les amplifica- tions des rhéteurs du premier empire, avait lrouvé des interprètes qui montrérent des chemins tout nou- veaux. Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand et M°° de Stuël furent les précurseurs de la révolution littéraire qui éclata aux environs de 1830. Alors on brüla ce que les âges précédents avaient alloré, et des dieux inconnus s'implantèrent sur des autels érigés en pays conquis. [Il faut reconnaître que celte levée de boucliers a produit de brillants athlètes. Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset et, comme (transition, Casimir Delavigne, forment une pléiade qui a marqué son passage par des traits qui ne s'effaceront pas. Mais comme tout ce qui est violent, la nouvelle école fut bientôt à bout de forces ; en quelques années elle donna tout ce qu’elle pouvait produire, et il est douteux qu'il se trouve désormais personne qui veuille continuer les errements du romantisme. En effet, c'est merveille com- bien ces libertés d'écrire, qu’elles aussi on proclamait nécessaires, ont vite passé de mode: les vieilles traditions avaient duré trois siècles, les nouvelles n'ont duré que quelques années.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui; nous vivons au milieu des ruines: ruines de ce que longtemps on
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croyait immuable, ruines de ce que lout récemment on avait fondé avec tant d’ostentalion. Dirons-nous :
Quel mal cela fait-il ? Ceux qui sont morts, sont morts.
Mais encore faut-il savoir comment ils sont remplacés, et franchement, les vivants ne font pas oublier les dé- funts. Îl est pourtant fâcheux que notre littérature flotte ainsi au hasard. Si l’on doit s’abstenir, dans les choses de l'esprit, de jurer sur la parole du maître, on doit aussi éviter de ne prendre pour guide que le caprice. C'est ce qui nous est arrivé: chacun vogue à sa manière sur un océan, où trop souvent on peutdire : desuntlitlora ponto. De là ce sans-façon avec lequel on traite toutes les idées reçues et l’audace qui ne recule devant aucun sujet, même les plus scabreux.
Cette hardiesse, qui tourne lrop souvent en dévergon- dage, a sa cause dans le besoin de nouveauté qui tour- mente les littératures qui ont beaucoup vécu. Les sociétés blasées demandent du nouveau, n’en füt-il-plus au monde et, pour éviter l'ennui, elles tombent dans l’exagération. Voilà où nous en sommes. Pour se lenir à la hauteur des grands modèles qui font la gloire de notre pays, il faudrait des esprits sûrs d'eux-mêmes et de leurs con- temporains. Malheureusement, sur quoi peut-on compter aujourd'hui ? Dans une telle incertitude, on aime mieux, suivant l’expression d’un homme d’étal anglais, faire un saut dans les ténèbres que de piétiner sur place, on essaye de lout, on s’abandonne aux hasards de la fantaisie et, trop souvent, on ne rencontre que le vide.
C’est cette soif de changement qui a produit la der- nière évolution littéraire qui soulève des discussions si
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vives aujourd'hui et qu'on a qualifiée de naturalisme ou de réalisme. Après la marche si prononcée que l'invasion du romantisme avait fait subir au goût, on pouvait croire qu'on s’arrêterait, au moins pendant quelque temps. On n'a pas tardé à vouloir aller plus loin et l’on s’est écrié, comme les Tilans, quo non ascendam ? ce qu'avec un peu de mauvaise humeur on serait tenté de changer ainsi : què non descendum ? Alors on a poussé les choses à l’ex- trême et l'on est tombé dans une impure sentine, où on
n'a trouvé Qu'un horrible mélange D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange, . Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.
Voilà, pour le dire en passant, une description qui est bien quelque peu réaliste, et qui prouve que si le grand siècle l’avait voulu, il aurait pu, tout comme le nôtre, eréculer de la peinture prise sur le fait.
Mais la différence de ce temps avec celui-ci, c’est qu’a- lors on élait entrainé par son sujet dans l’horrible, tan- dis qu'aujourd'hui on y entraîne son sujet. En effet, le tort de notre époque c’est de se faire pire qu'elle n’est. Ainsi, le chef de l'école naluraliste a des qualités incon- Lestables, il faut qu'il s'impose une espèce de violence pour trouver l’excentricité dans le sujet et la manière de le lraiter, pour travestir en argot notre belle langue française. On ne peut que gémir quand on voil un véri- table talent au service d'une si mauvaise cause. Malheu- reusement, c'est une des tendances les plus fâcheuses de notre littérature ; elle recherche l'impossible, elle force tous les ressorts : en un mot, elle se fait le fun/aron du vice.
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La meilleure preuve de ce déclin littéraire, c’est la fa veur dont le roman jouit parmi nous. Loin de moi la pensée de proscrire le roman. C’est une manière souvent ingénieuse de représenter les mœurs et les passions des hommes. L'Espagne a trouvé dans un roman, Von Qui- cholte, une gloire littéraire de premier ordre; l’Angle- terre doit à Clarisse Harlowe et à Tom Jones un lustre du ineilleur aloi et, en France, il y aurait certainement une grande lacune dans notre littérature si on en suppri- mait Gil-Blas, Manon Lescaut, la Nouvelle Héloïse, Paul el Virginie et Atala: je ne parle pas de Télémaque et des Martyrs qui pourraient bien passer pour des romans. Mais la part élant faite à ce qui est juste, il est permis de dire, sans trop de rigorisme, que le roman a pris chez nous des proportions démesurées. Il n’est si mince écri- vain qui ne puisse reproduire des conceptions plus ou moins bizarres dans quelques pages plus ou moins mal agencées. Il n’y a pas plus de difficulté à être un méchant romancier qu un méchant dramaturge; on est même sou- vent les deux à la fois. C'est pour cela qu'on entasse Ossa sur Pélion, et que les romans éclosent avec une si prodigieuse fécondité. La faveur du public, il faut bien le dire, semble lournée de ce côlé; ce fatras de composi- tions mal venues mêne trop souvent à la réputation: combien y a-t-il de nos prétendus écrivains qui n’ont à leur actif qu'un roman à sensation ? Quand la gloire s’ac- quiert à si bon marché, on est trop facilement tenté de ne pas la demander à des œuvres d'un mérite réel.
IL est vrai qu'on répond à-cela: mais vous niez le mouvement; voyez, l'Europe entière lit nos romans. Je le reconaais : c’est un genre d'industrie que la crise n’a pas encore atteint trep violemment. Mais qu'on y prenne
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garde, la concurrence étrangère peut nous atteindre là comme ailleurs. Déjà les Anglais opposent les noms de Thakeray et de Dickens à ceux d'Alexandre Dumas et d’Eugène Sue, et la fabrique américaine prend tant d’ex- tension que bientôt, peut-être, elle établira contre nos romanciers quelque tarif protecteur, comme elle l’a fait contre nos artistes. Quant aux Allemands, pour être les derniers venus, ils ne doivent pas inspirer plus de con- fiance, et il faut toujours s'atlendre de leur part à un mouvement tournant.
Combien notre supériorité littéraire était plus solide- ment élablie lorsqu'elle reposait sur des œuvres défiant toute comparaison, et que la France produisait des livres tels que l'Esprit des lois, le Siècle de Louis XIV, le Contrat social et les Epoques de la nature ! Alors notre influence n'était pas discutée; alors, à l'étranger, tous les gens bien appris <e piquaient d'écrire en français : Frédéric- le-Grand composait en notre langue des petits vers qu'il ne tournait pas trop mal, pour un souverain, et Cathe- rine If lenait à honneur de correspondre avec nos hom- mes de lettres.
Au reste, si nous donnons trop dans le roman, il est une autre pente qui nous entraine peut-être plus forte- ment encore. Cette pente, puisqu'il faut l'appeler par son nom, c'est celle du journalisme. Je ne veux pas plus dé- nigrer le journal que le roman: je sais tout ce qu'on doit à un si grand seigneur. On peut dire de lui ce que Voltaire disait de l'amour : |
Qui que tu sois, voilà ton maître : Il l’est, le fut ou le doit être.
Aussi, presque tous les écrivains célébres de notre
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temps ont passé par le journalisme. Guizot a rédigé le Monileur de Gand, Chateaubriand a écrit dans les Débats, Thiers s’est fait connaître par le National et Mignet a dé- buté par le Courrier français. Reconnaissons de suite que cette espèce de slage imposé au talent par la presse est des plus profitables ; il constitue une exceliente gymnas- tique qui développe les forces et forme l'intelligence. Les journaux rendent aussi des services incontestables à l'instruction générale. On ne saurait croire combien de connaissances utiles les feuilles publiques mettent con- tinuellement en circulalion. Tous les malins, en ouvrant son journal, on trouve condensées une foule de choses qu’il faudrait aller chercher dans un grand nombre de volumes, et l’on se tient ainsi au courant des sciences, des arts et des lettres. Il est même étonnant que ces sour- ces si abondantes de lumières n'aient pas produit des ré- sullats plus considérables. Peut-être faut-il l’attribuer à cette diffusion même : notre instruction s’est trop élargie, elle a perdu en profondeur ce qu'elle a gagné en éten- due. Quoi qu'il en soit, on ne peut qu'approuver l’élan que le journalisme a donné à l'esprit des masses, et il faut lui savoir gré d’avoir résumé une si grande quantité de questions intéressantes et d’avoir mis à la portée de tous des secrets jusqu'alors impénétrables.
Mais ici encore le mal est près du bien. Si le journa- lisme a rendu la littérature plus usuelle, il y a introduit des praliques qui sont très regrettables. Par sa nature même, il se paie trop souvent d'à peu près. Obligé d'écrire au courant de la plume, le journaliste ne réflé- chit pas assez sur les sujets qu'il traite : de plus, obéis- sant à des idées préconçues, il n’a pas toujours cette li- berlé d'esprit qui engendre la sûreté du jugement. Et,
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comme Ja plupart de ceux qui aspirent à prendre place dans la littéralure, ont goùté plus ou moins à ce fruit sé- ducteur, il s'en suit que notre manière d'écrire s’est for- tement imprégnée des habitudes qui dominent dans la presse. De là ce caractère superficiel de presque toutes les œuvres littéraires de notre époque. On travaille vite pour arriver promptement à la renommée. Les ouvrages ainsi produits ne manquent pas d'un certain vernis, l'apparence même du talent y fait illusion ; mais qu’y a- t-il sous ces dehors? Presque rien. Aussi, combien compte- t-on de nos grands succès contemporains qui aient été durables ? Quelles œuvres pouvons-nous opposer à celles des deux siècles qui nous ont précédés ? Il faut bien le dire, le journalisme nous gâte la main. C'est à lui qu'on doit attribuer cette monnaie courante qui fait notre charme, mais qui plaira probablement beaucoup moins à ceux qui viendront après nous. Cette prodigalité dans les productions de l'esprit à été qualifiée de littérature facile par Jules Janin, qui s y connaissait pour en avoir beaucoup usé. Malheureusement elle prévaut de plus en plus; elle conduit même à l'Académie française. Qu’au- raienc dit jadis les membres de cette docte assemblée s'ils y avaient vu entrer des romanciers et des journalistes, eux qui se faisaient tant prier pour y recevoir la Fontaine, parce que ce n'élait qu'un faiseur de fables ? Aujourd'hui, on n’est pas si difficile : quelques nouvelles plus ou moins en vogue, quelques premiers Puris plus ou moins pe- sants, quelques feuilletons plis ou moins léuers, quelques criliques plus ou moins spécieuses, mème quelques vau- devilles plus ou moins spirituels suffisent, quand on sait s’y prendre, pour ouvrir la porte du sanctuaire.
Au reste, le maln'est peut-être pasaussi grand qu'il pour-
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rait l’être. Grâce au bon sens, qui est notre caractéristique daas le domaine littéraire, le goût n’est pas encore irrémé- diablement perverti. Les idées, en général, sont restées assez saines et, à part quelques excentricités dont leridicule fait justice, les bonnes doctrines n’ont pas cessé d’être en honneur. En vain le réalisme cherche-t-il à nous déborder, ilsoulève des protestations qui sont du meilleur augure, et l’on peut prévoir que cette levée de boucliers ne sera pas bien dangereuse. Quant à la forme, elle n’a pas été non plus trop compromise. Sans doute nous n'avons plus cette hauteur et celle précision dans le style qui distinguent les écrivains du X VIF siècle, cette clarté et cette élégance qui brillent chez ceux du XVIII*, mais nous avons conservé la plupart des qualités qui nous ont tant fait valoir. Notre prose (je ne parle que d'elle) est généralement coulante el bien menée: si elle ne procède pas par traits de feu, elle se développe en périodes régulières et qui sont aisément comprises. Ce qu'elle évite surtout c’est l'enflure et l’exa- géralion ; un écrivain qui userait aujourd’hui des grands mois et des phrases ronflantes, ampullas el sesquipedalia verba, serait tourné en dérision: il n'y a que Victor Hugo qui ait pu se permettre d'introduire le lyrisme dans le langage ordinaire, et nous asons dire que ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux.
La correction, tel est donc le cachet de notre époque, quand des novateurs de parti-pris ne cherchent pas à corrompre notre goût. Tant que cette tendance subsis- tera, la décadence ne pourra nous alteindre. Grâce à Dieu, nous ne sommes pas encore arrivés à ces temps où l'esprit des peuples ne conçoit plus rien d’élevé, et où la manière d'exprimer les idées dégénère en formules banales. Qu'on compare ce qui sort de la plume de nos
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écrivains, même les plus médiocres, et ce que nous ont laissé les auteurs des derniers temps de la Grèce et de Rome, et l'on verra que notre niveau littéraire se tient encore à un degré respectable.
Dans quelle mesure, et c’est par là que je termine, ces observations qui vous ont peut-être raru un peu longues, l'Académie d'Arras s’est-elle associée aux penchants du siècle ? Constatons d’abord avec satisfaction qu’elle s’est bien gardée de. se jeter dans le réalisme, ce n’est pas chez elle qu'on trouverait des sectateurs du genre déver- gondé. Le romantisme même lui a toujours été quelque peu suspect. Mais elle n'est pas restée stationnaire, par cette raison bien simple que partout où il y a du talent il y a du mouvement. l'our s’en convaincre, il suffit de comparer ce qui est sorli de la plume de nos devanciers avec ce que nous produisons aujourd’hui. Il semble qu’on se trouve dans deux mondes tout différents. Chez nos prédécesseurs, les idées tournent dans un cercle à neu près uniforme ; l'esprit philosophique, qui est la domi- nante de l’époque, les inspire au plus haut degré ; vers la fin, ce philosophisme se complique d'un sentimenta- lisme puisé à l’école de J.-J, Rousseau. De là découlent des théories quelquefois outrées, mais toujours marquées au coin des sentiments les plus généreux : ceux qui les émettent sont, avant tout, des hommes de bonne volonté, qui recherchent consciencieusement le bien meliora vident probant que, et s'ils tombent souvent dans l'inanité, on ne peut qu’approuver leurs intentions. L'expression ré- pond à la pensée. La phrase se déroule avec une ampleur et une élégance où il n’y a que festons et astragales. On sent qu’on se trouve au milieu d’une sociélé que
Le moindre solécisme en parlant exaspère
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et on serait tenté de désirer que les Membres de notre ancienne Académie eussent été moins parfaits.
Nous ne le sommes plus autant aujourd'hui. Nous ne nous payons plus d'idées creuses et de mots sonores : nous sommes devenus plus posilifs. En cela nous avons suivi notre siècle. Il y a eu tant d’illusicns dans les jours où nous vivons qu'on n’y voit plus tout en beau. Le slyle s’en ressent ; il est plus concis et plus ferme. Au lieu de ces circonlocutions qui faisaient le bonheur de nos pères, nous allons droit au but. Ge sont les qualités qui distinguent les nombreux travaux dûs aux Membres de l’Académie d'Arras dans ces vingt-cinq ou trente der- nières années. Si je n'avais pas pris part à ces travaux, je n’hésiterais pas à dire qu'ils n’ont pas été sans mérite. Ils n'ont peut-être pas brillé au premier rang, mais ils ne se sont pas non plus éclipsés au dernier. Ils ont fait mieux que d'avoir un éclat trop souvent trompeur, ils ont eu une utilité incontestable. Leurs auteurs n'ont pas poursuivi des sujets à effet, ils se sont attachés aux matières pratiques, ils n’ont pas visé à la phrase, ils ont recherché la ligne droite.
Il est permis d'affirmer que c’est la bonne manière d'écrire, et nous espérons que nos successeurs y reste- ront fidèles, tout en payant leur dette aux exigences de leur époque. C'est ainsi que les Académies de province remplissent une mission profitable à ceux qui les entou- rent. Dans un milieu trop souvent enclin au sommeil, elles réveillent les esprits engourdis et-les rappellent sans cesse au culte du vrai, du bien et du beau.
RAPPORT
sur les TRAVAUX DE L'ANNÉE
PAR
M. le Chanoine VAN DRIVAL
Secrétaire-Général
MESSIEURS,
L'année académique dont nous voyons en ce moment le terme a élé féconde en intéressantes communications et én bons travaux. L'Histoire el l’Archéologie, qui font ordinairement l’objet de ces communicalions, ont vu cette année, sans jalousie aucune, venir se joindre à elles les sciences et la poésie beaucoup plus souvent qu'elles ne l’avaient vu depuis longtemps. Le cadre de l’Académie s’est trouvé ainsi rempli à la lettre, toutes les choses du domaine de l'esprit ayant ainsi apporté chacune leur contingent à nos modestes assises intellectuelles pour le plus grand profit de tous. Permettez-moi de vous dire tout de suite quels ont été ces lravaux.
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Dès la séance de rentrée, M. Lecesne nous a donné l'analyse de deux publications d’un de nos Membres cor- respondants, M. Travers : la célèbre et historique collec- tion de Verrès et une Notice sur les instruments de mu- sique du moyen-âge, d’après un poème en vieux français.
- À huit jours de là, M. H. Trannin, notre zélé collègue, inaugurait la série de ses communications scientifiques toujours si appréciées, grâce à la clarté parfaite et au vé- ritable talent d'exposition qui le distingue.
Puis c'était M. Paris, nous analysant les travaux: de M. Foacier de Ruzé, un collègue du dernier siècle avec lequel nous aimions à étudier, tantôt les Gaulois, tantôt le commerce avant 1789, dans ce style, un peu trop de convention, loujours soigné, qui était de mode au X VIII siècle. |
Puis c'était M. Ricouart, groupant par catégories ses recherches sur les noms de lieux du Pas-de-Calais et nous donnant, cette fois, l'explicalion des noms terminés en court, et dans la même séance, M. Roch lisant une pièce de vers sur la Vieillesse, une autre sur la mort d'une jeune fille de dix-neuf ans, un fragment de poème et, enfin, des bouts rimes.
M. Paris reprenait, huit jours plus tard, son analyse des travaux de M. Foacier de Ruzé. Cette fois il s'agissait du mode de constitution de la propriété sous les Gaulois et sous les Francs, avant la Féodalité, et M. Paul Lecesne profitait de cette occasion pour nous donnec verbalement tout un traité sur lé même sujet, mais .plus étendu, traité dont il nous a promis la publication.
M. Ricouart reprenait, à huitaine, son sujet favori, pour nous faire entendre ensuite une charmante pièce de vers.
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Huit jours plus tard, c'était un vénérable curé de Bruxelles qui venait nous visiter. M. Delvigne, Membre correspondant, nous lisait une bonne dissertation sur les Oraisons funèbres des Souverains aux Pays-Bas; puis, dans une improvisation fort remarquée, il nous disait tout ce que l’on fait en Belgique pour répandre le bon goût et la connaissance pratique des arts du dessin dans les écoles populaires.
M. de Linas ouvrait le mois de décembre par une étude sur une plaque émaillée du XII*-XIIIe siècle, et à ce propos donnait une idée exacte de la châsss majeure de l'abbaye de Grammont. Nous faisions ensuite une visite à la grotte d'Hébron, grâce à une publication curieuse de la Société de l'Orient latin, et cette visite à un des mo- numents principaux de la Terre Sainte excilait le plus vif intérêt.
Dans la séance suivante, M. de Linas faisait connaitre, avec les détails convenables, le Glossaire archéologique de M Victor Gay, et dans celle du 21, M. Ricouart repre- nait son sujet habituel. La dernière séance de l’année est consacrée aux affaires, mais vous savez que ces affaires sont, elles aussi, scientifiques el littéraires et qu'elles rè- glent plusieurs points qui ont pour unique objet nos études chéries.
Ce compte-rendu est un peu trop minutieux, peut-être, il a du moins l’avantage de faire voir de quelle façon l'Académie emploie son temps et de nous dire ce qui fut fait dans un seul trimestre, celui d'octobre 1883 à jan- vier 1884.
De janvier à la fin de mars, l'activité ne fut pas moins grande.
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C’est alors que M. le Gentil a commencé la série de ses lectures, qu'il continue encore, sur l’ancienne église de St-Nicolas-sur-les-Fossés et sur la nouvelle du même nom, aujourd'hui St-Jean-Baptiste. M. le Gentil a d'abord refait un monument inconnu, il en a reconstitué le mo- bilier ; puis il a fait l’historique et la description de celui qui a succédé au premier ; il en a donné l’histoire dans ses lectures successives. Il y a quinze jours, il nous en parlail encore, el tout le monde voudra lire cette mono- graphie consciencieuse, où respirent à la fois le soin parfait de l’archéologue et la conviction vive du chré- tien. M. le Gentil nous a donné jusqu'ici plusieurs lec- tures sur ce curieux sujet.
Nommer M. Auguste Terninck, c'est dire qu'il s’agit de l'ancien Arras, sujet qui toujours fait vibrer un cœur ar- tésien. Pour mieux élucider son sujet, M. Terninck ne recule devant aucun sacrifice. Il fait exécuter des plans en relief de la découverte de la maison romaine de la porte Maître-Adam ; il apporte des Notices quand il peut venir lui-même à Arras ; il les envoie et on les lit en son nom lorsqu'il est empêché. On le voit en communication incessante avec l’'Acudémie, dont il est à Ja fois Membre honoraire et Membre très actif.
Si je n'avais, sur certains sujets, une défense formelle, je sais bien ce que je dirais de M. Grandguillaume, notre excellent collègue ; je puis dire au moins que, grâce à lui, nous avons les portraits de lous nos collègues vi- vants et beaucoup de ceux qui ont achevé leur utile car- rière vivrontaux regards de nos successeurs. Que n'avons- nous d’une manière aussi ressemblante lous ceux qui nous ont précédés !
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Très souvent nous avons eu des lectures de notre col- lègue infatigable, M. de Linas, et nous en avons été heu- reux. Avec lui, nous avons parcouru bien des contrées, éludiant et coir parant des objets lilurgiques sur lesquels on n'avait, jusqu ici, que des notions incomplètes, no- tamment les disques, les flabella. Avec lui, nous avons examiné el admiré des ivoires, et tout dernièrement uu objet qui appartient à la famille d’un de nos anciens et bien-aimés collècues, M. Harbaville.
M. Gossart a voulu joindre ses travaux à ceux de M. H. Trannin, qui n’a pas manqué de nous donner en- core de temps en temps des communications scientifi- ques. M. Pagnoul s’est joint aussi à ses deux collègues : c'est vous dire que les sciences n’ont pas élé négligées cette anrée, et il y a là un réveil très prononcé que nous sommes heureux de constater. |
Dans une série de lectures, M. Cavrois nous a donné la suite de l'Histoire de son Fauteuil. Cette histoire, fort complète et fort instructive, est imprimée dans le volume de nos Hémoires qui paraît aujourd'hui.
Il en est de même des recherches très détaillées et pleines de choses que M. G. de Hauteclocque nous a lues dans plusieurs séances sur l'Histoire de l'enseignement dans le Pas-de-Calais. Ces recherches ont pris un grand développement et sont consultées avec une utilité réelle par ceux qui s occupent de ce sujet si imporlant et tout actuel.
M. de Cardevacque a d’abord entretenu l’Académie de Ja Musique en Artois, de la part d’un correspondant ; mais ceci n'élait qu'un prélude, et M. de Cardevacque nous a ecsuile donné lLoute une histoire développée, dont
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quelques extraits vont être lus par lui dans la présente séancé. Les Beaux-Arts, on le voit, ont voulu se joindre, cette année, aux Lettres ét aux Sciences de la maniére la plus complète, et rien n’a marqué à ce rendez-vous des fêtes de l'esprit. |
M. Ledru, correspondant à Avesnes-le-Comte, nous à lu une bonne Notice sur le séjour de Jeanne de Bourgo- gne au château d’Avesnes, en 1309. Ce qui a intéressé vivement l’Académie, en dehors du récit animé de ce séjour, c’est le tableau détaillé de toutes les fournitures, avec les prix, et M. Deschamps de Pas, qui a beaucoup éludié ce sujet, étant présent à la séance, nous avons eu une élucidation véritable de cette matière difficile, la comparaison de la valeur des denrées au XIV® siècle et maintenant.
M. Paul Lecesne a traité à fond l’histoire si émouvante de l'attaque d'Arras par Henri IV. Il n’a rien négligé pour rechercher pariout les documents qui devaient l'aider à voir clair dans toutes les parties de cet épisode de notre histoire artésienne, et il a profité de l'occasion qui lui était offerte pour donner des explications sur la topographie, sur les incidents de l’action, sur les régi- ments, les drapeaux, l'organisation des armées à cette époque. Espérons que M. P. Lecesne se décidera à publier ce travail fort complet.
Nous sommes arrivés au mois d'avril de cette année, et nous devons dire, qu’outre l'Histoire de son Fauteuil, M. Cavrois nous a donné une Notice sur la fabrication de la porcelaine de Tournai, ce qui, nauurellement, a fait beaucoup parler des porcelaines d’Arras
M. Wicquot nous a analysé, avec quelque développe-
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ment, le drame indien de Sacountala, dont M. Atel Ber- gaigne vient de donner une traduction. M. Wicquot nous a lu aussi, dans une autre séance, une charmante pièce de vers. Nous avons eu d’autres vers excellents, le Vieux Tableau, que nous a lus M. de Beugny d'Hagerue: on voit que la Poésie a réclamé dans nos séances une place qu’elle occupait grandement autrefois et qu'elle avait un peu oubliée.
M. Decroos, Membre correspondant à Béthune, a en- voyé un travail sur les Troubles d'Arras et des Pays-Bas au XVI° siècle.
M. Sens nous a donné verbalement, à son retour d’un nouveau voyage en Espagne, les détails les plus circons- tanciés sur l'Alhambra. Interrogé par ses Collègues, il a décrit ensuite beaucoup d'autres monuments et donné sur le clergé, sur l’armée, sur les habitudes de ce pays, des notions fort peu conuues et qui sont de nature à changer bien des idées reçues.
En diverses séances j'ai payé, moi aussi, mon tribut à notre Sociélé, et je me suis efforcé de joindre mes tra- vaux à vos travaux dans l'intérêt commun.
Je ne parle pas de bien des compte-rendus qui ont été faits d'ouvrages offerts, compte-rendus qui animent tou- jours nos réunions et provoquent d'utiles observations. Je ne parle pas non plus de notre participation aux œu- vres qui intéressent l'archéologie ou l'histoire, de l’assis- tance aux congrès de la Sorbonne et de l'augmentation de nos correspondances avec les Sociétés savantes: ce sont là des choses habituelles et qui entrent dans la vie ordinaire de toute Société qui veut remplir son devoir.
Nos Concours n'ont pas eu grand succès. On se plaint
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généralement de cet état de choses qui n’est point parti- culier à la ville d'Arras. Pourtant la poésie n’a pas été abandonnée, et le Rapport-qui va vous être lu vous dira ce que vous devez penser sous ce rapport. Le Concours de Peinture a été fécond en œuvres envoyées au jury d'examen. Un seul artiste, naturellement, a obtenu le prix. Ja Commission chargée de ce Concours spécial, n'ayant pas de Rapport, me charge de faire connaître ici le nom du lauréat, M. Baton, qui a obtenu le prix pour sa Petite Mendianlte.
En résumé, l'année a été féconde, comme je le disais en commençant ce Rapport. Rarement les Membres de l'Académie ont tant produit de travaux; rarement les séances ont élé aussi remplies, sauf, peut-être, en ces derniers temps de villégiature et de chaleurs lorrides. Notre Société est donc toujours bien vivace ; elle a con- servé l’ardeur de la jeunesse et pourtant elle date de loin. Honneur oblige, et quand nous consultons nos An- nales, souvent remises sous nos veux par plusieurs de nos collègues ; quand nous voyons l'ardeur de nos de- vanciers, nous sommes excités au travail et nous voulons faire comme eux, être un peu utiles à notre pays.
RAPPORT
sur le CONCOURS DE POÉSIE PAR
M. WICQUOT
Membre résidant.
MESSIEURS,
Un calife de Bagdad rêva une nuit que toutes ses dents Jui tombaient de la bouche.
Le premier interprète qu'il fit venir était un maladroit qui s'écria: « Malheur à toi, calife! tous tes parents et amis mourront avant toi. » Il fut fouetté et chassé.
Un second interprète, mieux avisé, lui dit: « Salut à toi, commandeur des croyants! tu survivras à tous tes parents et amis ! » Il avait dit absolument la même chose et il fut richement récompensé.
IL y a donc un art véritable d'exprimer son jugement et de s'expliquer sur les choses les plus délicates sans morlifier les gens.
Cet apologue et sa morale me sont revenus de suite à l'esprit lorsque, contre mon altente et au grand préju- dice de cet auditoire, qui devait entendre notre habile et spirituel collègue, M. de Mallortie, l'Académie me
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chargea, presque à la dernière heure, de faire le Rapport sur le Concours de Poésie. |
Difficile et dangereuse fonction que de juger œuvres de poële! Car, sous peine de froisser et d’irriler le calife, on est tenu d'avoir le tact le plus subtil, une souplesse et une dextérité consommées. Aussi, ne craindrai-je pas de répéter avec le paysan du Danube :
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue, Que je ne dise rien qui doive être repris !
+ * *
Quatre concurrents se sont présentés, répondant à l'appel «le l'Académie.
La première pièce dont je veux vous parler est intitu- lée : Le Calme, avec cette suscription : Peinture du Salon de 1884, salle 7, n° 751. Or, pour ceux qui n’ont pas eu la bonne fortune de faire le voyage de Paris,
Il n’est pas donné à iout le monde d'aller à Corinthe ; Non cuivis homini contigit adire Corinthum ;
et d'admirer sur place les œuvres des peintres artésiens, je dirai tout d’abord que le Calme, par Madame Viroinie Demont-Breton, est une importante page de la vie mari- time. Sur la grève, à.quelque distance de la mer paisi- ble, une souriante famille est assise. Le père porte l'en- fant et la mère raccommode un filet.
Rien de plus propre, assurément, à solliciter le talent d'un peintre que cette scène intime, ayant pour horizon et pour cadre immense les vagues de la mer. Un poète, deson côté, ne pouvait rester insensible à cet harmonieux contraste de l'infinnnent grand et de l'infiniment petit, à
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ce calme mystérieux de l'océan, à celte sérénité tou- chante d’une famille de pêcheurs. °
Ce sont ses émotions personnelles, inspirées par la vue de ce chef-d'œuvre, que notre concurrent a essayé de traduire. La poésie expliquant la peinture, le poète arra- chant au peintre tous ses secrets, lisant au plus profond de sa pensée, expliquant et commentant tout ce qu'il laissait à deviner, tirant toutes les leçons morales, cachées dans l'attitude de chacun des personnages et, pour em- prunter ses propres expressions :
comme font les abeilles, Butinant du tableau les savantes merveilles. :
Tel est le dessein qu'il s’est proposé.
A-t-il réussi complétement dans cette lutte hardie, dans cette exégèse difficile et raffinée ? Je n’ose le croire. A force de vouloir découvrir trop de choses dans ce ta- bleau, n'a-t-il pas vu ce qui n’y était pas ? Aussi, vous ferai-je grâce de ses interprétations trop multiples et trop minulieuses, de ses paraphrases poétiques, pour ne vous
citer que cette fort gracieuse description du tableau lui- même: Abeille ou papillon, j'ouvre aujourd’hui mes ailes ; Je pars pour le Salon, où m'attendent fidèles, Le marin au repos, son enfant adoré ; A ce groupe charmant, dans le ciel azuré, Une femme sourit... c’est l'épouse et la mère | Quoi de plus ravissant ! Tout rit dans l'atmosphère ; Comme pour protéger avec plus de grandeur Ce calme vrai, le ciel a toute sa splendeur Et les flots de la mer n’ont qu’un faible murmure ; Et l'air, et le printemps, et toute la nature Semblent redire à tous : oui, le cahne est ici |
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Assurément, si toute la pièce eûl été dans ce ton élé- gant et simple, votre Commission n'aurait pas hésité un instant à la récompenser. Çà et là se rencontrent de fort beaux vers que nous avons été heureux de saluer au pas- sage. Mais pourquoi faut-il que la Muse, sommeillant parfois, ait laissé se glisser des redites et des négligences regreltables ?
Cela dit, je crois pouvoir ajouter qu'il y a dans cétte composition des promesses certaines d'un très prochain et plus complet succès qu'aujourd'hui; à la condition, toutefois, que l’auteur se‘défiera de sa trop grande faci- lité, qu'il rctranchera sans pitié les ornements superflus, —ambitiosa recidet ornementa—et qu il ne perdra jamais de vue ce précepte du sévère et judicieux Boileau :
Ajoutez quelquefois, mais souvent effacez.
L'auteur du second poème a choisi comme sujel: Les Anges gardiens. Pour lui, je devrais dire pour elle, —car en plusieurs endroits se trahit une main féminine,—les vrais anges gardiens sur la terre ce sont les femmes.
Il nous montre d’abord la mère, près d’un, berceau
d'enfant, qui s'incline et se penche Sur ce doux nid paré de mousseline blanche,
éplant avec toutes les anxiétés de la tendresse maternelle les moindres mouvements de ce pelit être qui sommeille. Plus tard arrive le moment de la séparation,
l'enfant, comme l'oiseau, A quitté son doux nid pour un monde nouveau.
Il est à Paris ; oublieux des leçons de sa mére, il a 3
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foulé aux pieds les plus sainies croyances de son jeune âge, savouré la coupe empoisonnée de tous les plaisirs; perdu de débauches et de deltes, il n’a plus de refuge que dans la mort; il va se suicider. En proie aux plus cuisantes tortures, il se débat en désespéré sur son lit de souffrance, quant tout-à-coup
Du ciel il entrevoit comme une vision,
C’est la réalité, ce n’est pas un mirage,
Il a devant les yeux un calme et doux visage : La mère qui veillait jadis sur son berceau.
Il est sauvé. |
Mais les femmes ne peuvent remplir toutes ce beau rôle de mére, avec toutes ses joies et aussi toutes ses amertumes. I! en est d’autres que des circonstances im- placables ou des motifs. de l’ordre le plus élevé et le plus pur ont condamnées à rester toujours filles.
La vieille fille! c'est sous ce second aspect que l’au- teur nous dépeint la femme. Ne croyez pas qu'il aille s'amuser à ramasser les épigrammes surannées que la sottise aiguise habituellement contre elle. Il se complait, au contraire, à nous faire voir,
assise entre ses vieux parents, Une fille au teint. pâle, aux cheveux grisonnants,
proliguant à sa mère paralytique et. à son père hébélé, et qui n’est plus, hélas! qu'un vieil et grand enfant, tous les soins de la plus ingénieuse tendresse. Et puis, quand ses deux vieux enfants à elle, dorment du sommeil d’une seconde innocence, elle achève, à la clarté de la lampe, le travail d'aiguille qui assurera leur subsistance de de- main.
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Mais sur sa broderie une larme est tombée ;
Qui nous en livrera l’énigme, le secret ?
Est-ce un souvenir tendre ? Est-ce un amer regret ? Elle a revu peut-être, en un passé lointain,
Cet homme qui jadis sollicitait sa main...
et qu’elle a refusé par un sublime et héroïque dé- vouemént(.
Si vous la rencontrez parfois sur le chemin,
En mise démodée, un panier à la main,
D'un air de froid dédain gardez-vous de sourire,
Mais plutôt qu’en secret votre cœur l’admire, Car de ses vieux parents elle est l'ange gardien.
Comment ne pas nommer les anges d’ici-bas, continue l'auteur, dans son troisième portrail, ces saintes 8 eines enflammées d’une pieuse ardeur,
;
Et qui, pour Dieu, laissant leur foyer, père et mère, Quittent jusqu’à leur nom pour celui de : Ma Sœur.
Conlemplez-les :
Sous leur cornette blanche et faite en fine toile, Vous penserez de suite à leurs frères des cieux ; Avec elles entrez dans ce vaste édifice
Qui porte comme enseigne, à son haut frontispice Qu’on aperçoit de loin, ces deux mots : Hôtel-Dieu ; Ce qui veut dire : on souffre et l’on meurt en ce lieu.
Suivez cette jeune religieuse, comptant à peine vingt printemps, et qui,
Son rosaire au côté, d’un lit à l’autre passe, Si légère qu’à peine on peut suivre sa trace ;
elle court panser les plus horribles plaies et porter à tous ces malheureux, aux prises avec les souffrances et les an- goisses de la mort, les lus douces consolations.
Et nos champs de bataille, s’écrie-t-il encore en finis-
an
sant, n’ont-ils pas été cent fois les témoins de l'intrépide charité des filles de St-Vincent?
Tel est, à grands traits, le fond de ce petit poème, rempli souventd’une émotion sincère. Le sujet était vaste et surtout séduisant à explorer. Car tous les poëtes,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui,
recommencent sans cesse leurs variations sur ce thème toujours attrayant, UD appelé à si justes titres : l'Eternel féminin.
Votre Commission aurait bien volontiers récompensé cette œuvre, dans laquelle elle a reconnu plus d'un mé- rite. Malheureusement, à côté de vers réellement bien veaus, il en est quelques autres qui confinent trop à la prose. L'auteur est doué d’une incontestable facilité. Il devrait s'en défier davantage, car sa pensée gagnerait beaucoup en relief et en force si elle était plus sévère- ment condensée.
La troisième pièce, dédiée à à Jules Ferry, à à Jean Macé, par un fils dévoué de l'Université, a pour titre: La Pair.
Elle commence par un cri de guerre et dans un rythme assez singulier.
Non loin de Metz, le chien fidèle
D'un Français mort en combattant,
Pleurant son bon maître, un modèle
De bravoure et de dévouement,
Sur son corps qu’une croix révèle, Hurlait !
Foulant du pied la noble terre,
Française hier encore, hélas !
Sol sacré volé par la guerre,
Un soldat prussien, l’arme au bras,
Près d’un poteau de la frontière Veillait ! |
Hs pee
N’ayant plus qu’une arme émoussée,
Trébuchante au bord du tombeau,
La pauvre France, harassée,
À la merci de son bourreau,
Comme une lionne blessée, Grondait !
De ses bras chéris arrachées,
Mais l’attendant pleines d’espoir,
Ses deux filles infortunées,
Se soutenant par le devoir,
Tristes, mais non découragées, Pleuraient !
Labourant, jetant de la graine,
Deux sombres soldats mutilés,
Enfants d'Alsace et de Lorraine,
A cette charrue attelés,
Que la haine implacable traîne, Semaient !
A l'horizon, un noir nuage, Livide, affreux, vers l'Est poussé, Sanglant, épouvantable orage Par nos colères amassé, ’ Sur le sinistre paysage
Montait !
Soudain, un éclair effroyable A changé l’aspect du tableau, C'était la France formidable Qui broyait l’infâme poteau Et, rugissante, impitoyable, Marchait ! : [Il y a certainement quelque chose de fier et de mâle dans ces rudes accents, dans cette énergique sympathie pour ces chères contrées : « Vénétie de l'Allemagne du Nord allachée, comme jadis la Vénétie de l'Allemagne du Sul, aux flancs ensanglantés de son vainqueur. » Mais, hélas ! ce n'était qu'un beau rêve pour notre
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poète; la voix prophétique de Jean Macé est venue ino- pinément le faire cesser d’un seul mot:
« Trève, place à la paix ! » Le poëte alors, revenu à des idées moins belliqueuses, réserve subitement tout son enthousiasme pour célébrer Jean Macé. Il le proclame Lour à tour apôtre, prophèle, vieux lutleur, cher précur- seur, et finalement déclare que
Son nom sur le pays plane comme un rayon
et doit, comme celui de Jules Ferry qu'il lui associe dans son dithyrambe,
Etre dans tous les cœurs en lettres d’or tracé.
Ce jeune auteur est déjà, si je ne me trompe, un pro- fond connaisseur de l’âme humaine, et il sait, qu'en fait de louanges, la vanité dit volontiers, comme l'enfant gourmand : Donnez m'en trop ! Mais il oublie, et c'est un tort inexcusable, que ceux auxquels il s'adresse sont gens d'esprit et de goût et que, par conséquent, pour eux les louanges ne sont délicieuses que finement accom- modécs.
Ces réserves, ou plutôt, ces critiques failes, je reviens aux revanches pacifiques qu’entrevoit notre poële et qu’il appelle de tous ses vœux. Si cest une utopie, c'est du moins une consolante utopie de croire et d'affirmer que c’est seulement la paix, l'amour de l'ordre, la Lolé- rance, le respect de la loi et de la véri'é qui puissent bientôt rendre à notre pays son ascendant et sa puis- sance. Sur ce point, le poète n’admet plus le moindre doute et il termine en saluant avec chaleur
Cette grande et sainte espérance !
Sa conviction communicative, ses sentiments généreux
= 99 =
m'ont remis en mémoire une page bien émouvante de notre histoire de France :
« À une époque de découragement, sous un ciel som- bre, au milieu de ce triste XV® siècle, âge de fer et de sang, qui n'élait pas le temps moderne et qui n’était plus le poétique moyen-âge, quand la croix disparaissait des rives du Bosphore, quand le roi de France, fou et détrôué, était remplacé par un prince étranger, quand tous les fléaux, toutes les guerres dévaslaient notre pays, au temps de l'invasion anglaise, de la peste noire, des Jacques, des grandes compagnies, un cadet de race royale donna pour cri de ralliement à ses compagnons d'armes ce seul mot : Espérance ! »
Puis, l'historien ajoulait, si mes souvenirs me servent bien : «Ramasse les tronçons de ton épée brisée, pauvre France ! Panse les blessures, travaille et prends eourage: labora et noli contristari! » Et nous, Messieurs, aujour- d'hui, avec bien plus de raison qu'au lendemain d’Azin- court, ne sommes-nous pas en droit de répéter, avec le soldat et le poëèle, le mot vraiment chrélien, vraiment français : Espérance !
Votre Commission ne nie pas qu'il y ait du mouve- ment et de la vie dans cetle pièce de vers; mais les iné- galités, les redondances, l'enflure qu'on y rencontre par- fois lui ont fait préférer la quatrième qui, de toutes, est la moins imparfaite. Pourtant... je veux immédiatement commencer par les reproches; elle est entachée d’un grave défaut qui a failli la faire écarter. Les incorreclions orthographiques y fourmillent; mais d’une façon si in- croyable qu'il est vraiment impossible d'admettre qu'elles soient du fait de l’auteur.
Un Membre de la Commission a généreusement plaidé
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les circonstances alténuantes ; il a déclaré que les poëtes ont tous une écrilure pitoyable, — ce qui n’est pas un cas pendable, — et que notre concurrent, ayant cons- cience de ce qu'il y a de défectueux dans la sienre, avail sans doute, par un sentiment de déférence pour l'Acadé- mie, fait recopier son manuscrit à un scribe novice et inhabile. De là tout le mal. |
Nous nous sommes laissé convaincre et ne nous en repentons pas. La pièce est, en effet, bien conçue, bien conduite elles vers preslement tournés; vous en jugerez par quelques extraits. Voici le sujet:
Un malheureux a commis un crime, un assassinat. Il est jeté en prison, condamné à mort, et l'arrêt irrévoca- ble vient de lui être lu. Tout est fini, il faut mourir. L'aumônier alors s'approche du coupable avec des paro- les de paix et de consolations ; il y répond par des malé-
dictions et des injures, et le repousse. Le vieux prêtre, _ consterné, va se retirer et lui dit en parlant :
« Reste donc seul ! tout seul, sans prêtre, sans prière ; Voici ce que pour toi vient d'envoyer ta mère,
Je l’ai reçu ce soir... » — « Ma mère! avez-vous dit : Elle se souvient donc encore du maudit !
Pauvre femme ! jamais elle n’apprit à lire,
Mais elle aura dicté.. Que peut-elle m'écrire? »
« Village de Calmont, ce premier jour de mai; Jean ! mon Jean! ce n’est pas, on cst mal informé, Dieu ne peut pas m'avoir envoyé cette épreuve ;
Si jeune, je portais déjà mon deuil de veuve,
Plus tard, quand tu partis, je fus veuve deux fois.
Je suis vieille, mon Jean ! mes membres sont perclus ; A force de pleurer, mes yeux se sont perdus,
Et sur mon lit clouée, et dans la nuit profonde,
Je te revois toujours avec ta tête blonde,
Tes yeux qui me riaient et tes bras s’attachant Caressants à mon cou... Le monde est bien méchant ;
— ki —
On m'a dit : Votre fils, un grand journal l’imprime, Loin de vous a longtemps roulé de crime en crime, Et... le reste, mon Jean, je ne l’écrirai pas. »
Le prêtre, dont la voix s’emplissait de sanglots, Avec ses pleurs laissa tomber ces derniers mots : a Si c'était vrai, pourtant, ce qu’ils ont osé dire, Userais-je du droit que j’ai de te maudire ?
Non ; mon amour pour toi demeure trop puissant. As-tu volé de l’or ? As-tu versé le sang ?
Quel que soit le forfait appelant l’anathème,
Je suis ta mère, Jean ! je pleure, mais je t'aime.
Je joins à ce billet, que signera ma croix.
Un dernier souvenir : mon chapelet de bois, Gage de ma tendresse et signe de prière ; Chaque grain s’est usé sous les doigts de ta mère Et sa chaîne de fer se rouilla sous mes pleurs. Je te suivrai bien vite, Ô mon Jean, si tu meurs. Mais après cette vie une autre recommence ; L'on y peut aussi bien entrer par l'innocence Que par le repentir, et j'ajoute, vois-tu,
Au poids de tes remords, soixante ans de vertu Ah ! je t'adjure ici, par mon pouvoir de mère, De laver tes péchés dans le sang du calvaire
Et d'aller à la mort en tenant dans tes daigts Le chapelet bénit qu'aujourd'hui tu reçois. »
« O ma mère ! cria le condamné, ma mère !
Et ce mot, de ses pleurs ouvrant la source amère, Ma mère, j'ai péché contre le ciel et vous!
Mais je pleure, je prie et je suis à genoux.
Oui Je fus criminel entre tous les coupables,
Il faut un châtiment à ces jours misérables ;
Je me repens, mon père, et j'accepte mon sort, En expiation, je subirai la mort. » |
Plus tard, quand du cachot on vint ouvrir la porte, Que le bourreau parut au milieu de l’escorte,
Le condamné debout, affermissant sa voix,
Dit: « Je suis prêt, » baïisa le chapelet de bois, Puis, soumis à l'arrêt d’une double justice,
Il marcha sans pälir vers le lieu du supplice.
10:
à
On serait mal venu, Messieurs, à chercher ici les grands effets d’une imagination inventive. Ge qui préci- sément nous y plaît, c’est la sobriété, le naturel, l'ab- sence de prétention, c’est l'expression vraie de cet ascen- dant qu'exerce sur un fils dégradé la puissance mater- nelle. L'auteur a réussi à le mettre en relief sans exagé- ration, il nous intéresse et nous émeut ; nous avons cru devoir l'en récompenser par une médaille d'argent.
Je conclus enfin et constate avec le plus grand plaisir que l'impression générale qui se dégage de la lecture de ces diverses pièces est bienfaisante et douce. Trois con- currents sur quatre ont mis, comme à l'envi, leurs soins jaloux à nous montrer les femmes traversant la vie comme ces souffles du printemps qui vivifient tout sur leur passage. Nous ne saurions trop les en féliciter ; car, comme eux, nous avons toujours élé frappé de ce qu’il y a de salutaire et de fécond dans ce commerce intime d’un fils avec sa mère.
C'est, en effet, la mère de famille qui souvent a dans ses mains délicates la petite clef qui doit ouvrir à son fils les portes de l'avenir ; c'est elle qui dans les amer- tumes et les découragements de la vie, et plus tard, au milieu des rêves déçus et des ambitions entravées tient
en réserve le spécifique Melle soporatam et medicalis frugibus ofjam
dont parle Virgile et dont la propriété merveilleuse el singulière est d’adoucir et de guérir même toutes les souffrances morales. |
LA
MUSIQUE A ARRAS
DEPUIS
LES TEMPS LES PLUS RECULES JUSQU'A NOS JOURS,
e
— nc — ;
Lecture faite en Séance publique
Par M. Ad. de CARDEVACQUE
Membre résidant,
AVANT-PROPOS
De tous les arts cultivés par nos ayeux, la musique est, sans contredit, celui qu'ils affectionnaient le plus. Arras peut être compté, à juste litre, parmi les villes de France où le goût de la musique a toujours été le plus répandu. Depuis les bardes et les irouvères jusqu'aux Sociétés philharmoniques et Orphéons, des musiciens de mérite ont puissamment contribué à son développement; et notre cité a conquis dans le monde des artistes une re- nommée que peuvent lui envier les plus grands centres de population.
Mais rien n'est plus éphémère que les impressions laissées par cet art si attrayant et la plupart des souve-
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nirs qui s y rattachent parmi nous, tendent chaque jour à disparaître. J'ai voulu essayer de les conserver et d’arra- cher à l'oubli les éléments d’une histoire artistique que pourrait écrire un jour une plume plus exercée que la mienne. Mon unique prétention, c'est d’avoir cherché; mon seul mérile, c’est une patience que rien n’a décon- certée. ;
Tel que nous vous le présentons, nous espcrons que notre travail ne sera pas entièrement dépourvu d'utilité et d'agrément pour nos Collègues de l'Académie et les dilettanti de notre ville.
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° I
DE LA MU£IQUE EN GÉNÉRAL. — SON ORIGINE. — LA MUSIQUE CHEZ LES PEUPLES DE L'ANTIQUITÉ, LES ROMAINS, LES GAULOIS ET LES FRANCS. — PREMIÈRES ÉCOLES DE MUSIQUE CHEZ LES CARLOVINGIENS,
J.-J. Rousseau a dit : « La musique est l’art de combi- ner les sons d’une manière agréable à l'oreille. » Berlioz y met une restriction ; suivant ce savant compositeur, « La musique est l'art d'émouvoir par les sons les hom- mes intelligents et doués d’une organisalion spéciale. » Il ajoute que « la musique est l’auxiliaire de la parole. »
C'est sous ce point de vue que la musique a toujours élé envisagée par les Anciens. Ils la considéraient comme une langue universelle et son étude préparait, comme celle des mathématiques, à l'étude de la philosophie. Hermès et Pythagore définissent ainsi la musique : « La science de l'ordre en toutes choses. » On voit qu'ils don- naient à cette science le sens beaucoup plus étendu de l'harmonie.
. Dés l'antiquité, on n'avait pas trouvé de moyen plus efficace pour graver dans l’espril des hommes les prin- cipes de la morale et de l’amour de la vertu que l'usage . de la musique. Elle fuisait partie des études regardées comme indispensables chez les anciens pythagoriciens ; selon ces philosophes, notre âme n'élait, pour ainsi dire, formée que d'harmonie, et ils crovaient rélablir, par le moyen de l'harmonie sensuelle, l'harmonie intellectuelle et primitive des facultés de l'âme, celle qui, d'après leur
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logique, existait en elle avant qu'elle animât nos corps et lorsqu'elle habitait les cieux.
Innée chez l’homme, comme le sentiment de la parole, la musique n’a pas eu. à proprement parler, d’origine. D’après les anciennes tradilions enseignées par les poètes dans leurs premiers recueils, le chant des oiseaux, le murmure du vent dans les roséaux et à travers les bran- ches des arbres, donnèrent à l’homme les premières idées des modulations harmoniques. Ce sentiment. à été rendu de la façon la plus lurge et la plus précise dans ces vers de Lucrèce :
At liquidas avium voces imilarier ore
Antè fuit mullo quam levia carmina cantu Concelebrare homines possint, aures que juvare Et zephyri cava per Calumorum sibila primum Agresteis docuere cavas inflare cicutas.
Indè minutatim dulceis didicere querelas
Tibia quas fundit digitis pulsata canentum.
Le roseau creux sur lequel les bergers modulèrent leurs plaintes amoureuses, donna naissance à toute la musique instrumentale. Les bois et le métal furent façon- nés à l’envi et donnèrent naissance aux cymbales, aux trompettes, à la lyre, à la flûte, au psaltérion.
C’est dans l'Inde que l’on trouve les traces les plus re- culées d'un art musical établi sur des bases fixes. Les Indous attribuaient l'origine de la musique à Seres- wati, la déesse de la parole, en même temps que l’in- vention du vinia, le plus ancien instrument musical connu et qui devait se rapprocher de la flûte.
La Chine est, aprés l’Inde, le pays où l’on trouve les traces les plus anciennes d'un système musical.
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L'Egypte, ce grand foyer de civilisation antique, ne connaît qu'un art musical tout-à-fait rudimentaire. Sur la foi de Diodore de Sicile, plusieurs historiens ont rapporté que les Egyptiens considéraient la musique comme un art frivole et dangereux ; quant au peuple hébrèu, il a été, dans toute l'antiquité, célèbre par l'emploi qu'il sut faire de la musique pour augmenter la pompe du culte religieux.
Les Grecs, comme tous les autres peuples, lui ont at- tribué une origine céleste et leur eslime pour cet art étail proportionnée aux effets surprenants qu'ils lui attri- buaient.
Les Romains, peuple longtemps agreste ou grossier, adonnés presqu'exclusivement aux travaux des champs ou aux conquêtes, modifièrent fort peu les procédés mu- sicaux des Grecs. Le plus grand obstacle de la vulgarisa- tion de la musique à Rome vient de la déconsidération dans laquelle était tombé cet art, dont la pratique fut abandonnée aux esclaves. Les instruments de musique employés par les Romains leur sont presque tous venus des Etrusques el des Grecs, et ceux que préférait ce peu- ple belliqueux, étaient les instruments à vent. Dans leurs nombreuses fêtes publiques ou privées, ils employérent d'abord les flûtes, les trompettes et les cors. Plus tard, on introduisit dans les festins les psalteriæ et les tambu- ristiæ. Les Romains paraissent avoir peu connu l'harmo- nie ; leurs instruments à vent devaient produire des sons très forts dans la vaste étendue de leurs théâtres et leurs fètes bruyantes excluaient les sons plus doux de la Iyre et de la cythare.
Selon Diodore de Sicile, Grégoire de Tours et Fawchet, :
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les Gaulois connaissaient déjà la musique l’an 2140 de la création, et l’un de leurs rois, nommé Bardus, établit dans la Gaule des écoles publiques: de musique. Les bardes n’enseignaient pas seulement la jeunesse, ils mar- chaient à la Lèle des armées, jouant de la harpe, du psal- térion ou de la viole et s’accompagnaient en chantant des hymnes et des cantiques propres à enflammer ou calmer l’ardeur des guerriers et des soldats. La musique entrait, _en outre, dans le culle «le la religion. Eile servait dans les pompes funèbres des chefs gaulois, à exciter les es- claves à se jeter sur le bûcher de leurs maitres.
La ville d'Arras, dont l’origine gauloise ne saurait être mise en doule, eut ses bardes et ses druides; mais ils perdirent de leur influence, lorsque les Romains pénétrè- rent dans nos contrées ; ils durent alors s’expatrier.
Sous la domination du peuple-roi qui conquit toutes les Gaules, Arras élait déjà la capitale d’une province ri- che et populeuse; même pendant les secousses destruc- tives des invasions barbares, marchant comme un orage qui soufflait devant lui toutes les lumières, elle relint quelque chose de la domination romaine el on y vit fleu- rir de bonne heure cs sciences el les arts, résaltat de l'instruction qui n'abandonne jamuis les grands foyers de population au milieu même des tourmentes les plus tumultueuses.
La musique était connuc de la population franque bien avant Pharamond. Ce prince fut proclamé roi à la tête de l’armée et au son de tous les instruments militaires. Grégoire de Tours rapporte que pendant la cérémonie du baptême de Clovis, à Reims, il y eut une musique di- gne de la graadeur du sujet ét qui causa tant d’admira-
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tion au royal néophyte que, dans un traité de paix con- clu avec Théodoric, roi des Ostrogoths, il obligea ce prince à lui envoyer d'Italie un bon joueur de guitare avec un corps de musique. Ce fut sur cette invitation que le chanteur Auride, choisi par le savant Boëce, vint à la cour barbare du roi de France. |
Ce fur sous le règne de Pépin ou de Louis le Débon- naire que l’on vit le premier jeu d'orgue en France. La chapelle du roi fut alors créée sous la direction d’un mai- tre de musique nommé #Ménestrel.
Charlemagne, à son retour de Rome, en 801, avait ra- mené avec lui une troupe de musiciens italiens, à la tête desquels étaient les deux chantres fameux Théoulose et Benoist. L'établissement que ce prince fit d'une école dans son palais, donna l'essor à loutes les sciences et principalement à la musique. |
À Arras, une école sous la conduite d'Haymin, gardien de l’église de St-Vaast, fut fondée aux termes des capi- tulaires par lesquels ce grand roi enjoignait aux moines d'élever les jeunes gens el de leur enseigner la musique, la grammaire et l’arithmétique (1).
La Sainte-Chandelle d'Arras a, elle-même, une origine qui se lie tout-à-fait à l'art de la #énestrandie. Inulile de rappeler la présence dans notre ville des deux jongleurs ou musiciens, Îtier et Normand qui, d'ennemis mortels qu ils étaient, devinrent amis à la suite de l'apparition céleste qui leur délivra le Saint-Cierge.
(1) L'abbé Proyart, Histoire de l’enseignement dans la ville d'Arras.
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1}
LES FHOUVÈRES, JONGLEURS ET MÉNESTRELS ARTÉSIENS.
Le mariage de Constance, fille de Guillaume, comte de Provence, avec le roi Robert est regardé comme l'époque du goût marqué pour la musique en France. Il se forma quelque temps après une Saciété de musiciens à l'instar des anciens bardes: on les nomma trouvères et trouba- dours, d'autres s'appelaient c'antères et ménestrels. Les trouvères, leur titre l'indique assez, créaient et inven- taient la matière du roman ou de la ballade et la compo- saient ; les ménestrels élaient les chanteurs, les musi- ciens qui déc'amaient, en s'accompagnant sur leurs gui- tares, harpes ou psallérions, les compositions des trou- vères. D'autres, enfin, se faisaient appeler jongleurs et
ménétriers ; ils accompagnaient les voix au son des ins-.
truments (1).
({) Au XIIT' siècle, un jongleur devait savoir « bien inventer, bien rimer, bien proposer un jeu parti, jouer du tambour et des cymbales, faire retentir la symphonie, jeter et retenir des petites pommes avec
les couteaux, imiter le chant des oiseaux, faire des tours avec des
corbeilles, faire sauter à travers quatre cerceaux, jouer de la citole.s Quelques uns étaient accompagnés d'animaux savants, d'ours dansant et faisant le mort, de truies qui filuient, d’où cette enseigne de caba- ret: À la Truie qui file, prise dans maintes villes, d’où encore, et pariant, le nom de la rue de la Truie qui file, donné à quelques voies dans les cités d'Artois et de Picardie. Il arriva souvent que les ménestrels se réunirent en troupes :'les trouvères s’adjoignaient des jongleurs pour remplir les entr'actes par des tours de leurs métiers, et tous parcouraient ainsi la France avec leurs femmes et leurs en- fants. Une ménestrandie bien composée avait ses poètes, ses musi-
ee On sit que ces différents corps de musiciens allaient dans les éoûrs dés gränds seigneurs qüi les employaient dans leurs répas, Soit à leurs i noces, soit aux fêtes publi- ques qu’ils donnaient. L'industrie el le commerce d'Arras n ‘avaien| fail que
s'éléndre au moyén-âge. Ils s ’exerçaient alôrs dans Loute l’Europe et avaient maintenu dans le cœur de l’Arlois l’opulencé et lé luxe ; la culture des arts et des sciences ëst le cortège naturel de l’aisance, et là où brille la ri- éhésse, [a gaièlé règne. Aussi ne doit-on pas s'étonner du grand nonibre de chanteurs et lrouvères qu’Arras produi- sit aux XII° ét XIIT* siècles. Le vif amour du plaisir. les réprésentälions, les jeux publics firent naître les poëtes et les musiciens dans notre pays.
Centre prématuré de famières, de richesse et dé civili- sâtion, Arras fut toujours un foyer litéraire, brillant d'éclat et dé chäleur dù milieu des brumes glaciales qui l'envirônnaiént. D'après M. Arthur Dinaux, les trouvères el chänteurs artésiens tinreni le premier rang dans lé goût léger. « Ils devaient, dil le savant annaliste du nord de la France, leur supériorité, sans doute à leur heu- reuse situation. Placés entre le Picard et le Flamand, ils ont pris la chaleur de lête du premier et la saine raison
ciens et chanteurs, ses farceurs et: saltimbanques. Les plaisirs du spectateur étaient aussi des plus variés, et après avoir entendu une chanson de geste et un concert de harpe, il se reposait en écoutant les quolibets, en contemplant les grimaces du jongleur et les gentil lesses du chien savant. Ces bardes menèrent la vie précaire des: co médiens illustrés par Scärron ; c’est chez eux que nous trouvons le gérme des troupes nomades qüi succédèrént, au XVII siècle, aux troupes locäles, pour fäire placé ensuite aux troupés privilégiées: — (Lecocq, Histoiré du théâtre en Picardie).
du second. Jamais la lyre antique n'a accompagné de chants plus doux que ceux d'Audefroy le bâtard d'Arras et de Quesne de Béthune. » Nous ajouterons, avec le spirituel Charles Nodier, que « nos trouvères Adam de la Halle, Jehan Bodel et Baude Fastoul n'ont jamais été surpassés en grâce, en délicatesse, en mâle et suave har- monie (1). » | |
Prise sous son point de vue utile ou agréable, la mu- sique servait alors à animer les guerriers, à convaincre le peuple, à admirer les dames, à provoquer la pilié. S'il fallait marcher au combat, les chants et les instru- ments excitaient le courage des soldats et les chansons de geste doublaient la valeur des chevaliers et de leurs hommes d'armes.
Une pièce du fameux manuscrit de Montpellier, recueil de compositions musicales en usage aux XIF el XIIIe siè- cles, décrit par M. de Coussemacker dans son livre sur l'Art harmonique à celte époque, renferme de nombreux passages démontrant combien les trouvères arlésiens ex- cellaient dans Ja composition des motets. En voici un extrait : |
Arras est école de tous bien entendre, Quand on veut d’Arras le plus caitit prendre, En autre païs se peut boin vendre ;
On voit les honors d'Arras s’y estendre,
1 vi l’autre jor le Ciel la sus fendre :
DEX volait d'Arras les molels aprendre ; Et par li doulerès vadou, vada, vadourène.
(1) L'histurien des trouvères d'Arras signale l'existence d’un re- cueil de motets artésiens, avec musique, dans le manuscrit n° 186 du supplément français de l’ancienne Bibliothèque du Roi, renfermant de nombreux documents sur l’histoire musicale de l’Artois.
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L'idée singulière de faire intervenir Dieu pour appren- dre les motets artésiens ne peut s'expliquer que par la réputation dont ils jouissaieut. Nul doute que la musique harmonique, qui était une partie essentielle du motet, ne fût comprise dans les éloges exprimés par l’auteur. Dans les autres strophes, il cile parmi les meilleurs com- positeurs de molets, Ghilebert de Berneville, Baude de la Kakerie, Philippe Verdière et autres Arrageois.
Audefroy le bâtard a composé des romances charmantes et en grand nombre ; elles se chantaient comme les nô- tres el la musique en a été conservée dans un ancien manuscrit, n° 7222 de la Bibliothèque nationale, cité dans le travail de M. Arthur Dinaux. Dans toutes les ro- mances du XII[° siècle, dont celles d'Audefroy sont les premières et les plus remarquables, les couplets se trou- vent Loujours terminés par un refrain et ce refrain sert même, dans celles de notre trouvère, à la romance en- tière, sans aucun changement. Ce sont des manuscrits curieux et de l histoire littéraire et de la science musicale. La poésie el la musique étaient alors deux chemins qui menaient droit au cœur des dames : nos trouvères le sa- vaient el ils les suivirent. Ils composaient à la fois les vers et la musique de leurs chansons. |
Moniot Pierre d'Arras est auteur de plusieurs pièces pleines de grâce et de délicatesse. Quelques-unes sont des molels ayant pour refrain des fragments de chants populaires. M. de Coussemacker a reproduit l'un d’eux avec la musique à laquelle il reproche, à juste titre, d'être notéc d'une manière peu exacte (1).
| (4) L'Art harmonique aux XIIe et XILI° siècles, 3 partie, n° xxKI, reproduit d’après le manuscrit de Montpellier.
LS
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Adam de l4 Halle est le plus : ancien trouvère qui nous
ajt laissé des composiions musicales à plusieurs parties. Parmi les nombreux manuscrits qui contiennent les œu- vres du célèbre trouvère artésien, celui de Lavallière, n° 81 de la Bibliothèque nationale de Paris, est le plus remarquable. On y trouve trente- -cinq chansons et dix- sept pastures, seize rondeaux à quatre voix el huit motets à deux et trois par ies, avec paroles différentes. M. de Coussemacker a msi découvert, en 1840, sur les gardes d’ un manuscrit. à la bibliothèque de Cambrai, quatre de ces rondeaux, dont la correction du {exle et de Ja nota- tion musicale fait vivement regretter la perte du manus- crit dont ils faisaient partie. Ce devait être un recueil renfermant ] les œuvres de même genre d'Adam de la | Halle et ayant dû appartenir à 1 ‘abbaye de Vaucelles, où l'on sait que notre trouvère fut moine pendant plusieurs années. Le manuscrit de Montpellier contient deux ron- deaux et trois motels d'Adam de la Halle, avec certaines différences de texte signalées par M. de on SRE écrit les roles et la musique FL deux compositions théâtrales d’un tour ingénieux el charmant. [a première de ces fantaisies dramatiques € estintitulée : Le jeu d Adum ou bien encor L« jeu de la Feuillée ; la seconde à pour titre : Le jeu de Robin et de Marion ou Le jeu du Berger et de la Bergère.
Nous n'aurions pas à nous occuper ici du Jeu de la Feuillée, si l'action de cetle comédie satirique d’un mari fatigué de sa femme n’était traversée par une féerie où l'on voit apparaître Morgue. Maglore et Arsile, ainsi que le roi dés Autnes de FArlois, Hellequin, précédé de son
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coureur Croquesos. D'après une tradition fort répandue en Flandre et dans nos provinces du Nord, les fées se plaisaient à venir au milieu des bois prendre la collation que de bons paysans leur avaient préparée: Adam et ses compagnons, cachés sous la feuillée, assistent à l'entre- tien et au festin de ces personnages. fantastiques qui dis- paraissent, cachés sous le voile des brumes matinales, au moment où va poindre l'aurore. La musique inter- vient avec bonheur dans ce piquant intermède ; elle éclate durant le repas et sous forme de symphonie champêtre. Quel en était le caractère ? Le même que celui de Robin el de Marion, cette jolie pastorale qu’Adam de la Halle composa vraisemblablement avant d'entrer au service du comte d'Artois, Robert IL, et qu’il fit représenter vers 1285 à la cour française de Naples, ville où il mourut peu de temps après. Qu'est-ce que Le jeu du Berger et de la Bergère ? Un excellent tableau de genre, œuvre d’un peintre qui s'inspire de la réalité. L'analyse de cette pas- torale satirique, aimable mélange de dialogues en vers et de morceaux de chant, prouve que cette gracieuse comédie à arieltes nous donne le droit de décerner au joyeux chanteur-musicien d'Arras le titre de fondateur de notre opéra-comique.
Mais le dialogue de ce draine si simple n’en constitue pas l'attrait principal ; la musique en est gracieuse, facile, expressive el charmante. Le sentiment de la tonalité mo- derne y éclale en maint endroit el l’on y reconnait un compositeur à la recherche d'effets piquants. Marion chante ct le flageolet d'argent de Robin l’accorpagne ; celte donnée musicu!le est sans doute renouvelée des Grecs et nous la retrouverons souvent, notamment dans
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le Rossignol, où les accents de Ja flûte se marient d’une voix agile, et jusque dans Vie/ka, autrement dit dans l'Etoile du Nord, de Meverbeer.
Faut-il signaler la romance populaire : « Robin m'aime, Robin m'a » el les agréables couplets de Robin: « J'ai encore un tel pasté. » Avons-nous besoin de vanter le motif de la danse finale, vrai concert de musettes? Re- procherons-nous, par contre, au trouvère arlésien de n'avoir su varier ni ses rythmes ni ses intonalions ? Nous ne commettrons pas une pareille injuslice, car Adam de la Halle, strict observateur des règles posées par François de Cologne, ne connaissait que la division ternaire de chaque temps musical et il a choisi les seuls modes du plain-chant qui lui permissent de satisfaire à son instinct de la tonalité moderne. En dépit de l’har- monie de Robin el Marion. souvent gauche. dure et fau- tive, nous reconnaissons, néanmoins, dans cette œuvre la création d'un ménestrel de génie.
Avec le Jeu du Berger et de la Bergère commence donc pour le théâtre français une êre de complet affranchisse- ment. À la musique religieuse, aux mélonpées lentes, aus- tères et savamment combinées tend à se substituer un art plus indépendant, une mélodie plus naïve, plus fran- che, plus trouvée. Adam de la Halle est le plus ancien de nos mélodistes spontanés.
La paslorale se classera toujours parmi ces comédies }yriques où l'on passe avec aisance du dialogue au chant, où l'on arrive à plaire par des situations vraies et par des mélodies naturelles, où l'on sail, en un mot, marier à propas la poésie avec la musique et prouver que ces deux arts, loiu de s’exclu'e et de se contrarier, se com-
PTS
binent à merveille pour mieux enchanter nos oreilles et notre esprit. Le savant historien de l’art musical au moyen-âge, écartant le système absolu de M. Théodore Nizart et de M. Fétis, a démontré que les trouvères ar- lésiens n'étaient pas exclusivement mélodistes et a prouvé, par des documents formels, que d’autres qu'Adam de la Halle étaient harmonistes. Il nous à, de plus. fait connaître leur degré d’habileté dans l'art d'écrire à plu- sieurs parties.
En effet, à partir de Guy d'Arezzo, l'inventeur de notre nolation musicale, qui composait au commencement du X[° siècle, l'art fil de rapides prourès. La découverte de l'orgue et de ses combinaisons mécaniques mit sur la voie des combinaisous harmoniques vocales et l'on donna le nom de déchant aux parlies qui n'exécutuient pas le plain-chant ou chant principal ; on eul ainsi le dé- chant à deux, trois et quatre parties. |
Les ménestrels du moyen-âge apparaissent donc à nos souvenirs comme des types de l'élégance el leurs chants comme l'idéal de l'harmonie.
Ce qui précède nous a fait connaitre les trouvères et les ménestrels qui donnaient des représentalions ou, pour être plus exact, des concerts populaires. [ls ont disparu depuis longtemps; saluons-les au passage, car dans les temps où le despotisme et la misère pesaient si lourdement sur nos populations arlésiennes, ils appor- laient un peu de gaielé au peuple, qui en avait tant besoin.
Nous ne saurions nous arrêter plus longtemps à ces origines de l’art musical. La musique, telle que nous la connaissons, ne date véritablement que du moyen-âge el elle a pris naissance dans les chants de l’église catholique.
III
LA MAITRISE.
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LA MUSIQUE RELIGIEUSE. — LE PLAIN-CHANT. LE CHANT GRÉGORIEN.
PREMIÈRE ÉCOLE DE CHANT ET DE MUSIQUE. NOTATION MUSICALE DE GUY D'AREZZO0. L'ORGANUM. — LA DJAPHONIE. — LE DÉCHANT.
LE MANDE A ARRAS. — LES BONS-ENFANTS. FONDATEURS DE LA MAITRISE. =— LES GRANDS CHANTRES. REGIME INTÉRIEUR DE LA MAISON. INSTRUCTION MUSICALE. — ÉLÈVES ET MAITRES DE CHAPELLE. LA MAITRISE ACTUELLE. — DIRECTEURS ET ÉLÈVES (l).
L'église primitive fonda des écoles de chant dont on fait remonter l’instilution au pape Svlvestre, 350. Saint Grégoire assigna des revenus à ces écoles et apporta au plain-chant des modifications qui ont fait donner à sa méthode le nom de chant grégorien, 590. Le plain-chant, reste défiguré mais encore fort intéressant de l'ancienne
(4) Les recherches auxquelles nous nous sommes livré pour ob- tenir les documents concernant l’ancienne maîtrise d'Arras, nous ont donné la preuve qu’elle avait été l’une des meilleures écoles de chant du. nord de la France et le berceau de plusieurs musiciens re- marquables de l’époque des xve#, xvie et xvirie siècles, soit comme maitres de chapelle, soit comme instrumentistes.
Rendons ici hommage au mérite et au savoir profond de l’un de nos Collègues, M. le chanoine Proyart, chez qui nous avons toujours rencontré une extrême obligeance et qui a bien voulu nous commu- niquer le fruit de ses nombreuses recherches sur la maîtrise d'Arras, travail très intéressant auquel nous avons fait de fréquents emprunts.
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musique grecque, le plain-chant et quelques airs natio- naux formaient, au temps de Clovis, toute la musique de l'Europe chrétienne. Les mélodies irrégulières et trai- yanles agissaient aussi vivement sur les barbares que les compositions fougueuses et gigantesques de Beethoven peuvenl agir sur nous.
La réforme opérée par saint Grégoire dans le chant des églises d'accident ne prit de l'extension en France qu'au VIII° siècle. L’Angleterre é'ait depuis longtemps initiée au chant grégorien lorsque Charlemagne l’introduisit en France et en Allemagne. Ce prince fil venir de Rome des maitres de chant qu'il plaça dans quelques chapitres des églises de France pour y enseigner la méthode de saint Grégoire et les bonnes traditions de son école. [l rendit bientôt après des capitulaires pour que des écoles de chant fussent instiluées dans tous les chapitres des ca- thédrales et dans les monastères. Au X° siècle, les chefs de l'enseignement, ces grandes lumières du monde, cla- rissima mundi lumina, à peu près disparus pendant les inyasions des Normands, reparaissen£t à l'horizon.
Les églises d'Arras et de Cambrai élant réunies, on avait tracé l'ordre que le clergé de ces deux diocèses de- vait observer dans la célébration des offices divins. À la fin de cet ordre, on trouve un article qui concerne les écoles de grammaire et de chant ecclésiastique formées dans ces deux villes. Ces écoles étaient ouvertes, ron- seulement aux clercs, mais encore aux enfants laïques. On devait prendre un soin tout particulier d’instruire les uns el les autres dans les arts libéraux et la science de la religion.
Dès l'an 908, suivant Balderic, les jeunes gens des pre-
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mières familles artésiennes se livraient aux études des let- tres et de la musique sous un maître habile, magister scho- larum,homme de mérite que les chapitres et les abbayes plaçaient à la tête des écoles (1), Ces dernières furent le prélude d'autres élablissements qui furent longtemps les seuls moyens, pour nos pères, de se procurer les bien- faits de l'instruction. | |
Ces inslilutions imprimérent au chant grégorien un plus grand développement et le rendirent bientôt popu- laire. Aujourd'hui même, malgré le perfectionnement de la musique moderne, on ne peut s'empêcher d'admirer en- core le caractère de grandeur et de dignité de ce chant.
Ce n'élait pas seulement Paris qui produisait des mai- tres de renom, la province fournissait aussi son contin- . gent à ce développement progressif de l’art musical. La Picardie élait représentée par deux de ses enfants, Jean le Fauconnier, appelé aussi Probus de Picardie. et Pierre de la Croix, d'Amiens ; Josquin Desprès, Louis Compère illustrèrent la maîtrise de Saint-Quentin. Jean de Bour- gogne est cité parmi les meilleurs déchanteurs de l'époque. A Arras, les noms d'Haymio, disciple du savant Alcuin -et directeur de l’école de Saint-Vaast, d’Achard et de Ro- bert qui enseignuient dans aotre ville la grammaire et le chant ecclésiastique, sont dignes de figurer à côté de ceux que nous venons de ciler. Du reste, les manuscrits provenant des églises d'Arras et de Cambrai ne laissent aucun doute sur ce sujet (2).
Malgré la fondation des écoles de chant dans les cha-
(1) L'abbé Proyart, Histo ire de l’enseignement dans la ville d'Arras. — Histoire littéraire de la France. no. | (2) De Coussemacker, l’Art harmonique aux XIIe et XIIIe siècles.
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pitres, le chant grégorien ne se conserva pas longtemps pur et les maîtrises ne produisirent pas toujours les amé- liorations que l'on pouvait en espérer. L'usage du chant dans les églises était restreint et la notalion vague et in- certaine, au X° siècle, hérissait de difficultés l’étude de la musique. Leslivres Lturgiques écrits d’après plusieurs systèmes de neumes différents, n élaient compris que de ceux qui y étaient habitués. Les neumes ou signes de no- talione avaient des formes vagues et défectueuses, et avant l'introduction des ligues, leur placement élait Lel- lement incertain qu'il était fort difficile pour le chanteur de ne pas se tromper sur leur degré de hauteur ou d'abaissement.
Vers la fin du X[° siècle, le moine ilalien Guy d’Arezzo inventa la notation musicale telle qu'on la pratique en- _sore aujourd'hui, en donnant aux six premières notes les noms des syllabes initiales d'un hymne liturgique. La septième, le si, ne fut inventée qu'au XV[* ou XVIF* siè- cle. Cette grande amélioration introduite dans la nolalion fut généralement adoptée. On lraça au dessus du lexle, et à une certaine distance, une ligne à laquelle on assigna la place d'une note de l'échelle Lonale ; l'étude de la mu- sique commença alors à se mulliplier et, lorsque plus lard on eut tracé quatre lignes au lieu d'une, toutes les posilions des noles étant déterminées, l’art entra dans une êre nouvelle. A partir du XITT° siècle, sa transforma- tion fut complète et les progrès purent être transmis aux généralions suivantes.
L'usage d'accompagner le chant grégorien par une sorle d'harmonie, déjà introduit dans les églises au X°siè- cle sous le nom de organum ou diaphonie, musique dans
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“ldqüelle on entendait simullanément ün chant à débx parties, acquit un grand développement. On comiposd des oïgañum tripluin, quudrüplumt, elc. Cette haärmonié barbare consistait à faire suivre note à noie le chiant ec- clésiastiqué par des voix qui faisaient avec lui une suile de quartes ét de qüintes. Cepeñdant l’organum produisait säns doute un effet agréable à l'oreille des assistants, puisque ce chant, qui jouissait d’une grande faveur, était féservé pour les fêtes principales de l'Eglise.
I y eut dans les usages de l'Eglise du moyén-âge des singulatités qu’en a peine à comprendre aujourd’hui et qui ont été successivement oübliées Je ne citerai que lé chant des épiîtres en langue vulgaire qu'où appelait épi- {res farcies.
L'usage des épîtres farcies s’introduisit en France vérs le XII: siècle ; il s’est conservé jusque vêrs le milieu du XVIII: à Aix, à Reims et dans quelques autres villes. Ces épitres étaient une espèce de paraphrase en français sur le texte latin que le peüple n’entenduil plüs depuis qüe la langue vulgaire s'était formée et répañdue. Plusieurs manuscrits nous ont conservé ces morceaux singuliers qui se chantaient pailiculièrement à là fête de Saint- Etienne (1). |
L'établissement des orgues dans les églises de Francé n’exerça qu'une influence secondaire pour le perfection- nement de l’harmonie, car les vices de constrüclion dé cel instrument étaient tels, au début, qu'ils s’opposèrent
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longtemps à ce que l’on jouât plusieurs’ notes à la fois
sur le même clavier. Il est donc présumable que les no-
(1) Fétis, D. 481,
NS ne
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tioris d'härmonie Ont précédé l'usage de cet instrument.
Le besoin d'une Harmonie moins monotone que l'or- ganum ou la diaphonie avait donné naissance à des essais tentés pour mêler ensemble des intervalles d’une nature différente. Celle nouvelle combinaison, qui rencontra d'abord beaucoup de difficultés à s’introduire dans la nusique, reçut dès le XI° siècle le nom de déchant ; mais .ce ne fut guëre que vers le milieu du XV°, que les suc- cessions vicieuses de la diaphonie disparurent générale- ment et que l'art ns fit de sensibles progrès dans la manière d'écrire à plusieurs parties.
Par une singularité assez remarqueble, et malgré la facilité de ses rapports avec l'Ilalie, on peut dire, sinon avec pleine certilude, puisque les documents aulhenti- ques font défaut, du moins avec la plus grande probabi- lilé, que le déchant comme la diaphonie est né dans les grandes écoles ecclésiastiques du centre et du nord de la France C'est dans les cathédrales de Paris, d'Amiens, de Cambrai, d'Arras, c’est-à-dire dans les vastes foyers in- lellectuels de cetle époque que l'art harmonique a reçu ses prenrières impulsions. Ce qu'il y a de certain, c'est. que dès le XII siéele, l'enseignement mus:cal à Arras comprenait le déchant principalement appliqué au chant religieux.
Les compositions séculières étaient plus variées que les compositions religieuses suus le nom de rondeau, cantinelle, conduit, motet. Le motet surtout, qui était la composition favorite du temps, presait-une grande variélé dans la diversité des paroles. Le caractère principal du motel consistait en ce que: chaque park avait:une mélo- die distincte. Le tatent dù compositeur consistait: à faire
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marcher ecsemble les diverses mélodies sur une base fixe et déterminée, le tenor, dont le rythme accentué servait d'appui.
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En 1211, Raoul, évêque d'Arras, laissa par lestament, au chapitre de la Cathédrale, une maison située dans le cloîlre, à condition qu'en cas de vente, on donnerait au Mandé la moilié du prix. Le Mandé, Handatum pauperum, élail un établissement mixte d'instruction et de bienfai- sance dont les revenus servaient. en partie, à l'entretien et à l'instruction des enfants de chœur de la Cathédrale, le reste était distribué aux pauvres. Cet établissement se confondit plus tard avec celui des Bons-Enfants ou des pauvres clercs. En 1250, leur maison était située rue de Gallerue. C'était. le chapitre qui nommait le directeur de la maison, sur laquelle il conserva toujours pleine et en- tière autorité. Le répertoire du chanoine Théry nous apprend que bon nombre d'élèves de cette ancienne école capilulaire devinrent étudiants ès-arts à Paris.
Au.temps de suint Louis (1226-1270) l’art était borné à la musique d'église. Malheureusement, les historiens de cette époque prisaient trop peu les musiciens pour transmettre leurs noms à la postérité ; c'est ce qui fait que nos annales sont si pauvres à cet égard.
La maitrise d’Arras était en plein exercice au XIV® sié- cle; un réglement de 1389 traçait leurs devoirs aux muitres et aux élèves (1;; toutefois, ses débuts furent modestes. Dés le principe, les enfants de chœur, feriales
(4) Ordinalio puerorum feriaiium ecclesiæ Atltrebulensis et eorum magistri (Rép., fol. 89). — L’abbé Proyart,
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churi, fréquentaient les écoles de la Cité ou bien étu- diaient chez eux les lelires et le catéchisme, suivant un règlement dont le maître de chant surveillait l’exécu- tion, sous la direction du chantre (1) de la Cathédrale.
(1) La troisième dignité capitulaire de la cathédrale d’Arras était le grand chantre. Elle était élective et confirmative par l'autorité diocésaine. On ne pouvait ouvrir sans son autorité aucune école de chant dans la ville d’Arras et cette permission, il ne l’accordait qu’a- vec réserve, d'autant que l'entretien de ces écoles était entièrement à sa charge. Il est indubitable-que cette responsabilité devint trop onéreuse pour le chanoine chantre, car l’on voit, en 1655, l’école du grand chantre dans un tel état de délabrement et de ruine, faute de réparations urgentes, qu’il fallut en ordonner l'entière destruction, (L'abbé Fanien, Histoire du chapitre d'Arras).
Voici les noms des grands chantres de la cathédrale d'Arras que nous avons pu retrouver : Odon (1093). — Il fut chef de la Lanibert Pamide (1636). députation envoyée à Rome pour Gilles Pollart (1646). le rétablissement du siège épis- Bouquel Charles (1660).
_ copal à Arras. Guislain Sevin (1687).
Anastase (1097). Damiens (1701).
Anselme (1153). François-Joseph Quarré de la Vié- Robert (1218). ville. — Il devint prévôt du Simon Windelius (1284). chapitre en 1721.
Guy de Saillegundis (1350). Jean de Coperly, docteur de Sor- Bendus de Pilis (1357). bonne (1722).
Guillaume Bangud (1365). Jean-Antoine Danvin (1729). Nicaise de Grincourt (1469). J. Lallart (1769).
B. Thomas (1538) Pierre - Jean - Baptiste - François Jean Ganet (1566) Mouronval (1802).
Robert Caulier (1572). Jean-Marie Bailly (1834).
Jean de Lanirre ou Deslanières Henri-François Dubois (1845). (1585). | Joseph-Marie Proyart (1847). Antoine Moulart (1600). Désiré Planque (1851).
Le grand chantre paraît dans tous les monuments de l'église entre
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Le chapitre le dédommageait de ses peines en lui faisant la remise de la location de sa maison canoniale, 1465. Cet état de choses était loin d’être suffisant. En 1466, un sous-chantre dévoué se chargea de recevoir et nour- rir chez lui d'abord quatre enfants de chœur, puis six des plus habiles, aux frais du Mandé (1). En 14792, le chantre présenta au chapitre le maître de musique, et une allocation de six francs ful accordée aux enfants de chœur qui suivaient ses cours (2). On reconnut bientôt
les plus anciennes dignités capitulaires sous le nom de cuntor, præ- cuntor, chorialis primicerius. Le concile de Cologne, de 19260, lui donne le nom de chorévèque, comme évêque ou intendant, surveil- lant du chœur. Le grand chantre qui, dans l’ancienne Cathédrale, occupait le troisième rang parmi les dignités, ne tient plus aujour- d’hui que le cinquième Il est installé par le prévôt, qui le conduit au siège fixe du lutrin.* Là, il le fait asseoir et lui met en main le bâton d'argent, surmonté d’une Notre-Dame, comme marque de son autorité. Il est remplacé de droit par le sous-chantre: tous deux doivent prévoir leur absence pour se faire remplacer par un chanoine. * Le grand chantre exerce, dans le chœur, la surveillance et la police sur tout ce qui a rapport au chant de l'office divin Il détermine d'avance ce qui devra êtie chanté à chaque office capitulaire et fait connaître aux chanoines et autres ecclésiastiques ce qu'ils ont à chanter. Il dirige le chant, règle la psalmodie et empêche qu’on en trouble l’uniformité et la régularité. Les chantres et les enfants de chœur lui sont soumis, sauf le recours à l’évêque, lorsque les cir- constances l’exigent. Il fait observer à chacun d’eux ses devoirs et lui donne les ordres nécessaires pour l’accomplissement de ses fonc- tions pendant la célébration des saints offices. Il examine les chan- tres, enfants de chœur, organistes et autres musiciens. Il leur per- met de s’absenter. A son défaut, le sous-chantre accorde les mêmes permissions, à moins que le prévôt ne se les réserve (L'abbé Proyart).
(1) Sex magis idonei in domo succantoris expensis mandati ale- rentur cum priüs quatuor tantum). Rép , fv 31).
(2) P. Ignace, Add. aux Mém., t. 11, p. 57.
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la nécessité de construire une maison pour loger les élèves et leur maître, Il fut résolu, en 1478, qu’on l’éta- blirait dans le voisinage du grenier du chapitre. Ce pro- jet n’avant pas abouti, le grand chantre Jean Dubois (de Bosco), acheta une vaste maison pour assurer l’avenir de cette institution (1). |
C'est dans cette maison, dite de Saint-Christophe, que la maitrise est restée pendant trois siècles et jusqu’à la Révolution de 1793. Elle était située dans le cloître, te- nant au réfectoire des chanoïnes ; la cour et les dépen- dances s'étendaient jusqu'à la rue d'Amiens. Jean Dubois la parlagea en deux, de manière à pouvoir y loger, d’un côté, les enfants de chœur, et de l’autre, un membre du chapitre, à charge par ce dernier d'assurer les redevances, sans exception aucune, dont la maison entière était gre- vée (1489). |
À l'entrée du duc de Bourgogne, en 1489, les enfants de chœur de la maîtrise d’Arras firent preuve d’un véri- table talent d'exécution dans les motets qu'ils chantérent en l'honneur du prince (2).
Pour rendre en toui temps plus facile aux jeunes élé- ves l'accès de la Cathédrale, alors entourée d’un cime- tière, et leur épargner l'ennui de fouler aux pieds la cendre des morts el de se heurter contre des Lombes, on pratiqua une pelite chaussée à partir de l'entrée de la maison jusqu'au portail latéral de la basilique (3).
Le grand chantre, à raison de sa dignité, avait la haute
(4) Ad opus magistri et ferialium (Rép.) — Cette maison est re- prise actuellement sous le no 15 de la place de la Préfecture.
(2) Reg. mém. de la ville d'Arras, 1489.
(3) L'abbé Proyart. — P. Ignace, ddd. aux Mém., t. 11, p. 57.
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main sur la maîtrise, toutefois, sous l’autorité du chapi- tre. La maitrise se composait de vingt-deux enfants de chœur, dont douze étaient spécialement destinés à l'étude de la musique et les dix autres au service des messes. Le grand chantre devait présenter au chapitre les sujets qui demandaient à faire partie de celte intéressante cor poration. En 1577, on lui fit particulièrement observer qu'il avait tort de se borner à en proposer seulement trois ou quatre et qu'il ferait bien d'étendre cette candi- dature à un plus grand nombre d'enfants originaires du diocèse, afin de réaliser un meilleur choix (1). Il avait sous ses ordres un maîlre de musique ou directeur de cette école qu'il présentait lui même à l'accep!ation de la compagnie, avec toutes les formalités voulues, pour qu'il ne s’élevât aucun doute sur son aptitude et sa par- faite moralité (2).
Le chapitre pourvoyait à la nourriture, à obhetee “et à l'instruction des enfants de chœur, en même temps ‘qu’il leur enseignait la musique et les élevait dans la piété pour le service de l'autel. Un chanoine avait la mission de les visiter souvent, de s’enquérir de leur -conduile, de leur application au travail et de leurs pro- grès (3). Leur santé était aussi l’objet de soins tout par- ticuliers, el dans ce but, on exigeail d'eux une grande propreté. En temps de guerre, on les renvoyail chez eux, à l'exception de six qui restaient pour le service indispensable et quotidien de l’église.
(1) Ut electio meliorum vocum per D. D. fiat (Rep.
(2) Dominus cantor præsentat capitulo magistrum ferialium juxtà dignitutem cantoris (Rep.) (8) Rep., p. 95.
_ Le jour de la fête des Jnnocents, appelé aussi. fête des ânes, festum asinorum, fête de fous, qui se célébrait le jour de la Circoncision, toute la maîtrise était en grand. .émoi. Clercs, chantres, enfants de chœur montaient à. cheval et parcouraient les rues de la cité et de la ville, s’arrêtant sur les marchés et places publiques pour y faire entendre toutes sortes de chants. Ce genre de fête ayant dégénéré en licence, elle fut réformée par le chapitre en 1459 et définitivement supprimée en 1460. Toutefois, ce divertissement, tout grotesque et ridicule qu'il fût, plaisait à la population ; aussi fit-on mille tentatives pour en obtenir le rélablisseinent. Le chapitre, cédant à d’im- portunes instances, le permit, mais à condition que les vicaires et les enfants de chœur s’absliendraient de par- courir à cheval les rues Je la ville et de chanter sur les places publiques. La fête fut définilivement FHPRMSS à la fin du XVI® siècle. |
Le mois de février offrait aussi à la maitrise de la ca- thédrale d'Arras un jour de récréation. La veille de la fêle de saint Vaast, les enfants de chœur présentaient au chapitre une humble supplique dans le but d'obtenir une gralification, pro collyphio, occasione festi sancti Ve- dasti. Les chanoines assemblés capitulairement votaient une somme de huit livres destinées à couvrir les frais de ce collyphium, espèce de petit régal en l'honneur de la fête de l’apôtre de nos contrées, saint Vaast, le patron de la ville d'Arras.
Chaque année, le jour de l’oclave de l’Ascension, en mémoire de la découverte du tombeau de saint Vindicien dans les bois d'Ecoivres, deux députés du chapitre, ac- compagnés des chanoïnes stagiaires, allaient chanter,
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avec la musique de là cathédrale, une messe solennelle dans l’église du Mont-Saint-Eloy en l'honneur du saint évêque, dont la châsse élait découverte et exposée à la vénération publique. Les musiciens qui faisaient partie du pélerinage, se présentaient à la porte de l’abbaye, ayant à leur tête un enfant de chœur qu’ils nommaient roi. Celui-ci, habillé d’une manière analogue à son titre, faisait son entrée à cheval dans le monastère, recevait à l'église l'honneur de l’encens et prenait place, au réfec toire, à la table de l'abbé.
Le 1°" octobre, jour de la fête de saint Léger, les en. fants de chœur, les chantres et les vicaires de Notre- Dame demandaient au chapitre la permission de monter au clocher de la cathédrale, in campanili, pour y chanter les hymnes et sonner les cloches en l'honneur du saint martyr, évêque d'Autun. On allouait pour ce genre de concerts la somme de huit livres.
N'oublions pas de rappeler la louable dévotion des élèves de la maitrise pour leur patronne, sainte Cécile. Quelques jours avant le 22 novembre, les jeunes musi- ciens de la cathédrale demandaient au chapitre l'autori- sation de chanter une messe solennelle en l'honneur de la sainte martyre. Les chanoines se montraient loujours favorables à celle demande et leur permettaient aussi de faire annoncer la solennilé par le son de la cloche Anne, qu'on ne mettait en branle, comme Salvator, que dans les circonstances exceptionnelles. Ils chanlaient la messe après Malines, à sept heures du matin, à l’autel de Notre- Dame de Primes. Malgré l'heure matinale, un grand nombre de fidèles de la ville et de la cité prenaient part à là cérémonie.
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Vingt-bhuit chapelles avaient étéfaffectées pour en ré- compenser les enfants .de chœur, à la condition qu'ils seraient tenus à la résidence el au service de l’église. Parmi les bourses fondées au collège d’Arras, à Louvain, -par l’évêque Nicolas le Ruistre, trois étaient réservées aux enfants de chœur qui s'en rendraient dignes par leur travail et leur bonne conduite. Enfin, les clercs de la maitrise furent l'objet de soins tout particuliers de la part du chapitre. Si nous consultons les anciens comptes de la Cathédrale, nous voyons que les chanoines ne marchandaient pas avec cette institution et qu'avec ses ressources, elle devait produire les meilleurs résultats. On donnait aux élèves un habit de chœur plus ou moins pitloresque, un costume qui les assimile, en quelque manière, aux membres du clergé qui les entou- rent, ce qui leur inspire une tenue grave et modeste. C'est ainsi que dans l'ancienne cathédrale, au XV[* siècle, outre l'aube et le rochet, les enfants de chœur portaient Ja chape, excepté aux grands doubles où ils devaient chanter quelque motet. Dans leurs maladies, on les soi- gnait à la maitrise el, en cas de mort, on célébrait leurs obsèques à la cathédrale, où leurs condieciples chantaient un service solennel ; puis on conduisait leurs restes mor- tels au cimetière Saint-Nicaise. Comme ils étaient nour- ris et vêtus aux frais de l'établissement, leurs parents n'élaient pas admis à réclamer leurs vêtements. Tous leurs effets faisaient relour au Mandé des pauvres, d’où la maitrise tirait la plus grande partie de ses res- sources (1).
Penilant le temps de leur éducation, qui durait ordi-
(1) L'abbé Proyart, — P. Ignace, Add. aux Méêm. t. 11, p. 57.
nairement huit ans, outre les leçons de musique des mai- Lres de chapelle et les leçons d'instruments de profes- seurs payés, les élèves recevaient encore des leçons de lecture, d'écriture dé Jangue latine et française. Quand ils sortaient de la maï'‘rise, s'ils avaient montré des dis- positions spéciales pour la musique, on les envoyait, aux frais du chapitre, dans d’autres maîtrises pour s'y per- fectionner. S'ils n'avaient point de lalent, le chapitre leur faisait ure petite allocation en les renvoyant. Aussi, celte carrière qu’on leur avait ouverte, aboulissail lou- jours pour eux à une issue favorable.
Ce que nous venons de dire sur la maitrise d'Arras montre que cette institution fut très ulile et qu'elle peut s'énorgueillir, à juste litre, soit des élèves sortis de ses bancs, soil des maitres chargés de les diriger. Nous au- 1jons été heureux de joindre à notre travail des notes biographiques sur les musiciens dont l’école ou la ville ont tiré quelque célébrilé et des détails sur les œuvres musicales sorties de la maîtrise; malheureusement, les archives de cet élablissement ont disparu, comme tant d’autres, à l'époque de la Révolution. C'est à peine si nous avons pu retrouver quelques noms d'élèves ou de maitres de chapelle sauvés de l'oubli par le pêre Ignace ct grâce aux patientes recherches de M. le chanoine Proyart.:
Parmi les principaux élèves, nous citerons Roberl de l'rance, 1482 ; Valérien Genet ou Gonet, reçu le 27 mars 1577 et qui devint un maitre de chapelle renommé. En lèle d’un manuscrit in-folio du XVII* siécle, conservé à ja bibliothèque de Cambrai, se trouve une épitre dédi- catoire de Valérien Gonet aux chanoines de la cathédrale
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de Cambrai. Gonel, l’auteur des compositions contenues dans ce manuscrit, était d'Arras. On ne connait point de particularités sur sa vie ; il est à croire cependant qu'il a été élève de la maitrise de Notre-Dame, puis après maître de chant dans la même institution. Ce volume renferme dix magnificat à quatre, cinq et six parties, puis une fan- taisie à quatre parties, sans texte. Celte fantaisie, qui porte la date de 1613, a été composée, sans doute, pour être exécutée par des instruments. On lit à la fin de ce morceau : V. Gonet, phcnascus Atrebatensis. Le manuscrit est terminé par un magnificat à six parlies et un molet à huit parties pour le jour de l'Annonciation de la Vierge (1). |
Ignace de Paris, fils de Nicolas, procureur, 1581.
Lafond qui, selon le père Ignace, fut une excellente recrue faite par le chapitre en l'admettant au nombre de ses enfants de chœur.
La maitrise de la cathédrale d'Arras, au siècle dernier, était, sans contredit, la plus ancienne sociélé ou instilu- lion musicale de la ville. Elle se composait alors de vingt-deux enfants de chœur el d'un certain nombre de chantres el de musiciens (2). Le concours de la musique de la cathédrale était toujours réclamé dans les fêtes ex- traordinaires qui avaient lieu à Arras, notamment lors de la grande procession qui eut lieu au Calvaire de la Cité, en 1738. « La musique de Notre-Dame, dit le père Ignace (3), était dirigée, sous l'autorité du chapitre, par
(1) Notice sur les collections musicales de la bibliothèque de Cam- brai, par E. de Coussemacker. — Hém. de la Société d'Emulation, t. XVIII
(2) L'abbé Proyart. — Bignon, Mém , 1698.
(3) Recueil, t. vint, p. 74
en
un maitre de musique chargé de l’apprendre à douze en- fants de chœur, avec lesquels il demeurait et dont il devait soigner la conduite et l'instruction. Celle musique” élait compose de musiciens à voix et à instruments, de basses et hautes contres, de basses et hautes lailles, de joueurs de serpents et de hbassons, clercs ou laïques, ils étaient aux gages du chapitre qui leur fournissait les habits d'église jusqu'à ce qu'ils fussent bénéficiers. »
_ En effet, le chapitre tenait à avoir une bonne musique et de bons chanteurs et il ne craignait pas de dépenser annuellement pour sa maitrise une somme de plusieurs mille livres. Il ne reculait devantaucun sacrifice et quand les belles voix manquaïent dans ja maitrise, il avait re- cours à la publicité la plus étendue pour renforcer le chœur de chant. En 1749, il fit afficher sur les murs de Paris l'avis suivant :
« Places de nusiciens à remplir dans la cathédrale d'Arras.
» On fait à savoir que dans l'église d’Arras, il se trouve actuellement plusieurs places vacantes pour les musiciens. Messieurs du chapitre de la dite église donneront suivant le mérite des voix, depuis 25 jusqu'à 30 sols de gages jour- naliers aux basses contres, hautes contres, basses lailles, etc., etc. Les joueurs de serpent et de basson auront les mêmes gages proporlionnés à leur habileté. On leur four- nit des habits d’églisè jusqu’à ce qu'ils soient pourvus de bénéfices. Ils ont de plus, par an, 40 livres au moins de mêmes rélributions. |
» [l y a dans la dite église vingt-huit chapelles en titre qui leur sont affectées. Les revenus annuels de plusieurs de ces chapelles sont de 500 livres et plus. Les musiciens
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sous-(liacres ou diacres ont en sus chacun 60 livres. Les prêtres ont au moins 200 livres aussi chacun et leurs messes libres.
» Ceux qui voudront se présenter se muniront de bons cerlificats de vie et de mœurs.
x S'adresser au collège de Dainville, ruedes Cordeliers, à M. Malbaux (1) »
A la fin du X VIIT* siècle, la maîtrise d'Arras avait pour directeur et mailre de chapelle, M. l'abbé Graëb, et pour sous-directeur, M. Delbourse, natif d'Arras qui, au réta- blissement du culte, futnommé curé d'Hamelincourt, puis ensuite curé de Morchies.
Jean-Joseph Graëb, né à Paris en 1756, chapelain de la cathédrale, a composé plusieurs motels que l’on chante encore à cerlains jours de fêle. Il est l’auteur du motet: Ecce quam bonum cet quam jucundum, que la musique de la cathédrale exécula sur la grande place, en 1791, le jour de la fête de la Fédération. C'est la dernière fois qu'elle in- tervint dans une cérémonie publique.Graëb n’élait pas seu- lement un compositeur distingué, c'était un prêtre d'une régularité parfaite, estimé des membres les plus émi- nents du clergé. Il se fixa à Valenciennes, où l'archevé- que de Cambrai lui confia l’aumônerie de l'Hôpital géné- ral, puis celle du couvent des Ursulines de Saint-Sauve. Graëb mourut le 23 octobre 1840 (2).
La bibliothèque d'Arras renferme des manuscrits du XII° au XVI° siècle contenant des chants à plusieurs par- lies, des messes, des mote!s, des chansons où le contre-
(1) Extrait des Affiches de Paris du 24 mars 1749. — P. Ignace, Rec., t. vin, p. 171. (2) L'abbé Proyart.
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point se dessine très nettement. Ces recueils se distin- guent moins par leur nombre que par le choix auquel semble avoir présidé une main habile. Cependant nous n'en devons sans doute la ccnservalion qu'au hasard qui les aura dérobés au vandalisme révolutionnaire.
. La place de maitre de chapelle devait valoir, à la mai- Lrise d'Arras, avant 1789, environ 35 livres par semaine, soit 1820 livres, sans le casuel, et indéperdamment de la nourriture, du logement, blanchissage, chauffage et éc'ai- rage. Le maitre devail consacrer tout son temps à l'ins- truction musicale des enfants de chœur, à l’exclusion de tous autres élèves. Voici le mode d'enseignement mis en pratique à cette époque : le malin, étude du solfège et du contrepoint sur le plain-chant; l'après-midi, leçons d'écriture, éludes latines et françaises ; le soir, exercices sur quelques psaumes. motcls ou toules autres pièces, selon les idées du maitre.
On possède encore le tableau qui donne un aperçu des appointements touchés par les musiciens et les élèves de
la maîtrise d'Arras, en 1788 (1).
“() Tableau des gages et émoluments que le cy devant charitre d'Arras payait annuellement aux personnes qui étaient atlachées au chœur.
. . MM. Prévot, ci-devant musicien (il est dans le cas de l’article 5), ci . . © . . ñ 1331 6s 8d Roquet (Louis-Antoine), pension du chapitre 304 _ | jour (article 4er), ci . . . . + + + D971 10s
Vermond (Pierre), pension du Habite ci. . . . 900! Lesachet, musicien (l'article 6, 1" po 50: par jour, gratification, ci. . . r . 9421 10° Colin, carillonneur, plus de dix ans “de service, œy1 une | année et demie de gages, partant. . . . . . 8001
11 >
_ Lorsque la Révolution de 1789 arriva, les biens des maîtrises furent confisqués en même temps que ceux des églises. Le troupeau fut dispersé, la maison vendue et le maître de chapelle Graëb dut s'expatrier.
x * *
Au rétablissement du culte, après le Concordat, le nouvel évêque, Mgr de la Tour d'Auvergne, qui avait pris possession de son évêché le 5 juin 1802, ayant in-
Berquin, bâtonnier, plus de soixante ans de service
(dans le cas de l’article 3), pension, ci . . . . 1491 4s 4 Briois, bâtonnier, pension, plus de soixante ans d’âge
et plus de dix ans de service (dans le cas de l’ar-
ticle 4), pension, ci . . . . . . . . + . 551 195 8d
Enfants de chœurs ct serveurs de messe (Le chapitre était dans l’usage d'accorder à la sortie des premiers une somme de 10! pour chacune année de ses services et 4 aux seconds).
Enfants de chœur.
4° Legros, huit années de service, ci. . ,. 801! 20 Galand, sept ans , . . . . . . . ‘70! 30 Ségard, six ans . . . . ... . . . (OO 4 Coutiau, cinq ans . . . . . . . . SO 5° Bailly, quatre ans . , . . . . . ,. A0! 60 Théry, trois ans. , . . . . . . . 30! 7° Delahaye, trois ans. . , . . . . ,. 30! 8» Cocquel, trois ans . , . . . . . . 9301
Serveurs de messe.
1° Levray (François-Séraphin), sept ans . 981 2° Letoit (Paul), sept ans . . . . ,. . 28! 3° Levray (Henri), six ans . . . . . . 241 4 Baudelet (Etienne), cingans . . . . 201! 5e Hiez (Joseph), 5 ans. . . . + 20
(Arch. départem., L., district d'Arras, liasse n° 204, musiciens du chapitre).
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troduit dans sa cathédrale le rit parisien, s'occupa de ré- tablir le service des enfants de chœur. Le 11 juillet 1802, MM. Delaune, vicaire-général, représentant de l'évêque, Linque, Braine et Lallart, composant provisoirement le conseil de fabrique de la cathédrale, se réunirent chez M. Linque pour traiter diverses affaires soumises à leur délibération et parmi lesquelles la question des enfants de chœur fut l'objet d’une attention toute particulière. En effet, l'un des membres de l’assemblée, pour entrer dans les vues du nouveau prélat, représenta à ses collè- gues qu il élait urgent de s'occuper de l'habillement de ces enfants. Il fut décidé immédiatement qu’il serait fait à chacun une soulane rouge avec collet el parements bleus et un rochet de toile blanche. M. Braine fut chargé de l'exécution de cette résolution.
Le 19 nivôse de l’an x, les administrateurs durent encore s'occuper des enfants de chœur. Cette fois ce fut pour accorder une gratification aux enfants de la Pau- vreté qui en faisaient l'office (1).
Le 29 novembre 1806, la situation des enfants de chœur de la cathédrale prit plus d'importance. Dans une réunion de ce jour, les administraleurs, présidés par M. l'abbé Delaune, résolurent de leur donner un maitre de latin et un maitre de musique aux appointements de 200 fr. MM. Pelit, prêtre, el Hecquet furent nommés, le premier maitre de latin et l’autre maitre de chapelle, Puis, le 30 décembre suivant, furen! admis en qualité d'enfants de chœur, les nommés François Dalleu, René Rumeau, François Hecquet, Augustin-Joseph Godart,
(1) Reg. de la fabrique, p. 72.
== 70.
Auguste Théophile Godart et Guislain-Joseph Lavallée.
Jusqu'ici nous ne voyons à la cathédrale que des en- fants de chœur sans mailrise proprement .dite. Ce sont des jeunes gens vivant en famille, abandonnés à eux- mêmes, qui viennent recevoir passagèrement et à la dérobée, quelques leçons de musique et de latin. Cet état de choses provisoire va cesser.
Le ? février 1811, Mgr de la Tour d’ ae résidant. alors au château de Barly, proposa à lu fabrique de réu- nir en maîtrise les enfants de chœur au séminaire. MM. les administrateurs, comprenant tout l'avantage de .ce projet, acceptèrent avec empressement l'offre généreuse du prélat et donnèrent à leur trésorier, M. Linque, l'au- torisation de verser entre les mains du supérieur du sé- minaire, à l'effet de pourvoir aux dépenses nécessaires à cet élablissement, une somme de 2,000 fr., accordée par le département.
. La maitrise fut alors installée dans un quartier du sé- minaire non occupé par les théologiens, quartier situé sur la petite cour intérieure qui éclaire le petit cloître, où l'on appropria un appartement pour le directeur, une classe et quatre dortoirs pour les élèves. On érigea, en outre, une salle en réfectoire. Dés lors, les enfants de chœur, jusque-là dispersés de divers côtés, réunis en uné sorte de petit pensionnat, furent mieux surveillés, plus suivis et firent plus de progrès dans leurs études. À celle époque, leur costume avail subi quelques modifi- cations. [l consistait en une robe ou soutane rouge, une aube, une ceicture, une calotte et un bonnet carré de même couleur.
Pour preuve de l'intérêt qu'il portait à cet établisse-
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ment, l’évêque de la Tour d'Auvergne autorisa, le 22 août 1812, MM. les marguilliers à acheter une montre et deux paires de boucles d'argent, pour être données en prix d'encouragement aux trois élèves qui s'étaient le plus distingués par leur application au travail.
La cathédrale, en bonne mère de famille, n’abandonna pas à l'aventure et au hasard ses enfants de chœur, lors- ‘que, soit pour leur âge, soit pour tout autre raison, ils -étaient obligés de la quitter. C'est ainsi que le 19 sep- tembre 1814, en reconnaissance des services que lui avait rendus l'enfant de chœur Dalleu, l’une des plus jolies voix qui soit sorlie de la cathédrale d’Arras, la fabrique lui accorda une somme de 200 fr., payable chaque mois, par douzième, pour lui donner la facilité de pourvoir à sa vocation.
Une autre fois, elle donna à l’un de ses enfants de
chœur une gratification de 100 fr., à titre de récompénse et pour lui procurer le moyen de se fournir d’habillement et de linge. Dans une circonstance analogue, elle accorda à un autre la somme de 100 fr., afin qu'il pût se procu- rer les outils dont il avait besoin pour travailler.
Par une ordonnance donnée à Arleux, le 11 messidor an xrr1 (3 juillet 1805), Mgr de la Tour d'Auvergne avait ‘établi dans sa cathédrale un sous-chanire qui devait être présenté par le grand chantre et nommé par l’évêque. Il dirige le chœur sous les ordres du grand chantre et le remplace en cas d'empêchement. A défaut du prévôt et du grand chantre, il accorde aux chantres, musiciens, organiste, enfants de chœur, la permission de s’absenter. Il remplit à son tour les fonctions de diacre ou sous- diacre aux offices pontificaux, de prévôt et de doyen, à
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moins qu’il ne soit obligé de remplacer le grand chantre.
Voulant donner à sa maîtrise une importance toujours croissante, l'évêque en confia la direction, le 19 janvier 1817, à l'abbé Herbet, frère de son secrétaire particulier, afin de savoir, par l'entremise de ce dernier, tout ce qui pouvait contribuer à l'amélioration de cet établissement. C'est dans ce but que, le 18 juillet de la même année, le prélat prit la peine de rédiger lui-même le règlement de la maitrise [lentredansles pluspetits détails, principalement en ce qui regarde le service divin. [l exige que les enfants de chœur assislent tous les jours, malin et soir, aux offi- ces de la cathédrale, où ils seront conduits et ‘en seront ramenés par leur directeur. Il règle ce qu'ils devront chanter aux messes et aux vêpres, dans la semaine, ainsi que les dimanches et jours de fête. Il recommande au maître de chaçelle de les disposer à chanter de temps en temps le Magnificat en musique, surtout aux dimanches et aux solennels. De plus, ces enfants feront l'office d’acolytes en l'absence du séminaire, Le prélat indique le maintien, la tenue, la marche qu'ils devront observer dans le chœur, la révérence qu'ils devront faire, les bras croisés. Rien n’est oublié, soit pour l'entrée, soit pour la sortie, ou pour l'usage de la”calotte ou du bonnet carré (1).
Afin que personne ne püût prétexter cause d'ignorance, Mer de la Tour d'Auvergne ordonna que ce règlement fût inscrit au registre du chapitre, donné en copie au grand maître des cérémonies, ainsi qu’au directeur de la maîtrise et affiché au tableau de la classe.
(1) Ce bonnet rouge était tellement en discrédit que peu de temps après on dut proscrire cette coiffure si commode. La calotte elle- même finit par tomber dans l’oubli,
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= Pour exciter l'émulalion parmi les élèves de la mai- . trise, MM. les administrateurs avaient soin de récompen- ser de temps en temps les enfants, qui se faisaient dis- tinguer par leur travail et leurs progrès. Fidèles à cette tradition, ils accordèrent au jeune Duhaupas, le 30 avril 1818, une montre d'argent comme marque de satisfaction et d'encouragement pour lui et pour ses condisciples.
Quinze mois après sa nomination de directeur de la maîtrise, l'abbé Herbet offrit sa démission, et le {er juil- let 1818, il fut remplacé par M. l'abbé Cousin, sous- diacre. |
Le maitre de musique, M. Hecquet, ayant élé forcé par suile d’indisposition de suspendre ses leçons penilant quelques semaines, un élève le suppléa durant lout ce temps jusqu à son rétablissement. C’est à ce double litre de récompense et de reconnaissance que MM. les adminis- trateurs lui firent présent d'une montre d’argent, objet très désiré et très recherché par les enfants de chœur.
Les vocations ecclésiastiques devenant plus nombreuses depuis quelques années, l'évêque d'Arras se vit dans la nécessité de reprendre le quartier des enfants de chœur pour y loger ses théologiens. Mais comme il avait fait l'acquisition de l’ancien hôtet de l’Ecu d'Artois pour y établir l’école des Frères de la doctrine chrétienne, dite de Sainte Croix, et qu’il yavait dans celte maison un em- placement libre et inoccupé, donnant sur la rue, c’est là qu'il offrit à la fabrique, par une lettre du 10 octobre 1822, d'élablir la maîtrise. Cette proposition fut accueil- lie. M. l'abbé Dolez, trésorier, fut chargé de faire les dé- penses nécessaires pour le nouvel établissement. Le sieur Calmette, serpentiste, fut nommé maitre de cha-
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Né à Eu, le 2 pluviôse an vrr, Calmette vint avec sd famille habiler Cambrai et fit ses études musicales à la maitrise de cette vie. Nommé maitre de chapelle à Ar- ras par Mgr de la Tour d'Auvergne, il exerça ces fonctions jusqu'à la mort de ce prélat et fut admis à faire valoir ses droits à la retraite par Mgr Parisis qui supprima dans son église l’usage du serpent, l'instrument favori de Calmette. Il est mort le 15 juin 1873.
Calmette a composé un grand nombre de morceaux et motets de musique d'église dont nous avons pu retrou- ver à peine quelques débris dans les archives de sa fa- mille. Nous citerons un concerto pour serpent qui atteste autant le talent marqué de son auleur que le fond riche et varié de ses insp'rations. Le style de ce morceau nous a paru aussi correct que gracieux ; il élincelle de verve et de coloris. Calmette savait réunir le mérite de la composition à une exécution remarquable par la facilité, la force de la souplesse, qualilé souvent incompatible sur un instrument ingrat de sa nature, difficile à conduire et qui ne produit un effet ordinaire que dans nos pompes religieuses. Ce morceau fut écouté dans un concert avec un puissant intérêt et couvert de salves d’applaudisse- ments unanimes.
L'abbé Cousin fut remplacé le 24 septembre 1826 par M. Lherbier, chanoine honoraire, auquel succéda M. l'abbé Fauchison. le 30 septembre 1827.
Malgré le zèle avec lequel ce dernier remplissait les fonctions de directeur de la maîtrise, sa piété filiale ne lui permit pas de le$ continuer aussi longtemps qu'il l'eût désiré. Rappelé par son vénérable père au foyer
= 8h == domestique, il quitta avec'regret ses enfants de chœur et fut remplacé {1832) par M. l’abbé Lemaire, clerc tonsuré.…
Mgr de la Tour d'Auvergne ayant fait donation à la ville d'Arras de l’hôtel de l’Ecu d'Artois, sous condition d'y conserver à perpétuité les écoles chrétiennes tenues par les frères, il fallut se metire à la recherche d’une maison pour y loger les enfants de chœur. Ce fut le pré- lat lui-même qui se chargea de cette besogne. La maison de la famille Derguesse, rue des Chariottes, se trouvant à louer, la fabrique de la cathédrale, par une délibération en date du 23 février 1836, accepta le bail passé avec la propriétaire, Mademoiselle Derguesse, dite en religion sœur Nathalie, de la maison des Augustines de la ville d'Arras.
Cet état de choses dura dix-huit ans.'Or, ce régime de location de maison pour le service de la maitrise, sous la direction d’ecclésiastiques qui ne restaient pas en fonc- tions assez de temps pour faire tout le bien possible, parut défectueux au successeur de Mgr de la Tour d'Auvergne, Mgr Parisis ; c'est pourquoi, dès le début de son admi- nistration, ce prélat eut à cœur de donner plus de stabi- lité à la maîtrise de la cathédrale, tant sous le rapport " ‘du local que sous celui de la direction. = D'abord, la maison occupée jusqu'alors convenant par- faitement à cette destination, eu égard surtout à la proxi- milé de la cathédrale, Mer Parisis fut d'avis que la fabri- que en fit l'acquisition, moyennant la somme de 8,750 fr. Le décret qui l’autorise à cet effet, porte la date du 11 fé- vrier 1854.
Puis ensuite, pour parer au grand inconvénient de changer trop souvent de directeur, Sa Grandeur émit le
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vœu, qu’à l'exemple de plusieurs cathédrales, la direc- tion des enfants de chœur fût confiée aux frères des éco-
‘les chrétiennes. On fit dans ce but des proposilions au
frère Mellon, directeur de l’école de la rue des Morts, qui mit à la disposition de la fabrique un directeur, le frère Eubert, avec deux autres frères pour l’assister dans ses fonctions, moyennantun traitementannuelde1,400fr. pour trois, puis pareille somme pour frais de premier établissement (1853). Ajoutons que plus tard la fabrique se crut obligée, à cause de la cherté des denrées alimen- laires, d'ajouter à ce traitement un supplément excep- tionnel de 150 fr. |
Dés lors le nombre des enfants de chœur fut porté à trente; mais à daler de cette époque, ils ne furent plus
logés et nourris à la maitrise. Ils y arrivent de bonne
heure pour le service des messes à la cathédrale et pour l'assistance à l'office canonial. Le reste de la journée, en- tremélé de quelques récréations, est consacré à l’étude de la musique et du français. En sorte qu'ils passent la majeure partie du temps à la maitrise, sous la surveil- lance desfréres.Quelques-uns d’entre eux ayant manifesté le désir d'étudier le latin, MM. les vicaires de la cathédrale ont bien voulu leur en donner des lecons deux ou trois fois par semaine. Ces jeunes gens en ont si bien profité que plusieurs sont maintenant au séminaire de Saint-Thomas et d'autres poursuivent leurs études avec succès au petit séminaire (1883).
Pour encourager ceux qui n’ont pas les mêmes dispo- silions et les attacher davantage à un établissement où ils reçoivent déjà une instruction plus étendue, plus va- riée que dans les autres écoles, la fabrique a décidé qu'il
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serait accordé une gratification à tout enfant de chœur sortant de la maitrise, qui s’en serait rendu digne par sa bonne conduite et qui, de plus, aurait rendu des services réels à l’église pendant un certain nombre d'années (?4 avril 1855). °
Voici une preuve bien remarquable de l'intérêt que Mgr Parisis portail à la maitrise de sa cathédrale. C'est un réglement en forme d'observations en ce qui concerne la formation et la conservation de la voix des enfants de chœur, réglement que le prélat a pris la peine de rédiger lui-même.
Nous ne pouvons nous dispenser de l'insérer ici dans son entier :
« 1° Le maître de chapelle chargé de la maitrise doit, avant tout, s'appliquer à former et à conserver la voix des soprano, qui sont les plus importantes et celles qui demandent le plus de soin ;
» 2° En vain les enfants posséderaient bien les mor- ceaux qu'ils doivent exécuter; si les voix manquent, sur- tout dans une très grande église, tout l'effet est perdu ;
» 3° La voix de soprano, naturelle chez les filles, est artificielle chez les garcons. Il faut, pour l'obtenir chez les derniers, les habituer de bonne heure à une certaine contraclion de l'organe vocal qui produit les notes aiguës;
» 4° Cette habitude s’acquiert par un exercice continu, de telle sorte que celte contraction d’organe nécessaire à la production des sons aigus étant fréquente, devient, chez les enfants surtout, facile et naturelle ;
» 9° Cet exercice doit consisler principalement en gammes variées que les enfants exécuteraient lous les jours, malin ct soir, pendant un demi quart d'heure au
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moins. Ces gammes ne descendraient jamais plus bas que le sol et s’éléveraient au moins jusqu’au si bémol su- périeur. On aurait soin de ménager dans ces exercices des notes prolongées, surtout vers le milieu : ré, mi, fa. Rien n'empêche que dans ces gammes on entremêéle quel- ques peliles voix faciles, renfermées toujours dans la même partie. Quand le maître de chapelle aurait, pen- dant quelque lemps, présidé à ces exercices, ils pour- raient se faire sous la seule direction des frères, mais les enfants ne les omettraient pas un seul jour, quelque forts musiciens qu'ils fussent, jusqu’à ce que l’âge leur fit perdre tout-à-fait leur voix puérile ;
» 60 Ce moyen, tout efficace qu'il est, serait même in- suffisant pour former, conserver et développer les voix de soprano, si l’on ne défendait aux mêmes enfants de chanter de leur voix ordinaire de garçon. Dans toutes les maitrises bien ordonnées, cela leur est formellement interdit. On le comprend, puisque la contraction d’organe nécessaire à ce genre de voix ne devient naturelle que si elle est continue, que si l’on n'exclue la dilatation pro- duite dans ce même organe pour le chant des notes infé- rieures à la gamme indiquée dans le numéro précédent. Aussi, non-seulement il faut éviter, dans les morceaux à plusieurs voix, de faire exécuter à ces enfants des parties notablement en dehors de cette gamme, mais il faut leur défendre de chanter avec le chœur, surtout à pleine voix, les Psaumes, le Kirie, etc. Reste un mot à dire sur le caractère de ces voix de soprano à la cathédrale. Celles même qui ont quelque puissance, sont maigres, criardes et dépourvues d'ampleur. Cela lient certainement à l'ins- trument dont on se sert pour les former. Il n'y a pas
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dans l’harmonium un seul jeu qui leur convienne. À dé- faut de la flûte à main, que rien ne remplace pour la dou- ceur et le moelleux des sons quand elle est bien embou- chée, je ne vois que le violoncelle qui pourrait donner à ces jeunes voix la rondeur qui leur manque tout-à-fait et que -le violon ne leur communiquera jamais. Il y à dans nos orgues à tuyaux des jeux de flûte parfaite, mais il faudrait donner des leçons à l’église, ce qui est im- possible. » Fait à Arras, le 10 avril 1863.
» Signé : P. L., évêque d'Arras. »
Mgr Parisis rétablit le rite romain à la grande satisfac- tion de lous, prêtres et fidèles. On l’inaugura à la cathé- drale le jour de Noël (1851), et dans tout le diocèse, le jour de Pâques (1852).
Après le rétablissement de la liturgie romaine, M. Du- haupas ful appelé par le nouvel évêque à remplacer Cal- mette comme mailre de chapelle ; il remplit depuis lors ces fonctions, conjointement avec celles d'organiste du grand orgue. Albert Duhaupas, chevalier de l’ordre pon- tifical de Saint-Svlvestre et officier d’Académie, a com- posé plus de cent quarante-cinq œuvres, sans compter ies romances, mélodies, duos, scènes vocales, etc. Parmi les compositions de musique religiense dnes au talent du maître de chapelle actuel, nous cilerons un recueil de cinquante-six motets qu'il vient de publier sous le litre de : « Chœur des anges. Chorus angelorum. » Celle œu- vre magistrale, où la fraicheur s’unit à la maturité du ta- lent de l’auteur, lni a valu les suffrages d’un grand nom- bre de prélats el les plus favorables lémoignages du
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grand chantre de notre cathédrale, dont l’aulorité est particulièrement compétente en cette matière.
Approuvées par quinze archevêques, cardinaux et évé- ques français, adoptées par le Conservatoire de musique de Bruxelles, mises au répertoire des classes de l'école Niédermeyer, les œuvres de M. Duhaupas se recomman- dent d’elles-mêmes par les plus grandes richesses mélo- diques et par des combinaisons harmoniques d’accompa- gnement très savantes. Il a, en outre, acquis dans la composition de la musique profane une brillante réputa- tion par les Adieux de Béranger, les Chanteurs errants et les chœurs : Tout dort, Christophe Colomb et Justicia.
Le nom de M. le chanoine Planque est associé si natu- rellement à celui de M. Duhaupas, qu'il vient immédiale- ment sous ma plume. Il fit adopter le Graduel et l’Anti- phonaire, édition de Reims et de Cambrai, comme la plus conforme aux règles du chant grégorien. A parlir de ce moment, il prit la haute direction des chants à la cathédrale et leur donna une si savante et si vigoureuse impulsion, que bientôt la cathédrale d'Arras fut renommée comme une de celles où le chant s’exéculait avec le plus de véricé. Il est vrai de dire que M. Planque dota le dio- cèse d’un recueil de faux bourdons à quatre voix, écrits avec une grande science des accords applicables à l’ac- compagnement du plain-chant et que les organistes- accompagnaleurs. soucieux de remplir convenablement leurs fonclions, feraient bien de consuller. M le chanoine Planque ne se contenta pas d'harmoniser une grande
parlie des chants de l'office divin, il composa deux mes- ses remarquables : celle dite du Saint-Sacrement de Mira- cle, messe à effet et qui, sans être du véritable plain-
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chant, en a loutes les allures; l’autre dite du bienheureux Benoit, très belle messe en plain-chant (4° mode mixte), qu’on serait heureux d'entendre plus souvent. Il composa, en outre, plusieurs antiennes au Saint-Sacrement et à la Sainte-Vierge qui se trouvent réunie:, ainsi que les mes- ses sus-nommées, dans son recueil de plain-chant. Ces antiennes produisent un effet remarquable lorsqu'elles sont exécutées par la masse chorale de voix que possède la cathédrale d'Arras.
M. Planque n’est pas seulement un compositeur de plain-chant distingué, il est encore un musicien de grand mérite, et chacun, aux jours de fête, peut admirer les _motcts de sa composition que le grand séminaire et la maitrise in!'erprèlent à la cathédrale. On lui doit, en outre, de charmants cantiques et la musique d'un pelit oratorio, Saint-Agapit, que le pelit séminaire d'Arras interpréla jadis avec beaucoup de succès.
Jusqu'en 1853, il n’y avait à l& maitrise que huit élé- ves : ils étaient pensionzaires. Depuis cette époque, il y en a trente, mais ils sont externes. La méthode d’ensei- enement est celle du Conservatoire de Paris.
Au commencement du mois d'août 1883, M. Lepneveu, compositeur de musique à Paris, fut envoyé à Arras pour inspecter la maitrise de la cathédrale. M. Duhaupas fil exécuter devant l’Inspecteur, par les enfants de la maîtrise, plusieurs études de solfège et leur adressa différentes questions sur les principes de la musique. Puis il leur fit exécuter quelques motets des mailres anciens et modernes et des morceaux de plain-chant. M.. Lepneveu fut très content de ces diverses épreuves et manifesla hautement au mailre de chapelle sa vive sa-
tisfaction, le priant de vouloir la communiquer à l'évêque et aux membres du chapitre de la cathédrale.
Pour terminer cette notice, nous ne pouvons mieux faire que de rappeler la mémoire d'un bienfaiteur de la maitrise, M. l'abbé Herbet, ancien principal du collège d'Arras, chanoine, écolâtre de la cathédrale et archidia- _cre. Ce vénérable dignilaire aimait à se trouver aux dis- tributions de prix des enfants de chœur pour exciter leur émulation et les engager à bien profiter de 1'excellente éducation qu’ils reçoivent dans cet établissement. Il fit plus, le 5 avril 1875, il remit entre les mains du tréso- rier de la fabrique une somme de 420 fr., demandant que chaque année un livret de 20 fr. sur la caisse d'épar- gne fût donné à l'élève que ses maitres, de concert avec le chapitre, auraient jugé le plus digne de cette faveur. C'est ce qui s’observe tous les ans à la fin de l’année scolaire, le jour de la distribution des prix.
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IV
LA MUSIQUE DU XIV* AU XVI° SIÈCLE. — MUSIQUE BOURGEOISE. INSTRUMENTS EN USAGE AU XV° SIÈCLE. ANCIENS AIRS FRANÇAIS. | LEUR INTRODUCTION DANS LA MUSIQUE D'ÉGLISE. COMPOSITIONS LAÏQUES. . PROGRÈS DE L'ART MUSICAL AU XVI° SIÈCLE. RÉFORME DU CHANT D'ÉGLISE. — L'ORATORIO. LE DRAME LYRIQUE.— PALESTRINA, GALILÉE ET MONTEVERDE. INSTRUMENTS EN USAGE AU XVI* SIÈCLE. TYPOGRAPHIE MUSICALE.
On nèe connaïtrait qu'imparfaitement les origines de l'opéra moderne, on ne lracerait pas une histoire com- plète de la musique dramalique à Arras, si l’on négligeait d'exposer l’état de l’art harmonique du XIVe au XVI° siè- cle. L'étude de celle période de transition mérile, à tous égards, qu'on s’y arrête quelques instants.
Du XIV° au XVI° siècle, la musique, ainsi que le drame, s’affranchit peu à peu du joug ecclésiastique et, en se sécularisant, elle tend à fonder un art nouveau. Le cleroé n’est plus seul à la cultiver ; les princes et les seigneurs l'encouragent, les troubadours et les trouvères la leur rendent agréable à étudier, les associations de ménétriers en répandent le goût parmi le peuple. Durant celle période de transition, ce sont des religieux qui en- seignent la science musicale, qui en formulent par écrit les règles difficies el qui composent les messes et les molets arrivés jusqu à nous; mais aux poëles musiciens revient l'honneur d'avoir inventé les chansons qu'ui-
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maient à répéter alors toutes les classes de la société ; aux jongleurs et aux joueurs d'instruments hauts et bas appartient le privilège d’avoir animé les danses popu- laires et d’avoir favorisé les progrès de la musique ins- trumentale.
En sortant de l’église, en devenant un spectacle pavé et non plus gratuit, le drame était condamné forcément à perdre à la fois son intérêt musical et son lon dogmali- que. Le chant, qui exige de longues éludes, nécessite _ aussi des frais considérables, et comme la voix d'un chanteur, même habile, produit peu d'effet sur une place publique, tandis qu’elle charme et qu'elle émeut lors- qu'on l'entend dans un vaisseau sonore, les troupes d’ac- teurs laïques renoncèrent volontiers à un art difficile et dispendieux et ils en abandonnèérent la culture et l’ex- ploitation aux maitres de chapelle. La sécularisation du théâtre amena donc la ruine de l’opéra religieux, et les pieuses confréries qui se formèrent au XIV® siècle pour. représenter des mystères, confiérent la conduite de leurs jeux, non plus à des poètes compositeurs, mais à de simples auteurs dramatiques. Sans empiéter ici sur le domaine que s’est approprié M. de Coussemacker, sans disserler sur des questions d'archéologie musicale que les travaux de ce savant historien de l'harmonie au moyen-âge ont éclairées d’un jour tout nouveau, mar- quons cependant d'un trait plus accusé le rôle qu'ont joué à Arras les trois classes d'artistes que nous venons de citer.
Les clercs, les chantres instruits, tous les religieux qui s’imposaient la mission d'enseigner le plaia-chant et qui faisaient servir la musique à l'éclat du culte, accor-
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daient une attention particulière à la partie scientifique de leur art. Par les livres qu'ils nous ont laissés, on voit quelle importance ils attachaient aux règles de l'écriture et de la mesure musicales. Seuls alors, peut-être, parmi les musiciens, les maîtres de chapelle avaient le talent de sereconnaître au milieu des complications croissantes de la notation proportionuelle ; aussi devons-nous à des membres du clergé, non-seulement les traités de musi- que, mais toutes les œuvres musicales écrites de l’époque qui nous occupe.
Tandis que les organis'es s’adonnaient exclusivement au style canonique, au contre-point fleuri, les plus habi- les et Les plus respectables membres de la « confrérie de Saint-Julien et Saint-Genest » (fondée à Paris le 23 no- vembre 1331), prenaient le nom de « Ménestrels, joueurs d'instruments tant hauts que bas, » et ils obtenaient de Charles VI des lettres-patentes que ce roi leur fit expé- dier le 14 avril 1401.
À peiue armée d’un privilège, cette corporation d’ar- tistes ambulants afficha d'assez hautes prétentions. Au XV° siècle, toutefois, elle se contentait encore de fournir aux grands, comme au peuple, des orchestres et des airs de danse; elle se montrait heureuse de figurer avec éclat dans les entrées royales, dans les cortèges officiels et dans toutes les solennités publiques. Pendant longtemps nos aïeux assistèrent avec empressement aux représen- talions musicales données à Arras par la confrérie qui prenait pour titre : Le Prince d'harmonie. |
Les fêtes publiques et princières fournissaient à ces deux classes d'artistes diverses occasions de se rappro- cher. Aux trouvères appartenait l'idée, la composition
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des divertissements qui s’exécutaient pendant les feslins des grands, -sous le nom d'entremets; à eux également était confiée l'invention des drames muets dont on régalait le peuple à l’occasion des entrées de souverains dans leurs bonnes villes, des naissances ou des mariages de princes ou de princesses, des proclamations de paix et autres circonslances solennelles. Aux poëtesde cour était encore réservé le soin de régler les mascarades, les mo- meries el les récréations du même genre qui égayaient les soirées de la noblesse, les carrousels el les tournois, où l’on témoignait de la vivacilé de son esprit par les : emblèmes et par les vers des devises, enfin les ballets ambulaioires el tous les spectacles où l’on pouvait don- ner l'essor à son imagination et où l'on se proposait d'enivrer les sens tout en caplivant l’esprit. Ces entrées royales, ces mimodrames, ces bals, ces tournois néces- sitaient l'intervention des ménestrels, et il est vraiment fâcheux de manquer de données positives sur le caractère et sur la distribution des orchestres qui interprétaient les marchestriomphales ou guerrièresqui accompagnaient les danses et les chansons entendues dans ces jours de gala. |
Dés le XV° siècle, Arras avait une musique bourgeoise. Lors de l'entrée solennelle du duc de Bourgogne, en 1489, nous voyons figurer dans le corlège qui précède le prince « des trompettes à cheval, dont les instruments étaient garnis de pavillons aux armes de la ville, .puis un corps de musique bourgeoise composé de vingt musi- ciens et de nombreux ménestrels faisant entendre leurs accords pendant le tournois qui couronna les réjouis- sances offertes au duc el à sa suite. »
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A l’occasion de la réception faile aux Archiducs au mois de février 1600, le Magistrat fit placer, sur une estrade élevéeau-dessus de la porte Sain!-Nicolas, des ménétriers jouant de divers instruments, tels que hautbois, trom- petles, cornets à bouquin, etc., etc. (1)
Michel-Ferdinand d'Albert d’Aïlly, duc de Chaulnes, ayant été nommé gouverneur-général de Picardie, d’Ar- tois et pays reconquis, fit son entrée solennelle à Arras le 7 octobre 1753. « Le Magistrat s'étant assemblé en corps en l'Hôtel de Ville sur les deux heures de l'après- midy, trouva les compagnies d'arbalestriers et archers à cheval et les corps de portefaix et bouchers armés sur la place, vis à vis l'Hôtel de Ville; il les fit conduire par le lieutenant Bailly hors de la porte de Ronville. Sur les trois heures, le Magistrat, précédé des violons et instru- ments de la ville et du dais porté par quatre valets de ville, se rendit à la porte de-Ronville, laissa le dais en dedans de la ville et se mit sur le glacis pour attendre M. et M"° la duchesse, ayant {es violons et instruments de musique de la ville derrière luy, et la chaussée eslante bordée de droite et de gauche par les corps des portefaix et bouchers (2). »
Nous trouvons dans un compte des échevins commis aux honneurs pour l’année 1602, les traces de l'existence d'une corporation musicale d'Arras connue sous le nom d'organistes (3).
(1) Reg. mém., 1495-1508, fo 311.
(2) Reg. mém. de 1749 à 1766, fo 75, vo,
(3) « Novembre et décembre 1602, — Le xx11° de novembre xvl° et deux, jour de Ste Cécille, après-avoir précédentement par les orga- nistes de ceste ville présenté à Messieurs en leur chambre leur bla-
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En énumérant les nombreux instruments qui, dès.le moyen-âge, se groupaient par familles et s’alliaient à pro- pos pour former un ensemble harmonieux, nous ferons connaitre les sources d’où sont issus nos modernes vio- lons et nos altos, nos hautbois et nos bassons.
Nous établirons quatre catégories d'instruments tant haut que bas: les instruments à vent, les instruments à cordes, les instruments de percussion et les instruments dont la nature reste encore incertaine ou mal définie.
La classe des instruments à vent comprenaitles orguettes ou orgue portatif, instrument qu’il ne faut pas confondre avec l’orgue pneumatique des églises, bien que sa cons- truction reposât sur le même principe : elles avaient un clavier à un ou à deux rangs de touches que le virtuose attaquait de la main droite, pendant que de la main gau- che, il faisait mouvoir le soufilet.
Le régale, qui était une sorte d’orgue positif ou à de- meure. | |
Les cors et les trompelles, que nos anciens écrivains désignent sous une foule de noms: tube, bocine, buisine ou-bussine, triblère ou triblers, estives, clarine, claronceau, araîne, trompe, trompelle, cor, corne, cornet, menuel ou manel, graisle ou gresle, huchet et olifun.
Les flütes, qui formaient une classe nombreuse d’ins- : truments. Il y avait les chalumeaux plus ou moins pri-
son et imaige de Ste Cécille comme ïilz ont accoustumé, leur fust faict présent par mesdictz sieurs de quattre cannes de vin (faisant six lotz) prindre au chelier de la ville et paiez à Philippe Taffin à raison de xx11 5. le lot, pris du vin nouveau tiré de la cave de ladite ville, vi liv, xvIr1 5. (Compte de MM. les eschevins commis aux Dons neurs et présens p. 4602, fo 30). »
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Scrsoiblictiek MONCHEN
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milifs et les flütes droites, à bee, percées de trois ou de six
trous, et parmi lesquels nous rangeons les flageols de
toutes sortes. La fleuthe traversaine ou flûte traversière avait six trous comme le fifre ou arigot, et l'on en ajouta
un septième qui s’ouvrail au moyen d'une clef. La syrinx. ou flûte de pan était désignée sous les noms de frestel ou |
de pipeau. Ces appellations de fistule, frestel ou frestiau,
‘pipe, pipeau, calamel, chalemelle ou chalemie, muse, che- . vrette, etc., s’appliquaient d'ordinaire à. des chalumeaux avec ou sans trous. ‘Le chalumeau proprement dit avait de six à neuf trous, et le plus souvent, il était dépourvu de clefs. Les hautbois dérivont de cet instrument ; ils avaient six trous et quelquefois une clef. Les cromornes
ou tournebouts à sept, neuf et dix trous formérent plus
tard des basses de hautbois, comme les bassons.
La saccomuse, la vèze, la laure et peut-être aussi la go- gue rentrent dans ia famille des hautbois et. des corne- muses, avec ou sans pioche.
La elasse des instruments à cordes n’était ni moins importante ni moins variée que celle des instruments à vent. Elle n’embrassa d’abord que des monocordes, des
dicordes et des tricordes qui se jouaient avec un archet
ou avec une baguette.
Le crouih trithant (à Lrois cordes) est, selon F.-J. Fétis, un tout autre instrument que la roté; celle-ci, sorte de cithare, était montée de cinq cordes que l’on pinçait, lan- dis que le crouth se jouait avec un archet.
La vielle, aux formes si diverses, à trois, quatre, cinq et même six cordes, se jouait aussi avec un archet ; c’est de cet instrument qu'est née la viole et qu'ensuite est sorti l’aito.
La rubèbe et le rebec ont peut-être été d’abord deux instruments différents : le premier plus grave et à deux cordes seulement ; le second à trois cordes, comme la gigue, et d'un timbre plus aigu. Le poète Jean Lefèvre parle cependant de la rubèbe comme d’un tricorde. Ce qu'il y a de sûr, c’est que le nom de rebec s’appliqua promptement à Loute vielle ou viole propre à faire danser. Le violon à quatre cordes, d’origine hongroise ou bohé:- mienne, très vraisemblablement, et d'adoption française, n’est autre chose qu'un rebec perfectionné
Le luth, dont les cordes en nombre fort variable se pinçaient ou s’attaquaient avec un plectre, avait pour va- riétés la luténa, la mandore, la mandoline et le théorbe. Le calachon et l’archiluth appartinrent également à cette famille d'instruments, mais ils sont d’une origine plus moderne. |
La guilare (guiterne, guiterre, guitarne, etc.), diffère du luth par sa-forme, et cependant, on peut la considérer comme un instrument du même genre.
Le cistre ou cühre, à quatre, six et douze cordes, qui participait du luth et de la guitare, a donné naissance à la citole ou cuitolle à quatre cordes. La cithare, née de la lyre des anciens, a contribué elle-même à former le psal- térion, le canon et le tympanon. Elle avait de seize à vingt-quatre cordes. |
La harpe qui, au XIV* siècle, avait de neuf à douze cordes, se pouvait alors placer sur les genoux.
Outre ces instruments à cordes pincées ou frottées et ceux à cordes et à archets, nous devons citer encore les instruments à cordes où la roue était substituée à l'ar- chet, comme la vielle ou chifonie, née de l'organistrum,
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et enfin les instruments à cordes et à clavier, tels que le manicorde, le clavicorde, la doulcemelle (dulce melos), etc., qu’on désignait peut-être originairement sous le nom générique de symphonie.
La famille des instruments de percussion renfermait le tambour à main ou tambourin (Labor, taborin, tym- bre, etc.), le tambour militaire (tabor, tabur, etc.), d'où dérivent la caisse et le badon, puis les tambours de métal appelés nacaires ou atabales, c’est-à-dire timbales, les clo- chettes, sonneites et grelois (tintinalles, eschelettes, cam- panes, clocques, sonneau, sonnaille, etc., les castagnelles (crotales, cliquette), le triangle (trépie) et les cymbales.
Nous rangerons dans la classe des instruments dont la nature n’est point bien connue la sambuque et le nable qui ne laissaient pas de ressembler un peu au psallérion, le trigorne et le magade, variétés de la sambuque, à ce que l’on croit ; la saquebuie ou sacqueboute, d'où sont nés probablement la trompette harmonique el le trombone, la doulcine ou doucine (flûte ou hautbois), les estives (trom- petles droites), la flûte behaigne (flûte cunaque, mirliton ou flûte de Bohême), les éles, l’échaquiel où échiquier el les marionnettes (instruments à cordes et à roue ou à cla- vier), le manicurdion, le choron, instrument à cordes décrit par Jean Lefèvre, et plusieurs autres encore que nous jugeons inutile de citer.
Ces quatre familles d'instruments présentaient un riche assemblage de sonorités, une variélé de timbres prodi- gieuse. Quel parti les ménestrels en savaient-ils tirer? Nous l’ignorons ou à peu près. Semblables aux musiciens ambulants qui parcourent les rues et qui nous convient à leurs concerts en plein air, ces anciens joueurs d'ins-
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truments tant haut que bas, jouaient de mémoire, après avoir probablement appris d’instinct le peu qu'ils sa- valent. Aussi ne nous ont-ils pas plus laissé de morceaux écrits que n’en légueront aprés eux les charmeurs de carrefours que nous entendons aujourd’hui. Nous ne pouvons guère, par conséquent, nous livrer qu'à des conjeclures, relativement au caractère de la musique au XV° siècle. Nous pensons, néanmoins, que les chansons en vogue composaient le fonds du répertoire des instru- menlistes, et comme la plupart de ces refrains étaient l'œuvre des poètes musiciens atlachés au service des sei- gneurs, nous croyons que des rapports assez fréquents durent s'établir entre ces derniers et les ménestrels.
Le Magistrat d'Arras avait à sa solde un trompette et trois joueurs de haut-vent qui sonnaïent de leurs instru- ments au haut du beffroi le matin à l’ouverture des por- tes de la‘ ville et le soir à l'heure de la fermeture, 1501 (1).
(1) « 146 août 1501. "» Retenue de qualre joueurs de hault-vent y compris le trompette.
» Ledit jour Messieurs les Eschevins en nombre par l’advis comme dessus at esté retenus aux gaiges de ladite ville quatre joueurs de hault-vent, assavoir une trompette et trois joucurs de hault-vent, les- quels ont promis et seront tenus de jouer chacun jour au beffroi d'icelle ville au mattin à l’eure de la porte ouvrir et au soir à l’eure de la porte clore et incontinent apprès que le clocque des portes _clore et ouvrir aura cessiet le sonnerie, aux gaiges chacun de xv liv. en argent aveuc pour chacun une robe de livrée, x 1. vis. vint d. Et à chacun un mencaudz de blé, tel que de la mouture des mollins de la ville aussy chacun an, lesquels joueurs ont promis et seront tenus de clore et reffermer tous les huis dudit beffroy et de non partir de la ville sans avoir congié de Messieurs.
» Et ont promis de venir résider en ceste dite-ville au jour Saint
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La fin du XV° siècle et le suivant furent une des plus remarquables périodes de l’histoire de la musique ; trois grands faits la caractérisent: le perfectionnement des formes maléfielles et arlificielles de l'harmonie, la ré- forme et une nouvelle direction de la musique religieuse, la naissance du drame musical. Vers le milieu du XVI siècle, les formes de l'harmonie qui, jusqu'alors, avaient absorbé presqu’exclusivement l'attention des musiciens, étaient devenues fort compliquées. Cependant, malgré cette complication, malgré les combinaisons les plus va- riées d'imitation et de canon, l’art de faire mouvoir les parlies avec aisance, de faire chanter les voix dans un espace très resserré, l’art d'écrire avec élégance avait été porté à un assez haut degré de perfection. Malheureuse- ment, ces procédés mécaniques qui ont été si uliles au progrès de l’art, mais qui n’en sont pourtant que des ac- cessoires, furent regardés comme l'objet. principal et cette voie conduisit les arlistes aux abus les plus répré- hensibles, aux extravagances les plus incroyables.
Remy prochain venant. » — (Reg. mém. de 1495 à 1508, fv 159, v°). « 3 février 1506. » Ordonnance pour les joueurs de huull-vent.
» Aujourd’hui rue jour de février audit an, Messieurs les Eschevins en nombre, considérant les grans affaires et charges de le ville ont conclud de donner congié aux ménestrieux de hault-vent estant aux gaigès de ledite ville pour ce que iceulx ménestrieux auront leurs pleins gaïiges en toutes choses et que leur paiera l’argentier de la ville depuis le jour de Toussains jusques au may prochain pendant lequel temps iceulx ménestricux se porront pourveoir en autres lieux ainsy que bon leur semblera, et quand au blé il a esté ordonné leur baillier xt mencaudz de blé. » — (Reg. mém. de 1495 à 1508, fo 311).
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Le rythme et la chanson, il importe de ne le point oublier, amenérent la transformation de la musique du moyen-âge. Durant la période de lransilion dont nous parlons en ce moment, qu'entendait-on dans l'église aussi bien que dans la rue? Le refrain sautillant de l'Homme armé (1). |
Les airs qui se répétaient à la cour et à la ville conti- . nuaienl, il est vrai de participer des mélodies ecclésias- tiques, mais les chants d’église perdaient un peu de leur | ancien caractère et tendaient à s’assimiler aux mélodies profanes. |
Dès l’année 1550, le chant des airs français avait un caractère de rythme et de mesure qu’on ne trouve pas dans les psalmodies qu’on appelait les chansons des trou- badours es lrouvères des XI° et XII° siècles. Ces chansons s'étaient ensuite excessivement multipliées et étaient devenues l'objet du goût dominant de la nation française, qui en a toujours conservé quelque chose.
Ce goût était si généralement répandu depuis le règne de Louis XI que les compositeurs de musique d’église furent contrainis de prendre pour thème principal de leurs messes et de leurs motets les motifs des chansons les plus populaires. Les motets de Baïf, de Ronsard et de quelques autres rimeurs français étaient appelés chansons spirituelles parce qu’on les chantait sur des airs profanes.
(1) Depuis Guillaume du Fay jusqu’à Firmin Caron, à Vincent Faugues, à Josquin Després, à Palestrina et même à Carissimi, les plus célèbres compositeurs se sont exercés à l’envi sur ce thème favori. On sait que les maîtres de ce temps-là donnaient à leurs mes- ses les premiers mots de la chanson populaire dont ils s’inspiraient: l'Homme ariné, Buisez-moi, Mon cœur, etc. |
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| Ainsi, la mélodie était considérée comme une partie tellement secondaire qu'on ne se donnait plus la peine d'inventer les chants, c’étaient les airs populaires qui servaient aux messes, aux motels, et l’on en arriva au point de prendre pour thèmes des chansons grivoises et d’en faire chanter simultanément les paroles avec le texte sacré. Il fallut un décret du Concile de Trente pour faire cesser cette confusion que supportait aisément la foi naïve de nos pêres.
Un mépris aussi complet des convenances, une telle aberration aurait infailliblement conduit l’art à sa perte, s'il ne s'était présenté un homme de génie pour lui ins- pirer une direction nouvelle et conforme à la véritable destinalion. En effet, l'heure approchail où les composi- teurs, las de chercher des combinaisons ingénieuses, mais stériles, allaient demander à la musique autre chose que des concerts froidement harmonieux. Déjà Palestrina (1529-1594), l’artiste épris des exquises élégances et.de la perfection de la forme, avait excellé dans l'expression des ‘sentiments religieux ; il ne restait plus, après ce grand maître, qu à trouver le moyen de traduire la pas- sion et tous les mouvements impétueux de l'âme, qu'à revêtir le drame lyrique des formes qu'il devait définiti- vement adopter.
La nature l'avait doué de l'instinct d’une pure mélodie qui lui faisait donner un air facile et chantant aux par- ties de ses ouvrages les plus remplies de recherches scientifiques. Le genre du inadrigal qui n'avait été jus- que vers 1550 qu'un travail harmonique plus ou moins habilement combiné, prit. entre les maïns de Palestrina, une grâce douce et calme. La mélodie s’y fit remarquer
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par sa convenance à l’égard des paroles ; enfin ce grand homme dirigea l’art vers son but naturel (1).
Sans doute il serait injuslie de ne pas tenir compte des résultats obtenus par ses prédécesseurs, notamment par Josquin Desprelz, le plus célèbre et le plus populaire musicien de l’école. flamande (1480-1525), qui sut donner à ses compositions des formes mélodiques inconnues avant lui et fut le véritable Rossini de son temps. Mais Palestrina imprima à la musique religieuse son véritable caractère et ouvrit la carrière à une brillante pléïade de compositeurs. Peu de temps après lui, Vincent Galilée, en appliquant la musique à un épisode du Dante, la Mort d'Ugolin, montrait à ses adeptes une voie nouvelle qui devait être parcourue par tant d’autres. La musique était désormais en possession de ses deux plus éclatanles ma- nifestations, l’oratorio et l'opéra.
Monteverde est le premier qui se soit essayé dans le véritable drame lyrique, et son nom mérite de figurer en face de celui de Palestrina. C’est à lui qu'il apparte- nait de transformer les tendances du drame lyrique. Les maîtres florentins, en croyant retrouver la déclamation chantée des anciennes tragédies grecques, avaient créé le récitatif dont ils ont formulé la théorie en termes que Glück n'eut pas désavoués. Mais précisément parce qu'ils avaient voulu reproduire la tragédie des anciens dans son austère simplicité, ils avaient dû accorder à l’élé- ment liltéraire une importance excessive et prédomi- nante. Monteverde, au contraire, et c'est là le trait original et caractéristique de son œuvre, selon nous, sut concilier l'intérêt politique musical.
(1) Fétis, Résumé de l'histoire de la musique.
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La typographie musicale en caractères mobiles ne date que des premières années du XVI° siècle. Ce fut Octave Pelrucei de Fossembrone qui en inventa le procédé et en fit l'essai dans son recueil dé chansons qu'il publia à Ve- aise, en 1503. Cette nouvelle invention ne tarda pas à se propager : avant 1541, les principales villes d'Europe et de France furent en possession d'’imprimeries de ce genre. Quantaux recueils de motels, de messes, de chan- sons et madrigaux que renferme la bibliothèque d'Arras, ils sont tous manuscrits.
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L'OPÉRA EN FRANCE. PREMIÈRES TROUPES LYRIQUES À ARRAS. PÉRIODE THÉATRALE 1750-1800. ACADÉMIE DE MUSIQUE. SUJETS ARTÉSIENS PROPOSÉS POUR EN SUIVRE LES COURS.
Depuis longtemps déjà le drame lyrique florissait en Italie sans être connu en France, lorsque le poète Antoine Baïf, qui avait visité Venise et y avait vu représenter des opéras, conçut le projet de nationaliser ce genre chez nous. Le poète se mit à l’œuvre, composa des drames en vers métriques, tels que ceux des anciens, considérant cette coupe comme la plus propre au chant, leur adapta uné mélopée quelcenque et les fit représenier à sa mai- son de la rue Saint-Marceau. Plus d’une fois Charles IX, et plus tard Henri II, assistèrent à ses solennités ; mais le temps était mauvais pour l’art musical et les troubles
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de la Ligue né donnèrent pas au genre nouveau lé temps de s’acclimater. C'est en 1646 que le maïiire de chapelle du cardinal-évêque Alexandre Richi, l'abbé Mailly, fit re- présenter dans une des anciennes salles du palais épis- copal de Carpentras, Abékerr, roi de Mogol, tragédie lyri- que, et la cour fastueuse du prélat applaudit avec fureur le premier opéra français. L'année précédente, une troupe italienne, composée de chanteurs, cantatrices et musi- ciens, mandée par Mazarin, avait donné, le 24 décembre 1645, dans la salle du petit Bourbon, en présence de Louis XIV et de loule sa cour, une représentation de la Festa della Finta Pazza, mélodrame en cinq actes, de Jules Slrozzi ; dans celte comédie lyrique, les personnages chantaïent, dansaient, parlaient et les intermèdes se composaient d'un ballet de nègres et d'ours, d’une danse d’autruches et d'une entrée de perroquets. En 1647, on représenla. Orfeo à Euridice, dont le succès suggéra l’idée d'écrire des opéras français. En 1650, on joua l’Andro- mède, de Corneille, et en 1651, on donna un ballet de Benserade, intitulé Cassandre. L'opéra était implanté en France.
Deux partis s'élevèrent alors: l’un prétendait que la musique ne pouvait s’adapter qu’à des parolesitaliennes, l'autre soutenait la possibilité de noter les paroles fran- çaises. L'abbé Perrus de Lyon, introducteur des ambassa- deurs près de Gaston, duc d'Orléans, trancha entièrement la question en composant sa Pastorale que Cambert, surintendant de la musique ile la reine-mère, mit en mu- sique. Celle pièce en cinq actes, dépourvue de danses et de machines, fut jouée à Issy, chez M de la Haye, en 1659, puis à Vincennes, devant la cour.
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Cambert, le premier compositeur d’opéras français, fu] bientôt éclipsé par Lulli qui, de 1672 à 1687, émerveilla la cour et la ville. beaucoup plus, il est vrai, par la nou- veauté du spectacle que par la valeur intrinsèque de ses partitions.
C'est vers la fin du siècle de Louis XIV que le théâtre s'organisa généralement en province, dans des locaux Spéciaux et en exploitations suivies. Les grandes villes d’abord, les autres ensuite, construisirent des salles de spectacles. Beaucoup, et Arras fut du nombre, abordè- rent l'opéra, dont Lulli, chef des académies concertantes de France, avait le privilège par tout le royaume.
Un genre plus léger et plus gai prit alors naissance dans le développement des anciennes bouffonneries à un, deux ou trois personnages, qui ésayaient les ent'acles de nos anciens mystères, conpés eux-mêmes par des psaumes, des chants variés, des facéties. L'usage des in- termèdes fut promptement adouci et l’opéra seria, en prenant possession de la scène, loin d’en déterminer l'abolition, lui fit prendre, au contraire, une extension nouvelle et de plus grands développements. Biénlôt même, on cultiva séparément ce genre qui plaisait géné- ralement aux sptetateurs. Après Hasse el Vinci vint Pin- srelin,et avec lui l’opéra-bouffetrouva sa forme définilive.
C'est en 1752, après l'audition de la Serva padrona, la Servante maitresse, ce-chef-d’œuvre de brio méridional pris à son origine comine interméde, qu'un enfant de l'Artois, Pierre-Alexandre Monsignv, né à Fauquember- gues, en 1729, entrevit la possibililé de créer en genre national l’opéra-comique français et résolut de Lenter une révolution dans l’art musical de son époque.
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C’est par le don céleste de la mélodie que se distingue avant tout Monsigny (1729-1817); mais, grâce à son ex- quise sensibilité et à son profond sentiment de la vérité dramatique, ce musicien a pris rang parmi les artistes créateurs. Ne lui reprochons pas la faiblesse de son ins- trumentation, ne sourions pas s'il entreprend un peu témérairement de décrire, dans la finale d’un de ses opé- ras, et l'orage qui gronde et le galop des chevaux et les bruits de la chasse, à l’aide d’un maigre orchestre com- posé des instruments à cordes, de deux hautbois, de deux flûtes, de deux cors, de deux bassons et d’une contre-basse et s’il essaie d’imiter le fracas des éléments déchainés au moyen de ümides trémolos et de procédés qui sentent encore l'enfance de l’art. Monsigny n’est point symphoniste, et ses études incomplètes et tardives ne lui permirent point d'acquérir cette aisance, cette souplesse, cette rapidité d'exéculion qui semble la grâce du génie; mais s’il ne fut pas fécond, si la fatigue de son esprit, la faiblesse de sa vue, la crainte, peut-être, de se mesurer sans cesse avec Grétry l’arrêétèrent sou- dain, après son plus beau succès, il lui suffit d’avoir écrit le Cadi dupé (1760), On ne s'avise jamais de tout (1761), Ze Roi ét le fermier (1762), Rose et Colrs (1764), le Déserteur (1769), la Bel'e Arsène (1775) et Félix (1777), pour avoir droit. à ce titre de musicien original et créateur que nous venons lui décerner.
Quelle fraicheur d'imaginalion, quelle émotion tou- chante et quels accents expressifs dans cel opéra, le Roi el le fermier, premier fruit d'une association heureuse entre deux talents de la même famille! N'est-ce paint tout un pelit poème que cetle scène pastorale où deux
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jeunes filles chantent leurs printannières amours à côté d’une mère dont le cœur est agité par l'inquiétude ? Et quelle naïveté délicieuse dans cet air de Jenny: Ce queje dis est la vérité même !
Mais à quoi bon entrer dans de minutieux détails en parlant d'œuvres qui n’ont pas cessé de figurer au réper- toire et qui sont présentes à toutes les mémoires ? Qui ne connai l'air de la Belle Arsène? Qui ne s’est laissé charmer par les mélodies naturelles de Rose et Colas ? Qui n'a pas applaudi le Déserteur et Félix ou l'enfant trouvé ? Ces deux derniers ouvrages sont ceux où Monsigny a déployé au plus haut degré son entente des situations dramatiques, prodigué les antithèses de style les plus séduisantes et trouvé les inspirations les plus pathéti- ques. Son instrumentation même s’y montre moins ingé- nue et cherche à colorer des chants toujours appropriés
au caractère de chaque scène et de chaque personnage. Le rôle d’Alexis, dans Le Déserteur, est tracé avec une force et une vérité jusque-là sans exemple et les péri- péties principales de la pièce sont traduites avec un na- ture] et avec une expression pénétrante qu'on ne saurait trop admirer. |
Même variété d'accents.et mêmes qualités dramatiques à remarquer dans Félix, dont le ravissant quintette, si
bien disposé pour les voix, le trio pathétique et l'air: | Qu'on se baite, qu'on se déchire, offrent des beautés qui sortent Monsigny de la classe des imitateurs de Pergolèse et l'élèvent au rang des musiciens qui ont une individua- lité propre et qui ont laissé des modèles d'invention dont leurs émules ont su s'inspirer à leur tour.
À partir du XVIII* siécle, la Municipalité d'Arras sub-
La
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ventionna des troupes d’enéras. Le directeur de Soissons offrit à nos édiles, pour la saison de 1757-1758, une troupe bien moniée, avec pièces du Thédure Français, du Théâtre-ltalien et de l'Opéra-Comique, Au nombre des ac- teurs figure M. Bigotine, ayant chanté devant le roi, à Fontainebleau, et M!° Jouaut, renommée dans ses rôles d’opéra-bouffe, tels que la Servante-maïtresse et la Bohé- mienne. Dans une lettre adressée de Lille à M. Ansart. Conseiller de ville à Arras, le 25 janvier 1770, Je sieur Hébert sollicita du Magistrat l'autorisation de venir à Arras, après Pâques, avec une troupe d'opéra-comique et un corps de ballet. La troupe Sauval vint donner une re- présentation, le 10 août 1772, on joua deux opéras- bouffes : la Servante-mattresse et. le Tonnelier. Entre les deux pièces, M'° Sauval, jeune et jolie actrice, chanta des ariettes choisies du gränd-opéra, et l'artiste Sohotzwera exécuta sur le violon un concerto de s3 composition, suivi d'un air varié pour la flûte.
. À l'ouverture de là saison théâtrale 1778-4779, la troupe Dumeny, de Dunkerque, se trouvait à Arras. Le tableau des acteurs comprenait les noms suivants:
MM. Dumeny et M Belfort, de Lyon, 4*"* rôles.
Laguillotière, d'Arras, et M°®° Montbaïlly, de Lille, 2 rôles. |
Deschamps, de Valenciennes, rois et pères nobles.
Becque, de Nancy, 2“ rois, rôles, 2e basse-taille.
Rézicourt, financiers, paysans, 1"* basse-taille.
Chénard, doublant la 1"° basse-taille.
Dupuis, manteaux, grands accessoires, partage des laruettes.
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MM. Chaumont, de la Haye, 1° comique et partage des laruettes. | Dumeny fils, 2° comique. Dupont, de Douai, 1* haute-contre. Montbailly, 2° haute-contre. M'e Duchaumont, 1"° chanteuse et 1°" rôle de comédie. Delaunay, doublante. Cartelle, ?° amoureuse. | Clarys, 2° soubrette et ?° amoureuse. Laguillotière, caractère. Richard cadette, de Nancy, 1"° soubrelte et duègne. Souffleur, M. Grandval. Un. chef de musique. Deux premiers violons. Deux seconds violons. Basse et cors. Deux machinistes, tailleur et perruquier.
A cette époque, le tenor tel que nous le comprenons aujourd’hui, s'appelait la taille. Mais les opéras du XVIIIe siècle demandaient généralement une voix plus aiguë encore, tenant le milieu entre le soprano et le tenor, c'était le haute-contire. Les voix de haule-contre étaient excessivement rares ; toute la correspondance de Desro- siers, directeur des théâtres d'Arras et Douai, le prouve. On se trouva souvent réduit à faire chanter la partie par des femmes. Comme opposition extrême à la haute-contre se trouvait la basse-contre, notre basse ‘actuelle du grand-opéra. Ces explications font comprendre le rôle considérable attribué à la basse-taille ou barylon qui, moins difficile à rencontrer que des organes exception- nels, presque hors nature, prend dans l'opéra l’impor-
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tance aujourd'hui réservée aux tenors, depuis que leurs rôles sont écrits dans un registre plus abordable pour les voix d'hommes. |
Il n’en-était pas de même en 1773, et c'est avec raison que le directeur Dubourneuf le rappela dans son com- promis avec la ville: « Une bonne première chanteuse et une basse-taille, c’est la base de l'opéra. »
Parmi les basses-tailles, on cherchait de préférence celles dont la voix montait assez facilement, les Caillot, disait-on alors, comme on a dit depuis les barytons Mar- tin. La première basse-taille de la troupe lyrique d’Arras touchait alors 3,000 fr., appointements qui dépassaient de 600 fr. ceux de la taille et du haute-contre.
L’année 1784 ramena sur la scène d'Arras la troupe lyrique de Casimir, qui desservait en même temps les villes de Douai et d'Arras. Le fait saillant de son exploi- lation est la représentation d’Aucassin et Nico'ette, dont l'affiche, ainsi rédigée. fit sensalion : « Grand-opéra nou- veau qui n'a jamais été représenté en cette vilie; pièce ornée du plus grand spectacle, tant d’une évolution mili- taire que d’une décoralion faite exprès, suivi du Milicien, opéra en un acte, dans lequel M”* de Fois chantera une
ariette à roulades de la composition de M. Paris, maître ‘
de musique de la Comédie. »
Le répertoire de Grétry était fort en faveur alors. Les opéras le Jugement de Midas et la Fausse Magie signalèrent la campagne 1784-1785. C'est à celte époque que se rat- lache un passage de la vie d'Hilaire Ledru, paysan d’Oppy, prés Arras, qui devint un peintre de talent. La vue de la salle de spectacle lui donna l’idée d'entrer au théâtre. On donnait ce jour-là Annelte et Lubin, de Favart, et les Deux
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Avares, de Grétry. L'actrice joua si bien le rôle d’Annette qu'ella fit une impression profonde et dangereuse sur un cœur inconscient des séductions de la scène. Hilaire Le- dru chercha à se rapprocher d’eïle ; maïs l'illusion s’en- vola un jour qu'ayant pu pénétrer à la répélition, il en- tendit Annette jurer de dépit contre le souffleur et tutoyer familiérement ses camara.les |
Après l'inauguralion de la nouvelle salle de spectacle, 30 novembre 1785, la troup: Declainville joua sur notre scène la Rosière de Salency, opéra-bouffe de Grétrv, et Rose et Colas, de Monsigny. Richard Cœur-de-Lion et la Curavane du Caire, opéras de Grétry, eurent les hon- neurs de la saison théâtrale 1787-1788. Chénard. comé- dien ordinaire de roi et basse-taille des Italiens, sefit anplaudir dans ! Epreuve villageoise et les Evènements im- prévus, de Grétry. En ces années mémorables où, s0:s le souffle ardent de 1789, l’ancienne société française s'écroule avec fracas et où sur ses ruines, au nom de la justice, on fonde l'égalité de tous les citovens devant la loi ; en ces années lerribles où l’œuvre de rénovation politique et sociale s'accomplit au milieu des p'us épou- vantabies orages intérieurs et en dépit de l'Europe sou- levée contre nous, en ces temps abhorrés où André Ché- nier payait de sa vie le droit de flétrir « des bourreaux, barbouilleurs de lois, » où la France se transformait en vaste place d'armes au cri de La patrie est en danger, où chacun étail prêt à marcher à la mort, le sourire des martyrs aux lèvres ou l'enthousiasme des héros au cœur, en cette crise effroyable, les suaves romances de Dalay- rac ne répondaient plus à l’état des esprits, ou si, par hasard, l’une d'elles s imposait à la mémoire d’un poële de circonstance, ce patriote en forçait le {on et en déna-
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turait le caractère, Ce n'était pas, d'ailleurs, au chant Verllons au salut de l'empire, c'était aux héroïques accents de la Marseillaise qu'on conduisait nos soldats à la dé-. fense de nos frontières. Au théâtre et dans la rue, c’étaient des chants virils que demandait à entendre la nation, et celui de Rouget de Lisle, admirablement orchestré par Gossec, y éclatait tous les jours et y enflammait toutes les âmes. 0
À Arras, les réactionnaires avaient coutume de récla- mer le Chant du réveil et les révolutionnaires leur répon- daient par le Ça ira et la Marseillaise. Afin d'éviter les désordres qui en résultaient, l’assemblée municipale dé- cida, le 28 floréal an 111, qu'aucune chanson ne serait chantée au spectacle, sans que l'auteur ne l’eût signée et se plaçât à côté du chanteur. Cette obligation ralentit for. tement l’ardeur de nos chansonniers (1).
Les mauvais jours de la Révolution n'arrétèrent pas les représentations lyriques sur notre scène. Le 22 mai 1793, la troupe de Dupré chanta, au bénéfice des frais de la guerre, les opéras la Mélomanie et Guillaume Tell. Un arrêté du Directoire exécutif, en date du 28 nivôse an 1v, ordonna que la Marseillaise, Ça ira, Veillons au salut de l'empire seraient chantés chaque jour avant le lever de la toile dans tous les spectacles, et la Marseil- laise chantée de nouveau entre les deux pièces; ce même arrêté défendit expressément de chanter le Réveil du peuple. | |
Le 15 floréal an vir, le citoyen Georges Weismmer, entrepreneur de spectacles à Amiens, obtint le privilège de la scène d'Arras, à condition d'y faire représenter le
(1) E. Lecesne, Arras sous la Révolution, t. 1n1.
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grand -opéra, l’opéra-bouffe, les ballets, vaudevilles, etc., etc. Après être passé dans différentes mains, ce privilège .échut, le 3 floréal an xr, à un nommé Squels qui se qua- lifait du titre de maître musicien.
Avec la Révolution de 1789, s'ouvre pour notre théä- tre lvrique une ère nouvelle. Les pastorales, les esquisses légères et les tableaux dans le goût de ceux que nous ont laissés Greuze et Walteau y sont remplacés par de fortes images, par des figures austères ou poétiques, par des scènes d'histoire et des souvenirs de l'antiquité. Aux comédies agréables, réjouissantes ou sentimentales, lout- à-coup succèdent de mâles conceptions qui rappellent le peintre vigoureux de Léonidas et de l’Enlèvement des Sa- bines. Méhul fut le David de la musique dramatique. Sous le choc des évènements considérables auxquels il assistait, il entonna le Chant du départ, de concert avec Marie-Joseph Chénier et, comprenant qu’il fallait parler une langue digne de cet âge d'émancipation politique et de souveraineté nationale, il poursuivit l'œuvre si bien commencée par son maitre, le chevalier Glück, et il eut la gloire de la parachever en modifiant le style de notre opéra-comique.
[a Révolution ne fut pas une époque malheureuse pour l'opéra. Ce genre de spectacles trouva, au contraire, des succès dans les pièces de circonstances et Îles airs patriotiques.
François Devienne (1759), mort à Charenton, à qui l’on doit d'innombrables compositions instrumentales et les progrès qu'accomplit en France la musique militaire pendant les dernières années du XVIII siècle, s’est ac- quis la faveur du public en faisant représenter les Visi- tandines (7 juillet 1792) au théâtre Feydeau, où il donna
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aussi les Comédiens ambulants (1798\. Le sujet des Visi- tandines, habilement iraité par Picard, était à la fois gau- lois et révolutionnaire, double raison pour qu'il captivât les spectateurs de l'époque qui nous occupe; mais si cette pièce était de nalure à plaire à un public voltai- rien, les mélodies qu'y adapta Devienne convenaient tout- à-fait aux siluations imaginées par son collaborateur. Le duo de Frontin et de la lourière : Quoi, vous voulez rester dans la maison ? le-rondeau plein d’entrain de Belfort: Enfant chéri des dames, dont les deux mesures initiales ont le mérite de rappeler un air de Mozart, alors que /a Flûte magique étail encore inconnue en France, la ro- mance d'Euphémie: Dans l'Asile de l'Innocence, l'air de Frontin : Qu'on est heureux de trouver en voyage, les couplets du père Hilarion : Un soir de cet automne et le duo chanté par l’amoureux Belfort et l'ivrogne Grégoire dénotent une connaissance approfondie des lois théâtrales.
Soigneusement instrumentéce; spontanée el facile à se graver dans la mémoire, la musique des Visitandines, comme celle des Comédiens ambulants, où l’on remarque le chœur développé des comédiens et le finale du premier acte, n'a guère plus de couleur que le style de Picard, elle est un peu plus bourgeoïse, maïs naturelle, et par son allure même elle enchante ceux à qui elle était des- tinée. Aussi ne protesterons-nous pas contre le long suc- cès de cet opéra ; il prouve que la multitude aimait à re- venir à la simplicité de nos vieilles chansons. Il nous fournira, en outre, l'occasion de faire remarquer que J'humecr rieuse des Français se manifestait encore aux plus mauvais jours de Ja Révolution. Sous la Terreur, on improvisait des couplets d’une ircroyable hardiesse, on frondait en dépit de la guillotine, on chansonnait les
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bourreaux, on entonnait de gais refrains el jusqu’au théâtre on osait applaudir des comédiens à ariettes dont le ton jurait étrangement avec celui des drames à grands sentiments patriotiques. C’est grâce à celte persistance du goût national pour le chant parlé, pour la romance simple et naïve, pour les chansons spirituelles que Solié, Gaveaux et Devienne virent leurs opéras si favorablement accueillis et l’emporlèrent même quelquefois sur des compositeurs qui sont la gloire de leur art.
Les artistes élaient mis à contribution pour toutes les fêtes et les cérémonies ; même sur notre scène, plus d’une actrice en vogue dut se transformer en déesse de la Raison et de la Liberté, chanter aux fêles de l’Etre su- prême, aux fêtes funèbres et entonner. à première réqui- sition, des hymnes nationaux. Le spectacle changea le 9 thermidor : l'opéra révolutionnaire avait vécu. Le Di- rectoire ramena le goût de la mythologie héroïque et l'on vit se succéder sur notre scène Psychée, Castur et Pollux, le Jugement de Paris, la Dansomanie, elc., elc.
Jusqu'à la fin du règne de Louis XVI, la France se vit privée d'une de ces grandes écoles où les musiciens peu- vent acquérir une inslruction solide dans toutes les branches de leur art. A cette énoque, on ne connaissail envore chez nous que les maitrises, et il ne fallait de- mander à l’enseigrement fort circonscrit qu'on v rece- vait, ni un beau style vocal, ni une élude complète de la musique instrumentale, ni des comparaisons inslructives enlre les compositions religieuses et les théâtrales. Aussi les orchestres de nos régiments, voire ceux de nos scè- nes lvriques, élaient ils, en majeure partie, composés d’étrangers. C'est dans le but de remédier aux lacunes de l'enscignement des maïitrises el de former des artistes
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capables de chanter à l'Opéra que l’on fonda, «en 1784, une école de chant et de déclamation dirigée par Gossec. Mal administrée, cette école ne produisit pas le bien qu'on en attendait. Il n’en fut pas de même de l’école municipale el graluile que l’on ouvrit à Paris, en juin 1792 ; grâce aux artistes habiles et dévoués que recrula l'administrateur Sarrette, cet établissement nouveau alimenta de bons sujels tous les corps de musique mi- lilaire des armées de la République française. Le gou- vernement comprit alors les services que l'on était en droit d’en espérer et la Convention décréta l’organisation de celle école spéciale sous le titre d’Institut national (18 brumaire an 1). Forcée ensuite de renoncer à cette appellation, elle adopta celle de Conservatvire de musique (16 thermidor an nr, et elle assura la réussite de son œuvre en maintenant Sarretle à la têle de l'institution utile qu'il avait aidé si puissamment à créer. Ce directeur actif, zélé, clairvoyant et lout à son devoir, possédait les qualités requises pour mener à bien l'œuvre délicate et difficile de la régénération des études musica'es. Aucune démarche ne lui coûla pour assurer la prospérité de no- tre première école de musique, et comme il exerçait son autorité morale sur Lous ceux qui l’approchaient, il parvint à maintenir l'accord entre des compositeurs et des pro- fesseurs d’opinions opposées. Jusqu'en 1800. le nombre de ces maîtres resta fixé à cent quinze, et chacun d'eux apporta son concours à la rédaction des Méthodes du Con- survaloire, auxquelles travaillèrent aussi des savants de l'Institut, entre autres Ginguené, Lacépède et de Pronv.
Lors de la réorganisation de l'établissement, si bien dirigé par Sarrelle {mars 1800), on choisit pour inspec-
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teurs des études: Gossec, Méhul, Lesueur, Chérubini, Martini et Monsigny.
Tous les Préfets furent invités à présenter les sujets habitant leur département qui paraissaient les plus aptes à suivre les cours de l'Académie impériale de musique. Voici les noms de ceux qui furent proposés par le baron
de la Chaise, placé alors à la tête de l'administration du Pas-de-Calais.
« Arras, le 25 prairial an xui, 1° de l'Empire français. » Le Biblioihécaire d'Arras,
à Monsieur le Général de brigade, Préfet du département du Pas-de-Calais, membre de la Légion-d’'Honneur.
» Monsieur le Général,
» J’al l'honneur de soumettre à votre approbation et vous faire connaître les personnes qui m'ont paru les plus propres à remplir vos vues pour l'examen des sujets qui se destinent à l’Académie impériale de musique, sa- voir :
» M. Glachant, compositeur, professeur de musique, élève de Catédrale. |
» M. George, artisle et professeur de musique.
» M. Govet, professeur de musique, élève de Catédrale.
» M. Achain, amateur, compositeur et élève de Calédrale.
» Ces personnes méritent l'honneur de votre confiance par leurs talents et leur moralité.
» Tant qu'à moi qui, depuis longtemps, ne professe plus la musique, je n’ai d’autres désirs que de profiter des occasions de vous prouver mon obéissance à vos ordres. |
» Daignez, elc. »
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VI LA MUSIQUE A ARRAS
(1785-1884)
MUSIQUE DE LA GARDE NATIONALE. MUSIQUE DES AMATEURS, DITE DU ROI DE ROME. SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE. — ORPHÉONISTES. SOCIÉTÉS DIVERSES.
À la fin du siècle dernier, vers 1785, l’art musical était fort goûté dans nos familles artésiennes. Plusieurs ama- teurs s’élaient réunis pour faire de la musique ; on avait organisé des soirées où ils exécutaient des morceaux d'ensemble. Les arts eurent tant à souffrir dans la période révolutionnaire que la musique de chambre dut être dé- laissée à Arras comme dans toute la France. Le goût, toutefois, n’en était pas éteint. Quatre genres de musique élaient alors connus : la musique sacrée, conservée et enseignée à la maitrise; la musique dramatique, compre- nant toules les compositions exécutées sur le théâtre ; la musique de chambre ou de concerts, consistant dans les divers morceaux destinés à être exécutés dans les salons et enfin la symphonie, dont la coupe, avec des dévelop- pements plus étendus, produisait les morceaux de musi- que composés pour orchestre. Dans ce dernier genre, il existait à Arras deux musiques distinctes: la musique de la garde nationa!e et la musique des Amateurs, dite du
Roi de Rome, qui devaitse fondre dans la Société Philhar- monique.
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Musique de la garde nationale.
La musique de la garde nationale fut la première ins- titution musicale établie officiellement à Arras. La légion bourgeoise ayant été réorganisée par arrêlé du District du ? messidor an r1r, la formation des batail'ons fut sui- vie de la création d'une musique, qui en était comme le complément nécessaire et naturel et devait rehausser l'éclat des fêtes populaires si nomLlreuses à cetie époque.
Les ressources étaient fort restreintes alors, car il n existait pas encore d'école ou Académie de musique où l'on püt recruter des sujets. Le corps de musique bour- geoise ne devait donc pas êlre nombreux dès le début. Sa tâche la plus importante consistait, sans doute, à se mon- trer dans les occasions solennelles Nous trouvons race de son concours prêté à l'autorité municipale aux jours des cérémonies extraordinaires, dans divers documents qu'on lira avec intérêt et que nous cilerons à cause de leur date.
Le 19 thermidor, la Municipalité d'Arras ayant résolu de célébrer avec un grand éclat l'anniversaire du 10 août, fête décrétée par la Convention, il fut décidé, parmi les réjouissances contenues dans le programme, que la . musique se rendrait à la Maison commune à dix heu- res du malin et qu'ajrès la cérémonie, les autorités, avant défilé devant l'arbre de la Liberté, se rendraient dans la salle des réunions du Conseil municipal pour y _cntendre différents airs analogues a la Révolution, exécu- lés par la musique de la garde bourgeoise (1).
(1; E. Lecesne, Arras sous la Révolution, t 115, p. 176.
° = 199 =
Le 24 thermidor an v, la Municipalité ne put se dis- penser de célébrer, comme les années précédentes, l’an- niversaire du 10 août. Dans cette fête, à laquelle on. donna une solennité inaccoulumée, la musique de la garde nationale joua un grand rôle dans les divers cor- tèges qui parcoururent les rues de la ville. |
Parmi les nombreuses fêtes qui avaient lieu périoili- quement à Arras, nous citerons celle de la Jeunesse, qui fut célébrée au mois de germinal an vr. Pour la clôture de la cérémonie, la musique de la garde bourgeoise exé- _ cuta, dit le compte-rendu, les airs chéris des républi- cains {1).
À l'occasion de la fête des £pour, 10 floréal an var, la musique de la garde nationale, dirigée par le sieur George Weber, exécuta les morceaux choisis de son ré- pertoire, tels que l'Aymne à la nature, Où j'eut on être mieux qu'au sein de sa famille, la Marseillaise et le Chant du départ (?).
Nous retrouvons la musique de la garde nationale dans les cortèges des 23 thermidor an vu et 1° vendé- miaire an vur. Cette dernière fête consista presque toule entière dans l'exécution de morceaux de musique el de chants patriotiques (3).
Dans sa séance du 27 frimaire an vin, l'Administration municipale prit l'arrêté suivant : « La constilutuon du 23 frimaire, la proclamation des consuls en date du 24 el leur arrêté du même jour seront solennellement publiés aujourd’hui dans l'étendue de la ville d'Arras par les
(1) (2) (8) E. Lecesne, Arras sous lu R'volulion, t. 11, p. 327, 357 et 370.
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membres de l’Administration, qui seront accompagnés de leur force armée et de la musique. »
L'an 1x de la République française, le 10 germinal, les membres du Conseil municipal et ceux de la Commis- sion de bienfaisance, apres l'invitation qui leur en avail élé faile, vinrent à la Mairie, à neuf heures du
matin; la garde nationale et le corps des pompiers étaient réunis sur la place de la Liberté. A deux heures, le cortège se rendit à la Préfecture dans l’ordre suivant : la garde nationale, précédée des tambours et de la mu- sique, le Maire, les Adjoints, le Secrétaire en chef de la Mairie, les Commissaires de la police, etc. (1)
À partir de 1804, notre musique militaire commence à faire de grands progrès. Elle avait été jusqu'alors exclu- sivement composée d’une certaine catégorie de citoyens ; à partir de celie époque, ses membres commencent à se recruter dans toutes les classes de la population. Bientôt: l'enthousiasme musical devient tel et les efforts des exé- cutants sont si habilement dirigés que dès l’année 1812 la ville organisait un concours, à l’occasion de la fête communale. En voici le programme : |
« À une heure, concours de musique sur la place du Roi de Rome, auquel sont invités tous les corps de mu- sique des villes voisines.
» Chaque musique exéculera trois morceaux.
» Les prix offerts aux corps de musique qui, d’après la décision du jury, auront le mieux exécuté ces trois morceaux seront, savoir :
_» {prix : une médaille d'or de la bu de 120 fr.
(4) Mémorial de 1777 à 1896.
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» 2 prix: une médaille d'argent.
» 3° prix: une médaille d'argent.
» Ces prix seront donnés par M. le général, baron de la Chaise, Préfet du département du Pas-de-Calais.
» Avant le concours, un déjeuner sera offert, au nom de la ville, à MM. les membres de tous les corps de mu- sique (1). » |
C'est à l'année 1812 que remonte l'apparilion de la première chanson de la fête d'Arras. L'air, devenu si po- pulaire dans notre ville, est tiré de l'opéra /a Vestale, de Spontini, chanté pour la première fois le 15 décembre 1807 et qui obtint un grand succès.
La route est tracée maintenant; l'espoir du triomphe inspire de la confiance, double le courage et pousse irré- sistiblement au travail. Au concours de Béthune, en 1813, la musique de la garde na‘ionale obtenait une mé- daille d’or, et à son retour elle était reçue avec une cer- laine pompe et un concours de citoyens qui témoignent des encouragements que l’on donnait à l’art musical, de l'intérêt qu’on lui portait et du plaisir que causait à toute la ville le succès de nos artistes. Les poêtes eux-mêmes se mirent de la partie et l’ode suivante leur fut adressée:
Au corps de musique de la garde nationale d'Arras.
D'Euterpe, élèves favoris,
Vous avez conquis la victoire ;
Ivres de joie et ceints de gloire,
Rentrez dans vos foyers chéris,. u
Les chants purs de notre allégresse Ont préludé votre retour ;
Que les élans de notre ivresse Vous assurent de notre amour.
(1) D'Héricourt, les Sièges d'Arras.
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Dans le temple de Mnémosine, Un siège bien dû vous attend,
C’est celui qu’Apollon destine Au zèle; au courage, au talent.
T. C. D.
En 1816, MM. de Grandval, capitaine, et Hennebic- que(1), sous-lieutenant, furent désignés comme commis- saires chargés de diriger la musique de la légion, de concert avec son chef, Georges Weber.
Un concours musical fut organisé par la ville le mardi
(1) € GARDE NATIONALE » Arras, le 17 août 1816.
» Monsieur Wartelle, major de la 1re légion de la garde nationale, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, à Monsicur Hennebique, sous-lieutenant de la garde nationale, à Arras. »y Monsieur,
> J'ai l'honneur de vous faire part que le conseil de la légion vous a désigné pour second commandant de la musique de la garde na- tionale.
» Je suis charmé, en mon particulier, que le conseil ait fixé son choix sur vous comme étant, par votre zèle et vos connaissances, le sujet qui puisse le plus dignement remplir cet emploi.
» Je vous prie de vouloir bien vous en concerter avec M. de Grand- val, premier commandant, pour tout ce qui peut avoir rapport à la musique.
» J'ai l'honneur d’être, Monsieur, votre très humble serviteur, » B. WARTELLE.
» P. S. — S'il vous était possible de vous rendre demain, à sept heures du matin, chez M. de Grandval, père, où doit se réunir toute la musique, vous y trouveriez son fils qui serait bien aise de s’enten- dre avec vous. » .
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de la fête communale de celte année (1); on y invita les
(1) « Règlement pour le concours de musique el les jeux qui auront le u à la fête communale d'Arras. » Règlement pour le concours de musique.
» Les corps de musique qui désireront prendre part au concours sont invités à faire leur entrée le jour du concours, à neuf heures du matin, une députation sera envoyée à leur rencontre et les con- duira à l'hôtel de la Mairie, où ils seront reçus pu les deux corps de musique d’Arras.
» Les musiques de la ville d'Arras ne concourront pas.
» L'ordre suivant lequel les corps de musique devront concourir sera déterminé par un tirage au sort qui aura lieu à la Mairie, entre tous les chefs de musique, le même jour, à onze heures.
» Le concours sera ouvert par la musique de la garde nationale d'Arras et fermé par celle des Amateurs.
» Chaque corps de musique devra exécuter : 1° une marche ; 2 un pas redoublé ; 3° un morceau d'harmonie ou une valse à son choix.
» Les prix seront remis solennellement, après le concours, aux corps qui, d’après la décision d’un jury, auront le mieux exécuté les trois morceaux indiqués ci-dessus.
» Le jury sera composé :
» {° Du chef de chacune des musiques d’Arras ;
» 2 D'un jury désigné par chacun des corps de musique qui pren- dront part au concours; ce jury ne pourra être choisi parmi les membres du corps de musique qui le désignera.
» Dans le cas où le jury, formé comme il vient d’être dit, se trou- verait être composé d’un nombre pair de membres, il lui sera ajouté un nouveau membre. lequel sera désigné par le Maire.
‘s Le jury votera successivement au scrutin secret pour chaque prix.
» Si, au premier (our, aucun corps de musique n'obtient la majo- rité absolue des suffrages, il sera fait un scrutin de halotage entre les musiques qui, au premier tour, auront obtenu les deux nombres les plus élevés de suffrages.
» Si le scrutin de balctage se fait entre plus de deux musiques, la majorité relative des suffrages décidera du prix. »
— 1928 — corps de musique des troupes alliées, cantonnées aux environs d'Arras. | oo
Trois musiques danoïises et deux musiques anglaises s’y rendirent; uous citerons celle du contingent danois, sous les ordres du prince Frédéric de Hesse, qui avait son quartier-général à Lewarde, près de Douai, et celle du 7° régiment de fusilliers royaux anglais, cantonnésà Ayette. -
En 1832, il ne manquait à notre garde nationale, pour rivaliser avec celles des villes les plus dévouées à la cause publique, qu’un corps de musique digne de la nouvelle et brillante organisation que venait de recevoir la légion citoyenne ; l'autorité s’occupa de ce soin.
M. Parmentier, propriélaire, qui cultivait la musique par amour pour ce bel art, fut chargé de la formation de cette compagnie. Il en eut le commandement. Ce choix était d'un heureux augure, et MM. les amateurs qui com- posaient la musique de l’ancienne garde nationale se montrérent jaloux de se faire inscrire des premiers, non à cause de cerlains avantages dont ils jouissaient depuis longtemps, mais dans le but bien louable de marcher en lête de l'élite de nos concitoyens armés.
Malheureusement, de regretlables lacunes se produi- sirent souvent dans la musique de la garde nationale par suite du départ ou de l'abstention de plusieurs de ses membres. Elles pouvaient devenir irréparables s’il ne s'était pas formé de jeunes instrumentistes pour combler les places restées vacantes. Lors de la réorganisation de la garde nalionale, en 1838, le conseil d'administration songea à fonder une école spéciale de musique militaire, et une somme de 200 fr. conslitua les premiers fonds
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portés au budget de 1839. Cette école gratuite prit le nom d'école régimentaire et la direction en fut confiée au chef de musique Bertrand. Outre les leçons régle- mentaires, il y avait deux répétitions générales par se- _ maine. Les élèves admis au corps de musique devaient être habillés et équipés. En proposant une somme de 300 fr. pour leur entretien, le rapporteur du budget de 1840 s’exprimait ainsi :
_& Une école gratuite est: nécessaire pour fournir aux élèves l'instruction instrumentale spéciale à la musique militaire. Déjà quinze élèves font espérer de placer la musique de la garde nationale d’Arras au rang de celles des villes voisines, si l'administration daigne seconder les efforts de MM. les chefs et professeurs en fournissant à l’école les moyens pécuniaires que le Conseïl réclame. »
Une somme de 600 fr. fut comprise à ce sujet dans le budget dè 1841. | | Celte année, la musique de la garde nationale obtint, au concours de Boulogne, une médaille d’or. Son effectif ‘était alors de trente-trois exécutants : dix clarinettes, un cor, six ophicléides, un bugle, trois trompettes, deux cornels à piston, deux trombonnes, une grosse caisse, deux cymbaliers, deux carillons chinois, deux tambours, une caisse roulante. Elle avait obtenu jusqu'alors trois médailles d’or et trois médailles d’argent dans les divers concours auxquels elle avait pris part. Le conseil d'ad- ministration se composait de MM. Delaire, capitaine, président ; Bertrand, chef de musique ; Vannihuse, ser- gent; Bassez, sergent-fourrier, et Coche Henri, caporal. Désirant resserrer les liens de confraternité qui exis- taient entre tous les membres des corps de musique des 9
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gardes nationales et. propager les progrès qui avaient. placé l'harmonie mililaire au rang le: plus distingué, la. ville d’Arras, sur une proposition émanant des arlistes composant la musique de la garde bourgeoise, offrit. le 27 août 1843, un concours aux musiques des villes des. départements du Nord, de la Somme et du Pas-de-Calais. Celles des compagnies d'artillerie de Lille et de Béthune. et des gardes nationales de Cambrai, Lens et Bapaume répondirent à cet appel.
Voici les dispositions diverses du concours :
« Division des musiques par classes.
» Les musiques seront divisées en deux classes :
» La première comprendra les musiques appelées à jouer une ouverture et un air varié pour plusieurs ins- truments solos.
» La deuxième classe, les musiques qui exécuteront une ouveriure où une grande marche militaire et un morceau à leur choix. Cependant, si elles désirent con- courir pour le prix de solo, le deuxième morceau devra être un air varié. | » Arrivée.
» Le mardi 29 août, au matin, les corps de musique feront leur entrée en ville.
» Des détachements de la garde nationale d'Arras, tambours et musique en têle, iront à leur rencontre et les accompagneront jusqu’à l'Hôtel-de-Ville.
» Les corps de musique, pendant le trajet en ville, exécuteront des pas redoublés, et à leur arrivée sur la place d’Armes, un morceau à leur choix.
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— 131 —
» Ils seront présentés à l'Administration par MM. les membres de la Commission du concours.
» [ls remettront leurs contrôles nominatifs arrêtés par MM. les Maires de leurs villes.
» [l leur sera donné un numéro d’ordre d'exécution obtenu par le sort dans la classe qu'ils auront choisie.
» Les vins d'honneur leur seront offerts au nom de la ville d'Arras, comme témoignäge de cordiale réception.
» Revue de tenue et de pompe.
» À deux heures précises de l'après-midi, tous les corps de musique seront rassemblés sur la place d’Armes avec leur détachement, s’ils en ont.
» Les commissaires nommés par l'Administration pro- céderont à l'inspection pour désigner celui des corps qui aura droit au prix de tenue ou de pompe.
» Marche pour le concours.
» Après la revue, tous les corps de musique, celui d'Arras en tête, se rendront aux Promenades sur le lieu préparé pour le concours.
» Les corps de musique marcheront dans l’ordre de leur numéro d'exécution. La première classe en têle de la deuxième.
» Concours à trois heures du soir.
» La musique de la garde nationale d'Arras, bien qu’elle ne soit pas appelée à concourir, exécutera un morceau pour l'introduction et un pour la clôture.
» Le concours déclaré ouvert par MM. les Commissaires, les musiques de deuxième classe exécuteront leurs mor- ceaux dans l’ordre de leurs numéros, puis celles de pre- mière classe dans le même ordre.
— 132 — » Prir. » Sept médailles d’or seront décernées aux musiques et aux détachements qui les accompagneront, savoir :
» PREMIÈRE CLASSE.
» 1°" prix d'exécution : une médaille d’or de la valeur de LR NS ER AN GR SE DOUÉ. » 2° prix d'exécution : une médaille d’orde 139 fr.
» DEUXIÈME CLASSE.
» 1°" prix d'exécution: une médaille d'or de 120 fr. » 2° prix d'exécution : une médaille d’or de 80 fr. » Prix de solos pour les deux classes : une médaille d’or de . . . . . . … . . . 100fr. » Prix de pompe : une médaille d’or de. . 60fr. » Prix de lenue: une médaille d'ôr de . .- 60fr.
» Jurys.
» Les jurys chargés de décider pour les prix d’exécu- tion et pour ceux de pompe et de tenue seront composés chacun de trois membres désignés par l'Administration municipale. |
» Leurs jugements seront rendus à la majorité des VOIX.
» Immédiatement après le concours, le procès-verbal du jury d'exécution et celui du jury d'inspection seront remis à M. le Maire qui décernera les prix aux vain- queurs. »
Le jury était composé de : MM. Maurice Colin, maire, président; Adam, colonel; Quingnart, major; Fabien; Damiens ; Daverdoing ; Delair, capitaine de musique; Traxler ; Cornille Félix ; Hoviñe Louis ; Enlard de Grand-
e
musiques savol
a valeur 950 fr. 130 fr.
(20 fr. S0 fr.
10 fr. 0 fr. IE
— 133 —
val Armand; Cabuil Désiré; Potier Emile ; Potier Domi- nique ; Richebé Gustave ; Develle fils, avocat. °
Sur la proposition de MM: les chefs de musique Ber- trand, de la garde nationale, Brepsant, du génie, et Léon Delmas, des 'cuirassiers, il fut décerné, pour la première classe :
Le 1° prix d'exéculion, Lille.
Le 2° . — + Cambrai.
Pour la deuxième classe :
Le {°° prix d'exécution, Béthune.
Le ?° — Bapaume. Pour les deux classes réunies :
1°" prix de solo, Lille.
2 — Bapaume.
En 1846, la musique de la garde nationaled'Arras prêta son concours à la